UA-63724026-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/08/2018

Chauuuuu-cacaco ! Chau Chau Chau Chaucolaaat !

Pat Poker

hahaha

 

27/06/2018

Agenda de Juin 2017 à Juin 2018

  Pat Poker   

      Pour cette fois, ayant pris mes dispositions au fil de ma production, je compile mes notes dans leur ordre de rédaction.

 

Poème du Vendredi 16 Juin 2017

Juin 2017

 

« L'été comble les cœurs trop vides. »

C'est ce qu'on dit, c'est ce qu'on croit.

Comme si les urbains torpides

En dieu météo avaient foi.

 

J'écris ceci en séminaire

D'entreprise. Devant moi : un

Cadre justifie son salaire

En paraphrasant son destin.

 

Deux graphiques sont projetés

Pour exposer les résultats

Qu'il a obtenus dans l'année.

Nous autres nous montrons béats.

 

Mais dans le fond chacun récite :

« L'été comble les cœurs trop vides. »

Un résidu païen incite

À demeurer si intrépide.

 

Poème du Mardi 20 Juin 2017

 

Sur l'avenue Charles de Gaulle,

Dans la touffeur du mois de juin,

Cependant que dessous les saules

Je marche, les gens vivent loin

 

De moi : des voitures circulent,

Des groupes siègent aux terrasses.

Soudain, sourd de la canicule

Un son mat, lourd, pesant, tenace :

 

Derrière moi, un petit nègre,

Clerc du soleil catalytique,

Récite son basket, allègre.

Grâce à sa racée gymnastique,

 

Il me rappelle ma jeunesse

Lorsque, fuyant l'ennui des cours,

Je confondais dans mon ivresse

Du sport, demain, et tous les jours.

 

Mercredi 21 Juin 2017 - Addendum à la note sur CAPTAIN FANTASTIC : à propos des habits

Lacan aurait parlé de su-père héraut à propos du père. Le titre du film aurait été expliqué.

      L’accoutrement de la famille ne doit pas être associé aux hippies, mais à l’autorité libertaire de l’équipée de Fiume. L’anarchisme de droite, s’il n’est défini par aucun concept, possède sa capitale : Fiume, et une date de naissance : 1919, et tous deux proposent un lieu et un moment où s’affirma l’individualisme compris comme l’affirmation de son être. Sous-tendue par cette discipline, l’originalité échappe au ridicule. C’est de cette discipline et de cet individualisme qu’il s’agit dans CAPTAIN FANTASTIC, non de l’hédonisme soixante-huitiste qui confondait l’habit avec la mode, l’instinct avec la raison, la détermination avec le déracinement.

      La famille se pare de fleurs ; elle opte pour des vêtements amples et flamboyants à l’image de leur Guido Keller de chef, personnage baroque et inspiré. Il ne faut pas y voir l’éclat de quelque liberté mais un hommage à ceux de Fiume.

      Dans l’univers américain, c’est du côté des beats qu’il faut chercher, je crois, plutôt que chez les hippies. Connus pour leur goût du mouvement, les compagnons de Jack Kerouac écrivaient leur quête de sens. (Autre acception du rêve américain.) Il y a aussi loin entre ces exaltés nietzschéiques et leur version dévoyée, les beatniks*, qu’entre la famille fantastic et ces derniers.

      L’œuvre de Kerouac l’amena jusqu’en sa Bretagne ancestrale, à laquelle il se rendit compte qu’il était organiquement lié par le sang. A l’image de la beat generation, c’est leur identité que les fantastic beats affichent dans le choix de leurs vêtements. Et c’est même une identité païenne qu’ils découvrent sur la route, depuis la forêt jusqu’à la sépulture ultime de la mère. Le road movie qu’est CAPTAIN FANTASTIC se conclut sur la crémation du corps. Difficile à qualifier : hindou ? aryen ? scythe ? celte ?, l’épilogue propose une célébration de la mort et de la vie selon la liturgie du cycle : la famille danse autour du feu, joie tragique, heureuse de saluer celle qu’ils reverront, éternel retour oblige. Chronique du retour aux sources. Sens beat.

*dans l’argot américain, le suffixe –nik déprécie le mot auquel il est accolé. Le procédé date de la guerre froide et des sputniks dont les Américains se moquaient. Ils en gardèrent la sonorité finale, le fameux –nik, donc, et l’incorporèrent au parler moderne pour déprécier n’importe qui ni quoi, en le réduisant à pacotille, comme tout ce qui venait de Russie. Littéralement, les beatniks, les hippies, sont des beats de rien du tout.

 

Poème du Mercredi 28 Juin 2017

Ma ballade à Fitzcarraldo.

 

J'embarque seul pour le château
D'If. À côté : des concurrents.
Nous nous mesurerons bientôt.

(C'est l'objectif ; c'est palpitant.)

Cinq kilomètres à nager
À l'instar de Monte-Cristo.

"Et pourquoi ?" "Pour se dépasser !"
Cette réponse...c'est d'un sot.

 

Que sais-je... ! Pourquoi ? Pour la houle,

Le froid, l'effort et le sport de race,

Pour s'affranchir de cette foule

Subie dans l'année qui fracasse.

 

La ville me fait préférer

La nature et la vie hostile ;

Et d'Herzog je veux imiter

Sa conquête de l'inutile.

 

(Un peu de colère de Dieu,

Aussi. Les crawleurs frappent l'eau.

Ces prêtres-nageurs sous mes yeux...

Ah...l'esprit de Fitzcarraldo...

 

Nous prions un soleil Inca

Et devenons ses libellules :

De nos surréalistes bras

Nous rendons la vie majuscule.)

 

Mardi 27 Juin 2017 - Chronique marseillaise

Larbi ben M’Hidi, terroriste du FLN, alors qu’il était en prison en 1957 lors de la bataille d’Alger, s’adressait aux paras : « Vous voulez la France de Dunkerque à Tamanrasset, je vous prédis, moi, que vous aurez l’Algérie de Tamanrasset à Dunkerque ».

 

      (Je participais ce week-end au défi Monte-Cristo de Marseille qui consiste à nager 5km du château d’If aux plages du Prado. C’était ma deuxième participation après la course de 2015 (celle de 2016 avait été annulée à cause du Mistral). J’ai fini 230ème sur 901 concurrents, en 1h24, soit l’exact et même résultat qu’en 2015, dans des conditions plus difficiles il est vrai. Quel hasard. Conjonction astrale identique en chaque premier week-end d’été ?

      Plein d’espoir après l’édition de 2015 réalisée en brasse et en crawl, j’ai pendant deux ans suivi un entraînement spécifique pour nager le crawl uniquement. Je me suis formé auprès d’un nageur professionnel au mois d’Août 2015 grâce auquel j’ai amélioré mes mouvements. Puis je me suis lancé dans un raid solitaire de deux ans. Je me suis astreint à une préparation innovante en matière de cadences, d’intensité, et de technique. Je me suis nourri d’échanges sur des forums de natation, suivis de praxis autonome. Discipline ; effort ; méditations sur mon sport. Un peu de race dans mon quotidien de châtré. J’ai atteint un niveau qui laissait espérer un chrono d’1h15, donc une place dans les cent premiers. Il faut constater mon échec qu’il est possible d’expliquer par :

-la canicule parisienne qui a précédé l’épreuve : elle m’a privé d’un sommeil nécessaire au point que j’ai ressenti une immense fatigue à mi-course ;

-la houle et un soleil inca qui m’ont étourdi au point d’être désorienté et de perdre du temps à me remettre dans le droit chemin.

      Je n’en suis pas moins satisfait. Il y aura d’autres occasions de partir à la conquête de l’inutile.)

 

 

      Week-end du Samedi 24 Juin 2017 - Marseille, ville occupée.

L’endroit ressemble aux feues Alger et Oran de mon imagination, du temps de l’Algérie française, mais en plus sale et plus poisseuse. En première ligne d’une contre-colonisation qui tient la promesse de Larbi ben M’Hidi, la colonie de Phocée subit deux assauts.

 

Assaut I – Par le corps

 

      C’est l’assaut de l’immigration physique par le fait démographique.

      Il y a les Maghrébins qui sont installés depuis les années soixante. Je ne m’étonne donc pas d’en croiser tellement que je me sens en pays étranger. Ils ont fait souche et livré la guerre des ventres prophétisée par Houari Boumédiène. Ces moudjahidins de la fécondité sont en train de gagner.

      Et il y a les Africains, ces migrants issus des régions du Sahel dont on entend parler depuis maintenant cinq ans. Passés par la Lybie et l’Italie du Sud à raison de trois mille par jour, ils sont reconnaissables à leur air ahuri. (Trois-mille-trois-cents ont encore été sauvés des eaux hier au terme de leur défi Montez-Négros). Egarés dans les rues ou entassés à la gare, ces noirs fichent leurs yeux vides dans les miens. Ils ont tout du villageois déraciné qu’on aurait aussitôt posé ailleurs, là-bas, sans le réimplanter. Ils tirent de leur exil une joie de renard-dans-le-poulailler qu’ils ne masquent pas. A les voir trainasser, je pense aux rôdeurs de WALKING DEAD, ces zombies morts-vivants en quête de chair sale. Au moins avancent-ils sans l’hypocrisie de leurs aïeux sans-papiers dont on savait qu’ils venaient se gaver d’allocations. Tout était déjà à l’œil au paradis socialiste.

      Le continent africain sera enseveli sous l’Europe, mais en attendant, c’est elle que la tectonique migratoire est en train d’enterrer. Les Arabes et les noirs subsahariens dépassent en nombre des Européens submergés. Ceux-ci sont réduits à quantité négligeable, pendant que les premiers se manifestent dans un charroi de crasse et de cris. Il me semble que les autochtones blancs ont pris le pli, signe qu’ils sont colonisés. Je m’en avise à la plage des Catalans : nous sommes un groupe de quatre isolés au milieu d’une humanité caramel et criarde. Je le constate dans le hall de l’immeuble où se trouve l’appartement AirBNB : sur le sol des parties communes se trouve du papier journal collé par la pisse, et la puanteur le dispute à l’humidité des murs. C’est le même délabrement vu les années précédentes dans les résidences de quartiers huppés. Sur les trottoirs alentour, j’ai affaire à des canailles en train de zouquer, torse nu.

      De même qu’à Paris, la présence insecte des immigrés agresse les personnes sensibles au silence, surtout quand elles s’imaginent le trouver au bord de la méditerranée, dans une ville à l’architecture haussmannienne. Le potentiel de Marseille est énorme, mais pour qu’elle l’exprimât, et ce serait alors un Paris 1920 au soleil, il lui faudrait se purger de ses habitants. Sans cela, elle restera une ville Potemkine candidate au rang de capitale du multi-culturalisme ; tout ira bien en apparence et dans les dires ; chacun fera comme si, en façade, magari..., mais dans le fond, tout le monde saura que non, ca ne va pas, et de temps à autre, un perdant radical se fera exploser, histoire de, puis Potemkine resouquera grâce aux communiqués de la presse gouvernementale. Ils proviendront des communicants macronistes pareils aux ouvriers de Tintin au pays des Soviets qui cognent sur des tôles derrière les murs de leur usine. Ils veulent faire accroire au reporter du petit XXème que l’URSS s’est mise au boulot. Comme à Marseille, c’est une façon de travestir le bruit en avancée pour l’humanité. Subvertir au son du marteau. C’est une farce. Ou un cauchemar ?

 

Assaut II – Par l’esprit

 

      C’est l’assaut de l’immigration métaphysique par le fait religieux.

      Partout dans Marseille, l’islam s’affirme avec la force d’une foi infusant un nouveau lieu, de sorte qu’il est certainement plus actif dans ses revendications qu’il ne l’était au Constantinois. J’en veux pour preuve ces annonces en arabe sur les écrans d’information dans les transports en commun. Et ces jeunes hommes et femmes en djellaba et voilées. J’insiste sur l’adjectif jeunes parce que leur âge n’excède pas trente ans : j’ai croisé des petits d’à peine dix ans, filles ou garçons, qui portaient le voile intégral et l’habit salafiste avec l’assurance du colonisateur mahométan. La comédie boumédiène jouée par Chéchia. Sans vergogne. Sans gêne. Les Marseillais de souche sont comme subjugués : peu leur chaut, ce n’est pas si grave, avec le temps ca passera, Faire comme si et Histoire de. Ils en sortent transformés.

      J’ai l’habitude d’arpenter les villes. Rien de tel que la marche pour les découvrir. C’est ainsi que j’ai compris que le suicide français est déjà consommé à Marseille. Année après année, c’est de mal en pis : le suicide s’abolit dans le meurtre. Toujours plus d’islamamistouille. La France se gâte en apparence par le Sud, soit par le fondement. C’est ce que certifie la géographie attendu que Marseille est un port méditerranéen, donc sujette à une gestion difficile des flux nègres. Mais au vrai, la France confirme le proverbe chinois qui veut que le poisson pourrisse par la tête. La démolition du pays et de ses villes fortes résulte de la débilité de ses élites toutes jambes offertes aux vices des doigts de l’Homme (accent africain oblige...) C’est d’autant plus vrai dans un monde capitaliste avide de ressources humaines, lesquelles englobent Hommes et Marchandises dans un même moule métaphysique. Quant à Marseille, que dire sinon qu’il faut aux futurs éboueurs et récureurs de chiottes un point d’entrée dans « l’espace France » ? Elle n’y est pour rien, dans le fond. Elle s’est muée en camp de transit pour simili réfugiés. Le technocrate pense : « Ca fera des « salariés pas chers » au service de ceux qui votent MacRon, et c’est ca qui compte, leur religion importe peu. »

      J’ai surpris deux cadres ce matin, aux gogues. Il y a neuf chances sur dix qu’ils aient suivi MacRon. Ils se gaussaient de ce que dix Indiens fussent venus à Paris pour remplacer trois Français. Dans leur esprit, un Français vaut donc un peu plus de trois Indiens, et c’est rigolo. On tient un slogan pour congratuler la mondialisation : « Trois Indiens pour un Français ! »

      L’antiracisme mondialiste sait-il qu’il vit des resucées colonialistes et racistes, du genre Kipling et le « fardeau de l’homme blanc » ? Mais c’est sans doute là l’humanisme des Marcheurs. C’est aussi l’idéologie de l’Homme universel qui consiste à le rendre indifférencié partout et remplaçable tout le temps. Peu importe la qualité de cet Homme universel, seul compte le nombre de ses représentants. C’est encore et toujours le combat de la quantité contre la qualité, laquelle est vaincue, terrassée, foulée par mille milliards de pieds universels. Marseille est le théâtre de cette guerre, mais Paris aussi, et plus largement la France : dans CONVERSATIONS AVEC POUTINE, Oliver Stone fait observer à ce dernier que la communauté musulmane russe est la plus importante d’Europe, lequel lui rétorque que ce n’est pas tout à fait exact parce que la communauté musulmane de France est plus grosse. Faut-il invoquer Larbi ben M’Hidi ? France 3 diffusait hier soir le documentaire d’Oliver Stone dont l’exercice me rappelle le travail de l’écrivain Emil Ludwig qui fut le seul à interviewer Staline en 1931 (ses entretiens avec Mussolini sont excellents dans la chronique de la relation créée entre l’homme d’état et l’homme de lettres). Dans CONVERSATIONS AVEC POUTINE, nous voyons deux étrangers se rencontrer. D’un côté, un grand dirigeant pétri d’une vision pour son pays qu’il entend faire persévérer dans son être, et de l’autre, un metteur en scène de talent. Passionnant. Comme d’un écho taquin aux propos de Poutine et à ma virée marseillaise, ce midi, au self-service, j’entends deux musulmans se féliciter d’être de retour aux appétits. « Le ramadan est fini ! » Le serveur, un « salarié pas cher de l’espace France », un noir, donc, rit de conserve et jure que « c’était tranquille, on avait perdu au moins trois cents couverts. » C’est à ces petites choses, à ces remarques légères, difficiles à condamner sur le moment, parce que, si elles sont séparées, elles ne sont pas si méchantes que cela (voire ! je n’en peux plus de leur ramadan geint sur toutes les ondes), mais elles s’accumulent, tout le temps, partout, et versent dans une somme infinie, sans compter les attentats ni les morts !, c’est à partir de tout cela, donc, que je mesure l’islamisation continue, intense, inarrêtable, défonceuse de « l’espace France ». Larbi ben M’Hidi ?

Vendredi 30 Juin 2017 - Nos chemins

      J’ai débuté hier soir le journal de Sylvain Tesson. UNE TRES LEGERE OSCILLATION couvre la période 2014-2017 et s’ouvre sur un hommage à Ernst Jünger. Tesson s’était procuré sa biographie en Janvier 2014, laquelle, commise par Julien Hervier, l’avait enthousiasmé avant même d’en commencer la lecture. En sortant de la librairie « [il serre] le livre contre [son] cœur ». J’ai d’autant plus été touché par notre admiration commune pour Hervier et Jünger que moi aussi, en 2014, j’étais transporté au moment d’acquérir DANS LES TEMPETES DU SIECLE. Je me rappelle l’avoir montré en train de trôner dans ma bibliothèque à une pépée. Devant l’étonnement que je suscitai chez elle, je pensais qu’elle me prenait pour un rigolo. Comment était-il possible de s’exciter de la sorte - pour un livre qui plus est ? Avec l’indifférence réservée aux hurluberlus, elle ne manifestait aucun intérêt pour les miens, tout au plus était-elle charmée par mon amour de l’inutile. Je l’intriguai, en somme. Je ne m’offusquais pas de sa distance. Je savais à qui j’avais affaire. Il est des filles qui ne font que passer dans la vie d’un homme, et entre eux existe une réciprocité tacite que le moderne appelle un « plan cul ». Je me suis donc remémoré tout cela grâce à Tesson. « On entre dans une œuvre comme on pénètre dans une cathédrale » jurait Nabe il y a trente ans, c’est donc qu’il convient de prier en lisant, en sorte que c’est sans honte que je me suis signé dans la nostalgie

      Je lis parallèlement SUR LE CHEMIN DES GLACES de Werner Herzog. C’est un bref ouvrage, surréaliste, pénétré des rêves et des hallucinations qui enveloppent le marcheur fatigué. Ce matin, Herzog mentionne D.H. Lawrence que je dévorais en 2014, peu de temps avant de me mettre à Jünger. Je suis toujours surpris par ces signes de connivence que m’adressent mes grands manitous. De même le suis-je, et je ne devrais pas, par les préférences littéraires que je partage avec eux. C’est comme si je les rejoignais au terme d’une profession de savoir. J’ai emprunté leurs chemins noirs et de glace, et il paraît lors obligatoire que je les découvre. Nous avions rendez-vous sans que rien ait jamais été fixé. Ils m’attendaient – et d’autres m’attendent encore. Mektoub.

      L’autodidacte se caractérise par une curiosité qui s’épanouit dans l’anarchie. Il part en diverses directions, parfois contraires, sans pourtant s’égarer. Il dégage un ordre spontané de recoupements et de tergiversations. Le chaos n’est pas l’opposé de l’ordre, c’est une nébuleuse d’où s’extrait une loi. Or j’observe que des tempéraments semblables soustraient au chaos une égale orthodoxie, et peu importent les voies suivies et le temps consommé. C’est pourquoi je ne devrais pas être stupéfait qu’Herzog aime Lawrence autant que moi, ni que Tesson s’emballe pareillement pour Jünger : nous nous ressemblons dans nos actions et leurs résultats, dans nos choix de penseurs et la weltanschauung qui en découle. C’est aussi le principe des amitiés coups de foudre forgées dans une métaphysique mitoyenne. Deux amis prient les Dieux de leur cosmogonie.

      En ce qui me concerne, celle-ci m’impose une approche tragique de la vie, drôle et triste à la fois, dans la tradition de l’esprit français. Je sais qu’il est doux de vivre mais sens que c’est d’autant plus absurde que tout cela cessera un jour. Aussitôt né qu’on meurt. C’est la doxa de Villon, de Tesson, d’Herzog, de Jünger, ou de D.H. Lawrence.

      De là également mon attrait pour le cinéma sud-coréen. Grand cinéma tragique. Ses réalisateurs traitent le drame par le burlesque et confortent l’idée que la tragi-comédie est une redondance de philistin : ce n’est qu’une tragédie. Tout est tragédie.

J’ai vu hier soir SANS PITIE. Epatant. Encore une fois, je suis impressionné. Quelle science du scénario ; les rebondissements s’enchaînent sans excès sur un tempo giusto rubinsteinien. Je trouve toutes mes prédilections dans ces films asiatiques. L’absence de pathos (qui pollue le cinéma français) renforce le culte que je voue à leurs réalisateurs depuis maintenant six ans.

Une personne a quitté la salle alors que nous étions quatre à nous être hasardés à la séance de 19h. Le mépris que le public français signifie aux films d’Asie ne laisse pas de me subjuguer. Je crois que c’est parce que les sud-coréens brutalisent trop la morale. Je l’avais déjà remarqué avec OLD BOY.

Le Français hante la mangrove d’un manichéisme de film hollywoodien. Cette morale puritaine bushique lui sert de pus mental. De sorte que s’il lui fallait personnifier le Bien et le Mal, il se figurerait une poupée vierge qu’il appellerait ma gentille en opposition à un méchant. Or c’est cette figurine que le cinéma sud-coréen tabasse de ses poings ; tout sourires ; il la torture, la soumet à la question, avec la volupté d’un sadique, jusqu’à la réduire en charpie qui rend des bulles de sang. Blurp blurp. Cinéma fêlé, déjeté, au-delà du surhumain. Comment un Français américanifié pourrait-il le supporter ? C’est que ca s’effarouche vite ces bestioles. Il lui faudrait connaître le catholicisme augustinien dont la foi pétrie de la dialectique Bien-Mal contient la brutalité des contingences. Le malheur qui frappe, comme ca, sans prévenir. Pélage, qui promet la grâce, pourrait l’aider, mais de lui non plus notre Français n’a entendu parler. Finalement, la comédie de l’homme moderne consiste à substituer le moralisme WASP à la moralité tragique.

 

Lundi 03 Juillet 2017 - 1 + 1 > 2

      Une collègue (L.) revient de sa réunion avec le CHALLENGER GROUP à propos duquel j’avais écrit un long texte le lundi 24 avril 2017. Pour rappel :  « Il s’agit d’un groupe de réflexion qui s’annonce comme un Think thank parce que plus c’est américain, plus c’est better. « Son but est de collecter des innovations pratiques en vue de les communiquer. » Je traduis là l’anglais douteux de l’exposé. Il ne veut rien dire. C’est du vent, du vide, du Macron. C’est transverse, à la mode start-up, donc ca doit marcher.

      L. me dit que la cheftaine (N.) a proposé que 1 + 1 > 2, ce qui signifie que l’union fait la force, ou que le tout est supérieur à la somme de ses parties. Le groupe devient cardinal par opposition aux individus singuliers. C’est la transcendance. Je crois que c’est ce que N. a voulu dire. Elle aurait pu l’énoncer ainsi, mais sans doute qu’une mathématique dévoyée séduit-elle davantage les salariés.

      Formuler une vérité par l’erreur étaye le fauxel, le règne du faux, dont Renaud Camus relève chacune des manifestations dans son journal et ses tweets-aphorismes. Il y démontre le remplacement de la vérité par la semi-vérité, laquelle n’est pas vraiment un mensonge, mais presque, partant plus sournoise. Le prince de ce monde, autrement nommé « celui qui dit non », s’est substitué à « celui qui ne dit pas oui » et bâtit le royaume du simili (Renaud Camus, toujours). Dit autrement, « le vrai n’est plus qu’un moment du faux » (Debord) tel que le regrettait Dantec en observateur technico-mystique des signes sataniques de l’éradication de l’Homme et de l’esprit. Si N. est possédée, elle fait profession de modernité et n’est pas à blâmer. Mais que N. défende cette idée au sein d’une cathédrale de la société individualiste dont elle épouse tous les codes atteste de son hypocrisie. Sinon, elle prouve qu’elle est idiote, voire bête si elle croit que c’est inspiré. De ces choses l’une : elle est ridicule.

      1 + 1 > 2, donc. J’ai immédiatement pensé au 1984 d’Orwell lorsque le narrateur refuse d’écrire que 2 + 2 = 5. Orwell n’inventait rien : il reprenait la pirouette avec laquelle Staline encourageait les plans quinquennaux. Oncle Joe désirait anticiper la fin d’un cycle de cinq ans grâce à deux plans biennaux menés tambour battant. Avec un sens inné de la mercatique actuelle, il affirma que 2 + 2 = 5. Stipuler une vérité par du faux participe de la publicité, du slogan, de la phrase-choc, bref, de la communication. Staline confirmait par avance que les sociétés communistes et capitalistes se copient parfois dans les moyens, toujours dans les fins - signe qu’elles sont chacune une face d’un dieu Janus qui s’emploie à détruire l’Homme. Ceci découle de ce que le communisme et le capitalisme partagent une vision économique de l’humain compris comme élément statistique, quand ce n’est pas une denrée à gérer parmi la masse des similis.

      Il y a fort à parier que ces deux sociétés favorisent des simili-personnalités identiques. Des archétypes. Toutes deux flattent l’instinct d’asservissement. N., qui s’épanouit en fauxel capitaliste, eût été tout à son aise au sein du parti unique parce qu’elle constitue une ressource humaine adaptée à une organisation exigeant de dégrader sa personne en simili. Elle en adopte les règles et s’affaisse dans le dogme. Quelle délectation de s’oublier. Il est tellement plus confortable de ne plus penser. Flatter et se faire flatter sont des penchants plus sûrs. De même qu’aujourd’hui, elle aurait été prête à écarter quiconque se fût trouvé sur son chemin, quitte à l’envoyer au goulag d’un coup de tampon. Son zèle ne trompe personne. Pas d’état d’âme. Le cadre d’entreprise modèle, c’est-à-dire standard, impose une contrefaçon d’Homme qui rappelle un commissaire du peuple prompt à satisfaire ses ambitions par la mesquinerie. C’est ce que j’appelle la médiocrité brutale.

      J’ai récemment constaté que le simili-Janus œuvre aujourd’hui à l’Ouest à ses réalisations achevées autrefois à l’Est. Je lisais l’entrée du jeudi 22 juin 2017 du journal de Renaud Camus. Un passage est éloquent (avec une mienne remarque entre crochets […]) : « C’était par exemple un assez long reportage sur la “mode” des divisions de maisons particulières, villas et pavillons de banlieue, qu’il est plus facile et surtout beaucoup plus rentable de vendre par tranches, par lots, par petits morceaux séparés, où des familles ou des individus vivront dans un tiers ou un quart ou parfois moins encore de ce qui était jadis la demeure d’une seule famille, pas particulièrement fortunée, pourtant. On met des chambres dans des salles de bains et des salles à manger dans des cuisines. De toute part on voit l’espace reconverti, remplacé, fractionné et refractionné sous la pression conjuguée de la croissance démographique et de la volonté de plus larges profits. À Londres on observe des appartements divisés non seulement dans l’espace, horizontalement et verticalement, mais aussi dans le temps, les colocataires ayant le droit de les occuper à de certaines heures et pas à d’autres. À Hong-Kong [ndlr : temple capitaliste à la gloire du simili-Janus] des gens se ruinent pour des casiers à hommes où ils ne peuvent même pas se tenir debout, tout cela pour être près de lieux de travail, usines ou bureaux, où ils gagnent à peine de quoi payer leur loyer. C’est l’espace, ou plus trivialement la place qui sera demain l’élément principal de la puissance (et du bien-être) ; et certainement pas le nombre, bien au contraire. » C’est l’exacte réplique des appartements communautaires, les KOMMOUNALKA, de l’époque des soviets. Lorsque nous vivions à Moscou de 1995 à 1997, une journaliste italienne en poste là-bas, amie de mes parents, avait écrit un livre sobrement intitulé KOMMOUNALKA. Elle racontait comment les camarades furent sommés par la troïka de s’entasser à plusieurs familles dans des logements rendus de fait exigus. Les X… occupaient le salon, les Y… la grande chambre, les Z… la cuisine, et les autres la salle de bains. Le but était qu’il n’y eût plus de clochards au nom de l’égalité, lesquels étaient placés chez les aristocrates afin d’ajouter la bassesse à l’idiotie des revanches sociales. Plus tard seraient construits des immeubles staliniens en hommage à la laideur. Le résultat fut qu’effectivement, tout le monde était logé, même ceux qui préféraient la liberté céleste de la rue. Il paraît que c’était leur devoir. A ceci, répondent les politiques de l’habitat contemporaines, HLM et pitreries de Le Corbusier, autre agent du laid, permettant aux pires des similis de seulement colloquer, à cause de la cherté immobilière. Soit le moyen symétrique de la gratuité soviétique, mais qui conduit comme celle-ci à ce que chacun s’enferme dans sa cage à lapin. SDF compris. Il paraît que c’est leur droit.

 

Mardi 04 Juillet 2017 - Le vénérable W.

Vendredi dernier, j’entendis deux collègues raconter leur afterwork. « Alors, tu l’as choppée la meuf ? » « Ben non, elle était musulmane, et son boss est arrivé et lui a sorti que je n’avais pas l’air d’être un bon musulman, du coup elle s’est cassée. » « Ha...Normal ! » « Oui. »

 

      J’ai vu hier soir le documentaire de Barbet Schroeder (BS) sur le moine bouddhiste de Birmanie Ashin Wirathu. LE VENERABLE W. compose le dernier opus de sa « Trilogie du mal » si j’en crois les inRocks. Pourtant, BS se défend de toute leçon de morale. Dans une interview, il explique que : « Ce mot mal fait de bons titres, certes, mais je ne prétends pas faire des films sur le mal, c’est bien trop vaste et général. Je préfère dire que je m’intéresse à des personnages controversés, ou qui présentent un aspect de leur personnalité que l’on peut qualifier de maléfique. Le mal, c’est un terme trop moral. Je pense que le mal est humain. Le bien aussi est  humain cela dit, mais je préfère ne pas en parler, ça donnerait des films moins intéressants (rires)… Le mal est tellement humain qu’il peut surgir d’une des plus belles choses créées par l’humanité qui est le bouddhisme, religion sans dieu et sans foi. »

Persistante que cette manie gauchiste de voir de la morale partout. Je me demande s’il a jamais existé plus calotin que ce puritanisme athée.

      BS avait commencé son travail avec Idi Amin Dada, puis s’est penché sur Jacques Vergès, avant de présenter en mai dernier LE VENERABLE W. au festival de Cannes. J’avais entendu parler de Wirathu en juin 2013 au moment des émeutes interethniques birmanes. Les médias français le surnommaient Le moine fasciste, classique, tandis que les journaux anglo-saxons y allaient de leur point Godwin. Wirathu = Hitler. « L’Hitler de Birmanie est bouddhiste et ses juifs sont les musulmans. » écrivait un reporter. Notre relativisme, à nous autres Occidentaux, pose que tout phénomène est égal au nazisme, surtout quand il nous échappe. C’est en cela que c’est pratique. Ses zélotes adoptent ce que j’appelle La pensée de bois, rien de moins qu’un prêt-à-penser bricolé à partir de concepts-clés, quand ce ne sont pas des termes chipés aux pubards. La commodité de cette simili-pensée provient de son immédiateté qu’actionnent des réflexes pavloviens. De sorte que nos médias sont immédiats. Paradoxe.

      C’est que Wirathu s’oppose à la montée de l’islam dans son pays, donc il est « islamophobe, xénophobe, raciste, populiste-comme-on-en-voit-pulluler-en-ce-moment-un-peu-partout-dans-le-monde-et-surtout-chez-nous, et fermé » tel que le définit la pensée de bois. Pas droit de l’homme du tout, le W.

