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07/12/2015

Aristo pays des merveilles - Le 07/12/2015

Pat Poker

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        Un stagiaire ce matin, assis à ma gauche. Agression : « Alors, tu as fait comme toute la France, tu as voté FN ? ». Pas un bonjour, rien. La colère rentrée, fallait que ca sorte. La politesse : connaît pas.

        Physiquement, car il est important de pouvoir dévisager un homme dont on va lire les propos, ce garçon est le croisement de Cambadélis avec Julien Dray.

        Moi : « Oui. Enfin non : c’est la France qui a fait comme moi vu que je vote FN depuis toujours. » Lui pouffe comme une douairière constipée qui confondrait son colon avec son vagin. «Non mais enfin, 40% ! Je suis outré. Les gens qui votent FN ne réfléchissent pas. » Moi : « Parce que je ne réfléchis pas ? » Je pense : « Du haut de ton QI de singe, inculte, sous-diplômé, chauve et gras à 27 ans, tu me dis ca à moi, ton ainé en tout pour ne pas dire ton supérieur, sale untermensch ? » Lui sourit, réjoui de m’insulter. La morale est devenue l’intelligence. C’est la règle de l’époque : qui pense bien réfléchit bien. J’ai de nombreux amis qui croient cela. Des ménopausés. Tous sont ignares, mais ils me prennent pour un benêt. Notamment un qui vit au Brésil. Il me donne des leçons au sujet de la France qu’il a abandonnée après y avoir fait ses études financées par les impôts de patriotes qu’il méprise. Il fait de l’argent maintenant. Il vote Fillon, et si d’aventure il devait perdre ses cheveux, il voterait Juppé même quand il sera mort.

Moi au stagiaire : « Le FN est un parti qui a pris le programme du parti communiste en favorisant les nationaux, et il est xénophobe, pas raciste : xénophobe : je ne vois pas le problème, d’autant que l’état d’urgence qui a de bons résultats est l’application par le PS du programme du FN.» Stop ! Sztop ! comme dans Tintin. Le type se fige. Ahuri. Il s’étrangle. « Un état policier ?! C’est ca, il faut un flic à chaque coin de rue qui veillera à ce qu’on ne se gratte pas le cul ? Le FN n’est pas démocratique ! » Voilà qu’il devient grossier : procédé classique du gauchiste. Je me gratte la fesse et lui demande si un agent va débarquer. Il réprime un pet agacé. Je lui explique que lui, gauchiste bobo anticapitaliste, conspue un parti anticapitaliste à la différence du PS et de l’UM-Pet. Je poursuis : « Les partis de gouvernement ont creusé leur tombe tous seuls. Ils méprisent le peuple, enfin, je veux dire les pauvres. Et ils sont racistes, ce sont eux les racistes. J’ai voté communiste vois-tu. Pour les pauvres. J’ai le même souci que celui que tu prétends avoir. » D’une voix enrouée, il demande : « Comment ca ils sont racistes ? Avec qui ils sont racistes ? » Je réponds : « Et bien avec les immigrés, qu’ils enferment dans des quartiers immondes et qu’ils foutent à l’usine. » Lui : « Mais tu voulais faire quoi ? » Moi : « Il y avait mieux à faire, comme les laisser chez eux, ne pas les faire venir. » Il toussote un « Hihihi en effet oui. » Je continue : « Mais ne t’inquiète pas, le FN ne passera pas, ce pays n’est pas démocratique, le premier parti de France sera bloqué par les autres partis qui vont s’allier. » « Ha ! Mais j’espère bien ! » Et cet Artaban de basse-fosse : « Je préfère une dictature socialiste au FN. » Moi : « Donc tu n’es pas démocrate, comme ce que tu dis du FN. » Et je taille, pas la peine de poursuivre avec cet idiot.