Il y a plus d’un million de musulmans en Birmanie, soit 4% de sa population. Ils habitent dans l’état d’Arakan, vernaculairement Rakhine. Ils affirment qu’ils sont Rohingyas alors que ce sont des Bengalis issus du Bengale et du Bangladesh voisins. La terre ne ment pas, ni la géographie, et encore moins l’Histoire : les Rohingyas descendent d’une population bengali déportée par les Anglais. Les muslims birmans procèdent d’une construction hors-sol, décidée par un pouvoir supranational depuis le royaume des Indes, de sorte qu’ils restent une abstraction que n’encouragent que les utopies multiethniques. Or une société multiculturelle est multiraciale, multiraciste et multiviolente, par quoi W se disculpe d’avoir provoqué les tumultes anti-mahométans dans le Rakhine. Ce sont des insurrections d’initiation musulmane, ponctuées de meurtres de birmanes dont les communautés se sont vengé. Et effectivement, les muslims sont tabassés. Lorsqu’il s’adresse à la caméra de BS, le vénérable W promet à l’Europe de Merkel des conflits identiques. « Où qu’ils soient, ils apportent le djihad ! » prophétise-t-il dans un sourire Mao.

Parmi les Bengalis anglais, s’il se trouvait des guerriers, il n’y avait que des musulmans dont les Britanniques connaissaient la propension à semer le trouble. Ils seraient d’une aide précieuse pour envahir la Birmanie, la déstabiliser par leur croissance démographique, leur véhémence, leurs revendications, et le désordre multiculti qui s’ensuivrait. In fine la Birmanie serait civilement dissoute et d’autant mieux contrôlée. Les mahométans n’avaient-ils pas auparavant purgé le Bangladesh de ses Bouddhistes après y être devenus suffisamment nombreux ? Eux et ces Anglais, quels modèles d’humanisme…

      Viols, villages bouddhistes incendiés, pillés, rasés, et moines massacrés déroulèrent au Bengale la chronique qui est en train de s’écrire dans l’Arakan.

Inde, Mai 2013 : je me souviendrai longtemps de la complainte du chauffeur chrétien qui m’avait conduit à Munnar. Il déplorait l’ascension des musulmans au Kerala et semblait terrifié à l’idée qu’ils parviennent aux commandes. Il me parlait des attentats de Bombay commis par un commando pakistanais qui tua des Blancs et des Hindous pendant trois jours en Novembre 2008. C’est son inquiétude que je décelais dans les yeux de W. Le talent de BS consiste à lui garantir un temps de parole sans verser dans le jugement moralisateur. Il y a certes un bais droit de l’Homme dans les scènes où une voix-off introduit W par une lecture occidentale du dharma. Mais je n’ai pas remarqué cette approche par l’Homme universel typique des humanistes au petit pied. Point de pensée de bois. Foin de ratiocination. Rien que des faits laissés à l’interprétation du spectateur auquel BS accorde le bénéfice de l’intelligence.

      Le vénérable W se méfie des Rohingyas. Il craint leur passion démographique, leurs réclamations, leur agressivité, leurs excitations anti-bouddhistes, lesquelles iront crescendo à mesure qu’ils seront populeux. Ceux qu’il appelle les kalars (l’équivalent de nègre parce que leur peau est noire), se reproduisent comme des lapins. (A-t-il entendu parler de Boumediene et de sa guerre des ventres ?) C’est ce qu’affichent les slogans de son mouvement 969, devenu depuis le Ma Ba Tha, inspirés par l’opuscule De la protection de la race et de la religion. Le titre de ce pamphlet, ainsi que le contexte de sa rédaction au cours de huit années de prison, expliquent la rapidité des chancelleries occidentales à tomber dans le point Godwin. Au vrai, W n’est pas soldat, ni politicien, pas plus qu’un businessman : s’il fait de la politique, c’est à l’office du peuple parce qu’il le sent menacé par l’islam. Oui, W est populiste, et il l’est parce qu’il est populaire. W s’est moins imposé qu’il ne fut réclamé, de sorte que la direction et la métaphysique qu’il propose sont applaudies à chacun de ses sermons. Il s’acharne à protéger le bouddhisme et la Birmanie en vue de les faire persévérer dans leur être. Durer.

      Pénétré d’une vision ardente de son pays et d’un sens certain du destin, W s’est obstiné au point d’arracher le soutien de l’armée et du parlement. En 2015, il obtient la création de trois lois contre les musulmans :

Interdiction pour tout musulman de convertir à l’islam un conjoint birman bouddhiste

Interdiction de la polygamie

Interdiction aux familles musulmanes de faire plus d’un enfant en 3 ans

L’entérinement des discours de W prouve que la métapolitique peut casser les dynamiques de terrain, tel que le soutenait Gramsci. Ces mesures satisfont pleinement la Birmanie qui a compris que les musulmans ne se soumettent qu’à la force injuste. Aung san suu kyi herself ne s’y est pas trompé au point de confirmer la décision parlementaire et de prohiber la candidature des musulmans aux élections. C’est donc de facto et de jure que les Rohingyas sont écartés du futur de la Birmanie.

      Le VENERABLE W. montre alors des Birmans en liesse, fleuris, endrapés dans leur toge romaine. Ils fêtent la promulgation des lois. Des banderoles célèbrent la victoire. Les textes sont politiquement incorrects. Le peuple s’enveloppe d’une atmosphère contrastée : ici des sourires, là des cris, les deux se produisant en même temps puis occupant l’écran ; et du fer et des bâtons ; rage et joie. La colère prend les atours de la gaieté, ce qui ne laisse pas d’étonner l’Européen que je suis, plus habitué à ce que pareille humeur s’accompagne de grimaces. Bosch n’aurait jamais peint en Asie. J’avais remarqué cela en Inde dans le Karnataka : c’est goguenards que les Indiens se tenaient prêts à en découdre avec l’armée. Les Asiatiques ont inventé le courroux rigolo. Il doit y avoir un mot pour cet état spécial. Un peu comme la saudade qu’il est impossible de traduire autrement que par la mélancolie et la nostalgie, ou par l’exposé d’un sentiment qui naît à la fois de l’oubli, de l’exil, de l’éloignement, des étés passés, des amours perdus, donc du temps proustien. Je m’étends parce que le rire asiatique est particulier. Il constitue un langage, je crois. Je me suis fait cette réflexion devant le personnage principal du film SANS PITIE dont le son étrange qu’il produit en riant jette son corps dans une résonance contraire à la disposition de son esprit.

Apparaît enfin W. Il se marre, justement. Courroux rigolo. Il fustige une ingérante de l’ONU qui condamne « des lois contraires aux droits de l’Homme. » Certainement stipendiée par les pétrodollars des Saouds dont W a révélé en Birmanie l’entrisme semblable à celui qu’ils pratiquent à Molenbeek, elle est démolie par son sermon. Il la tance, la menace, l’abolit. Il lui interdit de se mêler de la destinée de la Birmanie, agonisant aussi les Anglais puis les USA. Il la traite de « putain» et lui conseille, si l’envie lui prend, « de [vendre] son cul, et d’aller se faire enculer par les kalars ».

 

Post Scriptum :

La ressemblance avec la France, laquelle encaisse des chocs migratoires droits-de-l’hommesques depuis le plan Marshall, n’est pas fortuite parce qu’ils servent à la déséquilibrer, et cela fonctionne. Foutus saxons...Les Anglais s’opiniâtraient à la politique du pire dans leurs colonies, et les Ricains agissent de la sorte dans leur pré carré mondial, y compris dans leur protectorat français. Diviser pour mieux régner paraît le proverbe adapté à leurs principes.

Une fois les troubles installés, les Anglais se présentaient comme le dernier recours contre le boxon qu’ils avaient créé. Typique de la mafia, et tout à l’opposé de l’esprit français que l’œuvre civilisatrice d’un Dupleix en Inde symbolise à la perfection. Il n’en reste rien, de toute façon, à cause de la Guerre de 7 ans que le libertin Louis XV n’aurait vraiment pas dû perdre. Cette proto-guerre mondiale par ses théâtres (et non par ses acteurs) signe la mort de l’esprit français. L’Anglais est depuis notre ennemi véritable. Pourvu que les Britanniques et les Yankees s’effondrent par l’un de ces retours de bâton dont l’Histoire a le secret. Peut-être les migrations qu’ils subissent également ?

 

Mercredi 05 Juillet 2017 – L’entropie

      J’ai dîné avec A., hier. Nous ne nous étions pas revus depuis Mai 2013. Attendu qu’il habite à Londres depuis 2007, nos contacts sont devenus d’autant moins fréquents que son travail vampirise son temps. C’est pour raison professionnelle qu’il se trouvait à Paris.

      A. était mon meilleur ami. Nous nous sommes connus au lycée Stendhal de Milan à l’âge de 14 ans. Nous nous passionnions pour les mêmes cours. Notre ressemblance était si complète que nous nous prenions pour des frères. La parenté ne s’arrêtait pas au physique puisqu’elle assignait aussi notre esprit. Nous communions donc dans une vision du monde identique. Sans doute cela tient-il à ce que nous appartenons au zodiaque de la Vierge. Pareillement torturés, initiales égales, nous nous soumettions à la question afin de comprendre le cosmos et la place que nous souhaitions y occuper. Nous nous étions rendus inséparables.

      Le sport nous unissait parce que nous sentions que notre holisme ne pouvait décemment s’en priver. Je me souviens de sacrées parties de basket-ball. Il était plus adroit aux trois points, et comme j’excellais à distribuer le jeu, que de moments créatifs !, je lui passais la balle. Il savait se démarquer, aussi nous étions-nous répartis les rôles comme d’un accord tacite. Nous appliquions ces règles au football également. Nous composions deux nageurs de bon niveau.

      Je n’oublierai jamais nos marches dans Milan. Nous nous retrouvions pour réviser les leçons ; cela nous semblait ludique. Puis nous rejoignions des camarades pour un sport quelconque, suivi d’un cinéma, souvent, avant de nous alanguir (avec A. seulement) sur les marches de la cathédrale du Duomo. Nous avions le sentiment de dépendre de cet endroit. Quelle que fût la saison, nous attendions que le jour s’affaissât dans l’heure bleue et regardions les passants. C’est là que nous devisions. Furieuses discussions de Vierges. Que d’échanges emplis de circonvolutions, de considérations, de pourquoi, de comme si, d’imagine ce qui se passerait au cas où - un pilpoul dantesque appliqué à nos bibles. Nous doutions de plaire jamais aux filles et de notre intelligence. Nous tâchions de nous convaincre que nous y arriverions. C’est là-bas que nous nous sommes formés, et le plus heureux venait de ce que nous ne nous en avisions pas. Nous suivions un pli que nous froissions pour la vie.

      Nous nous sommes reconnus hier sans croire aux années. La veille, nous conversions sous le dôme milanais. Il est évident qu’à 33 ans, nombre de nos craintes ont disparu ; nous n’admettons plus nos manques adolescents, mais les appréhensions ne nous ont pas quittés. Elles ont évolué. Et je ne me suis pas étonné qu’encore nos peurs se confondent.

Elles viennent de l’invasion migratoire en Europe, sort funeste s’il en est, et de notre angoisse de la mort. Quelle amertume que la jeunesse envolée. Décatir et le temps qui meurt nous confirment l’absurdité de l’existence que nous formulons en mêmes termes.

Nous avons parlé de l’entropie qui mesure le degré de désordre. La science physique la rend synonyme de l’ensemble des perturbations universelles, de sorte qu’un médecin en fera découler la maladie et le vieillissement. Elle engage au néant qui constitue l’équilibre qu’elle recherche. Ce n’est pas paradoxal, c’est une stase permise par le vide que les constantes fondamentales n’atteindront qu’à leur fin. L’entropie court à l’extremum, et l’univers avec elle. Des chocs, du mouvement brownien, une humeur stochastique. L’apogée promet une confusion totale et infinie qui s’abrutira dans un point de conflagration signant la mort thermodynamique. L’espace en expansion se rétractera, et après, plus rien. Une façon d’épuisement biologique. C’est sans doute cela, le fracas de l’enfer. Nous allons ad nihil : le Grand Tout s’annihile dans le Grand Rien, et nous avec, entendu que nous n’en proposons qu’une partie infinitésimale.

A. et moi opposions l’ordre à l’entropie (tentative de négation crevant de sa vanité). Je mentionnai que l’artiste la combat dans le culte du Beau. Y participent les mises en forme des matières brute et molle. Les premières sont du matériau, les secondes des abstractions. Leurs incohérences s’abolissent dans la sculpture, la musique, la littérature et la philosophie, la mathématique - toutes particularités de la théorie. Pouvoir barycentrique des théoriciens ! Praxitèle qui rend les marbres à sa volonté, Bach qui piège les sons par sa vision, Proust qui fond les syntaxes dans ses sens, Leibniz qui nove le calcul dans ses symboles. D’apparence éternelles, ces créations sont vouées à disparaître. Ha, nos regrets. L’art expose des figures abouties, et lorsque la nature l’imite, elle invente le silence. Le bruit procède de l’entropie. Il annonce la destruction. A. et moi l’abhorrons. Nous l’associions hier soir aux immigrés. A. m’entretint lors de discipline, base, selon lui, d’un haut QI dont les Africains sont dépourvus, ce qui expliquerait que ces agents entropiques fussent incapables de tenue et versassent systématiquement dans leur nocence instinctive. Leur brutalité ne provoque que la rupture des équilibres. C’est l’innéité de leur vie qu’A. espère dans son cas rendre la plus longue possible, mais il faudrait retarder la mort, voire la vaincre. « Pourquoi ? » lui ai-je demandé. « Parce que je n’aime pas vieillir. Tu sais, il y ceux qui prophétisent… » « Les transhumanistes ! Laurent Alexandre, LA MORT DE LA MORT. » « Oui, mais ce n’est pas ce livre que j’ai lu. » « Tu parles de LA REVOLUTION TRANSHUMANISTE de Luc Ferry ? » « Oui, voilà » « Incroyable, je suis en train de le lire, c’est l’ouvrage de ma semaine… »

      J’en ai à peine commencé la lecture lundi alors que je me l’étais réservé pour plus tard, mais c’est poussé par je-ne-sais quelle force que je décidai dimanche soir de m’y mettre. Je me suis demandé pourquoi. J’optai pour la curiosité attendu que je m’intéresse depuis longtemps au transhumanisme. Lundi soir, A. me contactait. Voyons-nous demain. Voilà que se manifestait l’origine du commandement - une puissance astrale entrée dans une conjonction de signes. Hier soir, deux Vierges constataient dans le livre leur amitié et son cortège d’affinités.

 

Vendredi 07 Juillet 2017 – Bienvenue chez les fous

      Ce fut une journée étrange, hier. Impression d’être entouré de fous au point que je me suis demandé si ce n’était pas moi, le dingue.

      Il y eut dès le matin cette voix féminine que j’entendis dans mon dos après qu’elle m’eut bousculé d’un coup d’épaule sec, nerveux, et volontaire, et ce dernier point, je l’ai capté instinctivement parce que la personne s’est subitement placée sur mon chemin exprès, comme si elle souhaitait l’esclandre. Ho faites gaffe vous, là ! vagit-elle une fois que je l’eus dépassée. Je décidai de ne rien remarquer. Déjà que je déteste me disputer avec mes proches, ou avec qui que ce soit que je connaisse un peu, je n’allais pas entrer en contact avec cette inconnue, par la violence qui plus est. Je sais rester poli et parviens toujours à éviter les accès d’agacement nés des chahuts parisiens. Un orage venait d’éclater, et sans doute ajoutait-il de son électricité à la masse des cadres à l’abri de la pluie. Ils s’étaient ramassés à la sortie du RER dans une procession païenne. Devant cette prière spontanée, j’envisageai de composer mentalement un poème, mais je me ravisai, pensant que ce n’était qu’un tas de cons apeurés.

      Plus tard, vers midi, j’allais à la piscine. Au moment de franchir le portillon, alors que je cherchais mon pass Navigo dans les pages de mon livre, un type me poussa. D’une pichenette bien sentie, il tape mon omoplate. Circulez m’sieur ! Cette agression m’achève. Hors de moi, je choisis de ne pas la laisser passer et rattrape le malotru dans l’escalator. On se connaît ? Son visage moite souffre de la chaleur et d’un tissu adipeux de chômeur, mais il est davantage surpris de ma réaction. Je suis énervé. Il reprend Circulez m’sieur ! Ca suffit ! Je comprends ici que j’ai affaire à un dingo et me contente de l’insulter. Alors il prend peur, panique, et me demande fermement de circuler. Il craint que je ne le gifle, mais ca n’a jamais été mon intention : ce n’est plus lui qui m’ennuie, mais ce sentiment diffus de vivre 24 heures dans un asile. C’est ridicule : deux fous ne suffisent pas à remplir une psychiatrie, surtout dans une ville telle que Paris, mais je sens que planent sur moi quelques esprits taquins dont je serai le souffre-douleur.

      De retour, sport effectué, je croise aux SABLONS un groupe d’enfants que je crois être dirigé par une femme haute, ce pour quoi je la remarque. Cette asperge n’est pas jolie. Son visage contient les souvenirs de mille bistouris. Il est caractéristique de ce faciès alien des retapés. Son regard se dirige vers moi. J’imagine qu’elle fixe quelqu’un qui se trouve en retrait : un ami, un amant, une connaissance, que sais-je ? Son examen se fait plus pénétrant. Il devient comme appuyé et ses yeux me semblent vides et profonds à la fois, tout en contradiction. Je me rends compte que c’est bien moi qu’elle analyse. Alors elle sourit et insiste, son cou pivotant à mesure que je l’évite. Je ne mesure pas si elle est folle, mais suis frappé par le décalage entre sa bouche animée et ses joues, son front, bref, tout ce qui compose l’expression faciale, qui lui, ce tout, ne bouge pas. Conséquence de la chirurgie, sans doute. Son corps est étrangement figé dans le sol et commence d’être secoué par un énervement irrépressible tandis que je m’éloigne. Effrayé, je fuis, cours sur le quai et prends le métro qui se présente dès mon arrivée.

      Le soir, dans le RER, je discute avec un collègue de sujets banaux. Je retrouve le même regard des SABLONS chez une noire qui ne cesse de me scruter. Elle nous écoute. Va-t-elle nous sauter à la gorge ? Quelle désagréable impression que de côtoyer ces aliénés.

 

Mercredi 12 Juillet 2017 – Conversations avec Paul Marie Coûteaux - Réflexions

A Mom. Un humaniste.

 

Conversations avec Paul Marie Coûteaux (PMC) – Juin 2017

      Dans la nuit, PMC avait rêvé d’un texte qu’il transcrivit le matin dans le train de Paris.

Je n’ai pas trouvé ce papier censé être publié par LE FIGARO. Il concernait MacRon que PMC tient pour un « moderne accompli au sens de la Querelle des Anciens et des Modernes ». Ce n’est donc pas tant du progressisme qu’il détecte chez MacRon qu’une volonté d’adaptation continue. Ce serait dans l’idée d’innover, toujours, ainsi que Charles Perrault proposait de l’appliquer à la littérature. PMC n’a pas détaillé plus avant, et je n’ai pas voulu l’y pousser, bien que j’aie trouvé son idée originale et pensé qu’une fois développée, elle serait géniale. J’étais non seulement intimidé par ce personnage volubile à l’intelligence racée, qui ne cherche jamais ses mots systématiquement justes et pesés, mais surtout, je me trouvais trop ignorant du Grand Siècle.

Je croyais par ailleurs l’avoir vexé à peine nous étions-nous salué parce que je lui avais avoué que je le connaissais grâce à sa période « Marine Le Pen ». S’il concède à la présidente du FN un sens de la répartie, il la trouve bête, de sorte qu’il regrette de s’en être approché et d’y être associé. J’ai lors évoqué ses conversations avec Alain de Benoist sur TVLibertés, ce qui a réjoui cet homme charmant. Sémillant, même. Alors il m’a confié qu’il venait de terminer un travail similaire avec Renaud Camus (RC) dans le château que celui-ci habite. Il voue à l’auteur du GRAND REMPLACEMENT un culte littéraire doublé d’une forte amitié. Son admiration touche jusqu’à la discipline du monsieur qu’il juge être « un idéal d’homme ». « Il fait de l’exercice tous les jours. Une gymnastique quotidienne ! » Constatant que je partage son engouement pour l’écrivain, il m’intime de l’aller visiter à Plieux, à quoi j’objecte que je ne peux m’inviter ainsi, mais il insiste que cela ferait très plaisir à RC, et que ce dernier reçoit volontiers les visiteurs improvisés, n’hésitant pas à leur offrir un verre de vin blanc. « Surtout si vous partagez sa pensée ! »

      Revenant à MacRon, il s’émerveille de son habileté à « se [couler] dans les institutions de la Vème République. » « Il en maîtrise la forme. Son corps est devenu politique : il est habité. » Le discours du Louvre l’a manifestement impressionné. « Mais sur le fond, il ne comprend pas que la Vème est conçue pour la souveraineté. Il faudrait qu’il abdique sa souveraineté propre en faveur de celle du pays. » Je remarque que c’est vrai, et que MacRon s’égare au sujet des migrants. Son couplet sur l’honneur de la France-terre-d’accueil provient d’un substrat gauchiste qu’il devrait évacuer. Il suffit ! PMC abonde. Vient lors le moment islamique qu’il écarte d’un revers de pensée. « N’importe quelle civilisation meurt de ses excès, et MacRon, comme tous les modernes, est limité par les siens. » : de même que les Pharaons sont disparus à cause de la consanguinité (et les Macédoniens récupérèrent l’Egypte), de même la démocratie, donc notre civilisation, s’effondrera à cause de la liberté d’expression (et ce sera à nous de s’en emparer à la place des mahométans. « Ce ne sont pas les majorités qui font l’Histoire » précise un PMC on ne peut plus classique sur ce point). Il établit un lien entre la modernité et l’islam, « parce que le moderne contient en germe ses propres contradictions » pensé-je tout haut pour appuyer son propos. C’est ce que Luc Ferry appelle la dépossession démocratique par quoi la démocratie produit de son propre mouvement le contraire de ses promesses. L’abstention en rend compte, laquelle ne fut pas d’adhésion tacite à MacRon lors du second tour, selon PMC. Il y voit un présage de fin de régime.

      Le déjeuner s’achève sur François Fillon dont les affaires « étaient un secret de polichinelle. » (PMC) « Mais tout le monde fait ca. On ne voyait jamais Fillon dans l’hémicycle. Il jardinait. » Face à mon étonnement, il poursuit : « Mais il y a des gens qui passent leur temps à rien foutre ! Les attachés parlementaires, il y en a même qui les paient pour se faire rembourser en cash après, et évidemment, l’attaché parlementaire ne fiche rien. L’Europe, c’est pareil. Les députés de pays lointains prennent l’avion le matin pour Bruxelles, émargent, et repartent. Ils se font une journée à 6000€ comme ca... » PMC regrette que Fillon n’ait pas été élu parce que le ministère des Affaires Etrangères lui était promis. Sarkozy, qu’il abhorre autant que Marine Le Pen, lui avait proposé en son temps d’en être le secrétaire d’état. « Mais c’était sous Kouchner, alors j’ai refusé ! ».

 

***

Réflexion 1

      Le nazisme commence avec la masse et finit dans la race.

      Le Che, c’est le contraire : il commence avec la race et finit dans la masse.

      L’un et l’autre sont chacun un avers de la pièce gauchiste, monnaie frappée pour les purs. Je déteste les purs. Ils ne supportent pas le réel. Dénués de sens tragique, ils sont les puritains de Cromwell exterminant les Indiens d’Amérique du Nord, ou les tricoteuses de Robespierre envoyant à la guillotine.

Dans ses CARNETS DE VOYAGE, le Che est encore un jeune bourgeois de Buenos Aires, bientôt médecin. Il raconte sa découverte du peuple. Ha ! Le peuple... Etre sensible et éduqué, il souffre avec lui. Frotté de christianisme inca, voilà qu’il aime les pauvres. (Il est vrai que Louis Baudin a commis un EMPIRE SOCIALISTE DES INKA.) Les travailleurs dit-il. C’est ainsi que naît un marxiste. Au stade de l’avorton, le Che voulait protéger les mineurs sud-amérindiens et leur rendre leur terre : so extrême-droite…Il nous parle de race, et traitera plus tard les nègres d’animaux paresseux, mais très vite, il s’annonce en défenseur des masses. Un communiste ! Il est vrai que c’était à la mode. Le Che fut de son époque : un idiot.

 

***

Réflexion 2

      Hier soir, tandis que je regardais au cinéma LE DERNIER VICE-ROI DES INDES, je pensai que les sociétés multiculturalistes et « inclusives » ne fonctionnent pas. La réalisatrice espère que le spectateur accroira le contraire à partir de regrets que le début de son film devrait susciter lorsque les communautés sikhs, hindous et musulmanes communient dans l’espoir d’un avenir radieux. Des regards langoureux, des bisous, des fleurs, des musiques orientales tous azimuts. Grossier comme une utopie, cet incipit montre ce qui aurait pu être si seulement… Si seulement quoi ? Si seulement l’Homme n’était pas ce qu’il est. Contaminée par l’esprit occidental US, Gurinder Chadha filme la fête comme moyen rassembleur. Je songeai lors que les fêtes sont organisées pour que ce qui ne va pas aille bien. Pour que ce qui ne va pas de soi aille de soi.

Le festivisme que chroniquait Philippe Muray révèle qu’à terme, la fête succombe à elle-même et devient sa propre fin. C’est la fête qui est fêtée. On fête la fête au cours de teufs. La teuf est le voile de Maya sous quoi se cache l’échec de l’inclusion multikulti. Illusion ! Hypocrisie déplacée. Il m’est avis qu’à l’opposé, c’est lorsque que ca va que la fête existe. Quand j’écris que le moyen-âge était autrement déjanté qu’aujourd’hui, c’est parce qu’elle advenait spontanément dans un monde cohérent sur le plan physique (i.e. ethnique) et métaphysique (i.e. politique et religieux). Ce n’est pas le cas des sociétés multiraciales. Elles foncent dans le mur. En 1947, en Inde, ce fut la partition, précédée et ponctuée de massacres interethniques, avant de se conclure dans le plus grand exode de l’Histoire et son million de morts. Toujours ces masses chères au Che. Le nombre ne signe que mort et désolation. Il n’est que statistique au-delà d’un certain seuil. Ce bon vieux Staline avait raison. Je parie qu’il se prétendait humaniste.

 

Jeudi 13 Juillet 2017 – Remarque

      Une collègue offrait des viennoiseries. Elle est arrivée à l’improviste. Elle distribuait des pains d’épice, je crois. C’est un moment classique de la journée d’un cadre à ceci près qu’aujourd’hui, la personne utilisait ce moyen pour se présenter, attendu qu’elle est nouvelle, ce qui ajoutait du piment à sa tournée gourmande. Cette jeune femme est asiatique, du moins dans l’aspect que j’ai constaté ; je ne lui ai pas réclamé son passeport. Un boss ne s’en est pas privé, lui, ponctuant son ébahissement d’un cinglant « Quelle origine ? ». Il est vrai que c’est un grossier personnage, fruste comme un yuppie. C’était sans doute de la bonhomie affligée de maladresse. Une manière de fraterniser dans l’amour de la diversité. Un aveu, donc. Il montrait patte blanche en interrogeant face jaune. Sa question signifiait que c’est un plus d’être étranger et qu’il adore. Un must be comme ils disent, expression dérivée du must have consumériste. Que l’impétrante soit chinoise importe moins qu’elle ne soit pas française « canal historique » : elle est différente, et c’est l’essentiel.

      Tout cela ne m’atteint même plus, bien qu’en rendant compte de ce fait divers par écrit j’admette que j’en suis mortifié. Je le suis d’autant plus que le rustre dont il est plus haut question s’alarmait durant la campagne présidentielle 2017 de ce que Marine Le Pen pût la remporter. Au point qu’il envoyait des mails à ses « équipes » pour qu’elles votassent en faveur de MacRon. Il servait un couplet sur le Yin et le Yang afin d’expliquer « l’importance de l’équilibre dans la vie » qu’une Marine Le Pen présidente briserait. Je lui avais demandé ce qu’il craignait exactement : « le racisme ! » Sa réponse avait fusé comme un pet sur une toile cirée. C’est le même qui s’est enquis ce matin de l’origine de la Chinoise plantée devant lui. Vos papiers ! Un Papier ! gestapique fonctionne. Ce pistolet eût servi au 93, rue Lauriston avec zèle et prêt-à-courser. Il y a, chez ces tarés de l’égalité et de la diversité, une manie de la traque qui les aide à réussir ainsi qu’ils se seraient hissés aux sommets de la société collabo.

 

Vendredi 14 Juillet 2017 – MY DINNER WITH ANDRE

      Je ne répéterai jamais assez que je dois beaucoup à FACEBOOK. Mes lecteurs ne devraient pas s’étonner : avant d’être un réactionnaire, puisqu’on me qualifie ainsi, je suis épaté par les avancées technologiques et reste curieux. Or j’ai découvert foule d’écrivains et de cinéastes grâce aux réseaux sociaux. FACEBOOK ne se réduit pas à un outil de propagande du Je. Tout dépend de l’usage qui en est fait selon l’adage. S’il a tout de la prothèse narcissique, FACEBOOK permet la diffusion du savoir par le partage d’articles, de photos, de vidéos, bref, par de multiples relais qui n’ignorent pas le contact humain: il m’est arrivé de rencontrer des personnes à cause d’intérêt communs dont nous bavardions via messagerie instantanée. Je me suis intellectuellement enrichi dans un carrefour virtuel que beaucoup méprisent au motif d’une utilisation superficielle.

      C’est ainsi que lundi soir je dénichai le film MY DINNER WITH ANDRE « issu de la période américaine de Louis Malle » dixit T., parce qu’un type du Club Roger Nimier en relayait un extrait sur son compte personnel. Soufflé par la qualité du dialogue, j’envoyai aussitôt le passage de cinq minutes à mes contacts, y compris à T. (Je connais T. depuis peu. Nos discussions virtuelles ont commencé grâce à des « relations en commun » et aux écrivains que lui et moi mettons en avant sur nos FACEBOOK et INSTAGRAM respectifs. A force, nous décidâmes de discuter de vive voix. Il en advint le jour du solstice de Juin 2017.

T. est un cinéphile, son goût est sûr, de sorte que je ne fus qu’à demi-surpris qu’il me recommande de visionner en entier le DINNER WITH ANDRE qu’il connaissait déjà. « C’est un de mes favoris. »

J’ai reçu le DVD des Editions ARTE hier matin, et le regardai le soir même. Magnifique. Une conversation entre deux hommes se développe dans un restaurant de New-York. André et Wally défrisent l’existence. T. décèle chez André les caractères de ce qu’il appelle la « vie vitaliste ». Je la relie pareillement à l’élan vital nietzschéen par lequel André condamne « le confort qui engourdit ». Celui-ci n’est pas un simple fasciste s’appliquant au « refus de la vie commode » (Mussolini), il l’est au sens plein, c’est-à-dire physique et métaphysique. Ce poète D’Annunzien contient la joie d’être là, simple et brute. Immense. Doux et solide à la fois, on dirait un torrent humain, ou un homme sorti du torrent, nul ne sait vraiment. Il se laisse entraîner par un lyrisme brutal qui a déjà menacé son intégrité : il a manqué mourir dans le Sahara et se faire enterrer vivant dans une forêt. Emporté par quelque voyage mystique aux confins de l’être, il ne s’arrête qu’une fois tourmenté. Alors Wally peut s’exprimer. Faussement timide, il commence par questionner André. A mesure que Wally s’étoffe et pénètre dans la discussion, André évolue de Cendrars à Bardamu, sans cesse poussé par un influx caméléon. En face, Wally paraît bien pâle. Il écoute, submergé par le verbe d’André. Il me rappelle les personnages secondaires des livres d’Henry Miller lorsqu’ils sont tourneboulés par la verve de l’écrivain qui les emmène au seuil de toutes les questions, et les abandonne là, sans réponse, livrés à eux-mêmes. Il y a chez André et Miller le charme du jeune Julian Sands de CHAMBRE AVEC VUE, ce héros à la D.H. Lawrence dévoré par le « ? » qu’il peint partout. Il le crie, aussi : « Pourquoi ?!?! » en courant nu dans la campagne. C’est cette folie douce que Wally reproche à André avant de le retrouver. « On racontait qu’André s’adressait aux arbres. C’est qu’il devait aller vraiment mal ! Untel avait insisté que je dîne avec lui après l’avoir vu en train de pleurer dans la rue : il sortait de la SONATE D’AUTOMNE et avait éclaté en sanglots après qu’Ingrid Bergman eut dit « Je ne me sens bien que dans ma musique. Je ne me sens pas bien dans ma vie. » »

Wally désapprouve l’importance qu’André accorde aux signes. Il préfère aux présages la réalité scientifique des expériences pouvant être répétées : la statistique rend mieux compte du monde. « Il y a un ordre qui préside à l’univers et seule la science l’identifie ».

      De même qu’André, si je crois aux signes, ce n’est pas par fanatisme, en sorte que ni lui ni moi ne rejetons la science. Seulement, nous peinons à donner un sens à l’ensemble. Wally aussi, du reste. « Alors si rien n’a de sens, l’analyse des événements par l’ exercice de la raison peut tout aussi bien servir que le relevé d’indices par la croyance » révèle André. C’est cela, un mystique : un statisticien qui interprète le hasard. Il affiche moins une définition de la vérité qu’un moment du vrai. Lorsqu’André raconte avoir un jour dégotté chez son frère un exemplaire de la revue surréaliste MINOTAURE publiée le lendemain de sa naissance, et qu’il s’est émerveillé, en l’ouvrant, de tomber sur Saint-Exupéry dont il venait de traquer le petit prince dans le Sahara, lorsqu’il narre cela, donc, il ne pêche pas par enthousiasme comme le lui fait remarquer Wally, il est « persuadé qu’une force avait mystérieusement conçue la revue pour lui. » Et il décide d’y prendre garde et de mener sa vie en fonction de ce type d’attentions. C’est très nietzschéen que de se placer dans le sillage de forces qui veulent qu’on les veuille. L’Amor Fati enjoint à aimer ce qui advient avec le sens tragique adéquat (André et ses espoirs), au lieu que d’accepter ce qui sera par la suite dramatisé (Wally et ses regrets).

      Avant même d’avoir lu Nietzsche ou vu André, j’ai naturellement et très tôt opté pour cette manière d’exister. J’ai choisi d’habiter un monde en songeant qu’il m’indique où je dois aller – et à qui et à quoi il faut m’incuriosire comme disent les Italiens. Il y a des signes qu’une instance supérieure m’adresse. Dieu, le temps, le hasard, les fantômes, que sais-je ? mais je m’emploie à les ficher. Une fois que je les ai enregistrés, je constate une période durant laquelle je ne fais qu’entendre parler de ce que je viens de noter, comme si je fusse poursuivi. Ce peut être n’importe quoi. Tout récemment, ce fut un autre film : THE SWIMMER, avec Burt Lancaster. Avant-hier, le directeur de la librairie LA PROCURE (essayiste remarquable : François Huguenin) en propose deux minutes sur sa page FACEBOOK. J’en touche un mot à T. Il l’a vu, c’est l’un de ses films fétiches. J’achète le lendemain le DVD, lis autour du SWIMMER qui ressemble au BABBITT de Lewis Sinclair (pour les mensonges du rêve américain), puis je surprends hier soir, toujours sur FACEBOOK, le dernier haïku oral de Roland Jaccard dans lequel il confesse que le SWIMMER est un très grand film, « l’histoire de ma vie » dit-il. Bigre. Puis, André m’ayant fait penser à Henry Miller, je décide de commencer TROPIQUE DU CAPRICORNE, ce que je n’avais pas prévu, mais je me sens soudain obligé de contrarier mon agenda de lecture. Mandatory ! Je saisis l’objet et récupère un papier coincé dans les pages où j’avais noté en septembre 2016 l’un de ces moments du vrai. Un de ces mystères conçus pour soi. Un clin d’œil de Miller depuis l’au-delà. Je retranscris ci-après ce que j’avais inféré de la situation ; je précise qu’apparemment, j’avais parcouru Spengler sur l’âge de pierre, certainement parce que je lisais à l’époque Miller qui adore Spengler. Ma note : « Age Pierre ) Spengler/Faure. Je défais au hasard TROPIQUE DU CAPRICORNE => phrase à citer* => Voilà, je fais tout le temps ca pour valider mes intuitions : j’ouvre un livre et je tombe aussitôt sur ce que je pensais. Noosphère. Ecrivain me parle. Pas besoin d’éditeurs : le plébiscite secret suffit à me convaincre que je suis écrivain. » *La phrase de Miller : « Très calme, cette méditation, ainsi que je le disais ; analogue à celles que devaient cultiver les hommes de l’Age Ancien de la Pierre. »

Wally jugerait que je vais trop loin dans mes déductions, que cela n’envisage aucunement que je sois ni serai jamais un écrivain, ni que je sois « connecté » à André et Miller, car « [Wally] ne [peut] croire que le futur influe sur le présent, ni qu’il modifie le passé. » Mais bon, je sens qu’écrire veut que je le veuille. Amor Fati !

 

Lundi 17 Juillet 2017 – Reprise de la Chronique 20/11/2014 - Conversano

A T.

Alors que je fouillais dans mes archives un thème astral qui m’avait été envoyé en 2015, j’ai retrouvé ce compte-rendu de ma première rencontre avec Daniel Conversano. Je la reprends.

 

      J’ai rencontré Daniel Conversano (DC) hier soir. Je connais ce garçon depuis huit mois. Un ami m’avait indiqué certaine de ses vidéos Rutube. Il se peut donc que de virtuelle, la camaraderie devienne réelle. Je l’avais contacté par FACEBOOK et nous avions  échangé à propos de la France des années 2010, de ses écrivains du XXème siècle, et de ses premiers travaux à lui, moins politisés, davantage sensibles à l’absurdité de la condition humaine. DC disait regretter que les gens ne s’y fussent pas plus intéressés.

      Il arrive Cour de Rome, rigolard. C’est un gaillard d’1m90, tout en cheveux noirs. Il est plein, ample. Le sourire franc, la présentation bonhomme. Sa manière d’occuper l’espace correspond si peu à sa pensée virile qu’il en devient burlesque. Sa démarche est pronation quand sa carrure écarte. Mais tout est assumé, vécu, et large, de cette largeur englobante, pantagruélique, largesse d’esprit et de corps, garçon gauloisement grec.

      « Je pratique un nazisme artistique » dit-il en ouvrant la porte du café. Il secoue ses cheveux, se met de biais pour me laisser passer, sa barbiche à la Lénine s’agitant plus bas. Une fois assis, il pleure la mort de la poésie dans une langue verte qui lui cheville le pamphlet au palais. A côté de lui, sa copine : la Roumaine Giulia, pour qui il se tait parfois afin de lui pincer la joue avec l’affection d’un faune. Il s’approche d’elle en minaudant puis l’embrasse. « C’est ma petite chipie ! » lance-t-il en se recroquevillant comme un enfant. Il me semble sorti d’un tableau de Lautrec qui appartiendrait à une série loufoque où la mythologie se mélangerait au Paris de la Belle Epoque. Je vois Pan dans un cabaret de clowns. C’est ainsi que DC m’enseigne que les révoltés sont des garnements. Si l’ordre établi brise les non conformistes (comme moi), il est rompu par les non conformés (comme lui) : c’est en cela qu’il m’est supérieur. Je précise que cela n’entamera pas notre amitié qui semble déjà vivre d’elle-même. J’aime à établir des hiérarchies et comme je reconnais mes inférieurs, je connais ma subordination. Non que je veuille un modèle ni une idole, c’est que je n’aime rien tant que savoir me placer : qui dois-je écouter ? qui doit m’écouter ? c’est cela qui m’intéresse.

Passé l’égarement avec Giulia, il se retourne et reprend son propos là où il l’avait abandonné. Chez lui, l’affect ne tue pas la raison.

      Giulia s’étonne que je connaisse Codreanu et sa garde de fer. « C’est qu’on a une culture fasciste » lui dit DC. A quoi j’ajoute que je porte une grande admiration au peuple roumain, peuple cultivé qui a donné à la France Ionesco, Cioran ou encore Virgil Gheorghiu dont LA VINGT CINQUIEME HEURE fut pour moi une jubilation de lecture que je ne retrouve pas souvent. L’Europe de l’Est est liée à la France, DC le sait, et m’explique vouloir unifier la France et la Russie par le sang en mariant des hommes nationalistes français avec des femmes russes désireuses de venir vivre en France. « Pas des escortes, mais de simples et jolies filles qui ont 30 ans de retard positif parce que pas encore gavées de féminisme. »

      J’apprécie beaucoup l’artiste, cet homme qui a lu tout Orwell à 20 ans. Contrefaçon de marginal entre Limonov et Villon, heureux de vivre, drôle et triste à la fois. Un Peer Gynt du sud.

 

Vendredi 21 Juillet 2017 - La perfection est politiquement incorrecte

      La semaine dernière, alors que je sortais du cinéma GAUMONT MARIGNAN, j’ai croisé dans la station de métro FRANKLIN ROSSEVELT un groupe de trois jeunes femmes. Elles remontaient les escaliers du quai opposé au mien, de sorte que je les ai vues de haut d’abord, puis de loin ensuite, sur ma gauche dans le dos. Hautes : plus d’1m80 chacune, blondes, les épaules dessinées dans le marbre de leur peau caressée par le soleil de juillet, la démarche souple, la génétique aryenne. Je n’éprouvais pas de désir tant j’étais troublé par cette apparition. Je n’avais jamais vu rien de tel. J’étais admiratif, plutôt, de ces sculptures scandinaves. Il y en avait une qui retenait mon attention. Elle parvenait à se démarquer de ses deux amies, magnifiques, mais moins ahurissantes. Il semble que tout soit effectivement relatif, au point que j’en venais à écarter deux beautés au profit de la perfection, laquelle existe, j’en suis maintenant certain, même si je n’en ai jamais douté.

      La grâce du trio diminuait du fait de la présence de nèg*/res en bas des marches que les filles avaient franchies. Comme d’habitude, ces excités criaient. Une fois descendu sur le quai, je ne vis plus qu’eux, en face, et fus empli de dégoût. Tant de laideur permise à côté des splendeurs que j’avais aperçues ! Ils s’en prenaient aux contrôleurs. Ils négociaient un sursis alors qu’ils avaient fraudé. Ils paraissaient violents. Je me suis demandé s’ils n’avaient pas dans le fond été excités par les walkyries, puis vexés de ce qu’elles les aient superbement ignorés. Elles les avaient dépassés avec toute l’indifférence que la race confère à l’instinct : ainsi les lionnes méprisent-elles les hyènes, davantage : elles ne les voient pas, embaumées dans une aura silencieuse, noble, aristocratique. Les Africains n’existaient pas. Elles ne les avaient même pas remarqués, pas plus qu’entendu leurs hurlements.

 

Lundi 24 Juillet 2017 - Impromptu racial

      Hier matin, FRANCE INFO diffusait un reportage depuis un camping (entendu dans la voiture d’un tiers qui m’accompagnait à la piscine de Notre-Dame-de-Gravenchon). Il s’agissait d’un « test de racisme » (sic). Différents groupes se présentaient à l’accueil à tour de rôle. La speakerine précisait qu’ils se composaient exclusivement soit de blancs, soit de noirs. Une personne « munie d’une mini-caméra sous sa chemise suivant un dispositif astucieux » demandait s’il restait un bungalow. Les noirs entendaient que non ; les blancs obtenaient leur place. Le reportage concluait que les hôtes discriminaient les visiteurs « en fonction de [leur] couleur de peau ». Verdict : « le lieu [était] raciste ». Imparable.

      A aucun moment, la voix ne cherchait pourquoi on mentait aux noirs. Elle aurait pu saluer l’hypocrisie des tenanciers qui leur épargnait une humiliation que le reportage se faisait fort de leur révéler, lui, par l’une de ces sournoiseries dont l’antiracisme a le secret. Mais non, il n’est jamais envisagé que le village-vacances ait pu souffrir par le passé de la présence de noirs. Ils sont pourtant et souvent sales, bruyants, agressifs, c’est-à-dire impropres à la vie en communauté rapprochée (voir les HLM). Ils salopent tout et se rendent insupportables. De sorte qu’ils décourageraient les autres clients.

      Précisément, je crois qu’il est ici plus affaire de business que de racisme. Le camping refuse les plus susceptibles d’affecter sa rentabilité. Alors on rétorquera qu’il amalgame, à quoi je répondrai qu’il prévoit ses risques. Comment s’en offusquer dans le monde utilitariste que la speakerine contribue à construire depuis son Paris bobo ? Il n’est pas obligatoire d’embaucher la racaille en entreprise, si ?

Et quant aux noirs, leur irrespect ne confine-t-il pas au racisme, justement ? Il me souvient de ces racailles africaines du Mans, croisées récemment dans le train Saint-Malo-Paris. Alors que je venais de m’éloigner de ces braillards bien décidés à pourrir la vie des voyageurs, l’un d’eux me promit de « [me] niquer [ma] race » parce que « [je] fais le malin ». Ma race ? Il est possible que les gérants aussi aient peur d’être (encore ?) victimes d’agressions racistes. Que la journaliste de FRANCE INFO n’en parle-t-elle pas ?

      Sans doute adore-t-elle piéger le travailleur blanc, tendance prolo, style beauf camping. Un Gaulois qui pue. Avec lui, tout est permis. Les préjugés s’appliquent et justifient la mesquinerie de la caméra cachée. Allez on va le tester et l’asticoter. Gratter l’écorce jusqu’à trouver un résidu de ce réel honni.

Que le type soit ensuite attaqué en justice et privé de son outil de travail importe peu. Au contraire, plus il finit dans la rue, mieux c’est. Un raciste de puni, youpi ! Un méchant de moins. Qu’il crève et mendie sur les trottoirs des grandes villes où elle pourra lui cracher dessus tout en aidant un petit Ethiopien ! C’est que le clodo sert de soupape de méchanceté à sa gentillesse-tiers-monde.

 

Mardi 1er Août 2017 - Mininouvelle_Partie 1 : Du sport comme méditation

      Il avait établi d'étranges connivences entre la natation et la boxe. Les deux exigeaient du maintien : un buste souple devait supporter la tension exercée sur les épaules et charge aux jambes de garantir l'équilibre. Sports d’élégance. Il s’agissait de tenue. Tout gentleman savait boxer. Principe highschool.

      Arc-bouté à sa ligne de flottaison, le nageur évolue entre la surface et cette zone grise où la poussée d'Archimède ne s'exerce pas encore : y rester, ne pas en sortir, et le tout dynamiquement. Dompter l’espace-temps. C'est à ce prix que glisser et nager se confondent.

      Le boxeur, avec sa garde haute qu'il faut conserver coûte que coûte et son jeu d'équilibriste, flotte sur l’instant qui précède le coup, ses pointes effleurent le sol, hanche et poing vrillent et se tordent du même instinct. Dompter l’espace-temps, là aussi. C'est à ce prix que glisser et frapper se confondent.

      La boxe se rapprochait de la natation, donc. C'était à ce stade une intuition plutôt qu'une certitude. Il croyait ces disciplines unies par une danse des membres utilisant la masse fixe du dos. « Nageur et boxeur s'épanouissent dans un mouvement de balancier » avait-il prononcé la première fois qu’il avait assisté à un gala de boxe anglaise. Il s’était lors souvenu des sublimes pages de Jean Cau sur la mort d’un crac kabyle en plein combat. Et c’est en vrac que son panthéon avait défilé : les puncheurs Marcel Cerdan, Hurricane Carter, et Jake LaMotta, les bestiaux Martin Eden et Mike Tyson , « ces amateurs de Nietzsche que les cons prennent pour des cons », et les danseurs Mohamed Ali et Joe Frazier. La rage irish, l’esquive française, la gifle italienne, l’orgueil ricain, dockers et gentry réunies, aristocratie, sport de race !

      C'est fort de ces intuitions qu'il décida de boxer. Nageur de très bon niveau, il se fiait à ses capacités cardiaques pour encaisser le rythme d'un pugilat. Il souhaitait apprendre pour confronter ses idées aux actes, espérant qu'elles fussent validées, puis intégrer à la boxe les nécessités de la natation. Il avait en tête cet entraîneur de Bobsleigh qui s’était inspiré des principes du sprint. La glisse et la danse, encore ! Cet iconoclaste avait révolutionné la course d'élan et renversé la concurrence.

      Florent Manaudou avait dû imaginer semblable reconversion dans le handball. Sans doute que le colosse olympique pensait exporter sa force au handball où l'élasticité des bras est aussi essentielle que dans un bassin ou sur le ring.

Son ambition à lui restait celle d'innover et ni plus ni moins que d'améliorer l'exercice du boxeur. Le noble art. Précisément, sa démarche était celle de l'artiste. Du moins ferait-il un art de sa boxe, et un art neuf, qui serait le dépassement de deux sports soudain réunis en un seul. Il allait surprendre.

 

Lundi 07 Août 2017 - Reprise de la chronique du film UN FRANCAIS du Lundi 15 Juin 2015 - Le Lundi 07 Août 2017

« Je veux que mon film ne soit pas un « fait divers », ni une histoire romancée, ni une « aventure » plus ou moins mondaine, ni une chronique néoréaliste. […] Mais, plutôt un film qui soit populaire sans être banal ; et qui pose un problème non point spécifiquement italien. […] Mais commun à tous les hommes de nos jours, de n'importe quel pays : le problème de la justice, de l'amour, de la responsabilité personnelle et collective. » Malaparte à propos de son film LE CHRIST INTERDIT

 

      J’ai vu le film UN FRANÇAIS, hier. Ce n’est pas le navet annoncé par les droitards sur les réseaux sociaux. Mais leur empressement à « dénoncer » ne me surprend déjà plus parce que le droitiste se comporte comme le gauchiste. En plus ils se ressemblent physiquement et partagent des codes vestimentaires. Clément Méric et sa bande avaient croisé les types de Troisième Voie dans une boutique FRED PERRY n’est-ce pas.

En marge, j’ai vu le dernier clip du rappeur « ultra-nationaliste » Kroc Blanc dont les potes me rappellent les paumés de la Dissidence. Je les croisais il y a un an chez des femmes royalistes qui m’invitaient. Appartement miteux. Chants des sections de 40. Rêve au retour de Saint-Louis. Un gloubi-boulga collégien. Et à côté, des rageux, déçus des socialopes. Des pauvres qui rendent le bourgeois responsable de leur échec, s’en prennent aux immigrés et aux « juifs qui les font venir pour diluer la nation » (sic). Les figurants d’UN FRANÇAIS leur ressemblent.

      Le réalisateur DIASTEME pense taper sur les skins si j’en crois ses interviews. Mais il s’y prend si mal qu’il propose un film sur la disparition du français de souche et les troubles identitaires de l’ouvrier et du chômeur abandonnés aux banlieues africaines.

      Le film provient de la mort de Clément Méric en 2013 qui avait agressé par derrière et à la matraque un nationaliste aux prises avec deux gauchistes.

La scène : Méric frappe, courageux ; l’autre se retourne et place une droite ; la fiotte crève. Il s’ensuit un tollé médiatique. « La France est raciste !, haro sur le méchant blanc, les autres ils sont gentils, Méric était attaqué » bref, le blabla des médias se met en branle. Les journalopes vomissent un soixante-huitisme de prisu. Puis la police travaille, ca se tasse, l’enquête avance, et la justice innocente l’inculpé au motif qu’il se défendait seulement.

De sorte que bâtir un film « engagé » sur l’affaire Méric est plutôt un hommage aux droitards. C’est précisément ce qui en ressort, comme si UN FRANÇAIS avait été envahi par la vérité de l’affaire qui se serait emparée de sa réalisation. Il n’est dès lors pas étonnant que le film ait été banni du festival de CANNES et que cinquante avant-premières aient été annulées : le pouvoir antiraciste a censuré une œuvre de propagande qui s’est plantée. Il ne s’y est pas trompé et c’est lui qui trousse par son silence la meilleure critique. Toutes les autres sont partisanes. Elles sont le récit de personnes qui n’ont pas visionné le long-métrage. Un très bon ami me tance d’avoir été voir UN FRANÇAIS et doute que le propos dise le contraire de ce qu’il entend, mais je maintiens que c’est le cas.

      Le synopsis ? Un skinhead « ultra-violent » se met à l’amende.

Le début est emballant : on voit ce prolétaire tabasser les gauchistes pro-immigrés à un contre cinq. Tout en nerfs. Rage. Il efface les milices antifascistes arabisées qui l’empêchent de coller pour le Front. Courageux, dur au mal, organisateur hors-pair, il se fait remarquer et rappelle le héros FASCISTE de Marignac. Il rappelle carrément le fascisme qui n’hésitait pas à promouvoir l’élément d’exception. Tension dramatique oblige, le skin rend aussitôt la fille du Président amoureuse de lui. Jolie blonde ; lui est brun ; peau d’albâtre tous les deux. Il faut toujours un peu d’amour dans un film fasciste, car il s’associe bien à la force. Le skin épouse l’aryenne et une carrière politique. Mais subitement, sans doute influencé par un personnage droitdel’hommiste, il retourne sa veste. On peine à croire que ce soit crédible, mais soit.

Ses amis se détournent de lui, sa femme le quitte, il perd son poste et finit là où il a commencé : dans le pavillon de ses parents. « Lieu de vie », il y attend la mort. Ca y est, il est devenu un type bien : personne ne veut de lui. Le blanc a passé la main. En face : des HLM. Ambiance bruyante. Quelques white trash paumés. Des racailles à l’entour. UN FRANÇAIS, c’est la France qui crève. Le chant du cygne. L’acteur incarne la France blanche dans une position de Christ interdit sommé de se crucifier tout seul. Aucune passion. Aucun cri, tout juste un bâillement de cancéreux qui s’ennuie. Mais où est passée sa grande santé nietzschéique ? C’est pourtant elle qui lui avait permis de survivre à une agression arabe, à l’arme blanche, dans le dos. DIASTEME est allé trop loin en transformant Méric en un skin victime d’un arabe : comment s’étonner que son film soit censuré ?

      La fin pose que l’avenir du blanc sera sa défaite. Le renoncement est la seule alternative à la violence et se résigner est obligatoire pour devenir gentil, sinon on est et reste un méchant. Un raciste. Un nazi. Un blanc. UN FRANÇAIS aurait pu embrasser une carrière au FRONT NATIONAL, et il aurait été plus heureux parce que son intelligence mieux utilisée qu’à l’usine, mais en se choisissant un destin autre que politique, il se condamne à l’errance. Pire : à la déshérence, laquelle rassemble toutes les classes sociales blanches dans le désarroi métaphysique né de leur disparition. Le riche comme le pauvre, pour peu qu’ils acceptent de voir ce qu’ils voient, risquent la dépression.

L’ex-skinhead se meurt dans un travail de manutentionnaire. Toujours beau garçon, tête très française, classique, le muscle saillant et souple, dans le genre mince mais sec, dur, brutal, il accepte une vie sexuelle réduite à néant. Le voilà effondré dans un lumpen-personnage de Houellebecq. Lui, mâle alpha, à moins de 40 ans, bande dans le vide. Stérilisé. Infertile. Bréhaigne. C’est le rêve européen que les technocrates réservent aux citoyens compris comme éléments de gestion. Des statistiques hors-sol qui aseptisent les ressources. Castration par la technique, excision par le salariat. Il suffit qu’elles aient un travail, le bonheur est le plein-emploi, la plage sous les salaires. Et s’ouvrir à tous, quitte à en subir la violence. Un paradis sans dieu. Un enfer sans croix. L’UE sans la terre, la carte sans le territoire, l’Europe sans le peuple. « Bientôt chez vous ce sera nulle part » lançait pourtant un antifa au skin. C’est donc qu’un skin averti ne vaut rien.

 

Mardi 08 Août 2017 - Reprise de la chronique du film LE CORPS DE MON ENNEMI du Mercredi 3 Septembre 2014

And into my garden stole

When the night had veil'd the pole:

In the morning glad I see

My foe outstrech'd beneath the tree.

William Blake - A poison tree

 

Dans mon jardin il se glissa

Quand le pôle échut dans la nuit :

Au matin je vis avec joie

Sous l’arbre, mort mon ennemi.

William Blake – Le corps de mon ennemi (traduction personnelle).

 

      Lorsque Jean-Paul Belmondo, Henri Verneuil et Michel Audiard collaborent pour LE CORPS DE MON ENNEMI, c’est magistral, autant que le livre de Félicien Marceau. Marqué d’une lettre écarlate, Marceau-collabo n’a jamais eu plus grand honneur que ce film. Un Goncourt et un poste de coupolard ?, soit, mais tout cela ne vaut pas Belmondo récitant du Audiard dans la langue de Blake. Chef-d’œuvre de l’esprit hussard.

 

      J’ai revu le film cet été avec mon père, à Saint-Cast. Belmondo campe un Rastignac de province. Il sert de mains sales aux riches du coin qui se lancent dans les casinos. Habile avec la haute, bébel domine le milieu. Les malfrats le respectent, les bourgeois le craignent, les putains sont amoureuses : c’est le type qu’il faut. Au centre, rien que bébél, anar de droite, tout en muscles et en répliques. En arrière-plan, une femme fatale, raide dingue du monsieur. La vamp de roman noir, nécessaire au genre car sans elle il faudrait une intrigue. Bébel s’en fiche, des intrigues, ou fait comme si. Alors la femme le retient. Mais moins que l’amour, c’est la haine de soi qu’il cache. Celle de se mêler à tout ca, à eux, à leurs manières lourdes de bourgeois, et de ne pas s’avouer qu’on finit comme eux dès qu’on veut en faire partie. Alors on jure de ne jamais leur ressembler. On dit que l’argent n’est pas sale, mais il salit, et on pue. Qu’on assume ou pas, ca commence dans les rires et s’achève dans les pleurs. C’est ainsi qu’une satire de la petite-bourgeoisie s’achève en tragédie antique.

Les trente glorieuses avancent en souriant, c’est la fête, mais on n’arrête pas le progrès, alors il faut écarter le trublion une fois qu’il est périmé : pourquoi pas le jeter en prison ? Si une époque peut se tromper d’objectif, elle se méprend rarement sur les moyens. Bébel finit au trou, trompé par moins malin que lui. LE CORPS DE MON ENNEMI raconte sa sortie de tôle. Longue journée rythmée par les souvenirs et ses réflexions sur un monde qui change. Durant ce road-movie, il manie le verbe d’Audiard avec une bonhomie cynique. Langue fleurie, éclatante avec les marlous, crasse avec les rupins, savante avec les pédants, poseuse avec les sachants. Un aristocrate égaré dans la Lille des Trente Glorieuses revient pour se venger. C’est l’histoire d’un homme déchu, descendu comme il avait monté : vite, et maintenant désargenté. Il n’a que l’esprit pour continuer, la seule richesse. Un sens de la justice, aussi, parce qu’il faut bien. Ethique de samouraï. Et intransitive : pas de morale, c’est pour la foi. Ou pour les cons. Il y a du western dans ce CORPS à la croisée des genres.

 

LES SOUVENIRS

      Bébel à la piscine, il sort de l’eau, la forme lancasterienne du SWIMMER, et à côté, les cochons, l’engeance bourgeoise, vautrée dans ses chaises longues. Elle est en train de le rouler, il le sait maintenant, autrefois il ne s’en doutait pas.

      Bébel  s’adresse à son bras droit : -Hé la brute, c’est toi qu’as pris mon feu ? –Ben non patron, moi j’ai ma force. Audiard.

      Et Belmondo jaillit d’un bosquet, en costume, drôle ! Pas chiffonné. Energie, être dionysiaque, vie vitale dirait T.

      Un petit-bourgeois au casino l’entretient au sujet d’une pute en train d’achever son strip-tease :

-Mais dites-moi, où avez-vous trouvé cette étoile !, cette artiste !!, cette Brune-hill (sic) de Düsseldorf ?!!! Petit père euclidien, coupé dans les angles, voix aigue.

-A Düsseldorf ! répond Belmondo, le doigt levé, sourire blanc. Et le petit-bourgeois de s’en étonner, et de se couler, de roucouler, de pouffer, tout flanc tout femme, fondu par la virilité de bébél.

      Un être visqueux, toujours au casino :

-Il paraît que vous nous réservez un bijou pour ce soir ?

-Encore mieux, dit-il en enroulant le type de ses épaules, un trai-sor ! Emphase moqueuse.

 

« Vivre sous le signe d'une désinvolture panique, ne rien prendre au sérieux, tout prendre au tragique. » disait Nimier.

 

      LES MEDITATIONS

      Car l’as des as médite en voix off.

      Il marche :

« La province fout le camp. La rue du Commerce est devenue un énorme étalage qui déborde de partout, qui dévore la rue... Une ville folle, hagarde... Une foire au gadget, aux portes béantes en miroir, acier et plexiglas, aux slogans péremptoires: "A saisir"... "Liquidation"... "Nos prix qui pulvérisent"... Un monde qui brade... Qui bazarde... Qui se débarrasse d'objets qui ne servent à rien qu'à être achetés. » (Le quotidien de Paris 2017).

      Une fois interrompu, il se dit à lui-même : « A votre âge et quand on porte votre nom, les gros mots ne peuvent être que des citations. »

      La fin est digne d’Antoine Blondin : « J’étais pressé. J’étais attendu. Il faudrait n’être jamais attendu. N’avoir jamais de rendez-vous. Rendez-vous ! C’est le cri des flics lorsqu’ils vous arrêtent, des soldats ennemis lorsqu’ils vous cernent, des gonzesses lorsqu’elles vous capturent, le lasso, le piège. Une journée avec trois rendez-vous, c’est une journée-prison. Il faudrait avoir le temps, toujours. N’être tenu par rien, attendu par personne. Sans heure, sans montre. »

 

      Ce film n’est que finesse et ironie. Quand elles sont jouées par Belmondo, elles fusionnent et deviennent une humeur inconnue, que le langage ne peut nommer. Une attitude. Un ton. Une HUMEUR VAGABONDE.

 

Jeudi 10 Août 2017 – Signes du 10 Août 2017

      Il s’est produit une étrange coïncidence durant notre explication, avec L., hier soir. Fond de dispute.

      Je suis abonné à la diffusion par mail quotidienne EXPRESSIO. Il s’agit d’idiomatismes français dont l’étymologie est décortiquée. Et alors que je lui parlais, j’ai reçu le mail (il tombe aux alentours d’une heure du matin) à propos de l’expression TOURNER LA PAGE...Odieuses taquinerie du hasard. Car je n’ai nulle envie de la quitter. Elle qui est très signes aussi aurait été inquiète, or je ne voulais que la rassurer.

 

Vendredi 11 Août 2017 – Signes du 11 Août 2017

      Samedi dernier, au parc Monceau, un papillon s’est posé sur mon épaule droite. Il y est resté longtemps avant que je ne l’écarte. J’étais assis. J’ai lors pensé à L. qui a développé cette année un engouement d’entomologiste pour ces bestioles, au point de les collectionner, puis de les clouer sous verre. L’appartement est parsemé de ses cadres contenant diverses espèces de lépidoptères. J’ai dû mettre le holà, sans cela nous aurions été envahis. L’ami en compagnie duquel je me trouvais a pris plusieurs clichés du papillon que j’envoyai aussitôt à L. qui en fut heureuse.