        On aura leur peau. En attendant, ces bobs crèvent au Bataclan, tués par leurs potes qu’il ne faut pas toucher : des intouchables n’est-ce pas. S’est-on déjà avisé du racisme de ce slogan ? Touche pas à mon pote. Il est sale ? Il pue ? Il ne sert que le dumping social sans doute. Derrière ce racisme : le mépris de classe. Ca touche les allocs, ca fournit le grand capital qui touche des profits, mais touche pas à mon pote. Il croupira dans le costume qu’on a décidé qu’il devait enfiler au PS, au MEDEF et à l’UM-Pet. Seulement, le pote n’est pas si bête, il a compris le foutage de gueule. Un peu de dieudonnite mâtinée de soraline et hop ! le pote touche par balles les abrutis. Tous ces Frankenstein se font bouffer par leur Golem. Et ils pleurent comme des fiottes. Ils appellent le FN sans le savoir. Ils sont outrés mais c’est pour la forme. Dans le fond, c’est tout contents qu’ils sont. Ils seront protégés. Comme à son intouchable de pote, le gauchiste déléguera le sale boulot. Seulement cette fois mon coco, tu disparaîtras dans tes vesses. On te démolira. Je te démolirai : j’y consacrerai ma vie, je t’éradiquerai de mon pays par la force. Les urnes ? Mais tu les as tuées. Tu les touchées. Tu les as coulées. Maintenant, je vais faire de même avec toi. Tu peux sourire, mais ta grimace t’emportera avec elle comme le chat du Cheshire.

 

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        Vu sur facebook ce matin : Et oui, ce sont majoritairement les pauvres et les non diplômés qui votent FN. Je vous laisse méditer là-dessus. A noter le ton condescendant et professoral très fréquent chez le gauchiste. C’est d’autant plus risible que ce dernier devient avec l’âge celui qu’il n’a jamais été, à savoir le professeur qu’il chahutait en cours pour être populaire au lycée. J’en connais à foise. Des filles surtout. Débiles à l’école, leur pensée de chèvre les rend capables de me tenir tête dans une discussion. Qu’elles croient ! : en général, je les étale en deux répliques.

Le là-dessus est un graphique de corrélation entre le couple [richesse/diplôme] et le vote FN avec la géographie comme variable de contrainte. Je suis ingénieur de l’Ecole Centrale Paris, aussi je jouis d’une solide formation mathématique et connais la limite des outils de corrélation pour mesurer le monde. Les statisticiens ne sont pas des mathématiciens, mais des agioteurs qui prétendent faire parler leurs chiffres. Ceux-ci ne sont que l’écho d’idées préconçues. L’hypothèse d’un statisticien est sa conclusion, un peu comme le GIEC qui rapporte un réchauffement climatique en enquêtant près d’une chaudière adiabatique. Rigolo, non ?

Je réponds au statut : « Donc la France est pauvre et sous-diplômée. Rigolo. » La personne (une femme) riposte : « Je trouve que oui. » J’assène là : « Alors aucune surprise à ce qu’elle soit FN – dans la logique de cette étude en rose menée par les Herlock Sholmès de Solférino. Ces graphiques de scientistes qui subordonnent la lettre au chiffre et plongent l’esprit dans la statistique partent de ce qu’ils veulent démontrer pour l’invalider : c’est très rigolo. » En face : il n’y a plus personne.

        Le bob monde a substitué la statistique à la scolastique. La stat remplace la lettre. Elle explique tout. Elle annule le débat. Elle réduit les sociétés humaines à des chiffres, les humeurs à des pourcentages, les envies à des sondages, les élans à des Dirac. C’est une manifestation du matérialisme athée qui fait économie de l’esprit. Seul le nombre importe : que l’Histoire ait souvent été écrite par une minorité agissante n’entre pas dans les considérations des « modèles à vecteur humain ». Un seul coefficient directeur : la masse.

 

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        Un ami ce matin. Il m’oppose que le FN refuse la réalité. Lui vote PS, le parti qui fait abstraction du réel. Devant une telle mauvaise foi qui le dispute à l’aveuglement, rien ne sert à rien. Débattre est inutile. Il ajoute qu’il se sent vieillir à 32 ans. Et m’explique que ce n’est pas pour ca qu’il votera FN, c'est-à-dire que la réalité veut qu’il vieillisse, et le FN n’y pourra rien. C’est imparable.