      Le lendemain, ce fut son tour à elle de rencontrer un spécimen qu’elle subjugua : comme apprivoisé, il se laissa approcher puis photographier. Elle y vit avec moi un signe de nos liens invisibles tissés dans le cosmos.

      Avant-hier et hier, il y eut une dispute entre nous. Toujours le même refrain, qui n’a pas lieu d’être, ce dont je l’assurai encore, ce qui la rassura et nous rabibocha. Une fois réconciliés, c’est toujours pareil : l’excitation nous gagne, mais elle est comme gâtée par un arrière-goût d’amertume. Lequel s’estompe bien vite, un jour ou deux suffisent, gavés de la mélancolie d’un film de Terrence Malick. Un peu de tristesse, pour mieux éprouver la joie dont le retour s’annonce. Nous pensons que le temps corrompt tout. Nous le déplorons, et regrettons d’avoir cédé à ses caprices.

       Aussi ne fus-je pas surpris de voir ce midi un papillon aux prises avec une guêpe. Lui était déjà mort, et l’autre s’acharnait à lui dévorer la tête. Les ailes orange étaient déchiquetées ; elles paraissaient revivre lorsque la guêpe le soulevait pour mieux mordre un corps qu’elle transformait en bouillie. On eût dit d’une chenille qui disparaissait dans le sarcasme obscène du mensonge : « Je vole ! » me criait-il « Mais non » riait la guêpe. Ca ressemblait à de la poésie australienne, celle qui naît dans le bush où tout se consume, où seuls les morts et les pierres parlent. J’ai toujours trouvé cela indécent. Ce retour au point de départ. Ce redevenir enfant, chenille, donc, avant la fin. Quel cynisme. Quel clin d’œil morbide que ce signe. L’effroi fit grandir la mélancolie. Je pensai que le temps et l’amour s’effondrent simultanément.

      Je commençai par voir dans le combat entre l’ange-papillon et la guêpe-bête le symbole de la discorde (Eris). Une sorte d’Eris et Thanatos morbide auquel on n’échappe que dans la mort. Dans un monde païen, j’aurais parié que le mesmérisme engage à la télépathie et que les papillons communiquent avec moi. Ma réaction eût été unique, carrément mystique. Un élu de la nature, me serais-je dit, ou quelque chose comme ca. Je ne parviens pas à deviner quoi mais cela eût provoqué une décision radicale.

Puis j’imaginai qu’il s’agissait de mises en garde plutôt que d’allégories : était-ce un de mes doubles quantiques cherchant à communiquer avec moi depuis samedi par-delà l’espace-temps (il me verrait, et serait au même endroit que moi, mais plus tard, chargé de mon avenir qui s’est déjà joué) ? Ou était-ce une force maléfique en guerre contre la pureté, dont la première attaque remontait au TOURNER LA PAGE de la veille ? J’optai pour cette option, désireux de combattre, au lieu que d’écouter un autre-comme-moi qui me supplierait depuis un univers parallèle de ne pas commettre d’erreur : dans ce cas, j’ai envie de me tromper (pour L.) et alors je fusionnerai avec lui dans l’instant quantique, le moment venu. Il me dira qu’il m’avait prévenu, mais au moins aurons-nous validé l’écoulement cyclique envisagé par la physique immatérielle, cet éternel retour pressenti par Nietzsche.

 

Mardi 05 Septembre 2017 – Rêve

      Rêve. J’ai rêvé, la nuit dernière. C’était le mariage de mon frère. La table était un L géant. En face de moi, mon père. Nous entendons soudain un bris de glace. La salle se tait. Mon père se dirige vers un placard se trouvant dans le mur à gauche. Il en tire un tableau dont le cadre a rompu, entraînant dans sa chute la rupture de la vitre qui protège la toile. Enervé, il revient s’asseoir avec l’objet. Silence. Les convives ne parlent plus.

      Peu après, mon frère qui est assis à côté de sa femme, tient ce qu’il reste du tableau. Agacé lui aussi, il maugrée que c’est emmerdant. Alors j’entends ma mère parler. Elle est sur ma droite, en face, mais dans un angle mort, de sorte que je ne l’avais pas vue jusqu’alors ; elle ne se trouve pas aux côtés de mon père, ni de mon frère qui est presque à mes côtés, un peu éloigné. Mon frère, mon père, ma mère et moi sommes donc éparpillés façon puzzle. Ma mère est nette, dans mon rêve. Elle est bronzée, les dents blanches, sa présence est réelle. Je la regarde, interloqué, parce qu’elle montre une assurance que sa discrétion lui interdisait autrefois. Délicate, douce, tout en tact et mesure, ma grande dame pratiquait la réserve des gens éduqués. Elle prononce nettement : « De toute façon,  il y a quelque chose qui ne marche pas dans ce mariage ! » Je crois qu’on lui demande de quoi elle parle. Elle répond que « la mère n’est pas à sa place. » Elle le répète deux fois en me fixant.

 

Jeudi 14 Septembre 2017 – Godard le fourbe

      J’ai vu hier LE REDOUTABLE.

      Hazanavicius montre un Godard fuyant sa période enchantée. (Courant de 1960 à 1967, elle débute avec A BOUT DE SOUFFLE, livre LE PETIT SOLDAT, LE MEPRIS, PIERROT LE FOU, et s’achève sur LA CHINOISE (1967), manière de film-transition). L’homme de la Nouvelle Vague abandonne ce qu’il fut, en mai 68. Rompant avec lui-même, il conchie son cinéma bourgeois et parie que les événements lui permettront de devenir ce qu’il est : un cinéaste révolutionnaire, adepte de la révolution permanente (un trostkiste), des calembours poétiques de Mao (un maoïste) et de la rhétorique marxiste-léniniste (un stalinien). Considérant qu’un nanti ne peut être d’extrême-gauche, il verse dans la haine de soi. Comme souvent, celle-ci se mue en détestation d’autrui, et si Godard se sent coupable d’être né bourgeois, il n’éprouve aucun remords à détester son entourage auquel il fait la morale. (Profitent-ils de l’existence qu’il leur reproche de ne pas se préoccuper de la révolution).

Le film d’Hazanavicius est la chronique des fins annoncées : celles du cinéaste que Godard a été, des amitiés qu’il brise dès qu’il en a l’occasion, et de l’amour qu’il tue à petit feu. Personnage odieux, imbuvable et suffisant en privé, c’est un macho doublé d’un misogyne. Bien que ce gauchiste rejette la société patriarcale du général de Gaulle, il affiche la morgue de l’intellectuel mâle convaincu qu’une femme ne sait pas penser. « Auto-aliénée », affirme ce mauvais situ. Il se reprend parfois, bouffé par ses contradictions artificielles, et demande pardon, mais toujours le redoutable revient à la charge, plus virulent que jamais. C’est que le Godard d’Hazanavicius s’empêche tellement d’être ce qu’il est qu’il le devient d’autant plus : un mari quand il martyrise Anne Wiazemsky jusqu’à la possessivité, un dictateur que son double communiste contrarie. En définitive, il finit seul, parfait égocentrique. Mais n’est-ce pas là le destin du gauchiste ? Et puis comment imaginer qu’un tel artiste agisse en démocrate ? Un réalisateur dirige, place, et donne des ordres. Une troupe ne tient qu’à la hiérarchie spontanée garantie par le chef. Jamais élu, celui-ci est désigné par l’autorité de son génie. Rigueur et discipline s’accordent à sa nature. Il y a du militaire dans une société d’acteurs. Et du général chez Godard. Le cinéma militant et les films signés collectivement par son groupe Dzyga Vertov ont épuisé le cinéma sans histoire, sans personnages, et sans scénario au-delà de la caricature de l’art-socialisme. Bref, Godard se nie le film durant et n’a de cesse de tuer le daïmon qu’il contient. C’est la racine de ses contradictions.

      Complètement dépassé par cette créature, dépossédé (auto-engendré, il enfante un monstre, « auto-aliéné », pour le coup), c’est à bout de souffle qu’il achève la poursuite de lui-même. Godard n’est plus. « Je est un autre » chantait Rimbaud : « je n’est rien » filme Godard. Parce qu’il ne filme plus rien, précisément. Lui qui est tout, tout ce qui n’est pas lui est néant. Or il ne se filme pas. C’est sans doute cela le cinéma non-bourgeois : ne plus filmer son objet situé derrière l’objectif. L’HOMME A LA CAMERA de Vertov, c’est Godard. Tout cela est beau comme une théorie du réalisme soviétique. Du grand art populaire, bien tarabiscoté, programmé pour que l’homme se détruise tout seul, façon Godard en 68.

Au Cinéma sans histoire, sans personnages, et sans scénario qu’il promet à un ouvrier, celui-ci ajoute, goguenard, « et sans spectateurs ! ». Godard ne lui retourne que mépris. C’est tout ce qui reste des années 1960-67 : le mépris, le dédain, la condescendance.  Godard méprise tout le monde, y compris ceux qu’il défend : des acteurs aux petites gens, lui, le communiste. Il se fout du bons sens et de l'humour populaires ; tellement loin d'un Orwell. Sans doute se construit-il une conscience de classe afin de purger son surmoi bourgeois. Toujours cette idée de se punir, cette haine de soi convertie en haine de tout ; très intellectuel de gauche, très grand bourgeois, très salonnard sachant mieux qu’autrui ce qui est bon pour lui, sachant mieux ce qu’autrui vit sans vivre comme lui, sachant tout mieux que n’importe qui, en fait. Un père-la-morale. Raseur ! Mais qu’est-ce que les gens de gauche sont ennuyants ! A quoi bon aller faire le guignol dans un amphi de la Sorbonne, alors ? Godard en tête des cortèges de manifestants soixantehuitistes en train de traiter de racistes et de salopes les policiers : mon Dieu, mais ils sont plus prolos qu’il l’a jamais été…

      Je me suis souvent dit que ces comportements résultent en France d’une pulsion puritaine introduite par les jansénistes. Un besoin de se fouetter en public sur un chemin de croix sans Romains, tout en s’incrustant dans le cœur et la chair des mécréants qui ne croient pas comme il faut. Du mauvais christianisme parce que non catholique. Sans art, donc. Des Godards de 68. Ces demi-protestants ont troqué le Christ contre la Vertu, et ce faisant préparé la Révolution en plein Grand Siècle. A l'arrivée, c’est Robespierre, et la guillotine en fait de crucifixion. Tragédie. Le remake, c’est 1968, une farce, avec Godard le fourbe dans le rôle-pitre.

 

Vendredi 15 Septembre 2017 – ACT UP : 120 battements par minute

      Je suis allé voir 120 BATTEMENTS PAR MINUTE lundi soir.

      Film documentaire avec un séropo et un séroneg qui tombent amoureux en militant au sein d’ACT UP. C’est cette association qui tient le rôle principal. Composée de malades atteints du sida, elle les informe des avancées de la lutte contre le virus et remonte leurs doléances aux hôpitaux. Les délibérations, les décisions, l’ambiance démocratique qui précipite la dictature (n’importe quel groupe en situation extrême désigne un chef), puis les actions sont couvertes. Les têtes pensantes ont des lettres : on cite Baudrillard, Platon, cependant que les hauts QI ingèrent les travaux de recherche. On s’arme. On est rigoureux. On veut se défendre. De futurs conducators. En arrière-fond l’ennemi : l’immunodéficience.

      Avec la capote, les années 90 corsettent la génération adolescente qui intègre le principe de précaution. C’est là le seul antidote proposé par l’état et les laboratoires pharmaceutiques. ACT UP veut plus, mais la diplomatie dysfonctionne. Absence de réaction de la part des services publics. Qu’ils crèvent, et bon débarras. Un truc de socialope ; on préfère cajoler les vioques et leurs deniers.

      De colères en manifestations, les militants s’enfoncent dans la maladie et une compréhensible radicalisation. La discipline de groupe suit la rigueur de l’esprit. L’association se transforme en mouvement. L’anxiété dope les cœurs ; l’angoisse frappe les corps. On comprend qu’il n’y a que la manière forte. En mal de remède et de bouc émissaire, les gens d’ACT UP s’en prennent au gouvernement et aux industries de santé. Actions, bagarres, vie, mort repoussée. En face, le catéchisme moderne : des sigles. VIH, ONU, OMS. Et des lymphocytes T4 infectés, impossibles à boxer. Tout concourt dans le NO FUTURE du romantisme punk. A leur sensation de frapper dans le vide, s’ajoute le non-sens de leur existence. Quand sa vie est absurde et pleine de néant, le radicalisé trouve une pierre d’achoppement. Pas d’acédie, il veut un endroit où cogner. Un endroit où aller. Nulle part, un sidaïque connaît, et c’est pour bientôt car la mort n’attend plus. Alors sa volonté engage à une représentation du monde où se projeter. C’est ici que la politique devient possible. C’est ici qu’ACT UP se mue en parti.

      Organisés, déterminés, unis par l’esprit de corps et dopés par l’urgence, la peur de la mort irradiant tout en pulsion de vie, les up activistes tombent dans la violence politique. A les voir molester en bombers les fonctionnaires d’un état détourné de sa jeunesse, je me suis dit qu’à un certain point, ils sont devenus fascistes - d’autant que le héros ressemble au skinhead d’UN FRANÇAIS. Une allégorie de société au bord du gouffre, sommée d’agir, et bien décidée à survivre. A défaut de clamser, tu te lèves. Agis ! Comme si leur instinct avait dépassé leurs surmois gauchistes, et imposé à la raison la mentalité apte à les sauver. Une « mentale » naturelle, vivante, vivace, et totale. Sur le point de mourir, on se confie à la biologie, rattrapé par les sous-couches darwiniennes. Cela m’a paru d’autant plus évident qu’ACT UP pratique l’amitié virile qu’on trouve dans les ligues d’extrême-droite, ici renforcée par l’homosexualité. Et après ? Qui s’est plaint des mœurs SA ? Sans cette détermination, ACT UP aurait-il accéléré la sortie de la crise humanitaire qui se déroulait en France ?

      Le spectateur mal avisé pensera qu’ils contiennent en germe le corpus idéologique moderne. Je veux parler du festivisme éreinté par Philippe Muray, cette idée que la fête répond au désarroi et accompagne l’entreprise politique. La fête se substituant à la foi. La fête tuant la foi, même. C’est qu’on les voit danser en boîte de nuit après le coup de poing. Et souvent. Belles scènes de mélancolie façon FASCISTE de Marignac. Il ne faut pas chercher bien loin : ce n’est qu’un moyen d’oublier la mort. Classique. C’est la fonction universelle de la fête.

Mon spectateur mal avisé dira que parce qu’ils sont jeunes mais sidaïques, ils exaltent la jeunesse et proposent une nouvelle façon d’exister dans la joie du bruit. A défaut de pouvoir vivre, ils écoutent de la techno. Pas faux, mais ACT UP ne demandait pas que les générations vivent comme eux, ni de ne pas vieillir. Au contraire ! Ils n’attendaient de l’existence que la vie. Ce sont des vitalistes. De circonstance, certes, mais des vitalistes.

Uniquement tournée vers l’instant, l’humeur festiviste s’est attribuée un héritage qui n’existe pas. Elle a détourné l’up activisme, puis se l’est approprié pour justifier ses vanités. Vivre vite et intensément, sans but, sans futur, et en plus sans passé : comme des malades, mais en bonne santé. Des punks bien coiffés. Quelle orthodoxie sacrilège. « Un sida mental » écrivait Pauwels.

      Le film m’a plu. J’y ai senti le parfum des NUITS FAUVES de Cyril Collard. Cette sensation que Paris promet tout, mais n’offre rien. Que sans la contrainte, l’homme n’est pas, aussi. Ces jeunes en train de pourrir sortent d’un livre de Tom Spanbauer et de ses titres poétiques. 120 BATTEMENTS PAR MINUTE filme cet HOMME QUI TOMBA AMOUREUX DE LA LUNE. Ou ceux de LA VILLE DES CHASSEURS SOLITAIRES. Je le lisais voilà six ans. Automne 2011. Je sortais beaucoup ; je me revois en train d’ouvrir le livre en rentrant de boîte. Bientôt, la France irait en finale de la coupe du monde de rugby. Souvenirs.

 

Lundi 25 Septembre 2017 - Vive la paranoïa ! & Autres remarques

-

      Le dernier livre de Laurent Obertone se trouve à la FNAC au rayon Loisirs, rubrique Aviation, au milieu des jouets. Voyant cela, je me suis dit qu’Obertone est censuré par la parodie. L’auteur de LA FRANCE ORANGE MECANIQUE ne doit pas être lu, même si LE DIABLE DU CIEL s’attaque à la figure apolitique d’Andreas Lubitz. Ce tueur de masse extermina tous les passagers du vol de la Germanwings Barcelone-Düsseldorf en crashant l’airbus qu’il copilotait le 24 mars 2015. J’avais à l’époque écrit à son sujet, le rapprochant d’un Erostrate moderne en mal de reconnaissance. Son suicide m’était paru un prétexte à la notoriété coûte que coûte. Toujours est-il qu’Obertone, parce qu’il est classé à la droite de l’extrême-droite, est placé au rebut des étals. Hop, avec les moutards.

C’est du reste le destin d’autres grands écrivains que d’être rangés dans la littérature pour enfants. La France réserve un traitement spécial aux Américains. Herman Melville et Jack London, pour ne citer qu’eux, sont des victimes de ce crime contre l’esprit. Dans le cas de London, est-ce une manière de punir cet étrange socialiste nietzschéen, racialiste, qui plaçait la brute blonde au sommet de la hiérarchie humaine ? Mais alors pourquoi faire connaître aux jeunes ces idées honnies ?

      La critique admise n’en est pas à une contradiction près. Mais en cachant Obertone à la vue des plus âgés, je comprends qu’elle s’est fixée pour mission principale de maintenir dans l’ignorance les déjà décérébrés : aucun risque qu’un lecteur de plus de 15 ans, même curieux, aille dénicher un méchant de droite au milieu des légos. Des gamins risquent d’ouvrir LE DIABLE DU CIEL ou LES MUTINES DE L’ELSENEUR, mais si peu. Ils seront toujours punis par le nombre.

      Le soir même que j’avais acheté LE DIABLE DU CIEL, je racontais cela à N., au téléphone. Il me fit observer que si ca se trouvait, les employés de la FNAC avaient obéi au hasard lorsqu’il s’était agi pour eux de placer Obertone. N. trouvait là une preuve que le système gauchiste, des médias aux journalistes, tourne de façon inconsciente via mille menus rouages. Ici, la FNAC en était un, mu par un mécanisme actionné de loin. C’est une organisation auto-entretenue dont le détricotage engage N. et moi à une façon de paranoïa. Je fis remarquer que la paranoïa est une pulsion éminemment négative aux yeux des contemporains. Elle leur permet d’insulter l’homme inquiet - et pour cause : c’est elle qui pousse à se méfier et à interroger le réel. La paranoïa est positive. Elle permet de persévérer dans son être. Instinct de survie. Vive la paranoïa !

 

-

      Entendu sur BobFM la semaine passée qu’ « il y a une influence Macron sur le climat. » Après avoir déréglé le climat, voilà que l’homme se trouve un re-régleur de climat, un Dieu, donc. Un homme-Dieu. Toujours ce prométhéisme gauchiste. Les progressistes n’ont peur de rien.

 

-

      Les films d’Emmanuel Mouret ressemblent à ceux de Rohmer. Du marivaudage amoureux, mais amer, non badin. Un homme trouve la femme de sa vie. Ils s’aiment. L’homme finit par se demander si c’est vraiment la bonne, et si ce ne serait pas plus intense avec une autre. Une seconde se présente. Elle lui pose la même question. Ils s’aiment à leur tour. A la fin, l’homme revient avec la première, laissant son aventure à l’oubli. Malgré des regrets et une femme éplorée, détruite chez Mouret, l’homme est rassuré : son premier amour est suffisamment fort pour ne pas tout briser. Il est aussi intense que le second. Il est prioritaire par hasard, mais prioritaire. Quand l’infidélité rend fidèle...

 

-

      Vu dans le Paris Hidalgag un panneau Paris sans voitures pendant une journée ! Pour le moment. Car à l’avenir ce sera tout le temps. C’est le sens de l’Histoire bobo. Ensuite, on passera à Paris sans les hommes ! Une journée d’abord, puis tout le temps. Alors les chances pour la France trouveront cela raciste, parce que d’aucuns les sentiront réduits à cet harcèlement de rue qu’ils pratiquent. Et on dira et fera de manière politiquement correct Paris sans les hommes blancs ! histoire de s’éviter un bug schizophrénique dans la matrice féministe anti-raciste. Et ensuite, ce sera carrément Paris sans les blancs ! et enfin, La France sans les blancs ! Je me demande comment ils feront, les gris, sans nous, vu que chez eux c’est un boxon - qu’ils quittent, d’ailleurs, pour vivre en notre paradis qu’ils détruisent pourtant. La raison tient à leur complexe d’infériorité qui les encourage à la rancœur. Ne pouvant rivaliser, ils cassent, comme une équipe de bouchers RFA broyait les tibias du carré magique francais.

En supprimant les blancs, les gauchistes sont en réalité très pervers. Ce faisant, ils suppriment l'humanité incapable de durer sans eux. Elle va mourir. En se faisant les amis de l'humanité, les gauchistes sont devenus les ennemis du genre humain.

T. use d’une lumineuse formule à ce sujet : « les blancs, cette aristocratie de la planète à qui il a fallu couper la tête. »

      (Pour Hidalgo, j’imagine aussi un Paris sans immeubles pendant une journée ! On rase tout, pour un jour, et après…rien. Allégorie de ce que son engeance concocte au niveau politique).

 

-

      Le temps dure. Il s’écoule différemment selon la manière et l’instant d’observation (un peu comme en physique quantique où l’expérience change l’état de ce qui est mesuré). Preuve en est de ces secondes qui disparaissent plus ou moins vite de l'écran liquide d’une montre à quartz. C'est une affaire de perception, et cela, Proust et Bergson l'ont merveilleusement illustré.

Le temps.

Linéraire chez Hegel. Une ligne chez Comte. Il est sécularisé et épouse la courbe de la parousie chrétienne. C’est un temps millénariste, censé durer pour l’éternité. Infini. Synonyme : le progrès

Circulaire chez Nietzsche. L’éternel retour. Le temps quantique est un cercle. Synonyme : la révolution.

Un disque hachuré chez Bergson. Il dure. Synonyme : madeleine.

 

Lundi 25 Septembre 2017 - Réponse à Thomas B.

Thomas,

 

Je réponds à chacune de tes demandes en reprenant ton message. Tu auras l’heur d’apparaître dans mon recueil de chroniques à l’entrée du jour.

 

Hello François ! (faudra que tu m'expliques un jour pourquoi tu t'appelles comme ça sur FB).

      J’ai adopté ce pseudonyme voici sept ans pour que mes collègues ne me retrouvent pas sur Facebook. Tu imagines facilement que mes idées déplaisent. Or je ne veux être importuné au bureau.

      Francois Sanders est le personnage principal de deux livres de Nimier que j’aime beaucoup : LES EPEES et LE HUSSARD BLEU. Pourquoi je les aime bien ? Pour leur ton romantique et baroque, punk avant l’heure, fasciste en 1950 comme on le deviendrait en 1980. Francois Sanders est un beau garçon, bagarreur, cynique, désabusé, aussi prompt à aimer qu’on le hait, joueur, méprisant le destin, tout d’amor fati, donc, et surtout : poète. Comment résister à l’envie de lui ressembler quand on a 27 ans ?

 

J'espère que tout roule de ton côté.

Oui, je vais bien.

 

Je viens de lire DECOLONISER LES PROVINCES de Michel Onfray, il y a plein de problèmes avec ce type, mais plein de choses avec lesquelles je suis d'accord, et notamment le fond de sa pensée politique telle que je l'ai compris : le socialisme libertaire. Et du coup, toi, pourquoi tu n’es pas d'accord avec ça ?

      Je suis d’accord avec ca (bien que je ne trouve pas de problèmes avec ce type). Surtout avec le mot libertaire. Le côté socialiste d’Onfray est Orwellien, donc enraciné, en sorte que ca passe, mais je préfère le libertarianisme, le capitalisme libertaire en fait. Ce n’est pas « que le meilleur gagne », mais « que la meilleure communauté gagne ». Aujourd’hui, un socialisme libertaire m’imposerait (conditionnel car le gauchisme au pouvoir n’a rien de libertaire : il est égalitariste, or c’est totalement différent), il m’imposerait, donc, de collaborer avec d’autres communautés à cause de la présence immigrée. Or ces gens n’aiment pas les miens. Donc je ne les aime pas, ni ne veux collaborer avec.

      Je choisis les miens, ma communauté, et pourrais lors m’accommoder en son sein d’un socialisme libertaire. Un national-socialisme libertaire. Même si ensuite, une fois la chose installée, je prônerais un capitalisme libertaire afin d’encourager le dépassement de soi et la créativité qui disparaissent en régime socialiste, quel que soit l’endroit au monde où il se soit exercé par le passé. C’est automatique. Sans contrainte, l’homme s’enfonce dans le confort mollasson de mister farniente qui ne s’assume pas. On peut glander, mais il ne faut pas faire porter sa croix à autrui. C’est un truc de fiotte ca, de faible, de lopette. Chacun se démerde à proportion de ses choix dictés par sa vision du monde. Je n’ai aucune envie de l’entraide organisée : ni passive, ni active i.e. je ne veux pas qu’on m’aide (mais qu’on cesse de me materner contre mon gré !), ni ne veux aider les galériens. L’entraide est selon moi spontanée : m’aidera qui  voudra, s’il voudra, quand il voudra, et réciproquement. En général, c’est la famille. Mais cela s’élargit bien vite aux amis. Et puis il ne faut pas désespérer de la bonté de l’Homme. Il arrive que cette créature soit bonne. On pourrait imaginer quelque figure christique, grande conscience-humanité, ou quelque duce anarchiste et génial, qui sacrifiât sa vie aux humains. Mais par pitié, pas d’Etat là-dedans. Le socialisme pue l’Etat : donc à la niche ! Que l’Etat se contente des fonctions régaliennes et n’interfère pas dans la santé, les mœurs, les esprits, la religion, ou que sais-je encore. A mort le fisc, aussi.

 

Je suis curieux de savoir. Ou alors en fait tu es d'accord et tant mieux je suis curieux de t'entendre aussi.

Je t’ai donc répondu ci-dessus.

 

Et par ailleurs : j'ai bien lu LA PEAU, et bien aimé, mais pas de choc esthétique personnellement, donc là aussi je serai curieux de savoir ce qui t'a touché. A très vite !

      Choc esthétique à cause de l’écriture de ce génial Malaparte. (Ce livre aurait dû s’appeler LA PESTE mais Camus était déjà passé par là). C’est surtout la forme qui impressionne dans LA PEAU. La qualité des dialogues, cette plainte lancinante contenue dans chacune des questions que Malaparte l’Européen adresse aux amerloques, ces précipités de brutalité qui ont pris ce qu’il y avait de plus brutal dans la brutalité de l’homme blanc.

      Le sujet évidemment, aussi. Lire que nos libérateurs américains se sont comportés comme des envahisseurs (vrai) est extrêmement rare (la scène de la vierge violée par les GIs noirs…la symbolique est d’une violence :  c’est la terre-mère qu’on assassine, c’est la figure maternelle qui est tuée, avec le culte marial en arrière-fond qui infuse toute l’Italie, la religion n’est d’aucun secours, démantibulée elle aussi). Qui, à part Malaparte, l’écrit aussi bien, voire l’a écrit tout court ? Et puis cette scène de l’irruption du Vésuve, quelle beauté ! C’est Malaparte qui a inventé le surréalisme magique, pas la Colombie. En plein milieu du conflit, la terre qui se mêle au ciel, à ses bombes, comme si la nature imitait l’art de la guerre et décidait de se joindre à la fête. Déflagration. Barbarie à l’état pur. La plus grande culture des temps modernes arrive à un raffinement si poussé qu’elle s’auto-détruit et tue sa civilisation. La nature reprend ses droits. Fin de tout. Parfois, je me dis que les immigrés sont des fossoyeurs : ils sont venus enterrer des cadavres – nos cadavres.

 

Ayant fini de lire LE DIABLE DU CIEL de Laurent Obertone, je reprends ce que j’avais écrit à propos d’Andreas Lubitz les mercredi 1er avril et 25 mars 2015.

 

Mardi 26 Septembre 2017 - Andreas Lubitz, le diable du ciel

L'homme qui voulait voir d'en haut – Le mercredi 1er avril 2015

      En 2006, Hans Magnus Enzensberger publiait LE PERDANT RADICAL sous-intitulé Essai sur les hommes de la terreur. Il identifie une figure pétrifiée dans le terroriste ou le tueur de masse. Une telle personne se sent vivre dans une position inférieure à celle qu’elle croit mériter.

Enzensberger écrit que tous les perdants ne sont pas des perdants radicaux. Leur radicalité vient d’une absence de remise en question ; la responsabilité de l’échec relève d’autrui. Rien n’est assumé. Tout est pris pour une brimade. Cela, ajouté à la haine de soi, s’enfle de la volonté de tuer avant de se supprimer. Le suicide est automatique chez le perdant radical : c’est la finalité de son entreprise terroriste. Il s’agit d’humilier ceux qui l’ont humilié en les empêchant de se venger. Le vengeur, c’est lui et personne d’autre.

      Le cas d’Andreas Lubitz est une extrémité qui en dit long sur son époque. Une déception amoureuse ; une bouille mignonne mais chiffonnée ; un caractère fragile de dépressif, donc impropre aux performances attendues d’un capitaine de la Lufthansa, avec la mise sous pression en découlant ; une hypocondrie chronique qui lui fait craindre la cécité – un comble pour un pilote ; une hypersensibilité ; des crises d’angoisse ; une existence partagée entre un appartement IKEA dans une ville impersonnelle et un lotissement péri-rural chez ses parents, à 28 ans ; bref : une vie plate et post-moderne, troublée par des rêves irréalisables et une maladie inavouable. Tout cela vous contrarie un homme ambitieux qui décide de ne pas comprendre pourquoi c’est tombé sur lui. La fatalité ? Connais pas qu’il dit. « Tu as refusé le tragique de la condition humaine » lui lance Obertone. Et quand même le sport à outrance (typique des grands anxieux) ne suffit pas, il dit n’en jetez plus.

      Un perdant radical est indétectable avant le passage à l’acte. C’est après coup qu’est déterminée la nature du coupable. C’est toute la subtilité de ce golem qui échappe à l’entendement donc à la prévention. Personne n’avait compris le pseudonyme skydevil sous lequel Lubitz s’affichait sur les réseaux sociaux.

Le crash de l’A320 de la Germanwings est un cas d’école. Tout procède de la geste du perdant, depuis les causes jusqu’aux conduite et motivation d’un assassinat prémédité. Et c’est dans cette préméditation que réside la barbarie. A celle-ci s’est adjoint un narcissisme morbide, uniquement motivé par le coup d’éclat. Un dernier moment de gloire en réglant ses comptes avec la société sur un échantillon de 150 personnes.

      Si le terroriste d’Enzensberger s’en remet à l’islamisme ou au nihilisme, assurément, Lubitz s’est choisi le narcissisme. C’est même sa culture parce qu’elle est celle de la civilisation occidentale. Dans LA CULTURE DU NARCISSISME, Lasch prédit que notre civilisation substitue la recherche de son reflet à la quête de soi. C’est l’erreur de notre Occident dont l’Histoire retiendra qu’il est un accident de civilisation, c’est-à-dire un moment accidental.

Le crash de la Germanwings n’est pas un incident mais la signature du présent. C’est un exemple et non une exception. Terreur : non. Horreur : oui. Et erreur : encore plus. Erreur parce qu’elle est celle de Lubitz qui est l’homme de l’erreur. C’est l’homme accidental par excellence. Le Narcisse si commun dans la vie qu’il choisit de devenir exceptionnel dans la mort où l’attend son image. Dans le noir, il distingue son même brandi par le miroir de la modernité. Alors qu’il se contemple dans le Léthé, Lubitz se rappelle pourtant qu’ « on se suicide pour exister » (Malraux).

      Lubitz est cet erroriste qui justifierait qu’on modifiât le sous-titre d’Enzensberger. Ce meurtrier n’est pas coupable d’un acte gratuit. Ce n’est pas un surréaliste, tout juste est-il tenu en respect par le besoin de s’éclater. L’erroriste accidental croupit dans l’éclate produite par le spectacle de lui-même. Il veut laisser une trace. Lubitz n’avait-il pas promis « que tout le monde se souviendra[it] de [son] nom » ?

      Connaissait-il Erostrate ? Il y a vingt-cinq siècles, ce Grec brûlait le temple d’Ephèse pour se rendre célèbre. Sartre lui consacra une nouvelle en 1936. Son histoire commence étrangement par celle de Lubitz : « Les hommes, il faut les voir d’en haut. »

 

Crash crash boom boom - Le mercredi 25 mars 2015

      Le crash de l’Airbus A320 de la Germanwings ne laisse pas de choquer. Quoi d’étonnant ? Destins brisés ; familles détruites ; incompréhension des proches piégés par la sidération.

Cependant, les médias s’agitent. Il ne faut surtout pas filmer les parents éplorés. La priorité au direct est décrétée et assurée par force micros. Sur place, on site, ceux-ci guettent pourtant les pleurs en feignant de ne pas déranger. Surprise sur prise ! Les reportages oscillent entre caméra cachée et film catastrophe.

SOCIETE DU SPECTACLE dirait le gland qui n’a lu ni compris Debord. C’est pourtant un slogand de circonstances, lesquelles promettent le divertissement nécessaire à notre civilisation qui excelle à remplir le temps. Elle a intégré qu’il est vain d’essayer de le tuer, alors elle le densifie.

      Je dis souvent que si le temps passe vite, il est dense en sorte qu’il dure parce qu’il passe dans beaucoup d’événements. Le fait raconté est le sucre de Bergson de l’information. Aux chaînes d’info continue, c’est là une inconsciente raison d’exister, devenue supérieure à leur mission. Si cette dernière est de tenir au courant, la finalité du continu est de tenir le courant du temps. Ainsi échappe-t-il moins au bob monde (ndla : je nomme ainsi le monde de l’entertainment généralisé), lequel dépasse sans le savoir les lamentations poétiques du passé qui réclamait aux heures de suspendre leur vol. Le divertissement aide à oublier la fuite des années. Qu’il soit devenu permanent est la victoire du bob monde.

      En négatif, subsiste l’orgie d’émotions que déclenchent les accidents comme le crash d’hier. Cette tragédie involue en sa propre satire à cause des commentaires. Les journalistes sont dépêchés sur les lieux. Troupe d’élite lancée par sa direction d’effroi-major, elle agace les côtés voyeurs de l’être humain. Son rapport d’information ressemble à une enquête. L’article factuel n’existe plus. C’est que l’image ne rend plus compte mais représente ce qui est ensuite interprété. Que penser de ce ministrel allemand qui parle de « la plus grande tragédie de l’Histoire de l’Allemagne » ? C’est faux. Son propos n’est qu’une traduction émue d’images assemblées au montage, et les bombardements alliés tuaient en une heure au moins autant d’Allemands que le crash. L’événement ne vit pas du désastre en soi mais de tous ceux qui entourent les cadavres : analystes, politiques, caméras. Il est humain de s’associer à la douleur des sinistrés mais il l’est encore plus de se détacher des commercants du malheur. Si les vautours ont bien une vertu, c’est celle de nettoyer, or en l’espèce, les journalistes salissent ce qui est mort. Il n’est pas possible de les comparer aux charognards. Ces derniers ajoutent l’horreur à la tragédie ; les bobs y ajoutent la farce, de sorte que ce sont des fourbes.

      Alors j’éteins ma télé, passé la première écoute. Je laisse ces types à leurs é-missions spéciales.

 

Jeudi 28 Septembre 2017 - Signes

      Je viens d’envoyer à Philippe C. un article de Laurent Alexandre à propos de la mort de la mort, sans l’avoir lu avant. Y est évoquée la noosphère dont je lui parlais justement avant-hier lors d’un déjeuner. Laurent Alexandre la rend synonyme d’une fusion des esprits. C’est une définition.

Yannick Le B., un cousin, m’avait parlé des Chinois et de leur gigantesque bibliothèque universelle, toute d’abstraction, qu’ils imaginent planer au-dessus d’eux. Les hommes piocheraient leurs intuitions dans cette sphère aux idées. Noosphère.

Ainsi s’expliquerait l’inconscient collectif mondial qui veut que, spontanément et en différents endroits de la Terre, aient surgi dans l’Histoire des langues, des religions, et des monuments similaires, aux presque mêmes moments. Les pyramides mayas et égyptiennes en sont les exemples les plus frappants ; il y a aussi ces mots à la sonorité identique servant à désigner la même chose dans les parlers inca et mongol - dont les zones d’apparition sont pourtant séparées par plus de 16000 kilomètres.

      Tout cela pour dire qu’il fallait, apparemment, que j’entretienne Philippe C. de la noosphère. C’était obligatoire. Cela devait arriver.

Ce hasard en fait de clin d’œil survient le lendemain que nous nous sommes quittés après avoir mentionné les signes, en bas des marches du RER à La Défense. Lui comme moi y est attentif. Nous sommes tombés d’accord qu’il s’agit probablement d’une épiphanie du divin. C’est surtout son interprétation à lui, qui est beaucoup plus croyant que moi. Quant à l’importance qu’il faut leur donner, nous partageons la même humilité : nous n’en savons rien. Nous ne les comprenons pas au-delà de la présence qu’ils signifient. Nous ne savons pas ce qu’ils nous disent, ni pourquoi nous sommes choisis. Un « Je suis là » peut-être ? Sans bruit, ils s’annoncent, et propagent le sentiment scorsesien que Dieu n’apparaît qu’en SILENCE.

      Dans son article, Laurent Alexandre parle d’un généticien transhumaniste nommé George Church qui travaille à la fabrication de bébés sans parents. Cet homme a tout de l’antéchrist aux yeux d’un Chrétien : en plus de jouer à être Dieu en parodiant son œuvre, il les travestit (lui et l’œuvre) jusque dans son nom, Church, église, donc. Il y a bien du sardonique chez ce prête-Dieu affublé d’un prête-nom. C’est toujours par l’imitation de ce qu’il veut détruire que le prince de ce monde agit. Et ici, il s’immisce dans un jeu de signes autour de la foi, sujet principal de nos récentes discussions avec Philippe C. Autre signe.

 

      Avant d’écrire les lignes précédentes, j’ai ouvert mon dossier Signes qui contient quelques notes. J’y avais inscrit qu’il fallait absolument parler du pollen à Yannick Le B. Ce cousin est médium, et il observe le monde et sa poésie, c’est-à-dire  les signes que je relève aussi. Sans doute me-sens-je obligé de lui raconter mon expérience propre.

      Ce n’était pas de pollen qu’il s’agissait mais de ces pissenlits fanés que le vent charrie. J’avais assisté à la fin du printemps à l’enterrement de la grand-mère de L. C’est alors que j’étais plongé dans mes pensées sur le seuil de l’église que je fus entouré de ces pissenlits blancs. Pour rire, je me suis dit que c’était le dernier au revoir de l’aïeule, d’autant plus que j’observe rarement de telles fanures. Il y avait une symbolique puissante, aussi, puisque ces fleurs mortes s’associaient au trépas d’un humain.

Elles me suivirent tout l’été. Chaque jour, j’étais visité par du dent-de-lion fané. Dans mon appartement, dehors, et même dans le vestiaire de la piscine. Incroyable. L. en fut la témoin également. « Je suis là ». Le phénomène cessa au seuil de l’automne.

 

Complément :

 

      L’article de Laurent Alexandre introduit dans son premier paragraphe l’historien Yuval Noah Harari parce qu’il vient d’écrire le livre HOMO DEUS. Je n’avais jamais entendu parler de ce personnage.

Peu de temps après ma lecture de l’article, un contact Facebook, un certain Cédric S. me parle spontanément de cet historien. La coïncidence ne m’émeut pas plus que cela.

Une heure plus tard, je débute la lecture d’une interview d’un spécialiste du néolithique que m’envoie un collègue. En plein milieu de l’entretien, je lis cela : Pour l'historien israélien Yuval Noah Harari, auteur du best-seller Sapiens : une brève histoire de l'Humanité, le néolithique est la source de tous nos maux…

      !!!!

      Reprenons : trois sources déconnectées qui sont un article, un contact facebook et un collègue me ramènent spontanément le même jour à Yuval Noah Harari. Hasard incroyable…Autre signe selon moi.

Il ne faut pas tomber dans la superstition, ni verser dans le new age hippie façon le monde est connecté, je suis d’accord ! Mais là, c’est comme si le grand tout s’était mis en branle au-dessus de moi pour que je devienne le point de concours de Yuval Noah Harari. Souvent, la découverte d’une notion amène à ne plus voir qu’elle et on a l’impression d’y être constamment ramené. C’est simplement qu’on y fait plus attention. Cela s’étend sur plusieurs jours - or en l’espèce, tout est advenu la même journée. Etrange.

      J’en déduis qu’il me faut lire HOMO DEUS. Happé par la noosphère, j’accepte ce qui semble être exigé de moi.

 

Mardi 03 Octobre 2017 – Poème

LES EUDEMONIAQUES

 

Séminaire. Ressource humaine.

Deux âgées ; et leur rituel

« Booster sa carrière. » Sereines,

Elles posent leur art femelle.

 

Rompues à ces clichés new age

De la pensée managériale

(Suc sec de bouddhisme teen age),

Pythies du peuple salarial,

 

Elles promettent le bonheur.

Elles sont les eudémoniaques.

L’optimisme comme valeur.

Et puis la cautèle maniaque.

 

Dire et faire, et non faire et dire.

Les conquistadors avaient-ils

Bavassé avant de partir,

D’agir, de sabrer dans le mille ?

 

Que non ! Ils fondaient sur le monde,

Tout de volonté de puissance.

Ils empoignaient la mappemonde,

Rendant le verbe à la violence.

 

Vendredi 06 Octobre 2017 – Commentaires sur Poème du Mardi 03 Octobre 2017

Charles S. :

Joli a ne pas mettre entre toutes les mains cependant.

 

Moi :

Pourquoi ?

 

Charles S. :

Certaines saillies peuvent choquer à mon avis.

 

Moi :

Elles posent leur art femelle.

Misogynie.

+

Les conquistadors

Génocide.

 

Oui…

 

Mais dans les deux cas, surtout le second, cela sert à secouer les poltrons modernes pour qu’ils boostent, ou que sais-je encore, leur existence, en osant : avec l’instinct, donc, et non en pseudo-préparant à l’aide de tisanes métaphysiques l’action qui, ainsi préparée, n’adviendra jamais. D’où l’amer : Dire et faire, et non faire et dire. Favoriser la dynamite de Nietzsche (« Je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite. »)

 

Lundi 09 Octobre 2017 - Reprise de la chronique Le temps des Eurydices du Mardi 12 Octobre 2015 - Texte envoyé au CGB

Note :

Accidental : néologisme qualifiant l’accident de civilisation qu’est l’Occident moderne, autrement appelé : bob monde, ou donc : monde accidental.

       C’est Homère, avec Ulysse, qui invente la nostalgie. Elle est primale. Il s’agit de revivre son passé dans la réalité. Ulysse se souvient moins qu’il ne revient. La fable en raconte l’histoire.

La nostalgie par le souvenir lui succède. Considérer son passé appartient au temps orphique, c'est-à-dire au temps légué par Orphée dont le mythe estime que s’arrêter pour se remémorer dessille celui qui préfère s’illusionner. Le retour des ombres n'est pas possible : ce qui l’est, c’est de se retourner sur elles. Les aviver n’est permis que par le recueillement. Alors la fable ne suffit plus, il faut une abstraction supérieure pour ne plus seulement toucher les corps, mais atteindre à l’âme : c’est la poésie. Elle ouvre chez les Grecs la voie à la musique qui prononce en notes ce que disent les mots. Le verbe succède définitivement à la parole.

A l’échelle d’une civilisation, donc d’une psyché plurielle, la poésie devenue musique accouche de la geste littéraire qui elle-même crée l’Histoire.

      Tout cela, le moderne l’appelle un bilan. Qu’il soit individuel ou gouvernemental, il y a un bilan qui traîne. Il y a désormais chez chacun la promesse d’un état des lieux. Un compte-rendu sur soi-même est sinon une obligation, au moins une nécessité. Il s’agit de se créer un moi optimal qui barycentre des « points positifs et négatifs ».

Il est étrange que le souvenir, auquel se refuse notre temps-de-l’oubli (synonyme de l’instant-réduit-au-présent), apparaisse chez le moderne. C’est pourtant le cas. Il ressemble à un rappel à l’ordre, à un rassemblement même, tout militaire, au cours de quoi sont convoqués les « événements marquants ». Sont subitement ignorés les slogans-en-avant et leurs injonctions à foncer. L’avenir égale le présent et soudain, on se rend compte que les deux ont à voir avec le passé.

Alors le moderne parle de crise : crise de la trentaine, crise de la quarantaine, crise de la cinquantaine, tout coule en décennies. Dans un monde où le chiffre s’est substitué à la lettre, l’homme se confie aux statistiques. Ce sont elles qui lui expliquent pourquoi il va mal et quand il ira bien. Elles creusent dans les entrailles de l’économie d’où elles tirent une métaphysique de prisu. « La crise nourrit la crise » disait-on après 29, et on y croyait. On tenait un haruspice. Il sommait les muets de parler : les humains, ces variables d’ajustement. La stat a révélé l’économie à l’homme ! On ne prie plus qu’elle avant que ne tombe la crise de la crise qui est la mort elle-même.

Ces crises jalonnent un parcours qu’elles sanctionnent de récapitulatifs. En France, ce sont des plans bi-quinquennaux qui font basculer l’humanité accidentale dans l’andropause au terme d’élections bidons. Hollande, ce bonhomme ménopausé qui fraternise dans la graisse avec ce pourceau de Merkel...

Mais ici ou ailleurs, ce n’est plus le regard qui est sollicité depuis qu’Orphée est mort. Partout, il est tué par le blabla. Partout, c’est la revanche de la parole.

      Par cette conversation avec son passé, le monde accidental initie son introspection.

L’homme s’ordonne au temps freudique qui a succédé au temps orphique. L’homme s’abîme dans l’analyse. Des heures durant, seul ou accompagné par un charlatan, il pose ses fesses sur un canapé et déblatère sa frousse de la nostalgie qu’il anticipe. Et il parle et parle et parle sans plus rien voir ni regarder que soi. Ici, il concentre l’actualité sur lui, et là, il confond la sienne avec la générale. L’Histoire devient histoire comme d’une projection à un stade inférieur. L’Histoire de tous s’atrophie dans l’histoire de chacun, via quoi elle est évacuée du temps. C’est le retour à la fable, ce qui n’est pas incohérent avec l’idée que les analysés et les analystes sont des affabulateurs. C’est une contrefaçon du retour en arrière, justement. Mais aujourd’hui que la musique est devenue du bruit et qu’on appelle ce bruit de la poésie, il faut placer cette contrefaçon sous le mot de décadence. Le retour confine à la régression. Le balancier n’obéit pas aux lois du pendule mais à celles de la chute. Le temps freudique suit la logique inverse du temps orphique. Il l’annule en le ramenant à son point de départ où l’art oral n’existait pas. Car ce qui se joue dans ces contractions du moi, c’est la fin de l’abstraction. De sorte que c’est l’art tout entier qui est soldé au même prix que l’Histoire. Le mouvement, qui est de repli, répond parfaitement à l’exigence accidentale de « bouleverser les codes ». Les accidentaux œuvrent à ce que le chambardement soit total au point de contaminer n’importe quel domaine de l’esprit.

En littérature, par exemple, que je connais bien, cela conduit à l’autofiction et à son cortège de névroses. Les scribouillards qui décident à la suite d’une crise de « narrer » leurs frottis de cabinets, démolissent et la littérature, et l’idée même de la nostalgie. Ce sont des décadents, pire : ce sont des morts. Ce sont des Eurydices qu’il ne faut plus fixer. Mais cette fois, ce sont elles qui ont tué Orphée. Elles nous regardent. Voici venu leur temps.

 

Lundi 09 Octobre 2017 - Reprise de la chronique L'âge du polémolithique du Vendredi 24 Avril 2015 (inspirée par le film GOOD KILL)

(J’étais sorti la veille de l’excellent film GODD KILL avec Ethan Hawke. Je me souviens d’avoir imaginé ce texte pendant que je le visionnais. J’ai déjà parlé de ce film dans mes récits de voyages que j’appelle Agendas. La scène du casino de Las Vegas où un pilote de drone maugrée en boucle « End of civilization » est si marquante que je m’y réfère souvent à l’écrit et en pensée).

 

      « Finalement, c’est la frontière entre l’état de guerre et l’état de paix qui disparaît, puisque les guerres ne font plus l’objet d’une déclaration en bonne et due forme, et qu’elles se poursuivent une fois que les armes se sont tues, par le biais des diverses formes de « réparations » ou de « rééducation » des populations. » Cette phrase d’Alain de Benoist rappelle ce que Steinbeck annonçait après sa couverture de la guerre du Viêtnam : « la politique est désormais la prolongation de la guerre par d’autres moyens ». On reconnaît l’inversion de la phrase du polémologue Clausewitz mais ce n’est pas qu’une simple pirouette. Steinbeck note dans les années soixante que la guerre pénètre tant la polis que celle-ci en devient l’extension permanente, voire l’instrument. Selon lui, c’est ce qui signale le basculement dans la modernité.

      Ses DEPECHES DU VIETNAM sont de beaux mémoires de guerre. Parti en Indochine en tant que reporter, il y raconte ses journées en territoire Viêt-Cong aux côtés de GIs hallucinés. Il passe au Cambodge et en Thaïlande où il impressionne par sa capacité à saisir la totalité de l’Indochine en à peine quelques semaines. Sa femme est de la partie, ainsi que son fils qui est un marine. Le protéger à distance, comme si la présence du père vibrait d’une mystique maternelle, n’est pas la moindre raison d’un voyage entrepris à soixante ans. Mais peu à peu, elle s’efface devant l’Histoire. Grand classique du coin : l’Américain succombe au mythe de l’écrivain occidental tout aux charmes de l’Asie. On pense à Pierre Loti et à Claude Farrère. Moite et folle, la terre du Mékong vit de sa guérilla : insaisissable comme les soldats d’Ho Chi Minh planqués dans leurs tunnels, elle est impossible à arpenter. Alors Steinbeck surplombe le front de jungle depuis les hélicoptères dont il apprécie la maniabilité et les pilotes habiles. Puis c’est l’homme qui domine le ciel par la technologie lorsqu’il entend la rumeur des mitrailleuses embarquées.

D’abord convaincu du bien-fondé de l’intervention américaine, le Californien sort de l’aventure meurtri dans sa chair et dans sa foi. Il mourra bientôt. Ses dépêches seront son dernier opus. A l’issue de son reportage, s’il continue d’admirer la force des armes et le courage GI, il respecte autant le Viêt-Cong qu’une Indochine qu’il tient en haute littérature.

Des paysages hypnotiques, Steinbeck a tiré de profondes réflexions sur l’avenir de la guerre et celui du monde qui sera en proie au conflit total. Total parce que international : depuis la guerre du Pacifique qui s’est poursuivie en Corée, les USA peuvent se projeter dans l’instant en n’importe quel point du globe ; mais surtout parce que le conflit moderne touche les sociétés entières, des civils aux militaires (ce qui n’est plus nouveau depuis la Première Guerre Mondiale) en s’adjoignant les artistes et les médias d’image (ce qui est la nouveauté du Viêt-Nam).

Dans le film APOCALYPSE NOW, les marines dansent sur le Mékong au son des Rolling Stones. Zéro satisfaction ailleurs que dans cet instant culte où la politique s’annule dans la guerre. C’est bien celle-ci qui réclame une politique que toute une « culture occidentale » s’empresse de lui servir en continu et en chanson. L’art de la guerre doit être compris comme l’art au service de la guerre, c'est-à-dire qu’il n’est plus une fin mais un moyen. La guerre n’a plus besoin de stratèges mais de pitres. Charge leur incombe de communiquer. Au bruit des armes s’ajoutent donc ceux des guitares et des batteries nécessaires à l’impérialisme festif. En aval, la télévision introduit les batailles par un jingle.

Plus tard, le film GREEN ZONE montre un lieu sécurisé au beau milieu de Bagdad. Cette fois, les soldats s’ébrouent dans une piscine sur fond de musique de boîte de nuit. Ils font de la musculation et biglent des bimbos de clip RNB. Ils patientent avant d’aller dessouder des Arabes à la façon d’adolescents en rut. Comme la politique qu’elle instruit, la guerre occidentale ressemble à un spring break.

Que « la politique est désormais la prolongation de la guerre par d’autres moyens », la société d’ISIS la peste en est une parfaite illustration. Le terrorisme y est un principe d’état qui s’exporte via ses kamikazes festifs : ces erroristes1 éclatent plus qu’ils ne se font éclater. Il n’est que de voir les faces réjouies des djihadistes en train de brandir les têtes qu’ils viennent de trancher. Il existe une photographie d’un barbu tout sourire en train de tenir par les cheveux la tête d’une Kurde coupable d’avoir tué cent de ses frères pour défendre sa communauté. Le type est bien mis, tout beau tout propre, presque écolier, pas sauvage pour un sou, or c’est précisément ce qui le rend barbare : le raffinement mis à photographier sa joie, après avoir tué, établit le recul de l’humanité au stade de ses instincts. Le soldat est l’enfant islamiste de la guerre festive. Il est pareil à ses petits copains qui mettent en scène une pornographie de l’assassinat au moment d’étêter leurs prisonniers. En direct. Ces images et ces selfies servent autant une propagande qu’elles créent l’idée d’une mort esthétique qui serait supérieure à la vie. La mort devient une fête et c’est celle-là qui  est désormais la prolongation de la politique par d’autres moyens.

En Europe, règne une guerre des mœurs qui investit la politique par ses chansonniers rigolos. Je pense à Conchita Wurst ou aux Enfoirés. Car la France n’est pas en reste : patrie des droits de l’homme, elle s’émeut au souvenir de la racaille de 1789 par quoi s’est larvée sur le territoire une guerre civile qu’explique Richard Millet dans ses chroniques commencées en 2015. En leur nom, des droits de l’homme, la guerre des mots commande une politique de l’erreur mentale qui braque les intelligences. Principe universel et déclaration européenne de 1948 obligent, c’est l’UE-US qui croupit dans cette philosophie. Partout, s’étend un errorisme moral qui fabrique ses erroristes mentaux. Errant parmi les ombres, ils sont les radicaux libres d’une société dont l’atomisation est renforcée par l’urgence du coup d’éclat permanent.

Louis Pauwels parlait en 1986 de sida mental contaminant les esprits. Ces derniers s’unissent à l’international via un idiot télé rompu à la guéguerre cathodique ; par un pisse-copie que la critique qualifie d’engagé ; par un haut dirigeant qui viole une femme de ménage ; par un taré de DAESH ou son envers, l’énervé de l’acte selfie qui est Lubitz, Breivik, Merah et Coulibaly à la fois.

Cependant, la guerre par les armes existe aussi par l’UE-US qui milite pour la démocratie sous les bombes. Irak, Afghanistan, Libye et Corée et Viêtnam avant eux – tous pays mis à la panade polémocratique, cette démocratie militaire que ses oxymores bouffissent d’imposture. Et toujours, les artistes à neuneu et le chœur médiatique menant l’effort de guerre culturel afin d’ancrer les opinions à leurs idéaux. C’est BHL en coryphée qui piaille LIBERTE. Et les drones assurent le sale boulot moyennant des « frappes chirurgicales ».

 

  1. voir ma chronique L'homme qui voulut voir les hommes d'en haut sur Andreas Lubitz. L’erroriste est l’homme de l’erreur qu’il se pardonne d’avance. C’est Julien Sorel : toujours cette tentation de justifier sa médiocrité par le carcan imaginaire de la société .

 

Mercredi 11 Octobre 2017 – Méditations en réunion

Once more into the fray

Into the last good fight I'll ever know

Live and die on this day

Live and die on this day

In le film Le territoire des loups.

 

***

 

On rit, on se baise, on déjeune…

Le soir tombe : on n'est plus très jeune.

Vers de Paul-Jean Toulet.

 

      Vieillir est l’aberration la plus brutale de l’existence. C’est d’une violence. La vie contient ses propres contradictions : si belle au point qu’on la voudrait infinie, mais si laide qu’elle s’arrête après s’être infligé les ravages du temps. Odieux. C’est une blague métaphysique que les écrivains du XXème siècle ont parfaitement intégrée. Les critiques parlent de littérature de l’absurde. Précisément. La vie est absurde. Quelle infamie ! Vieillir...

      On peut lutter : sport, chirurgie, botox, maquillage, fard ; mentir : faire croire qu’on a 27 ans quand on en a 35 ; croire : Dieu, la parousie ; espérer : le transhumanisme tuera sans doute la camarde et anéantira la sénescence - mais en attendant : on vieillit toujours de vivre. Le sceptique ne peut jurer que le jour succédera à la nuit, mais le probabiliste assure que la mort suivra la vie. « La vie, ce pétard de feu entre deux obscurités infinies » écrivait Jack London dans LE LOUP DES MERS.

      J’ai toujours en tête ce livre de Paul Nizan : ANTOINE BLOYE.

Bloyé comprend qu’il est crevé à soixante ans lorsque plus personne ne le remarque dans la rue. Invisible, il comprend qu’il est déjà fini, foutu, périmé, mouru. Un déchet. (On l’enterre peu de temps après). En bon compagnon de Sartre, Nizan lie la prise de conscience de n’être plus à la théorie du pour-autrui selon laquelle l’homme n’existe et ne trouve son identité que dans le regard de l’autre. Attendu que l’existence précède le tout, sa disparition entérine le néant – le non-être chez Sartre.

      Par instinct, je crois le contraire : c’est l’essence qui prime. Et je me contrefous de savoir si c’est un humanisme. A la limite, j’assume un total égoïsme. Mais ANTOINE BLOYE accompagne systématiquement mes méditations sur le temps qui passe. Et lorsque je me promène et que je vois les femmes ou quelque pédale m’aviser d’un coup d’œil bien senti, je me dis que je suis vivant. Je suis encore là, pas hors-jeu pour un sou, et je pense : « Allez tope-la Antoine, toi et moi allons encore bien emmerder la mort. Et pour longtemps. »

 

      ARTE diffuse demain soir à 23h45 LES PARTICULES ELEMENTAIRES. C’est un film allemand inspiré du livre de Houellebecq. (Déjà visionné sur Youtube). Critique de TELERAMA : L'incarnation forte apportée par les comédiens (...) atténue peu à peu la désespérance de ce qui nous est montré. Ils détestent plus la réalité brandie par Houellebecq que le film, chez TELERAMA.

      C’est Cioran qui disait que celui qui regarde le réel en face est un monstre parce qu'il est sorti de l'humanité. Ce qui présuppose que l'humain est incapable de soutenir le réel : de voir ce qu'il voit, en fait.

      J’en viens à la plus vieille question philosophique : la réalité est-elle réelle ? La réponse, au sens de la physique quantique, est non. La thermodynamique, qui a révélé l’entropie, certifie aussi que la réalité cache un réel différent de celui qui est visible : un métal possède une odeur parce qu’il n’est dans le fond qu’un corps en équilibre thermodynamique avec sa phase solide (visible) et gazeuse (invisible). Un peu d’entropie en plus (par un choc qui engage au désordre), et la matière entre en état de sublimation permanente et disparaît. Elle vieillit. Elle périme. Elle se meurt. La puissance de la science ! Il n’est de bonne littérature sans connaissances physiques !

      La réalité est-elle réelle ? est la question qui a le plus apporté à l'homme (il arrive que les questions soient plus importantes que les réponses) : la science, l'art, bref, tout ce qui interroge le réel. Le cinéma est vraiment l’art qui joue avec cette question.

      Le monstre de Cioran fait rire ou pleurer. Au cinéma, dans son état gazeux révélé par teinture d’image, on en rit. Dans la vie, on en pleure. Mais toujours, le rire est tragique. J’ai souvent pensé que le pleur produit la même sonorité que le rire, et que chez certaines personnes, on peine à les distinguer. Des gens qui apprennent la mort d’un proche commencent par rire, et leur rire s’effondre dans les pleurs de façon continue, comme choqué par une entropie annexe. Ceci ne manque jamais de m’étonner – et de m’effrayer.

 

Vendredi 13 Octobre 2017 – Neuilly-sur-Frique

      Il y a dix jours, un samedi, dans les douches pour Hommes de la piscine de Neuilly-sur-Seine, je suis tombé sur un noir. Physique africain : cascade abdominale, épaules marmoréennes, bras paysans, jambes et cuisses de sprinter. Agglomérat de muscles et de souplesse. Le tout surmonté d’une tête aussi large que longue, avec deux yeux ronds qui roulent. Il semblait perdu mais pas angoissé. Il m’a paru qu’il découvrait un lieu merveilleux, mais qu’il ne s’en étonnait plus parce que maintenant, c’était chez lui. Il donnait l’impression de se réjouir de son nouveau chez soi, à la façon d’un étudiant qui viendrait de passer de sa chambre de bonne à son F2 de cadre dynamique.

      Le noir venait de débarquer d’Afrique. Parce qu’il était tout propre, il aurait pu faire illusion à condition qu’on n’ait jamais entendu parler des migrants. Mais c’en était un, de migrant, pour sûr, et un récent : il avait encore la même trogne que les ahuris qu’on aperçoit dans leurs embarcations au JT de France 2. Le même regard imbécile que piègent des orbites écarquillées. Le même français douteux quand il me demanda pour actionner le jet d’eau. Et la même allure nonchalante de celui qui ne comprend rien, mais ne s’en trouve pas plus mal, heureux, car il lui en faut peu.

      Après l’avoir observé, lui et moi fûmes rejoints par deux blondinets. Pas plus de six ans. Tous deux très bel enfant comme on dit. Le noir mit deux bonnes minutes avant de s’en approcher. De sorte qu’avant qu’il les frictionne, je n’ai pas réalisé qu’il les connaissait. Il s’en occupait, en fait, et voir ces têtes blondes entre les mains de ce grand noir avait quelque chose de cocasse et de malaisant à la fois. D’autant que les garçonnets affichaient un air absent, acceptant l’étreinte par sens inné des hiérarchies (sociales, pour commencer), et en même temps, ils étaient non pas fâchés, mais contrariés, comme s’ils pigeaient d’instinct que ca n’allait pas. « Il n’y aurait pas un truc qui cloche ? » disait leur moue. Un homme qui pelote deux bambins…Ce spectacle me gênait autant qu’eux. Je pensai que c’était étrange ; bizarre ; carrément surréaliste.

      Un homme de cinquante ans arriva peu après. Haut, racé, un sportif (quoiqu’à la panse molle).  Il se rinça plus loin. Je compris aussitôt qu’il était le père, ce qui me fut confirmé lorsqu’il tança les garnements excités. Sa parole avait autant d’autorité que les doigts fermes de l’Africain.