        Je lui réponds malgré tout, parce que ce point me semble essentiel. C’est qu’il révèle la sénescence programmée qui périme les forces vives européennes. Le suicide n’est pas français, il est européen. Ce n’est pas que les jeunes se tuent : ils oublient de vivre. Ils se laissent mourir. Ils s’abandonnent. Et leur pays avec eux. C’est un suicide collectif par omission volontaire. La déprime leur a été inoculé par les discours victimaires et repentants des gauchistes. Ami : comment à 32 ans peux-tu te dire vieillissant ? Ne crois-tu pas que c'est précisément cette France socialope qui te fait dire ça ? Cette France de sénateurs. Cette France obèse. Cette France enceinte de soi et engrossée par le fondement. Comment est-on arrivé à ce qu'un garçon comme toi se dise vieux à 32 ans ? Prenons mon cas : je n'ai jamais été si fort. Et plus je pense mal (je dis cela car tu es sourd à toutes mes argumentations, c'est aussi pour ça que je te prends aux sentiments), plus je deviens fort. Dur en haut et en bas, comme la forge. La jeunesse ? Elle veut tout, elle obtient plus. La vieillesse ? Elle obtient moins, elle veut rien. Serais-tu donc ce vieux avant l'âge qui subit ? Vieux à 32 ans : titre parfait pour une chronique. Merci.

 

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        Samedi après-midi, je suis dans le métro sur la ligne 1. En face de moi, quatre adolescents. Une fille et trois garçons. Ils racontent l’histoire d’une de leurs camarades qui a voulu se suicider. Elle a sauté du deuxième étage et s’est cassé le bras. « Elle pleurait » dit l’un de ces cons - et le petit groupe de s’esclaffer. L’adolescence, rien à signaler m’opposera-t-on. L’âge ingrat. Voire. Il est vrai que les ados sont cruels mais à voir la mine défaite de la grand-mère qui entendait ce que j’entendais, ca m’a paru moins évident. Ce n’est pas tant ce qu’ils disaient que le lieu où ils s’exprimaient qui importe. Les ados de tout temps et de tout pays ont dit les pires horreurs dans le secret de leurs réunions. Etaler dans le métro, c’est-à-dire dans un lieu public confiné où tout le monde s’écoute, y étaler, donc, leur vilenie, atteste de la banalité du mal qui s’installe chez ces jeunes fats. Leurs cris, et plus largement leur impolitesse, renforçaient le malaise que leur détachement ne laissait pas de provoquer chez la grand-mère et moi. La détresse humaine, une jeune personne qui saute, qui se blesse, qui souhaite peut-être conserver la dignité qui lui reste en conservant pour soi ses malheurs, tout cela s’affaissait dans le mépris affiché par ce groupe. Je sais bien que la sphère publique écrase le privé en l’invitant de force à s’exhiber. Il paraît que c’est la fierté. L’âge du fier disait Muray. Je sais que plus personne n’a rien à cacher. La société spectaculaire est une assignation à comparaître. Le monde de la paix convoque ceux que la guerre conscrivait. Je connais que la réalité précède et annonce tout sans pour autant que le réel soit lu avec attention. Mais que penser de ce dédain affiché pour autrui, c'est-à-dire pour un proche et pour l’entourage ? Je suis certain qu’une sévère paire de taloches aurait suffi à réveiller ces abrutis. Il aurait fallu les brusquer au lieu que s’installe un furieux sentiment d’impunité qu’ils associent à la puissance.

        Ce fut un étonnant hasard parce que je sortais du film KILL YOUR FRIENDS qui est l’histoire d’un sociopathe devenu tel à cause de la furie capitaliste. Je retrouvais chez les jeunots la même méchanceté dont fait montre le personnage principal. C’est le même cynisme à peu de frais que le public prend pour la dernière intelligence. Tout ceci me plongea dans une méditation intense. N’ayant pas de réponse appropriée aux questions que me pose ce siècle, je trouvai refuge dans un livre de Drieu au titre taquin : NOTES POUR COMPRENDRE LE SIECLE. Clin d’œil étrange. Comme si un fil invisible conduisait les pensées avant d’en rendre le but initialement caché.