Ce dernier était donc l’homme de maison : à la fois nounou et baby-sitter, et l’homme de main : bricoleur si j’en crois sa force apparente, et domestique (rendait-il service à la mère devenue une femme délaissée ?). Mais surtout, il servait de bonne conscience à une famille bourgeoise de Neuilly-sur-Seine qui, en l’engageant sans doute sur la base de sa foi chrétienne, avait commis une bonne action. Riches, donc méchants, de droite, à cause des impôts, les parents tenaient la preuve de leur humanisme et un passe-outre la critique gauchiste. Ca y était, ils étaient gentils. Ils auraient préféré confier leur progéniture à une femme, parce que c’est plus sain, mais comme il n’y a de migrants que d’hommes, ils n’ont pas eu le choix. Et puis ce n’est pas cher, un migrant, c’est plus avantageux qu’une Philippine défiscalisée, pas besoin de le déclarer, lui. Un esclave ? Mais vous n’y pensez pas ! Tant qu’ils s’y retrouvent niveau portefeuille, ma foi, je n’ai rien à dire. Sous-hommes que ces louis-philippards.

 

Mardi 17 Octobre 2017 – Deux observations

      Je dînais la semaine dernière avec un ami. Seize ans qu’Ant. et moi nous connaissons. C’est un cadre supérieur qui travaille dans une start-up dédiée à l’énergie. C’est un polytechnicien, un type intelligent, fort en sciences et en humanités. Mais ce n’est pas important, ce qui compte est qu’il a toujours fait des choix en fonction d’une vision claire de ce qu’il attendait de lui et du monde. Il a entrepris, échoué, il a donc parié et perdu. Mais jamais il ne s’est démonté. Il est devenu l’un des dirigeants de la boîte qui l’avait engagé en 2014 sur la base de son QI, de son entrain et de ses expériences. « Un parcours de terrain » comme disent ces idiotes de RH, et toujours cette joie de tenter.

      Comme beaucoup de Français depuis 1789, il se prend pour un citoyen, de sorte qu’il est politisé et que peu s’étonneront qu’avec un tel CV, il adore MacRon. Il le trouve brillant, et forcément « smart » comme on dit maintenant. Je ne l’ai pas contredit. J’ai déploré que MacRon ne prenne pas le taureau de l’immigration par les cornes, ce dont Ant. s’est ému, ne voyant pas le problème. Après que je lui ai fait part du risque que sa fille soit voilée à notre âge (dans 32 ans, donc) à cause de la mathématique démographique (ai-je évoqué le Grand Remplacement ?, je ne sais plus), il s’est ravisé, et a admis qu’il est gênant que les Français blancs deviennent minoritaires chez eux. Il déménagera bientôt d’ailleurs, parce que les boulevards des Maréchaux sont par trop HLM-isés, « y’a que des voilées ! » me dit-il, et qu’il ne veut pas que son enfant ne soit qu’avec des noirs et des arabes en classe. Je comprends parfaitement.

      Ant. compte donc s’installer au cœur de Paris. Bunker ou ghetto ? « Les deux ». Mais il n’en démord pas : il croit, pour commencer, que la masse maghreb-africaine, musulmane ou pas, sera pacifique, « tranquille » a-t-il dit, et que les récents actes terroristes ont été perpétrés par une minorité (ce n’est pas un argument, mais pour Ant., si) ; et pour finir, me demandant qui sont les dirigeants aujourd’hui, politiques ou du CAC, et constatant avec moi que ce sont essentiellement des blancs, Ant. me certifie que ce sera toujours le cas - que nous tiendrons les rênes. En gros, une masse serve « tranquille » ébouera pour une élite blanche aux commandes : pas faux, c’est ce qui se passe. Il s’agit d’un proletarius sous-traité par les ethnies allogènes. On a vu où cela a mené les élites romaines. Bref, Ant. a obtenu son brevet de macronisme après que je lui eus maïeutiquement tiré les vers du nez.

 

***

 

      Avec l’affaire Weinstein, les journalistes ne parlent plus que du harcèlement. Sur hihiTélé ce matin, l’aréopage réuni par Pascal Praud relevait qu’ « en France ce sont les immigrés qui harcèlent dans la rue ». Leur rapport à la femme n’est pas le même qu’en Occident, de sorte que les musulmans ne savent pas se tenir. Je ne me suis pas étonné qu’enfin la télé dise la vérité, surtout avec Praud qui est en passe (vous verrez) de passer du côté obscur : je ne donne plus cher de sa peau, il sera bientôt classé dans les nouveaux fascistes, ou les néo-réactionnaires, bref, un truc dans le genre. Une pisseuse en concevra un bouquin à la prochaine rentrée littéraire. Sans doute Praud tient-il son sens du vrai du monde sportif, d’où il vient, et où les notions de force, de race, de génétique, de supériorité ne sont pas condamnées, au contraire, il y importe de sélectionner et de trier, donc de ne pas se tromper. Or pour cela, il faut dire ce qui est. Le sport est fasciste, oui, comme le réel.

      Il y eut une seule personne pour déplorer « la stigmatisation des immigrés ». Une femme. « Je suis choquée par vos propos, par ce que j’entends ! » à quoi Praud répondit que « la réalité est choquante ! ». « Oui mais il n’y a pas que les immigrés qui harcèlent, ca existe dans tous les milieux. » Praud : « Oui, mais dans la rue, ce sont les immigrés ! A-t-on le droit de dire ca ? Ou n’est-il possible que de taper sur le mâle blanc ? » La femme manqua s’étouffer. J’aurais, à la place de Praud, ajouté qu’elle est mal placée pour parler du harcèlement de rue parce que vu son physique, elle ne doit pas se faire draguer : le plus vilain clandestin n’en voudrait pas.

Ce sont toujours les gros tas qui défendent les noirs et les arabes, du reste. Il y a toujours un boudin, grande vache avariée, pour les protéger du réel. La rue montre souvent des couples mixtes composés d’une blanche obèse et d’un bougne athlétique, de sorte qu’une ligue des laides est en train de se créer spontanément pour protéger les hommes qui acceptent de les baiser. Ils ne les harcèlent pas, mais les sautent : donc ils sont gentils (ils répondent à la définition qu’elles se font de l’homme). Evidemment, les Weinstein ne veulent pas d’elles : eux ont accès aux beautés délicates. Dans leur cas, les grosses n’hésitent pas à taper dessus, animées d’une haine sincère mais aussi d’un zeste de rancœur : bouffées par la haine de soi, les grasses féministes reprochent aux blancs (à tous les blancs) de ne pas les désirer, donc de ne pas les harceler. Elles pardonnent aux crasseux parce que eux les baisent. Ce sont leurs esclaves sexuels, et si Weinstein est un porc, elles sont des truies.

 

Jeudi 02 Novembre 2017 – Un mot sur la gentillesse

J'ai fait de moi ce que je n'aurais su faire,

et ce que de moi je pouvais faire je ne l'ai pas fait.

Le domino que j'ai mis n'était pas le bon.

On me connut vite pour qui je n'étais pas, et je n'ai pas démenti et j'ai perdu la face.

Quand j'ai voulu ôter le masque

je l'avais collé au visage.

Quand je l'ai ôté et me suis vu dans le miroir,

J'avais déjà vieilli.

J'étais ivre, je ne savais plus remettre le masque que je n'avais pas ôté.

Poésies d'Alvaro de Campos, Bureau de tabac - Fernando Pessoa

 

Hypocrisie : faux-semblant ; vient du théâtre antique dont les acteurs, masqués, faisaient semblant.

 

      A Isa, une amie qui me disait avant-hier soir que j’étais gentil parce que je lui posais des questions, ce qui signifiait que je m’intéressais à elle, je répondis qu’elle prenait ma curiosité pour de la gentillesse, et qu’il s’agissait de pudeur parce que je n’aime pas parler de moi : dans le fond, je me protégeais de sa curiosité à elle, et de ce qu’elle appellerait sa gentillesse. J’ajoutai que pour beaucoup, je ne suis pas gentil, mais égoïste, dur, et pas facile (ce qui est faux : on peut être rien de cela sans être gentil). Question de point de vue, mais surtout question de savoir ce qu’est la gentillesse. Et même : de savoir si la gentillesse est.

      Je crois que la gentillesse n’existe pas vraiment. Elle cache toujours une vérité plus ou moins avouable, au point qu’elle est parfois mensonge, souvent hypocrisie : toujours fausse, en fait. La gentillesse est un mot fourre-tout qui englobe les attirantes émotions de surface sous laquelle des lames de fond tournent dans les abysses du caractère. Les émotions de surface séduisent, alpaguent, amènent à soi, et sont en cela pareilles aux sirènes qui vous veulent du mal. La gentillesse est trompeuse, je le dis tout net. Sans doute que les « potes » d’Isa sont-ils plus sincères que moi : égoïstes, égocentriques, tournés vers eux uniquement, selon Isa, bref : pas gentils, tout ce qu’on veut, mais au moins ne mentent-ils pas, eux. Peut-on dire qu’en cela ils sont gentils ? Si la gentillesse est une humeur-sirène, les « potes » d’Isa sont des rochers. Bien visibles de tous. Ne s’y fracassera que le quidam prévenu. La gentillesse n’avertit pas qu’elle se dérobe, et une fois connue la nature qu’elle cache, celle-ci fait plus mal que si elle n’eût jamais avancé masquée. C’est cela : la gentillesse est un masque. Faut-il croire que les vrais gentils se sont collés dessous pour toujours ? – qu’ils n’ôteront jamais le masque ?

 

Vendredi 03 Novembre 2017 – Mots pour moi

Piscine Jacqueline Auriol – Paris 8ème – Jeudi 02 Novembre 2017

      J’ai revu An. hier soir à la piscine de la ZAC Beaujon. Je la croisais en soirée autrefois, de 2011 à 2015, du temps que je fréquentais le groupe d’Isa. Laquelle m’en a reparlé mardi.

An. a déjà divorcé au bout de deux ans de mariage ; mister Q. s’est fait jeter, avec sa bouille d’enfant vieux ; An. s’est retrouvé un jules, et continue de se faire manger par la trentaine.

C’est étrange mais la vie veut qu’Isa et son entourage m’approchent au moment de l’automne. Invariablement, depuis septembre 2011, j’appartiens à leur société à partir d’octobre. Existe-t-il des conjonctions astrales périodiques qui lient, délient puis relient les humains en fonction de leur révolution ? De même que la lune origine les marées en attirant puis répulsant les océans, les corps célestes agissent sur nous comme si nous étions des atomes. Non ?

      Soirées en appartement haussmanien. Les meilleures, pour le côté tribal et rassurant du clan qui vous pousse les femmes dans les bras trois fois plus vite qu’en boîte de nuit. Lorsque An. et moi nous rencontrions, elle me taquinait à la manière d’une fille qui voudrait bien que. Devant son mari, en plus. A coups d’index sur le front et de « ho mais il est mignon lui ». Elle minaudait. Souvenirs que je me suis remémoré avant de m’endormir, hier, avec une nostalgie compliquée d’amertume. Je n’ai pas vu le temps filer. Je n’ai surtout rien compris à son film.

An. m’intriguait un peu et phosphorait au panthéon sentimental dont on se dit « j’aurais pu, mais non. »

      Après l’avoir désormais surprise en maillot de bain, ne reste que le « mais non », voire le « non » brutal. J’avais en tête une fille mignonne, mais la semi-nudité provoquée par son une pièce a révélé des jambes gourdes, des cuisses mal embrochées, et des poches grasses sous les fesses. La tise, ca. Et les assiettes de charcut’ partagées entre copines. Son buste fin jure avec le bas. Dysharmonie. A ce niveau, c’est un drame.

J’ai pensé que j’avais bien fait de m’en tenir au « j’aurais pu ». Nous avons fait mine de ne pas nous reconnaître, certainement parce que les douches mixtes d’Auriol créent une promiscuité bizarre en forçant à se laver devant les bassins. Le côté exhib interdit les retrouvailles, et encore plus à Paris dont les femmes confondent drague et politesse, qu’elles soient belles ou pas. Et puis avec An., il y a ambiguité. J’ai avisé ses regards par en-dessous, attirée qu’elle était par mon corps athlétique. Je crois même qu’hier, j’étais resplendissant de santé. Je dis souvent que je n’ai pas l’âge de mon état civil, que je suis plus jeune, et je parle aussi bien de l’esprit que de l’enveloppe dont la forme cardiaque et musculaire lui donne 25 ans. J’ai nagé 3km200 en 47 minutes, et je ne me suis arrêté que parce qu’un dîner avec Paul m’attendait : j’aurais pu accomplir 2km de plus. Le temps passe mais n’a pas de prise.

      Je suis retombé sur An. aux sèche-cheveux. En robe c’était la jolie parisienne sûre de son fait : quelle arrogance. Et quelle arnaque. Quel mensonge que la mise. C’est aussi valable pour les hommes dont le chic rattrape le corps mou, flasque, ravagé par la paresse du sédentaire. Et par le temps qui corrompt tout. C’est lui qui empêche : on naît en ayant tort.

J’ai lors pensé à L. Elle en jette en robe, c’est évident. Mais surtout à poil. Il faut dire que je lui ai toujours certifié qu’elle avait une génétique forte et qu’elle ne devait pas la gâcher. Au boulot ! Je traque le moindre défaut. Elle m’a écouté. D’abord agacée, voire carrément énervée par mon comportement de tyran (que je corrige en fasciste) elle m’en remercie maintenant. Toute ferme et lisse. Ha ! La discipline !

      Yann, mon collègue breton de 25 ans que j’ai formé à mon métier de financier de 2016 à 2017 (garçon remarquable), me dit : « je ne partage pas ton comportement mais je le comprends. Ta vie n'est pas simple à chercher le meilleur possible. Le Beau, le Vrai. C'est noble et tragique. » Oui Yann, ca me bouffe.

 

Vendredi 03 Novembre 2017 – Mes anars de droite_1

J’entame une série consacrée aux anars de droite.

 

      Hier, je me sentais accompli. Homme total. Esprit au diapason du corps. A une forme physique éclatante s’est ajouté le soir, au moment de dîner avec Paul, une souplesse intellectuelle épatante. Ces moments sont rares. Dopamine, endorphine, testostérone à plein, chimie du fort : j’étais en transe. Cocktail ! Ragaillardi ? Rajeuni ? Quel mot convient ? Curseur mâle alpha à 100%. Mélancolie annulée. Les carnassiers doivent être tout le temps comme ca. Les Fitzcarraldo de ce monde, j’entends, pas les requins d’entreprise que j’exècre.

      Mais je me disais que si j’étais constamment branché sur influx continu, sang rouge et bouillant, je réussirais dans tous les domaines : ceux qui me tiennent à cœur, et ceux que je conchie. N’était cette acédie qui me saisit parfois, je ne serais pas empêché par cet autre de moi. Cet autre de moi, oui, cette partie qui me retient, me limite, et me livre à l’effroi. Cet autre de moi torpide. Je suis mon propre ennemi. Y-a-t-il une drogue qui soit un alpha-bloquant ?, capable de suspendre l’état alpha de l’être, afin de maintenir la stase de la rage. L’omega du vainqueur. L’équilibre de l’homme total. Vibrionnant. Pétulant. Coruscant. Explosif. Brillant. Le tueur d’hommes partiels. Le briseur d’hommes parcellisés que le cosmos marchand veut imposer. Le déboulonneur des commandés. Le briseur de statues. Le commandeur don juanisé. Le surhomme.

 

      J’ai déjeuné avec mon collègue Phil. Catholique ardent, incandescent. Doué de connaissances théologiques. Nos déjeuners sont fréquents. Nous parlons des seules questions qui vaillent : quel sens donner à sa vie ?, et de Dieu (qui est une question car Il est tout). On pourrait ajouter le sexe aux sujets essentiels, mais si Phil. propose un catholicisme joyeux, il souffre de cette catholicité qui répugne à, sans doute motivée par la haine du païen. De sorte que nous ne faisons qu’en blaguer quand je le chahute avec mes gauloiseries.

      Je dis à Phil. que je suis heureux car je vis en conformité avec mon choix : celui de m’en foutre. Je me fiche du taff. J’ajoute que la plupart des collègues ne comprennent pas cela, et que s’ils devaient m’imiter, cela leur foutrait des angoisses. Ils sont graves, et sueraient froid. Quel gâchis. Ca chiale. Le système leur va. Ils sont dedans. Calotins. Ils en ont peur et le respectent. Le système, c’est le salariat.

Ce que je veux, c’est que ce « système reste en place pour le rançonner ». Je dis à Phil que ca, c’est anar de droite. Souhaiter l’ordre pour garantir un contrordre possible, personnel et assumé. Un anti-ordre : un ordre devant l’autre. Pas de désordre ni de chaos, surtout pas. « Je veux que le système reste en place pour le rançonner. » Mental de braconnier. Vagabonder par monts et par vaux, mais pas nulle part. C’est de Francois Besse qui le jette à la figure de Mesrine, lequel voulait tout casser en bon anar de gauche qu’il était. Lui aspirait au foutoir gauchiasse. Il s’était trouvé la Palestine à la fin de sa vie comme prétexte à son entreprise de démolissage. Cet islamo-gauchiste avant l’heure. Broussard a tué un terroriste et non un truand. C’est bien la preuve que la délinquance conduit au terrorisme, musulman ou pas, ainsi que Renaud Camus l’observe à propos des nocents. Francois Besse, lieutenant de Mesrine, roi de l’évasion, l’anguille. Il est devenu philosophe en prison.

      J’explique à Phil. que ce que je veux, c’est méditer, lire, écrire. Le turbin le permet, alors j’en profite. « Tu sembles pourtant malheureux car tu veux gagner davantage et t’en plains constamment » : oui, je veux de l’argent, mais je n’en conçois aucune gravité, au contraire, j’y oppose la certitude légère que la martingale existe, et que je la trouverai, et alors j’aurai le cul de la crémière, et ses seins et ses jambes avec. Etre malin, rusé, braconner, « ne rien prendre au sérieux, tout au tragique » disait Nimier, « avec désinvolture panique ». Prohiber le drame. Les yuppies de La défense sont d’un dramatique...

Je ne suis pas un tonton flingueur : je suis un tonton flingué en fait, mais il y a du tonton en moi : un chouya d’Audiard dans le verbe, surtout à l’oral.

      Une fois dans l’open-space, Eléo. m’interpelle. Versaillaise de droite. Elle apprécie ma verve. Elle entretient Yann de Boudarel, ce coco français qui a torturé des paras dans le camp 113 du Vietminh. Je balance sur les gauchistes. Eléo. rigole. Elle prétend qu’ils ont résisté en premier, je réponds que non. De Gaulle : « A Londres, j’ai d’abord trouvé la Cagoule et la synagogue » : les extrêmes-droitards et les juifs nationalistes, donc. Des aventuriers aussi. Des casse-cou en mal d’action. Romain Gary, tiens. Le type se mettait dans le nez des bombardiers par goût du danger. On le voit parfaitement dans l’actuelle bande-annonce du film LA PROMESSE DE L’AUBE, tiré du livre du même nom. Beau texte. Gary y traverse la guerre de 40.

Plus tard, surpris à Sofia par les services secrets bulgares en train de baiser, il prie les corbeaux de recommencer le cliché, ne s’étant pas trouvé à la hauteur. Esprit français, Talleyrand, gaulois, anar de droite. Gary le raconte dans LA NUIT SERA CALME.  Formidable. Il poussera le vice de l’honnêteté jusqu’à chroniquer son impuissance de sexagénaire dans AU-DELA DE CETTE LIMITE VOTRE TICKET N’EST PLUS VALABLE, terrible pour un monument de virilité. Virilité de guerrier, physique et puissante. Grand livre.

               

      Des noms-clés, maintenant : LE COEUR DES TENEBRES - L’ADIEU AU ROI (Pierre Schoendoerffer) - APOCALYPSE NOW – FITZCARRALDO – CHRISTOPHE COLOMB.

Ces hommes visèrent plus grand qu’eux et dépassèrent ce plus grand qu’eux jusqu’à devenir fous.

Ils sont le complémentaire agissant de 99% des êtres humains qui souhaitent finir plus petits que soi. Par contraste, c’est à l’infini que j’admire les Fitzcarraldo, cette race nietzschéique. Ils ont jeté l’humanité au-delà. Ils sont tragiques.

      Herzog : grand monsieur. Immense anar de droite. Et ses personnages...

      Aguirre : inquiet et inquiétant (le regard de Kinski !)

      Fitzcarraldo : inquiété.

FITZCARRALDO n'est pas dramatique, simplement tragique. Fitzcarraldo est un enthousiaste, et s'applique à rendre tragi-comique ce qui lui tombe dessus. Avec lui, ce qui serait éreintant pour la plupart des gens devient léger. Il sourit sans arrêt à la catastrophe. Les glands sortiraient ici Nietzsche etc. avec dionysiaqueries de circonstance, mais cela tient plus du grand oui de DH. Lawrence. Cette joie tragique de Sisyphe que Camus commandait d'imaginer heureux. Fitzcarraldo réussira un jour. Il est trop exaltant pour que cela n'arrive pas. Il est fantasque et sans doute génial. Il séduit même les pharisiens qui se moquent de lui et finissent par l'aider, frappés qu'ils sont par sa joie d'être. C'est un film plein d'espoir. Fitzcarraldo se dirige cahin-caha vers sa victoire, je crois.

AGUIRRE est plus terrifiant. C'est un film désespérant. La défaite totale de l'homme. Disons que la parenté des deux films tient davantage à la géographie qu'à la personnalité des ténors. Il y a bien de cet hybris vu et revu mais ça ne suffit pas à les rendre identiques. L'amazone les unit plus que leur folie douce.

 

      Erwan, enfin. Mon ami de près de 20 ans. Breton et Napolitain. Erwan Trematerra. Tremble-la-terre ô frère tire-au-flanc. Le magnifique. Emmerde le métissage forcé. Refus du travail. Système D. Il m’a envoyé hier soir une vidéo de lui en train de se baigner à Naples. Soleil au loin. Lui a la peau tendue par le froid. L’envie de nager lui a pris, comme ca, alors il a trissé depuis Milan en filant les départementales. 25 heures de route. Un 02 Novembre. La 25ème heure. Au-delà de l’Ultima necat. Se ne frega. Anarchisme.

 

Mardi 21 Novembre 2017 – Une critique de CAPTAIN FANTASTIC – Texte envoyé au CGB

Cinéma. Critique du film CAPTAIN FANTASTIC.

 

      CAPTAIN FANTASTIC est le père d’une famille de six enfants. Ils vivent à l’écart de la civilisation et forment une société qui habite une forêt située au nord-ouest des Etats-Unis. Leurs journées sont dédiées à l’entraînement que ponctuent quelques rites païens. Témoin celui du début du film : le fils aîné est torse nu, il traque et tue un daim à l’arme blanche, puis s’enduit du sang de l’animal dont il tend le cœur à son géniteur : il devient un homme au terme d’une communion panthéiste.

La mère est absente à cause d’une maladie grave. Autrefois partie prenante du clan, elle meurt à l’hôpital de sorte que le père s’occupe seul de leurs enfants. Il les initie à la philosophie, à la littérature, aux langues, à la musique, aux sciences, et à la culture physique. La matinée sportive se partage entre course à pieds, escalade, yoga et exercices de musculation. L’endurance cardiaque et musculaire des enfants est préhistorique - « impressionnante » s’étonnera un médecin. L’après-midi et la soirée sont consacrées à l’étude. Le film exalte les vertus de la puissance intellectuelle et du corps, et montre que le goût de l’effort, compris comme tension permanente de l’existence en vue de remporter la lutte pour la vie, est le legs d’un père d’élite. Un patriarche.

       

      Causes de l’exil : dégoût du consumérisme et de la malbouffe. Ceci, avec leur accoutrement, ne doit pas associer les sept fantastic aux hippies. Ils ont beau se parer de fleurs et porter des vêtements baroques, amples et flamboyants, leur discipline les sauve du ridicule. C’est cette discipline que CAPTAIN FANTASTIC oppose à l’hédonisme woodstock qui assimilait l’habit et la mode, l’instinct et le trip, la détermination et le déracinement.

Aux USA, c’est du côté des beats qu’il faut chercher. Connus pour leur amour du mouvement, les compagnons de Jack Kerouac écrivaient leur quête de sens. (Autre acception du rêve américain.) Il y a aussi loin entre ces nietzschéens et leur version dévoyée, les beatniks, qu’entre ceux-ci et la famille fantastic.

L’œuvre de Kerouac l’amena jusqu’en sa Bretagne ancestrale à laquelle il se rendit compte qu’il était organiquement lié par le sang. A l’image de la beat generation, c’est leur identité que les fantastic beats affichent dans le choix de leurs vêtements. Et c’est même une identité païenne qu’ils découvrent sur la route, depuis la forêt jusqu’à la sépulture ultime de la mère. Le road movie qu’est CAPTAIN FANTASTIC se conclut sur la crémation du corps. Difficile à qualifier : hindou ? aryen ? scythe ? celte ?, l’épilogue montre une célébration de la mort et de la vie selon la liturgie du cycle : la famille danse autour du feu, joie tragique, heureuse de saluer celle qu’ils reverront, éternel retour oblige. Chronique du retour aux sources. Sens beat.

      Bien que l’écologie du groupe rappelle celle d’un Knut Hamsun, ses discours trahissent des idéaux d’extrême-gauche : universalisme, foi en l’homme à condition qu’il soit instruit et éduqué, et c’est alors seulement la société qui le pervertit. Ils confondent fascisme et capitalisme dans une force d’oppression qui s’exercerait à l’encontre du peuple et de sa liberté (quiconque connaît l’histoire des idées sait que c’est faux, ou a minima qu’il s’agit d’une ellipse). Il n’existe de raison supérieure qu’en Noam Chomsky, prophète de la tribu qui ne jure que par l’humanisme.

 

      Mais la figure du père préserve ses ouailles de cette confusion.

      Point cardinal de leur vie, il est une exception de la nature. Une force dont la perfection physique le dispute à son intelligence ahurissante. Il n’est jusqu’à la médecine qui ne lui soit étrangère. C’est bien simple, CAPTAIN FANTASTIC semble connaître absolument tout, et c’est sans doute ce qui explique ce titre à la blockbuster. Le cénacle familial que ce su-père (aurait dit Lacan) a créé est « l’une des premières expériences de ce type jamais réussies dans l’histoire de l’humanité » (sa femme). C’est dire le génie de CAPTAIN FANTASTIC qui abandonne à la théorie ses principes universalistes. Il est difficilement envisageable qu’enseigner la physique quantique en même temps que les techniques de survie soit à la portée de tous les chefs de clan. Le choix de vie de CAPTAIN FANTASTIC est impossible à étendre ; il est bien trop exigeant et amène davantage à l’aristocratie qu’à la démocratie, donc au petit nombre, c’est-à-dire au nom et au sang. Sa praxis de la force n’appartient qu’à eux.

Il entend faire de ses descendants des philosophes-rois. S’il est évident qu’il est influencé par Platon et qu’il pousse à penser à la république, il ne mentionne jamais le disciple de Socrate autrement que par l’expression de philosophe-roi, comme si la leçon importait plus que son professeur par ce qu’elle comporte de monarchie. En réalité, CAPTAIN FANTASTIC n’est pas un gauchiste. C’est un aristocrate de gauche, donc un roi-philosophe qui préfère l’équité à la liberté, et l’égalité réelle à ses chimères communistes. Durant l’Antiquité, il eût été spartiate ; au XIIIème siècle, ce fût un Saint-Louis ; dans les années 20, un fasciste type Guido Keller ; et au XXIème siècle, une synthèse des trois : un nouvel archétype, donc. Le regard de Viggo Mortensen le rapproche d’un Fitzcarraldo qui sortirait de DESSOUS DU VOLCAN. A la limite, pour rendre compte de son mode de vie païen, du souci qu’il a de ses gens : de son volk, et de son tempérament lowryen, on pourrait parler de « volkanisme » à son sujet.

      Un démocrate ? Sa radicalité doublée de son ardeur à préserver sa famille de la médiocrité par l’instruction frappent de cette évidence qu’il n’est en pas un. Quel démocrate humilierait ses neveux, abrutis de marques et de jeux vidéos, en étalant devant eux leur bêtise qu’il confronterait à la brillance de sa progéniture ? CAPTAIN FANTASTIC déteste ce qui n’est pas directement de lui ni comme lui. Il ne préserve pas le faible : il attaque ce qui menace le fort. S’il lui est reproché d’être trop dur, tous reconnaissent le succès de son éducation. C’est cela le volkanisme, c’est cruel, brutal et ca fait pleurer, mais ca marche.

       Le public de la salle de cinéma a applaudi la fin du film. C’est très français que d’acclamer n’importe quelle tirade antisystème, et c’est agaçant, mais dans le cas de CAPTAIN FANTASTIC, ce fut amusant parce que tous les applaudissements encensaient ce qu’ils prétendent habituellement détester, c’est-à-dire l’aristocratie de fascisme version Mishima. CAPTAIN FANTASTIC a beau agonir la société de consommation et vivre dans la nature, il n’en reste pas moins aussi éloigné du ZADiste que je le suis du singe. Son ordre de tenue et d’élégance durant les repas, quand même la famille mange par terre, suffit à le prouver (c’est d’ailleurs très aristo comme comportement, très dandy perdu dans les extrêmes de droite, ha ! la discipline, cette boussole de l’honnête homme !). Mais je ne doute pas que ces vivats ne fussent sincères. Je suis convaincu que les gens admirent CAPTAIN FANTASTIC et son cortège d’exigences. En sorte qu’ils prouvent, ces vivats, que le volkanisme propose une éthique grisante. L’instinct enchanteur, primitif et définitif. Il suscite les hourras de ce monde, qu’ils soient inconscients ou conscients, de gauche ou de droite. Il subjugue, à l’image de CAPTAIN FANTASTIC.

 

Mercredi 29 Novembre 2017 – Faits de métro ; Kundera.

      Dans L’INSOUTENABLE LEGERETE DE L’ETRE, Kundera se souvient des hasards vécus comme autant d’étrangetés inexpliquées et inexplicables. Des coïncidences.  D’aucuns, tels que moi, y voient des signes envoyés par une instance supérieure qui attend qu’ils soient décodés. Dit autrement, ils contiennent un message ; il faut les faire parler. Kundera les tient pour des manifestations de la beauté. Si les personnes qui n’y prennent garde ne sont certainement pas laides, elles sont indifférentes à l’enlaidissement du monde.

Sylvain Tesson et Mom. en retiennent la poésie, plus haute idée littéraire du Beau, et seul le poète les remarque et leur prête sa voix. C’est sans doute le sens qu’il faut donner au hiérophante du merveilleux dont Jim Morrison se servait pour qualifier Rimbaud.

      Hier soir, dans le métro qui me conduisait à mon dîner avec Paul, un type s’est installé à côté de moi. Lui aussi lisait L’INSOUTENABLE LEGERETE DE L’ETRE.  Je l’ai avisé pour lui montrer mon livre. Après deux sourires complices et étonnés, bien vite échangés (à la parisienne, Dieu que les mœurs sont froides au nord de l’Europe), nous convînmes qu’il est vraiment bien, ce bouquin ! Cette coïncidence eût amusé Kundera, je crois. Ainsi que dans MY DINNER WITH ANDRE, pendant longtemps, j'ai senti que ce genre de signes m'étaient destinés. En l'espèce, j'aurais songé que Kundera m'adressait un clin d'œil via cette mise en abîme qui permettait au livre de se dépasser : l’œuvre se réalisait ; ce qu’elle mentionnait devenait matière. Et j'aurais pensé qu'il m’encourageait à devenir écrivain. Ce n’est pas cartésien : c’est carrément mystique. Paul me dit que L’INSOUTENABLE LEGERETE DE L’ETRE est simplement devenu un classique. Voilà analyse plus rationnelle.

Ces derniers temps, je suis moins sensible aux signes, mais non moins attentif à leur poésie. Écrivain ? Je verrai bien.

 

      Après my dinner with Paul, toujours dans le métro, je tombe sur un couple. Il en émane une tension étrange que je suis le seul à détecter.

Le garçon est beau. Grand, svelte, traits fins, cheveux noirs mi-longs. Je lui donne entre 24 et 27 ans. Sa copine en paraît 15 de plus, et je suis certain que c’est le cas. Elle est longue et fine mais marquée. Un visage dur et osseux. Il a souffert. La peau est granuleuse et bistre ; malsaine. Corps étique. Grosses lèvres mauves, gâtées par le vin. Excès d’alcool, coke, nuits courtes, bref, la mauvaise vie. Elle est comme souillée par la fête, ce qui survient parfois chez la Parisienne, tandis que son ami pourra encore salir toutes les soirées de son existence, lui.

La fille est fort amoureuse et cherche les bras de son compagnon qui rompt leur étreinte. Il a honte d’elle, et sa réserve grandit alors que les stations défilent et qu’elle entreprend de l’embrasser, d’abord sur les joues, puis sur les mains. Et lorsqu’elle réclame ses lèvres, le garçon se dérobe pour ne pas trahir le plus haut symbole de l’amour qu’est le baiser. C’est qu’il paraît sensible et délicat ; il sait parfaitement ce qu’il fait. Elle lui répugne. Ni elle ni moi ne sommes dupes.

Sans que je comprenne quand, celle-ci hausse la voix : « Ha, je lui ai donné des ailes au papillon, et maintenant il vole, fallait le voir avant, mais maintenant il vole ! » Plus fort : « Mais pars pars pars ! Va vivre ta vie ! Je sais très bien ce qui va se passer, ON sait très bien ce qui va se passer ! TU finis toujours par partir ! » Quelle détresse. C’est un cri de femelle abandonnée. Les passagers sont absorbés par leur smartphone de sorte qu’ils ne remarquent rien et que la gêne du garçon n’est connue que de lui et moi. Il ne se scandalise pas pour autant ; il reste coi ; il esquive ; il parle de Cavani, l’attaquant du PSG, et fait observer qu’il est beau. Il n’y a qu’un homme perdu pour sortir pareille énormité après ce qu’il vient d’entendre.

      Que se joue-t-il, ici ? Un jeune gars mal dégrossi il n’y a encore pas longtemps, et en manque de confiance devant les femmes, s’est fait mettre le grappin dessus par une vieille qui l’a formé, sans doute à la chose, mais aussi à l’art de se mettre en valeur, donc de séduire, et à plaire : elle en a fait l’élève de l’insoutenable légèreté de l’être. Maintenant qu’il est diplômé, il veut la quitter : s’il a perdu du temps, il l’usera plus tard à bon escient, mais elle ne rattrapera jamais celui qu’elle lui a donné. Elle y aura trouvé son compte, mais si peu au regard de la longueur de la vie. De là vient que le type se sent coupable, d’autant qu’il s’est forcément attaché pendant l’amour (la chair rend la relation plus intense. Plus dense.) : il rechigne, il hésite, il ne sait pas comment partir, ni quand. Crainte de peiner, aussi.

Quels sont les ressorts de leur égarement ? D’où vient la perte du couple-papillon ? J’estime que c’est la peur de gagner ; le type empeste la peur de gagner. Il n’avait pas besoin de la fille pour devenir un beau gosse : il l’était déjà, et pouvait se le figurer tout seul. Ha, la peur de gagner... Derrière elle : l'insatisfaction chronique. C'est à cause d'icelle que rien n'est tenté parce que même en cas de victoire, ne reste que l'amertume de ne pas avoir eu plus, ou de n'avoir gagné alla grande ; il y a toujours mieux ! : mantra fantôme qui vous hante. Or il est préférable de s'épargner cette frustration, aussi prend-on ce qui passe. Ca nous tombe dessus dit le dicton. On est le spectateur de sa vie ajoute le sociologue. Moi : quiconque est incapable de se réjouir ou peine à se réjouir, évite d'avoir à en souffrir. C’est ca, la peur de gagner. C'est un sentiment malheureusement très partagé.

 

      J'ai senti qu'il y avait matière à écrire un livre à partir de ce fait de métro. Je fus pris d'un léger vertige devant l'ampleur de ce que j'imaginais, une fois rapporté à la banalité de ce couple. Etait-ce la peur d'écrire ? Ou encore celle de gagner ?

At home, je parlai à L. Comme de juste depuis dix jours, j'étais exalté. Je lui racontai ma journée, et cependant je lui savais gré de m'écouter. Foucades, diatribes, puis silences - tous prolongés : que la vie de l'écrivain est pénible à autrui.

L. m'avait dit au Portugal que je passe de la joie la plus grande à l'amertume la plus verte. L. avait raison. L. a raison. L. me dit justement qu'il y a un livre à écrire sur la peur de gagner. Nos pensées se rejoignent. C'est tant mieux. Est-ce un signe ?

 

Vendredi 1er Décembre 2017 – Bribes de l'homme rouge

      J’ai lu LA FIN DE L’HOMME ROUGE de Svetlana Alexievitch (Nobel de littérature 2015). C’est un grand livre et une seule chronique ne suffirait pas à en capter l’ampleur. Alors de même que c’est par des anecdotes qu’elle rapporte l’homo sovieticus, je ne retiens que des bribes de son livre. Des bouts d’anecdotes, donc.

      La dissidence URSS est née dans les cuisines parce qu’elles offraient la seule pièce d’un kommounalka qui garantisse de ne pas être écouté : les bruits de vaisselle et de robinet rendaient les conversations inaudibles aux micros. Il en est ressorti une pensée de cuisine, comme on parle de latin de cuisine. C’est-à-dire un état d’esprit vernaculaire, avec ses codes de reconnaissance et de conduite ; spontané, aussi ; et critique. Il a surgi des ruines de l’âme russe, jamais vraiment broyée par l’empire bureaucratique de Lénine.

L’âme russe exalte l’existence dont elle ne parvient pas à se contenter : d’où la douleur de vivre, ainsi que l’écrit Dostoïevski. Le Russe contient ses propres excès, et voyage de la passion à l’hystérie, de la terre au ciel, de la foi mystique au nihilisme athée, et du tsarisme absolu au socialisme réel. L’âme russe est surréaliste depuis mille ans : déjantée, tordue, colorée et vivace, c’est une géniale contradiction à la Chagall : elle crée un monde adulte qu’elle peuple d’enfants.

Elle apparaît nettement dans LA FIN DE L’HOMME ROUGE. Elle possède un nom, et comme souvent en Russie, il lui vient de sa littérature. Ce nom, c’est celui d’Oblomov. Cet aristocrate aux allures d’ado attardé qui reste fixé à son canapé a donné à la Russie son archétype. Un être partagé entre le rêve et l’action : un contemplatif. Le premier empêche la seconde par ce qu’il contient de grandeur impossible. De sorte qu’Oblomov s’active à la seule condition qu’il ne rêve plus, et alors il s’agite dans un paradoxal état d’absence hypnotique.

L’URSS s’est employée à tuer Oblomov et ses songes avec. L’homme soviétique est un Oblomov sous hypnose. L’administration soviétique s’est confondue avec l’action stalinienne. Et à force, elle est devenue un cauchemar dont il a importé à l’homme rouge de se réveiller. Il émergea de sa torpeur dans une cuisine. Si Gontcharov ne l’avait pas imaginé, Svetlana Alexievitch s’est chargée de le révéler.

 

      Les personnages de son livre n’ont qu’un seul métier : lecteur. Anar de droite way of life. J’ai souvent pensé que c’était aussi cela, mon métier : lire, méditer, penser, écrire - et que je me sentais proche des Russes par instinct : je les comprends sans forcer. Apparemment, mes deux impressions sont liées.

Il m’est aussi arrivé de croire qu’en attaquant la Russie, les nazis ont un peu trop violemment tiré Oblomov de son sofa, avant de le propulser sur le sol et de le fouler aux pieds. LA FIN DE L’HOMME ROUGE le confirme un peu ; en fait, je suis certain que les Russes ont été dérangés dans leur lecture et en ont conçu une rage telle qu’ils se sont déchaînés. C’est la métaphore de l’ours dont il ne faut pas troubler l’hibernation. L’action s’est alors substituée au rêve, puis a écrit l’Histoire de la Grande Guerre Patriotique et la chronique du déboîtage en règle de la Wehrmacht.

               

      Gorbatchev a été l’homme de la rupture. Et pas seulement au niveau politique. Cela concerne l’ensemble de la société, notamment la rubrique des faits divers. Après la perestroïka, on tue. Avant, on se bagarrait.

Cela correspond à ce que j’ai lu chez Limonov. Il évoque cette évolution d’une délinquance de petites frappes vers le grand banditisme mafieux. Vive le libéralisme, ironise-t-il.

L’URSS n’a jamais inventé que le goulag en politique, et c’est là-bas qu’elle déployait sa cruauté de monstre froid. L’état était le voyou. Mais le quotidien engageait au système D, à la camaraderie de la mouise construite dans l’anarchie douce. Il y avait de la castagne à la façon du Paris de Villon, mais rien à voir avec la barbarie des gangs actuels de Moscou. C’est aussi ca la fin de l’homme rouge, et s’il est difficile de le regretter lui, elle n’est pas belle à voir. Oblomov en est revenu ; il n’agit plus (l’habitude retrouvée) mais il ne sait plus rêver. Affalé, c’est les yeux grands ouverts qu’il regarde le monde. Ca s’appelle un clochard. La perestroïka a transformé les littéraires russes en SDF. C’est elle qui a tué l’âme russe. Là-bas, en Russie, elle signe la fin de l’homme.

               

Lundi 04 Décembre 2017 – Porc comme la mort

« Travaillons donc à bien penser. Voilà le principe de la morale. » Pascal

      Mes statuts Facebook ne servent à rien (ce n’est pas Mom. qui me contredira). « C’est du caviar donné à des cochons » disais-je à L., hier, après avoir mis en ligne que C’est avec VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER que Cimino pénètre au paradis d’Hollywood : il devient un dieu. Et c’est par LA PORTE DU PARADIS qu’il en sort, paria jeté plus bas que terre : il devient rien. (Fin du Nouvel Hollywood, aussi). Etonnante série des contraires. Mystique, même...

Je me souviens d’une époque pas si lointaine où je partageais des citations d’écrivains, et mes « friends » les aimaient, les partageaient, les commentaient. En fait, elles étaient toutes de moi, extraites de mes différents textes. Je me contentais de les anti-signer si je puis dire. Cela suffisait au tas de cons des réseaux sociaux. Soudain, ce qu’ils lisaient était grandiose, dopé au nom ronflant. Mais toujours : c’était du caviar donné à des porcs.

      Hashtag balancetonporc ? Mais quelle farce. Ce sont des porcs qui balancent des porcs en faisant groin groin entre deux touits. Il faut ici imaginer le héros de MIDNIGHT EXPRESS lorsqu’il crie sur son Turc de geôlier : « Vous êtes tous des porcs ! » pour avoir une idée de ce que je suis en train de hurler à la face du monde. Un monde de porcs. La ferme de ce bon vieux Orwell.

Cette référence n’est pas qu’une image : ces porcs ont le pouvoir et traquent le moindre écart à la médiocrité, autrement dit la pensée admise. Même si la France ne l’est pas, l’ambiance est carrément soviétique et provoque chez les animaux qui ne sont pas des porcs le sentiment d’être surveillé, à la façon d’un personnage de Kundera qui aurait fui le kolkhoze mental. C’est crispant.

C’est par sa paranoïa 2.0 que l’ancien monde libre s’est transformé en URSS bisounours. Quiconque oublie de ne pas froisser, de ne pas vexer, de ne pas se moquer, de ne pas dire que même si on sait bien que, de to-lé-rer ! de tolérer tout ! sans amalgame, et avec res-pect, bref, quiconque oublie cette lavasse morale est rattrapé par une patrouille de verrats et bouffé par eux, digéré, puis conchié sur place. C’est d’autant plus insupportable que ces porcs se croient intelligents parce qu’ils pensent bien. Comme il faut. Sauf que bien penser, c’est différent. (La place de l’adverbe est quasi-mathématique). Le logos ne conduit pas forcément à la morale dominante, porcs ! Khaloufs, va ! Vous ne suivez pas Pascal : vous le subvertissez.

      Hier, j’ai eu le malheur de critiquer une féministe qui donnait des leçons de conduite antisexiste aux jeunes papas. C’était une vidéo de L’Obs que j’ai commentée mal (ce qui équivaut à « mal commenter » dans la grammaire du porc). Une furibarde m’est tombée dessus. Frappadingue, 30 ans, ravagée par sa porcinerie ; « bobo à cul mou » comme dit Soral. J’ai voulu répondre, mais L. m’en a dissuadé. J’eusse été gamin !  Ce fût me rabaisser ! Mais surtout, « c’est une femen, elle peut ruiner ta vie, remonter à ton employeur et te… » « balancer, c’est ca ? Et me casser la gueule à trente truies, aussi ? Non mais le monde dans lequel on vit...c’est un camp de concentration rose bonbon. C’est un totalitarisme, et pas si soft que ca apparemment... » Je n’ai donc pas réagi, histoire d’échapper aux flics verrats. On s’écrase devant les porcs.

 

Mardi 26 Décembre 2017 – Mes anars de droite_2 - Gracq vs Debray

A Mom.

« Les vrais rebelles se cachent de l’être ; ils sont rasés de frais, et tirés à quatre épingles. Je ne supporte que les gens qui ont l’air de sortir de leur douche. Le déclin de l’Occident, avec quoi on nous casse les oreilles, ce n’est pas le pétrole, c’est l’avachissement. Il faut apprendre à nos contemporains à se tenir droit, leur enseigner un usage correct de leur colonne vertébrale. »

Gabriel Matzneff in Ivre du vin perdu

       Régis Debray dit de Julien Gracq qu’il mettait un point d’honneur à s’habiller en complet-veston, cravate assortie. « Il avait tout, en apparence, du dernier conformiste. Il s’habillait comme le vrai petit-bourgeois bien qu’il restait à l’écart de sa société parce qu’il habitait à la campagne, loin de Paris, là où j’allais le rencontrer quand j’avais envie de me marrer. Car il était marrant ! Sa critique du monde moderne était acerbe. » Si ma mémoire ne défaillit pas, ce sont les mots que Debray employait à la conférence sur Julien Gracq qui s’est déroulée au lycée Henri IV. Mom., qui y enseigne, m’avait invité.

      Personne ne posa de questions à la fin de la table ronde. Je ne regrette qu’à moitié de ne pas m’être manifesté : comme Mom., je suis victime de l’esprit de l’escalier, de sorte que c’est souvent après que je pense à ce qu’il faut dire – ou à ce qu’il aurait fallu dire - et qu’il m’est difficile de m’en vouloir pour une absence passée.

Je mentionne ici Mom. parce que c’est à lui que je dois ce que je m’apprête à écrire : au moment de nous séparer, il remarqua qu’être bien habillé rapproche davantage de l’aristocrate que du moderne. « Ce n’est pas qu’un truc de la petite-bourgeoisie ; d’ailleurs elle, elle est à la mode. Debray peut se tromper ! »

En l’espèce, j’aurais bien aimé opposer au petit-bourgeois-bien-habillé de Debray la figure de l’anarchiste de droite. J’aurais commencé par démonter l’idée que c’est un oxymore : rien de plus faux. L’anarchiste de droite ne confond pas anomie et absence de lois : il rejette les deux, seulement il a suffisamment foi en ce que la tradition sait préserver la norme et faire l’économie d’un appareil législatif. Il s’accommode mieux du chaos que du désordre parce qu’on ne peut rien tirer du second. Pire, il se doute que sans direction ancrée dans l’instinct des individus (us et coutumes), la société finit par faire du désordre une institution. Témoin les démocraties qu’il abhorre. Il aime autant l’ordre que la liberté, voilà tout. Ce libertaire ordonné voit que la synthèse des deux établit un schéma spontané qui vaccine contre le déclin. S’il aspire à être souverain chez lui, il ne refuse pas l’idée du chef et encore moins du Roi, garant des traditions. Tant que cestui ne l’empêche pas de vivre en retrait, loin de la masse et du nombre, tout va bien. Il y a ici du rat des champs contre rat des villes, le calme des campagnes versus le brouhaha urbain. L’anarchiste de droite peut bien s’isoler dans un appartement s’il l’a décidé, à la manière d’un Sylvain Tesson, il arrive qu’il s’exile à l’orée des forêts, à la façon de Julien Gracq.  Sous sa vie en marge, s’épanouit le culte de l’individualité, à ne pas confondre avec l’individualisme qui ne crée que de la solitude à dissoudre dans la foule. L’individualité rend singulier (la classe, unique), l’individualisme rend anonyme (la mode, copie). En bref : grand style et attitude.

L’anarchiste de droite offre donc un modèle de rébellion d’autant plus séduisant aujourd’hui que les démocraties occidentales s’emploient à détruire le passé. Réciproquement, ce processus de destruction qu’il nomme décadence convainc l’anarchiste de droite que le Roi est vraiment nécessaire. Il sait que l’autorité en haut garantit les libertés du bas, qui ont été crées par le bas, et que ce sont ces petites libertés qui font la grande. Dit autrement : le chaos finit toujours par se rendre à la force ; le chaos est in fine jugulé : il ne s’institue pas, il ne vient pas du haut. Il n’y a pas loin de l’anarchiste de droite au monarchiste : un aristocrate est un anarchiste de droite, tandis qu’un roturier du même bord est un aristocrate sans particule (on peut alors parler d’anar de droite ou d’aristo, car l’apocope fixe les idées). Il y a enfin chez ce dernier une exigence de tenue qui oblige. L’élégance rend responsable. C’est une discipline de tous les instants. De là que si les anars de droite ne sont pas tous des dandys, tous les dandys sont des anarchistes de droite : c’est par l’habit qu’ils accèdent à la noblesse. Parfois, l’anarchiste de droite est moins souverain que monarque : c’est qu’il est devenu anarque, forme exacerbée de lui-même. Archétype : Ernst Jünger, grand ami de Julien Gracq (tiens tiens).

Si j’en avais eu la présence d’esprit, j’aurais donc fait observer à M. Debray que la mise impeccable de Julien Gracq révèle peut-être l’anarchiste de droite qu’il cachait ou affichait dans un tempérament d’aristocrate. De dandy ? Non ? J’aurais aussitôt ajouté qu’au lieu de peut-être, je pourrais dire sans doute, tant Gracq se nourrissait d’aversion pour un monde moderne amputé du raffinement d’Ancien Régime. Aversion que l’on retrouve chez Debray, justement. Le complet-veston de Gracq en fait l’un de ces vrais rebelles de Matzneff, en butte aux mêmes tourments que Debray, lequel devrait songer à louer Gracq pour ce qu’il en rit.

 

Vendredi 05 Janvier 2018 – Notes et observations en vrac

      Georges Perros se disait noteur. Récemment, Renaud Camus promettait un livre qui rassemblerait ses touits.

      C’est en me souvenant de cela que je décidai hier soir que je rassemblerais le lendemain mes écrits éparpillés. Mes notes. Des bribes de conversations whatsapp ou messenger, des sms, des statuts facebook, des mails aussi i.e. mes pense-bête envoyés par smartphone depuis la rue, un lieu de vacances ou de week-end, depuis chez moi, aussi, alors que je m’affaire et n’ai pas le temps de développer. Ainsi naît dans le temps une somme de notes qu’André Fraigneau appelait joliment ses Papiers oubliés dans l’habit. Sans doute amateur de post-its, Perros préférait-il parler de Papiers collés. Voici quelques-uns des miens.

 

Extrait :

      Le mot « Voilà » revient souvent dans le parler moderne. Il est devenu une interjection qui pollue son langage. « Voilà » envahit tant l’argumentaire du moderne qu’il a même été transformé en connecteur grammatical – je n’ose écrire logique.

      Lorsque je discute avec un progressiste, il ponctue ses phrases toutes faites d’un « Voilà » bien senti (ceci s’observe aussi lors des débats-télé). C’est que le moderne ne connaît rien et se cantonne au sensible. Mais il se bat avec ses armes, et plutôt bien, il faut le reconnaître : véhémence, cris, agressivité, gestes féminins (surtout chez les hommes), puis ce « Voilà » auquel s’accole fréquemment un « quoi ! » pour la locution définitive de « Voilà quoi ! ». Au vrai, « Voilà » sonne comme un aveu : celui de son ignorance. « Voilà comme je ne comprends rien ! » est ce qu’il faut comprendre. Ou alors est-ce un avertissement : « Voilà comme je me bats ! ».

      Voilà quoi !

 

Saillies

  • Les gens de 68 veulent la liberté du fils et l’autorité du père : ils ont refusé que leur père les brime et refusent de ne pas brimer leurs fils. Le rebelle est devenu dictateur. Classique. L’exception du soixantehuitisme tient à l’intensité de son action : rarement dans l’Histoire de l’humanité aura-t-on vu génération plus pourrie dans sa jeunesse et tant gâtée par l’âge. Tout, tout de suite, tout le temps est leur credo.

         On les résumera de la sorte : Fils, ils veulent la liberté du fils et point de l’autorité du père.

         Père, ils veulent l’autorité du père et point de la liberté du fils.

  • Si un angoissé sent qu’il est heureux, il sait que cela finira, et c’est ce qui l’angoisse. S’il est malheureux, il croit que cela ne finira pas, et c’est ce qui l’angoisse.
  • Boire et fumer pourrissent. Un alcoolique tabagique pue, involue, et sera charogne avant cadavre. Je préfère rester corps.
  • A la liberté, nous adjoignons la responsabilité ; à l’égalité, nous préférons l’équité, et à la fraternité, la camaraderie (militaire, pas communiste). J’ai dit.
  • La drogue active des connexions (neuronales) détruites après usage.
  • L'Europe s'est suicidée avec deux balles, l'une tirée en 14, l'autre en 40. Aujourd'hui elle s'enterre. Les immigrés du tiers-monde en sont les fossoyeurs.
  • Le Mardi 31 Octobre 2017

         Métro rempli ce matin. Je me suis souvenu d’une phrase du livre que j’avais écrit en 2010 : Les nazis ont             industrialisé la mort, les Alliés ont industrialisé la vie. C’est ni plus ni moins le propos de Renaud Camus               (qu’on lit dans son journal en ce moment).

  • En vivre-ensemble, il n'y a que la mort qui rapproche. Les liesses ne se forment qu'après les violences : pas avant, ni entre-temps, ni même pendant. C'est la preuve d’une société en faillite, ou vouée à l'échec.
  • Guerre et paix

         Eros et Thanatos : guerre et sexe sont liés. C’est dans l’humain. Même les pacifistes les associent dans le             fameux slogan « Faites l’amour, pas la guerre ». Traduction subconsciente du bon vieux « Faites l’amour

         et la guerre ». Je crois que l’amour en temps de guerre est plus intense qu’en temps de paix : il a la force             des dernières fois. La paix n’en propose qu’un ersatz : la peur panique des premières fois.

  • Exposition photographique de visages de soldats avant, pendant et après la guerre. C’est moi ou ils sont vraiment plus beaux pendant la guerre ? Cela en dit long sur l'enlaidissement que provoque la paix chez le mâle, certainement en tuant ses instincts virils, donc sa beauté naturelle. Une beauté de chasseur, de guerrier, de lutteur né, racé. Au lieu de ca, aujourd'hui, l'idéal de confort conduit à un ramollissement de l'homme.
  • Vu un type dans le RER. Il a le physique de l'emploi mais est au chômage.
  • J’aime beaucoup l’expressionisme allemand. J’en parle dans mon récit de voyage anversois. Art dégénéré ? Critique de nazi. Ne pas comprendre qu’on puisse aimer Nolde et Arno Breker à la fois est la conséquence du gauchisme génétique du IIIème Reich. Henry de Lesquen y va lui aussi de son art décadent à propos de l’expressionisme. Normal : c’est un être pas sensuel, insexuel, d’où ses critiques de bigote à poils longs.
  • Je ne sais plus quel philosophe antique a dit qu'en connaissant son jardin, on connaît l'univers. Lucrèce ou Epicure, je crois. Ernst Jünger s’en tenait à ce principe en tout cas. Les épicuriens eurent l’intuition (confirmée par la physique quantique) que la structure de l'infiniment petit est proche de celle de l'infiniment grand, soit l'univers. En retournant le premier, obtiendrait-on le second ? En connaissant le second, connaîtrait-on vraiment le premier ? Y aurait-il un sablier cosmique qui préside aux théories ? L’entonnoir de l’espace...
  • Intellectuel de gauche : oxymore ou pléonasme ?

         Le gauchiste est un con, donc la première option est correcte.

         Mais en admettant qu’un intellectuel peut être bête, c’est-à-dire pas intelligent, alors la seconde est vraie             aussi, et impose d’écrire qu’à gauche, on est intellectuel, et qu’à droite, on est intelligent. Pour sartrifier le           propos, on dira que l’intellectualisme est un crétinisme.

  • Décembre 2017

         La différence entre le rugby français et les autres ? Nos arrières jouent comme des avants, leurs avants               jouent comme des arrières. (Celle-ci, j’ai fait l’erreur de la publier sur facebook et un journalope me l’a                 piquée pour sa revue numérique sortie le lendemain. Le plagiat est une pratique si mesquine qu’elle ne                 m’étonne pas de la part de ce rien du tout).

  • L'anar de droite reste à l'écart du monde décadent par sa tenue : c'est aussi par son élégance qu'il tient ses distances.
  • Maurice Sachs

         Ecrivain des années folles : AU TEMPS DU BŒUF SUR LE TOIT (du nom du restaurant cantine de Cocteau et          Radiguet). Grand talent qu’on trouve aux Cahiers Rouges. Voleur, receleur, resquilleur : un escroc ; puis              gestapiste juif : faut le faire ! Homosexualité refoulée : haine de soi si sotte qu’il en devient obèse. Il                    rappelle ici le dernier des Médicis. Pour le reste, c’est le Ludwig de Visconti ; l’homme de tous les                         crépuscules ; Louis II de Bavière tué par un SS d’une balle dans la nuque. Un peu, et on en ferait un film si          seulement l’époque admettait qu’un juif collabo fût possible...

  • Le solitaire n'est pas aimé. Il n'est pas collectif. Pourtant, les amoureux du collectif finissent toujours par n'aimer que ceux qui pensent comme eux, et à force, ils ne restent qu’entre eux, en guillotinant au passage les pas comme eux, de sorte qu’ils sont solitaires à plusieurs mêmes et que leur vie revient à celle du solitaire.

         Leurs discussions sont autant de monologues multi-voix. Les collectivistes entérinent le règne du même. Ils          n'aiment que le même qu'eux. Ils n'aiment qu'eux. Ils ne veulent être qu'avec eux. Autour d'eux : rien              qu'eux.

         Eux tout seuls. Se dessine l’hydre de la solitude. (Seulement je crains qu’Hercule ne soit mort).

  • Paranoïa ? Peut-être, me dis-je parfois, nous enfermons-nous dans la paranoïa à force de ne plus voir que ce que nous voulons voir. C’est qu’il en coûte physiquement et psychologiquement de remarquer le processus en cours. La décadence, s’entend.  C’est usant, et l'usure renforce d'autant plus l'acuité que l’usé en vient à se remettre en question et à douter de tout en commençant par lui. Il se dit qu’une fois qu'on ouvre les yeux, on risque la cécité par abus de clarté.

         De sorte que je commence de plus en plus à privilégier mon isolement mental ; plus tard, l’âge y                        engageant, il sera physique : je vivrai loin de tout dans mes livres. Pour le moment, la jeunesse réclame de          la résistance et m’intime de rester au cœur du cyclone pour témoigner de phénomènes mal recensés.                  L’espoir est jeune et le désespoir qui ne manquera pas de lui succéder attendra bien deux décennies.

  • Mon oncle Alain C. est par-delà le bien et le mal. C’est un lecteur de Nietzsche, donc rien d’étonnant. En discutant avec lui, je me dis aussi que Blier et Audiard n’ont jamais fait qu’incorporer Céline au cinéma.

 

Linguistique

  • Paul Morand disait qu’il sentait la langue et qu’il ne lui était donc pas besoin d’étudier la grammaire. Le français lui venait tout seul.

      Le français, justement, est riche de sa conjugaison. Il n’est pas étonnant que l’écrivain de LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU ait été français. Quelle autre langue s’est créé un truc comme le surcomposé ? Pardon de me montrer technique, mais c’est que s’il est restreint à une seule phrase, le surcomposé confine à la boutade et rend idiot celui qui l’utilise. « J’ai eu vu ca » : diantre..., mais taisez-vous. (Il est correct de l’utiliser dans une subordonnée antérieure à une principale au passé).

      C’est la valeur aspectuelle qui manque au verbe français. Ceci, le russe le possède, avec le perfectif et l’imperfectif, le grec aussi, et l’anglais également, avec son étrange present perfect pas vraiment dans le passé, pas toujours dans le présent. Le present perfect n’est pas un passé composé ! Ceci, James Joyce le savait et c’est ainsi qu’il a pu écrire une RECHERCHE DU TEMPS aspectuel ; il s’agit d’ULYSSE.

      A la rigueur, le français peut s’enorgueillir de modes aspectuels. Le subjonctif revêt les idées de crainte, de doute, de souhait, d’espoir. Il se renforce dans le choix du verbe qui l’emploie. Le conditionnel muscle aussi le coté aspectuel du français. D’autant qu’il se peut que le conditionnel ait valeur de subjonctif, et vice versa. En cas de telle substitution, conditionnel et subjonctif peuvent se rapprocher de l’optatif grec, le mode du désir, lequel doit plaire à Matzneff.

      Il n’y a pas que les langues sinisantes à posséder des idéogrammes. Les mot-concept ou mot-idée existent aussi chez les épigones du latin. Le mot Figo en italien est parole vernaculaire. C’est une idée, un concept. Un idéogramme. Il est intraduisible d’autant qu’il est sans antonyme évident (on ne peut l’approcher par son complémentaire : l’italien n’est pas mathématique). Mais le mot Sfigato construit sur un s privatif et la prétérisation du mot Figo désigne son contraire. Son équivalent français serait Boulet, mais Débogossifié en restitue mieux l'idée.

      Le mot « Voilà » revient souvent dans le parler moderne. Il est devenu une interjection qui pollue son langage. « Voilà » envahit tant l’argumentaire du moderne qu’il a même été transformé en connecteur grammatical – je n’ose écrire logique.

      Lorsque je discute avec un progressiste, il ponctue ses phrases toutes faites d’un « Voilà » bien senti (ceci s’observe aussi lors des débats-télé). C’est que le moderne ne connaît rien et se cantonne au sensible. Mais il se bat avec ses armes, et plutôt bien, il faut le reconnaître : véhémence, cris, agressivité, gestes féminins (surtout chez les hommes), et ce « Voilà » auquel s’accole fréquemment un « quoi ! » pour la locution définitive de « Voilà quoi ! ». Au vrai, « Voilà » sonne comme un aveu : celui de son ignorance. « Voilà comme je ne comprends rien ! » est ce qu’il faut comprendre. Ou alors est-ce un avertissement : « Voilà comme je me bats ! ».

      Voilà quoi !

  • Ecriture inclusive

      Cela me fait penser à ce tic de la haute du Directoire dont certains membres se faisaient appeler les Incroyables et les Merveilleuses sans prononcer le "r", ce qui donnait les Inc’oyables et les Me’veilleuses. Au début, ils roulaient les "r", mais ça sonnait trop provincial et fut abandonné (toujours ce mépris jacobin pour la province). Alors ils ont opté pour la suppression du "r", non seulement parce qu'il leur rappelait trop la "r"évolution qui commence par un "r", mais aussi par anglomanie anticipée (laquelle survint dans un XIXème siècle avancé). Ils n'étaient pas loin non plus de singer l'accent de la France créolisée du XXIème siècle (loin d'être incroyable ou merveilleuse…). Longtemps j'ai cru que les In’coyables et les Me’veilleuses étaient une invention de Joséphine de Beauharnais, mais non.