 

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L'Aristo dit que bob effacera bien assez tôt son sourire.

03/12/2015

Des hommes sans qualités - Le 03/12/2015

Pat Poker

 

A mon ami Mom, professeur.

 

« La grande erreur consiste à confondre la vie avec le niveau de vie ». Pier Paolo Pasolini – LETTRES LUTHERIENNES

 

        Il est vrai que les blancs ne veulent pas exercer les métiers d’éboueurs ou de serveurs de cantine. L’hypocrisie tient à ce que le gouvernement le déplore alors qu’il en est responsable, et non à ce que ce constat est faux (il l’est en partie selon les statistiques indiquant que les blancs qui veulent ces emplois sont éconduits au nom de la discrimination positive. Mais ce n’est pas suffisant pour épuiser ce phénomène de société si évident pour qui admet de voir ce qu’il voit). Le gouvernement, de droite ou de gauche, a depuis 40 ans fait de l’école l’antichambre de l’entreprise ; il a popularisé le travail de service auprès des impétrants qui préfèrent devenir des professionnels plutôt que des artisans. Le soi-disant travail intellectuel est plus valorisé et, partant, plus valorisant que le travail manuel. C’est idiot, mais c’est ce que tout le monde croit désormais. C’est « la victoire des forces immatérielles de l’argent sur les forces spirituelles de la main » dirait un Péguy. L’immatériel précède la matière. Il est ringard de façonner.

Afin d’intégrer l’entreprise à quoi Najat destine les élèves si l’on en croit ses déclarations d’avant-hier, il faut un diplôme. Or tout le monde ayant droit au travail, tout le monde a donc aussi droit au diplôme. C’est typique du fonctionnement performatif de nos gouvernements. Sans vérité révélée quant à la validité de cette politique, d’autant plus que « les faits [qui] sont têtus » (Lénine) lui donnent tort, cette ontologie continue d’être ânonnée par nos élus. En sorte que le diplôme est distribué comme à  la tombola avec un seul billet perdant (il faut bien pour la forme des laissés sur le carreau). D’abord le baccalauréat, bientôt les Grandes Ecoles. C’est du reste déjà le cas pour celles-ci : leurs promotions sont plus importantes en nombre qu’autrefois, et de plus en plus de sous-écoles d’imitation se créent – deux facteurs qui concourent à dévoyer le diplôme des Hautes Etudes. Encore une fois, les victimes sont les intelligents. Au-delà de ca, la démographie dans quoi la masse s’écroule massifie la population qui engorge les écoles. Par le principe des vases communicants, il est normal que gonflent les classes de quelque niveau que ce soit. C’est toujours la quantité qui pervertit la qualité. En résumé : de même qu’un bachelier 2015 souffre de la comparaison avec son pendant de 1950, de même un polytechnicien ou un centralien 2015 est effacé par ses aïeux.

        Derrière cela, il n’y a pas que la volonté de fournir de la main-d’œuvre prétendument haut de gamme à l’entreprise, laquelle souscrit à un projet capitaliste sincère ou hypocrite selon qu’il tire les gens vers le haut ou les aliène dans un taff rébarbatif et mal payé. Sous-jacent à cette farce, se trouve aussi l’égalitarisme qui est la poursuite en tout de l’égalité. Pour reprendre des termes très 2010, le but est l’égalité pour tous. L’expression se décline à tout, et notamment au diplôme et à la condition de son obtention qui est l’intelligence. L’égalitarisme suppose que tout le monde soit intelligent. Davantage : il l’exige. Et si la nature ne le permet pas, alors la culture le pourra. L’ancienne culture de sélection, trop naturelle, ne convenait pas. C’est pourquoi il fallut changer l’enseignement à l’aide de réformes visant à tordre la réalité à l’aune des idéaux. Pour y parvenir, le secret est le nivellement. Pour s’assurer de l’égalité devant l’intelligence, il faut convenir du règne de l’imbécile. Ainsi le débile est roi, et c’est lui le bon élève parce qu’il valide le principe de l’égalité. La qualité se dissout dans la quantité. Les hommes à diplôme sont favorisés à l’homme de qualité. En résumé : si tout le monde est bête, c’est tant mieux vu que tout le monde s’égale. Il n’est plus que de jeter ca dans « l’univers du travail » afin que l’entreprise dispose de petites mains heureuses d’être logées à même enseigne. Le salariat, pourtant vision capitaliste du monde, réalise le projet communiste du niveau unique. C’est l’avènement du tertiaire dont le phénomène est le bobisme.

        Enfin, « ces jobs à la con » comme on dit des éboueurs, sont réservés aux immigrés pour permettre leur intégration dans la société. Que ce soit par le bas est normal, dans le fond. C’est cruel et après ? La discrimination positive est possible pour les tenus pour nuls, les loosers comme dit bob, si bien qu’elle atteste ici de sa vilenie. Il subsiste que cela trahit les grands principes évoqués plus haut. Il est possible de s’étonner que ce soit toléré, sauf à s’aviser du racisme qui décide de cette entorse à l’égalité. Je veux parler ici du racisme paternaliste et petit-bourgeois qui balance un nonosse à sa bestiole cajolée, à la façon d’une patronnesse qui se rassurait sur sa charité chrétienne. Au vrai : c’est du mépris. Au vrai du vrai : c’est de l’égoïsme. La patronnesse se fait du bien à elle en se servant d’autrui pour prouver à tous et à soi qu’elle est gentille. Regardez comme je suis bonne ! Bien évidemment, elle ne souhaiterait pas être pauvre, ce n’est pas sa place. Elle vit au château. Précisément comme l’arsouille qui vote PS ou UMP ne souffrirait pas de nettoyer le trottoir – et encore moins d’être noir ou arabe. Ce poste leur suffira bien. Lui vit à l’open-space – et il est blanc.

        Tout ce qui précède correspond à la décivilisation européenne. C’est l’entreprise de l’UE. Son fonctionnement bureaucratique met en place une technocratie dont le charroi des paperasseries convoie autant de rapports que d’hommes sans qualités. Aujourd’hui, l’école s’associe à ce projet. Elle participe, sinon à la création, du moins à la production en chaîne des hommes standardisés, donc sans particularité. Le hasard faisant bien les choses, une amie me demande au moment que j’écris ce texte ce que je pense du livre L’HOMME SANS QUALITES de Robert Musil. Dans ce livre, le personnage est terrorisé par l’industrie d’accumulation et par l’administration que sa gestion suppose, de sorte qu’il perd toute aspiration à la grandeur, happé qu’il est par un quotidien mesquin. Il produit mais il ne fait pas. Il est fabriqué mais il ne bâtit plus. Le faiseur ou l’artisan, c’est-à-dire l’homme de qualité, s’effondre dans le principe de masse (masse de produits et masse de papiers). L’homme de Musil est l’homme de l’aujourd’hui, c’est-à-dire de l’UE. Il est l’individu perdu dans les méandres administratives dans quoi a disparu, strates après strates, l’empire austro-hongrois dont Musil situe la chute davantage dans un morcellement moral causé par une bureaucratie monstre reflétant sa géographie - que dans la guerre et son dépècement territorial qui suivit Trianon. Cet homme sans qualités l’est aussi et surtout en tant qu’homme de la quantité dont le comportement bobique signe l’épiphanie de la marchandise. Le monde ultralibéral que nous connaissons tourne autour de celle-ci et modèle les humeurs à proportion. A la sortie : une pensée sans qualité qui est la pensée managériale. L’entreprise est une façon de bibliothèque où s’enseigne la matière. On y parle de matière grise comme d’une réification de l’intelligence. Cette profession de savoir ne vaut pas plus que la prétendue bosse des maths qui permettait d’identifier le génie sous la chevelure. C’est risible. Cependant, l’heure marchande s’écoule en biens via l’achat-vente qui pulse à la quantité. Le nombre remplace les lettres et l’entreprise se substitue à l’école.

Un homme sans qualités est ce rappeur que je lisais ce matin dans LES ECHOS : « Les chiffres ne mentent pas » rappe-t-il. Il est possible de douter de sa débilité, et d'imaginer qu’il ironise au sujet de la pétainerie : « La terre ne ment pas ». Mais je ne le crois pas. Son rap est trop idiot, en tout cas suffisamment pour que l’école se soit récemment mis en tête de faire du rap une discipline apportant diplôme. Jamais matière n’aura si bien porté son titre : que contient-elle d’esprit ? Mais à hommes sans qualités, diplôme sans qualités n’est-ce pas. Tout est cohérent en sorte que le rappeur en question est effectivement sorti de soi. Les rappeurs seront eux aussi des hommes à diplôme. Ils joueront leur part dans le match de l’égalité et du défraiement de l’instruction. Aucun titre ne saluera plus rien sinon une chanson de rap. Il en va de même des bobs du tertiaire dont le CV ne sanctionne aucune autre maîtrise qu’une capacité à se montrer. Curriculum Vitae ferait un bon tube. C’est latin, ca sonne bien, c’est cool et les réacs n’auraient pas à se plaindre. Restent les hommes manuels. Du paysan au nettoyeur en passant par le jardinier, au moins ont-ils pour eux leur dextérité ; celle-ci n’a pas de prix ; elle ne vaut donc rien en société de la quantité ; tout s’y marchande, rien ne s’y crée. Il est devenu obligatoire de les mépriser.

 

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L'Aristo dit que c'est un grand livre.

02/12/2015

Fer Galvanisé - Le 02/12/2015

Pat Poker

       

        Très vite, les GIs acquièrent une solide réputation dans les tranchées. Bien qu'ils ne soient pas rompus à l'exercice militaire, ce qui leur vaut une formation anglo-française, ils viennent d'un pays qui s'est construit dans la violence : bagarres de rue, trimard, gang, conquête de l'ouest - autant de facteurs qui secourent la légende de l'Américain pugnace et redoutable au corps à corps. Il n'est pas étonnant que des commandos de GIs ravagent les sillons allemands lorsque vient l’heure nocturne des coups de mains. Les tranchées accueillent l’aube avec les obus, transformant les soldats en ouvriers*, et saluent la nuit avec les couteaux, exigeant des poilus un pugilat. Dans ce contexte, les Américains sont meilleurs que les Européens. Restés chasseurs et plus proches de la nature, ils sont rapides et silencieux, et le sont d’autant plus que leur caractère a été perverti par la fabrique délinquante de l’homme de la ville. La ville champignon n’admet que l’excès de ce qui est précipité et méconnaît la bienséance du piéton du Vieux Continent. Il faut envisager la délinquance comme le résultat d’un état d’esprit rural déprimé au sens clinique du terme, c'est-à-dire attaqué par un germe qui prend possession de son hôte en vue d’en réformer les humeurs. Cela, les volontaires à la bannière étoilée en sont imprégnés. C’est ainsi qu’ils popularisent l’idée qu’ils sont des bourrins. La guerre entame avec eux sa mue vers les jeux de massacre. L’apothéose de ce processus sera Hiroshima et Nagasaki, et bientôt les orages de feu que les Vietnamiens traduiront par le son Napalm en l’incorporant à leur langue depuis l’anglais. Toujours cette poésie de l’Asiatique face à l’horreur qu’il lui importe d’effacer. Orages de feu...Dans la guerre, tout descend du ciel avec les ricains, et c’est d’ailleurs ainsi qu’il faut comprendre leur actuelle politique de bombardement entamée depuis les années 90 sous le rigolo concept de guerre propre. Toujours est-il que durant les nuits tranchées dans l’année 1917, les décimations chez l'allemand suivent de près l'arrivée des gars de l'oncle Sam. Selon l’historien John Keegan, le no man's land se peuple de brutes des plaines de l'ouest au point que les marines sont surnommés les no man's. Littéralement : ceux du pas d’homme ou ceux du non-homme. La première traduction suggère un non-lieu quand la seconde sous-entend un non-être : où l'on retrouve le bob-être de nulle part dont les tranchées auraient accouché par catalyse étatsunienne. Fermons ici cette parenthèse, et revenons à nos soldats : costaud et racé, donc rural, bagarreur et allumé, donc urbain, c'est ainsi que le GI peut se résumer. Un humain à la frontière du champ et de l’usine. Un outil dopé par sa propre production. Un fer galvanisé : a Galvanized Iron, un GI.

        Il y a un chapitre dans le fabuleux livre LEGENDES D'AUTOMNE de Jim Harrison. Un GI est piégé dans les barbelés. Il est alors tué par l'ypérite et les balles des mitrailleurs allemands. L’un de ses frères enrage. C'est le soir. Il pénètre derrière les fils ennemis. Il est seul. C'est un garçon qui s'est nourri de la forêt, il a grandi dans les Rocheuses et n'aide la France qu’à travers son benjamin mort qu’il entend venger. C'est un homme naturel de l’Amérique en ce sens qu’il a grandi dans les montagnes au contact des ours et des Indiens auprès de qui il a davantage gagné en humanité qu’au contact de la pègre à quoi la ville voisine de son ranch l’a frotté. Il est ce type à la fois façonné par la violence des paysages terrestres et des sauvages - et aiguisé par le viol du fer politique, c’est-à dire par les affaires de la cité humaine, trop humaine. Cet homme, c’est Tristan. Lorsqu’il se lance en solo dans son commando vengeur, il défie par le corps et la geste, chevaleresque et animale, les monstres de la technique fritz. Sa vengeance est la révolte de l’homme face à la barbarie machinique qui coupe l’humanité de ses racines. La tuerie que Tristan perpètre en scalpant les chleus ne doit pas être prise au sérieux mais comprise comme un mouvement de rage, cet instinct de l'homme encore honnête, contre l'industrie.

        Dans D.H.LAWRENCE OU LE FEU AU CŒUR, Anthony Burgess oppose l’homme naturel cher à D.H.Lawrence à l’homme du progrès protégé par H.G.Wells. Deux visions du monde le cloisonnent. Deux attitudes tiraillent les destinées humaines. C’est très européen, et Burgess le remarque. La force des USA est d’avoir su et de savoir encore placer une humanité à leur point de concours.

 

* (à lire en annexe de ce texte : la lecture en romprait le fil et nuirait au propos) : Dans LA VOLGA NAIT EN EUROPE, qui est un des livres les plus fascinants que j’ai lus, Malaparte explique que la seconde guerre mondiale est celle d’ouvriers spécialisés qui composent moins une armée mobile qu’une usine en mouvement. Le second conflit est la prolongation de la tranchée par d’autres moyens, en l’espèce, ce sont les tanks qui dynamisent l’artillerie par un jet d’obus mouvementé. Je précise ici que Malaparte participa aux deux guerres mondiales. Il fut à chaque fois engagé sur les pires théâtres. Caporetto en 1917 et le front de l’Est en 1942. Ses commentaires originaux ne sont donc pas le fait d’une imagination géniale, mais le résultat d’une intelligence remarquable qui observa ce que certains analysent sans l’avoir jamais vu. L’Histoire est la rédaction du passé dans le temps par des hommes du présent : des déjà vus, des visionnés. La chronique, encore appelée historiographie, est l’inscription du présent dans le temps par des hommes du futur : des jamais vus, des visionnaires. Malaparte appartient à la seconde catégorie. Il est le Guichardin du XXème siècle. Je ne comprends vraiment pas comment tout ce que l’Europe compte de culture peut aujourd’hui faire l’économie de cet écrivain. Son œuvre prouve que la poésie, avec ce qu’elle comporte d’intuition et de mystique, offre une lecture des événements qui dépasse ces mêmes événements. Elle les jette au-delà de ce qu’ils sont et permet d’en comprendre les mystères. L’Histoire ne s’attaque qu’aux origines. Or c’est insuffisant.

 

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L'Aristo dit qu'il eût aimé être lui.