      Bref, l'écriture inclusive est elle aussi une lubie de philistin, de béotien, même pas de pharisien. C'est une galéjade des années 70 qui n'avait pas marché ; une greffe linguistique qui n'avait pas pris.

 

Jérôme Leroy et Jean-Paul Brighelli

      On peut ne pas aimer Jérôme Leroy ni Jean-Paul Brighelli. Mais n'oublions pas qu'ils défendent le savoir et la culture.

      C'est avec eux, leur savoir et leur culture, qu'ils ont fourbi leurs armes. Seulement, ils les ont au début utilisées pour détruire leur monde plutôt que celui de leurs ennemis : c'est leur gauchisme qui a démoli ce qu'ils défendaient.

      Leurs armes : quelles armes ! Acérées, solides, joyeuses. On peut ne pas les aimer parce qu'ils furent et sont encore des marxistes. Mais Leroy fait beaucoup pour la littérature française. Il commet de jolis romans, déjà. Puis il défend Renaud Camus (rien que pour ça...) Son écriture est fine, hussarde et forte de la logique anar : poétique et amorale. Enfin, ses chroniques sont formidables. Jérôme Leroy compte et restera. Brighelli tonitrue dans des tribunes à brocards qu'il fixe sur une démocrassie honnie. Il se prend pour Rabelais mais sans le vouloir, il fait penser à Léon Bloy dans l’intention. Cet homme est remarquable. Ces deux hommes sont remarquables. En bons anciens de la gauche, ils finiront plus fascistes que les fascistes.

      On peut ne pas les aimer, mais saluons les artistes.

A propos de l’empire aztèque

      J’ai lu récemment que le « Nahuatl, langue de l’Empire aztèque et le Quechua, langage de l’Empire inca, ont atteint leur plus grande expansion sous l’Empire espagnol. » C’est faux pour la langue aztèque : il ne restait rien de l'empire aztèque après la chute de Mexico, rien, et surtout personne. Il n'y avait plus aucun Aztèque. Même le dernier empereur, Cuauthémoc, neveu de Moctezuma, crève dans la prison où l'a jeté Cortès.

      Ce ne sont pas les Espagnols qui les ont anéantis mais leurs alliés, les indiens Tlascalans. Durant la nuit qui suit la prise de Mexico, les Tlascalans violent les femmes aztèques, les tuent ; sodomisent les enfants, les tuent ; et dévorent les hommes au cours d'un banquet infernal. L'historiographe de la conquête du Mexique, Bernal Diaz, écrit au sujet des Aztèques que « jamais dans le monde, il n'y eut un peuple qui ait tant souffert. » Sans doute ce peuple a-t-il payé sa barbarie...

 

Taquinerie décabriste (décembre russe)

      J'ai décidé depuis un mois d'arriver le premier au taff. Les autres commencent à psychoter. Ils se demandent ce qui se passe. Alors qu'il ne se passe rien. Ils commencent à craindre pour leur carrière ; pourquoi ? Nul ne sait. Leurs petites manies et habitudes en sont tout affectées. Pauvres Bitos ! Ce n'est rien de moins qu'une décision d'anarchiste. Envie d'emmerder et de regarder les cons  : leur réaction était prévisible autant qu'attendue. Ha ! Ces mines étonnées qui virent à la renfrogne ! Mais qu'est-ce qu'il mijote ? Rien dugland. Je te nargue, comme d'habitude.

 

Réponse à Arnaud L. qui m’envoie un article sur la sexualité au XXIème siècle

      Tu m'envoies cela au moment où je méditais à des choses de cet ordre.

      Notamment sur la question du désir. La capacité à accepter le vieillissement du corps - sien et d'autrui. Le dégoût qui en découle. L'amère sensation d'un désarroi métaphysique. L'incapacité à accepter le temps qui passe. Et la conviction que ces manques sont le fait du monde moderne et constituent autant d'errances de décadent. De sorte que la fête est triste : festivus est triste. On dira que festivus est triste, en fête.

 

Moby Dick

      Je viens de me rendre compte que Moby Dick est l’objet de toutes les quêtes abandonnées, ou perdues, ou de celles qui nous ont abandonnés ou qui nous ont perdus. Ce premier amour blessé ou que nous avons blessé, cette femme ou cet homme, ce rêvé oublié, la jeunesse envolée, aussi, que nous n’avons pas assez chérie et qui nous le fait payer. La baleine blanche de la nostalgie. L’animal de l’amer. Celui qui nous a mutilés, et amputé de nos souvenirs. Rien que des regrets à l’arrivée qu’il nous faut tuer dans une poursuite délirante. Moby Dick, cette recherche de la trinité perverse du Vrai, du Beau et du Mal.

 

Formation « BOOSTER SA CARRIERE » en séminaire organisé par les ressources humaines

      Octobre 2017.

      Je commence par répondre à un questionnaire idiot, abject, bref, totalement con (il a le mérite de m’inspirer un poème que j’appelle LES EUDEMONIAQUES). Mais comment l'Europe qui a su séparer l'instinct de la force, puis en abstraire la substantifique puissance, a-t-elle pu tomber aussi bas ? Ratatinée dans l'esprit, elle use de son génie fantôme pour s'écrabouiller davantage. Elle s'abisse. Elle disparaît. Elle crève. Son suc me fait penser à du nihil actif.

 

Bladerunner2049

      Ce soir d’octobre 2017. La Défense. Les quatre temps. Ciel sépia façon Bladerunner2049. Le Grand Paris cyberpunk.

      Dans mes vertes années de cadre, je n'imaginais pas Sisyphe heureux dans cet univers gris en béton armé. Inhumain. Pour la seconde fois de son histoire, l'homme souffrait de la poésie d'un lieu : les romantiques avaient la nature, et la poésie de Byron et de Keats, nous avons l'urbanisme, et la poésie de Houellebecq et de Bladerunner. Une nostalgie (de ce qu'était la vie autrefois, sans l'avoir connue, uniquement imaginée, donc), frottée à l'énergie futuriste. L'architecture droite, imposante, glacée plus l'élan des grues : c’est tout Le Corbusier qui dégueule depuis les tours.  Cela permet la gestion des flux. C'est spontané. La partie devient le tout pour un ordre totalisant bientôt totalitaire.

C'est drogués à l'efficacité que les travailleurs travaillés sont rendus aptes au travail. Ici commence l'abstraction chez le réfractaire. Bien qu'il soit la proie du monde moderne, il réfléchit, voire pense un peu, et regrette. Avec les ans, il trouve ça beau, de regretter. C'est le retour du romantisme. Dans les années 80, il était dégénéré dans le mouvement punk qui n'avait point conscience de son influx romantique et baroque, définitivement fasciste. C'est le Bladerunner de Ridley Scott. Hic et nunc en 2017, peu de cadres réalisent que La Défense n'est pas responsable de leur emploi du temps : c'est même lui seul qui embellit leur quotidien et les propulse au-delà du temps, justement. En 2049 ? Il n'existe aucun mot qui répertorie l'ambiance de Bladerunner2049. Peut-être se trouve-t-il ici en quelques yeux rebelles où s'éploie une utopie secrète. Un peu comme l'œil de Ryan Gosling sur lequel s'ouvre le film de Denis Villeneuve. Ce REPLICANT sur le point de participer à la révolution des âmes.

      J’aimerais être un REPLICANT : au moins rencontre-t-on son Créateur.

  

Lundi 08 Janvier 2018 – Notes et observations en vrac

 

Saillies

  • Les IKEA folks

      IKEA de Franconville, samedi matin. La classe moyenne basse y a rendez-vous avec elle-même. C’est l’heure de meubler son logement pré-fabriqué. La France périphérique s’expose autant que les meubles bon marché.

J’ai tendance à confondre ces deux matières, l’une humaine et l’autre plastique, toutes deux d’imitation. Les humains imitent les Français d’avant ; les objets le bois du mobilier d’autrefois. Les deux sont des produits de remplacement chargés de se substituer à l’ancien et à ce qui existe déjà, en attendant d’être remplacées aussi vite que ce qu’elles auront remplacé.

Les deux sont standardisées : partout ces faces tristes de petits blancs et d’immigrés, lesquels sont indifféremment clients ou du personnel ; partout ces meubles, aussi vivants que leurs acheteurs sont morts. Tous frappés d’obsolescence, cette euthanasie industrielle. Cette matière (humaine) indifférenciée dont parle si bien Renaud Camus est une matière obsolescente. De la cire fondue. Des faces gâtées par l’âge et le temps qui deviennent synonymes de péremption. Ha ! ces gens impossibles à dater tant ils semblent malades, marqués, abîmés, travaillés par le vin en cubi, la clope, les transports en commun, les intérims et CDD pour tâches taylorisées, bref, la mauvaise vie sans le glamour que le Parisien hâve croit mettre dans la sienne, cet ahuri.

      Il y a des familles qui débutent : un enfant dans la poussette ; des femmes voilées, blanches ou bistres, moins de 30 ans ; des Français (il paraît) d’origine africaine, jeunes aussi. Les rats du laboratoire France qui se laisse admirer sur le bord de l’A86 opérant la jonction Paris-Franconville. HLM. Murs anti-bruit. Tags. Cheminées d’usine crachant leur foutre dans le ciel gris.

Cette France née et grandie en banlieue crève à petits vœux. Ho, rien de méchant : ca se souhaite une carrière, un avenir, une vie à Paris peut-être. Un gauchiste écrirait ici qu’ils composent de touchants Rastignac. Plus simplement, c’est la France qui vient danser au Sullivan sur les Grands Boulevards. La thune les fascine, nourris qu’ils sont au gangsta rap, mais les lumières de Paname (sic à eux) leur suffisent. Les jeunes filles d’IKEA finiront rincées de toutes leurs illusions, même si les banlieusardes à Paris prennent le pli de la parisienne dont elles ne retiennent que l'excès, comme tout imitateur : faux mépris qui les isole, donc effet contraire à celui recherché. Quand elles y mettent du leur, elles tirent du samedi soir des keums créchant dans des chambres de bonne. Eux ont fait le choix de souffrir à Paris dans du petit au lieu qu’en du grand à Sarcelles. Alors au bout de la dixième soirée, résignées, elles font comme leurs hommes qui ont renoncé depuis le début à tout sauf à transmettre le chômage à leurs fils, ce sida social. Puis ils font comme tout le monde et attendent de mourir, pépères, mais à deux, puis à trois, à quatre, à cinq, faudrait pas oublier les allocations. Pareils aux castors, ils construisent la maison avec leur queue. Ainsi deviennent-ils ce qu’ils ont toujours été : les IKEA folks.

 

  • MARTIN EDEN

Martin Eden et le loup des mers : deux nietzschéens, deux surhommes. Les deux échouent dans les impasses de l’individualisme : le suicide pour Eden, le solipsisme pour le loup des mers. En somme, l’auto-exclusion qui succède au renoncement aux autres.

      MARTIN EDEN et LE LOUP DES MERS furent mal accueillis par les camarades de Jack London : le refus du collectif dépeint dans ces romans déplut aux socialistes. L’Internationale du même nom se chargea de le lui rappeler en la personne de Maïakovski. Comment un bon socialiste comme Martin Eden peut-il se suicider ?, demande celui que Staline appelait « le poète de la Révolution ». C’est qu’il ne l’est plus, répond Jack London. Il l’est au début, puis les humains le déçoivent, alors il se retire façon Zarathoustra et finit par se donner la mort parce que c’est le geste essentiel de l’individualiste abouti*. Précisément, le suicide étant une erreur, l’individualisme en devient une aussi, donc mieux vaut être socialiste (logique bancale des collectivistes). Cela n’empêchera ni London ni surtout Maïakovski de se suicider.

      Le solipsisme, c'est le loup des mers. « Ce fou enfermé dans un blockhaus imprenable » disait Schopenhauer du solipsiste. Ce dernier voit le monde en l’ayant déjà ramené à lui. Le monde se réduit à une vision préconçue dont la raison se rend à l’imagination. Le solipsiste devient son propre Dieu, le dieu sole, un dieu-soleil. Seulement ne brille-t-il que sur lui.

Le loup des mers n’a d’empire que lui. Le monde entier se tient en lui. Lui est un monde et le monde est lui.

      Mais London teste cet archétype de l’individualisme : il faut au loup des mers un blockhaus plus grand : ce sera son navire et l’équipage. Ici il devient tyran, et là il devient fou quand il veut conquérir l’océan. C’est Aguirre. Sa colère s’éteint en lui-même, frappé qu’il est d’un locked-in syndrom, comme Amalric dans LE SCAPHRANDRE ET LE PAPILLON. Enfermé en lui ; bunker définitif ; piégé par son enveloppe dans le confort de soi-même. Du solipsisme à l’état chimiquement pur.

C’est donc un retour à l’envoyeur que lui signifie Jack London : le bateau-blockhaus du loup des mers ne peut être que son corps, et il n’aurait jamais dû en être autrement parce qu’un individualiste ne saurait assujettir autrui. C’est comme tel qu’il faut comprendre la fin du loup de mers. Si l’on se doute qu’en bon nietzschéen il accepte le tragique de sa condition et admet son hybris, il y aurait matière à réflexion pour un chrétien devant cet individu matérialiste rivé à son corps, privé de parole et de mouvement mais non de pensée, comme en témoigne le rythme intelligent de ses yeux, ultime zeste de sa chair : serait-il devenu esprit ? Aurait-il découvert l’âme par-devers soi, tapie en lui ?

 

*il est d’ailleurs normal qu'en société d’individualistes amateurs (par leur refus des responsabilités), l'euthanasie, suicide assisté par l’Etat, soit perçue comme un accomplissement.

 

Mardi 09 Janvier 2018 – Notes et observations en vrac

 

Remarques

  • MARTIN EDEN

      Avant d’avoir lu MARTIN EDEN, j’avais déjà découvert Jack London, notamment son fantastique VAGABOND DES ETOILES qui préfigure CLOUD ATLAS. Quel touche-à-tout, ce Jack ! Avec MARTIN EDEN, il imposa son chef-d’œuvre à la littérature mondiale. Ca y est, nous devions ajouter une prière à notre missel : lire MARTIN EDEN. En le lisant, je savais que je tenais entre les mains un livre universel. Grand, tragique, humain.

      Cette trop rare sensation me bouleversa tout de même moins que la fin du livre. Le suicide d’Eden me commotionna littéralement. J’étais groggy, boxé, étourdi par la violence de la chute et de devoir fermer l’ouvrage. C’est que je devenais à la fois orphelin d’Eden et de la virginité de l’avoir connu : je n’aurais jamais plus l’honneur de le rencontrer. Et puis le voir vaincu par une bourgeoise si médiocre qu’elle prive ce seigneur du plaisir de vivre, c’était trop : j’en ai pleuré, l’hymen déchiré, la seule fois de ma vie, aucun film ni livre ne m’a fait cet effet.

      Je crois que j’ai connu une façon de syndrome de Florence, saisi que j’étais par ce roman qui s’achevait dans la surnaturelle beauté de la mort. Sans doute est-elle d’autant plus belle que Martin Eden est radical. Le suicide excite la mort comme d’un produit dopant. Plus forte, plus vive, elle a l’éclat de l’acier. Etais-je fasciné par l’histoire d’Eden ou par sa fin antique - voire par la mort tout court ? C’était trop de tourment pour échapper aux sanglots.

      A défaut de répondre à cette question, j’achetais ensuite tout London que je dévorais depuis LE LOUP DES MERS jusqu’aux MUTINES DE L’ELSENEUR.  Mais rien n’égalait MARTIN EDEN. L’intensité était au rendez-vous, mais la tension était moindre.

Je crois que je courrais désespérément après Martin Eden. Plus qu’un abandonné, j’étais un égaré, et encore, un égaré qui se perdait davantage. J’ai fini par laisser de côté London et ai développé un culte tacite, en pensée, pour Jack génial et son double Martin Eden.

 

  • L’ATTRAPE-CŒURS et LES EPEES

      L’ATTRAPE-CŒURS est un livre culte pour beaucoup. C’est le cas de Frédéric Beigbeder qui consacre une partie de sa vie privée à Salinger. Quand ce dernier vivait encore, il allait l’attendre sur le seuil de son Xanadu dont Citizen Salinger ne sortait jamais. Beigbeder-le-groupie patientait seul-tout, désespéré comme peut l’être une midinette de quinze ans en mal de Mick Jagger.

      L’ATTRAPE-CŒURS est un livre pour adolescents, et sans doute Beigbeder en est-il resté un. Rester bloqué au stade de l’adolescence est beaucoup plus fréquent qu’on ne le croit : c’est précisément pour cela que L’ATTRAPE-CŒURS fut et est toujours un phénomène de masse. S’il échappe à la culture populaire (c’est probable) alors il faut écrire qu’il s’agit d’un livre universel. Il parle à tout le monde puisque c’est comme ca qu’on dit. Du grand art.

      J’ai beaucoup aimé L’ATTRAPE-CŒURS. L’adolescence n’en est pas le sujet, c’est une ouverture sur le temps. (Lequel passe sur la jeunesse éphémère). L’adolescence n’est de toute façon pas inintéressante : elle correspond à une période radicale de l’existence où tout est vivace et gras de sa terre nouvelle ; avec le recul, elle est romantique, aussi ; somme toute assez poétique, et sans doute propice au fascisme le plus salvifique.

      Il y a beaucoup de points communs entre Holden Caulfield et le Francois Sanders des EPEES de Roger Nimier, sorti à la même époque, juste après la seconde guerre mondiale.

Les deux vouent un attachement morbide à la violence, au sport, à l’art et à leur sœur. L’affection incestueuse est bien plus évidente chez Francois Sanders, et ce manque de subtilité explique peut-être que LES EPEES ne jouit pas de la même renommée que L’ATTRAPE-CŒURS, mais pour le reste, les ressorts des deux personnages sont identiques : adolescence prolongée en vue d’arrêter le temps, refus corollaire de l’âge adulte, pensées baroques, indécision chronique, égarement traduit dans une poésie de tous les instants (et alors le temps n’est pas perdu mais enfin retrouvé), le tout servi par l’errance urbaine, qui à Paris, qui à New York.

      Francois Sanders est plus politique que Caulfield : il porte son fascisme en bandoulière : il se veut fort, là où son cousin d’Amérique cache sa force, en a honte, et se punit d’être ce qu’il est dans un pays déjà puritain par excès de démocratie : il se veut faible. Sanders est plus grandiloquent, aussi : il se demande où est passée la France, où est passé son Roi - tandis que Caulfield, pragmatique, aimerait savoir où vivent les canards de Central Park en hiver. Sanders feint un désabusement qu’on sent plus sincère chez Caulfield. Différence de culture ? Pas seulement, parce que c’est ici que le livre de Salinger profite de sa délicatesse. Salinger laisse entendre que le romantisme adolescent, pour peu qu’il soit exprimé, ne peut qu’accoucher d’une pulsion nietzschéique. Ce que Nimier affirme, Salinger le suggère. C’est ainsi qu’on passe d’un bon livre à un objet culte.

      La raison tient au vécu des deux écrivains. Salinger avait combattu à la guerre, et en avait été affecté – Nimier n’avait pas combattu pour la paix, et en avait été affecté. Salinger reprochait à l’Amérique d’avoir gagné, Nimier en voulait à la France d’avoir perdu. Cette approche des nuances qui séparent Nimier de Salinger constitue une timide explication de leur écart de justesse. C’est une tentative, rien de plus. Mais il est vrai que la guerre est un puissant révélateur d’écrivains qui n’a pas agi sur Nimier parce qu’il ne l’avait pas faite. Or Salinger, si. Cela, Nimier le savait. A minima soupçonnait-il la paix de moins lui donner. En manque d’intensité, Nimier charge donc Sanders autant que Salinger décharge Caulfield. Salinger prend sur lui ce dont Nimier se déprend. C’est à cela que se doivent les fossés dissociant la bonne littérature de la grande. Et aujourd’hui, en cette période de paix avancée, il n’est nullement étonnant que l’époque soit privée de bons et de grands écrivains : il n’y a pas de sujet.

      Question : la foule qui prie Caulfield, se figure-t-elle qu’elle s’enjoue pour ce qu’elle prétend détester ? Salinger ! : génie, va !

 

Mecredi 10 Janvier 2018 – Arabe et frustration

-

      L’arabe. Cette langue. Son phrasé. Ses accents. J’ai l’impression qu’ils parlent avec des cailloux dans la bouche. Et à mesure que leurs dents se déchaussent, ils les crachent à la figure d’autrui auquel ils reprochent d’être édentés.

 

-

      Il y a une subtile frontière entre la frustration nécessaire et la frustration subie : la première protège des satisfactions précoces, mères du blasement puis du dégoût, et permet d’être satisfait de tout une fois qu’elle a disparu ; la seconde s’auto-entretient et ajoute de la frustration à la frustration, puis de la colère, et permet d’être satisfait de rien une fois qu’elle a paru.

La frustration nécessaire stimule et donne envie. La frustration subie paralyse et coupe l’envie, voire frappe d’écœurement et jette dans la veulerie. La frustration nécessaire permet de se réaliser, la frustration subie porte à involuer.

      Une politique de la frustration nécessaire récompense l’effort, seule manière d’y échapper, et sanctionne la paresse – on peut parler de société du mérite. Une politique de la frustration subie récompense la paresse, seule manière d’y souscrire, et sanctionne l’effort – on peut parler de société du bakchich.

Les sociétés de la frustration nécessaire se rencontrent dans le monde occidental, plus largement dans le monde blanc. La frustration nécessaire s’y manifeste dès le plus jeune âge parce qu’elle pose les bases de l’éducation, notamment européenne. Des limites sont fixées et s’effacent au-delà d’un certain seuil : les limites ont une limite a priori.

Les sociétés de la frustration subie se rencontrent dans le tiers-monde, plus précisément dans le monde arabe. La frustration subie s’y exerce dès le plus jeune âge auquel l’éducation enseigne l’art du pot-de-vin, du népotisme, du favoritisme, de la triche, de la rapine. Aucune limite n’est avouée bien qu’elles existent déjà : les limites n’ont pas de limite a posteriori. Le film LE CAIRE CONFIDENTIEL s’appuie sur l’exemple égyptien pour en donner une idée qui terrifie. Le film UN HOMME INTEGRE utilise le cas iranien. La frustration subie explique à la fois la faillite du monde arabe et la blessure narcissique à la base de sa victimisation agressive et réclamatrice, évidemment illégitime.

      J’entends déjà que le monde occidental y va aussi de ses réseaux qui court-circuitent l’ascenseur social : certes ! Seulement le bakchich n’intervient qu’à un certain niveau d’influence et non pas tout le temps, partout, de l’hôpital à l’entrée à l’école, en passant par le renouvellement des papiers d’identité. Le problème n’est pas que la corruption monte aussi haut : cela, il est impossible de l’empêcher, mais qu’elle descende aussi bas : c’est contre ceci qu’il faut lutter. Frustration nécessaire plutôt que frustration subie !

 

Jeudi 11 Janvier 2018 – Aphorismes

-

      L’empathie frise l’égocentrisme parce qu’elle souhaite à autrui ce qui est bien pour soi : elle attend de l’autre qu’il soit le reflet de soi-même, ou qu’il se confonde avec soi.

 

-

      Est-il préférable de vivre dans un monde violent qui dit qu’il est violent, ou dans un monde pacifique qui ne dit pas qu’il ne l’est pas ?

Force franche ou faiblesse hypocrite ? Fort ou fourbe ? 1984 ou Le meilleur des mondes ?

      Ces nuances sont d’importance. Le monde qu’elles décrivent est notre monde, lequel est plus brave new world qu’orwellien. C’est-à-dire bien tarabiscoté ; fol ; et mol aussi, que de la guimauve. Il dégouline et absorbe la moindre critique comme d’un couteau qui ne trouverait pas où s’accrocher en s’enfonçant dans du beurre chaud. Ce monde en devient si énervant que la force brute lui est réclamée pour un minimum de confrontation. Car rien de pire que le mal qui se dérobe. Il est d’autant plus nuisible et efficace que chacun baisse sa garde.

 

Lundi 22 Janvier 2018 – Dans le fondu enchaîné

      J’ai vu le film IN THE FADE samedi après-midi : symptomatique du divorce entre le prêche du cinéma (en l’occurrence primé à Cannes) et la vérité.

      Hambourg. Une mère incarnée par Diane Kruger perd son mari et leur fils métisse tous deux tués dans un attentat. L’homme est un ancien malfrat ; il est kurde, donc aussi musulman. La police oriente logiquement l’enquête vers le milieu du grand banditisme et la mouvance islamiste. Règlement de comptes ? Dispute salafo-communiste ? Questions légitimes, mais Diane Kruger est outrée. Cette aryenne tatouée, rock destroy, junkie jamais sortie de ses études d’arts et de lettres, défend le sang mêlé de son clan. Classique chez la femme, qui plus est en deuil. Et puis comment soupçonner son Turc de mari, à cette bobo modèle du genre multikulti ? Passé par la case prison, il bénéficie d’un tampon pour le pardon ; coupable ou innocent, peu importe : il est plus que jamais interdit de le mettre en cause. Il a déjà payé. Il n’a donc rien fait. Il n’a JAMAIS rien fait. Prière de s’incliner devant l’immigré et de chercher du côté des blancs. Car pour Diane Kruger, les coupables sont les nazis.

      En entendant cela (c’était tellement gros) j’ai cru à une blague, ou à un procédé du scénario pour égarer. Grotesque. J’ai même (naïvement) supposé qu’il s’agissait de railler le réflexe pavlovien de l’Européen de base, lavé du cerveau, pour mieux pointer par l’antiphrase le problème de ces blancs qui se lancent dans le jihad. Mais non, c’est trop subtil, et Kruger insiste : elle a vu une fille blanche, « allemande autant que moi », abandonner le vélo qui transportait la bombe devant la boutique de son mari qui y gardait leur enfant. Une blanche : donc une nazie. Si ! Pas une seconde il n’est imaginé qu’il s’agisse d’une convertie à l’islam, sujet bien plus conforme à l’actualité (je songe à la bretonne Emilie König de feu l’état islamique). De toute façon, le film confirme par après que ce sont les nazis. Un couple aryen a tout manigancé. Bigre, ils ont osé. Pire : Aube Dorée, le parti nazi grec, joue un rôle important dans un métrage qui laisse entendre que le national-socialisme profite de « ramifications internationales ». Comme l’oumma n’est-ce pas, mais il est vrai que le principal danger en Europe vient des vilains SS grecs.  C’est même un fléau mondial. Même que tout l’univers est menacé.

      Le cinéma, les médias, les artistes, les sportifs, les socialistes, les gauchistes : même famille, et cette mifa (employons sa langue préférée : le verlan), la mifa, donc, voudrait que le réel se conformât à une réalité fantasmée où des blancs méchants tuent des immigrés gentils pour ce qu’ils sont. Mais il se peut qu’une blanche qui pose des bombes soit musulmane. Il se peut ?, que dis-je, c’est toujours le cas : l’Europe n’est plastiquée que par des musulmans. C’est ce qui agace la mifa, si bien qu’elle s’arme de propagande pour contrarier les faits.

Le cinéma constitue un outil efficace qui lui permet de raconter des histoires à partir des histoires qu’elle se raconte. Dans son tiers-monde, un taulard repenti vaut plus que celui qui n'a jamais commis de délit. Surtout s'il est immigré musulman. Quiconque a fauté avant de consacrer sa vie à l'amende honorable compte plus que l'innocent. Surtout s'il est immigré musulman. Du moment que le fautif étale le péché originel dont chacun a été frappé à la naissance, il est adoré. Surtout s’il est immigré musulman. En quête de la grâce, l’immigré musulman bad boy est le must. Où l'on mesure ce que le schéma mental de la mifa contient de christianisme. Égarement puis quête de rémission. Déchet génétique et culturel comme fardeau supplémentaire : excuse qui en vaut mille. Boulevard métaphysique pour le paradis sur tare.

Les attentats perpétrés sur le sol européen ont beau systématiquement être commis par des musulmans qui tuent des blancs pour ce qu’ils ne sont pas, le cinéma montrera lors des musulmans tués par des blancs. Le réel soumet les blancs à la haine des musulmans ? Qu’à cela ne tienne : le cinéma sommera les blancs d’aimer les musulmans en placardant leur détestation de l’autre. Il faudra que les Européens s’unissent, se mélangent et deviennent musulmans : comment expliquer autrement la vengeance de Diane Kruger assouvie dans la violence kamikaze, typique du jihad, dont le réalisateur propose une étrange apologie ? Une blanche mariée à un musulman pulvérise des blancs, ennemis des musulmans, comme une moudjahida. A la question du premier sang, la mifa oppose la conversion à l’islam.

      Le film se conclut sur une statistique qui ferait pisser de rire si ce n’était pas tragique : entre 2000 et 2007, neuf immigrés ont été tués en Allemagne par des néo-nazis uniquement parce qu’ils étaient étrangers, mais jamais ces chiffres ne sont confrontés au nombre d’Européens assassinés par les djihadistes : de qui se moque-t-on ?

En sortant de la salle, j’ai entendu deux bobos à cul mou : -Ha putain comment j’avais trop la haine sur les deux, là... –C’est clair, grave le seum. Toujours ce parler racaille de la France qui vote Macron. Le seum vient de l’arabe (il désigne la misère métaphysique) : en plus d’être en avance sur l’agenda de la mifa, cette France est cohérente avec son destin musulman. Son destin européen.

 

Mercredi 24 Janvier 2018 – Songeries

 

  • ITALIEN

-

      J’étudie la grammaire italienne (manière d’entretenir ma deuxième langue : l’ayant appris avec mon père, je parle de langue parternelle). Contrairement à ce que prétendent les ignares, c’est une discipline exigeante, différente de la grammaire française dont l’orthographe lui est d’une aide précieuse. L’orthographe française dépasse les sons que l’italien, à l’écriture phonétique, recoit comme ils s’entendent. C’est par la position des phonèmes que l’italien lève les amphibologies, c’est-à-dire qu’un son signifiera selon sa position dans la phrase. La grammaire française dépasse les sons par l’orthographe ; la grammaire italienne contourne les sons par le placement. C’est ainsi que l’italien est une langue agglutinante (les syllabes d’un mot ont leur propre signification, et c’est une fois accolées qu’elles créent un nouveau signifié : bel exemple d’un tout qui diffère de la somme de ses parties : ici réside le logos). Il en ressort une euphonie telle que l’italien est chantant. Ceci explique qu’il soit la langue de l’opéra : il est fait pour être chanté. Il configure aussi l’esprit italien en apparence foutraque, tout en trilles et chamarré, mais qui dit souvent juste et sait où il va : son anarchie s’épanouit dans l’ordre. L’italien chantourne. Fascinant n’est-ce pas ? Le français ordonne dès le départ. Descartes pensait, et il pensait en français au point que c’est à se demander si ce n’est pas le français qui l’a pensé.

Dans tous les cas, la grammaire se crée dans le temps long au gré des besoins de la langue. Elle profite d’un ordre spontané dont elle doit gérer les conflits. Elle se rend aussi imaginative que l’imagination qui la réclame. Elle décalque la créativité du langage qu’elle enrichit dans la logique d’un cercle verteux. Quel génie que celui du verbe.

      Alors, facile la grammaire italienne ? La langue de Buzzati ? De Dante ? Du Tasse ? Allons bon. C’est vrai d’un italien utilitariste, un peu comme le globiche (la grammaire anglaise oblige, normalement), mais si l’on veut penser, il faut être armé.

 

  • CINEMA

-

      J’ai revisionné hier soir APOCALYPTO, le film de Mel Gibson sur la fin de la civilisation maya. J’avais envie de me plonger dans ces temps lointains sans passer par les chroniques du génial Bernal Diaz del Castillo. Les Mayas...Voyant les cérémonies qui précèdent leurs sacrifices humains, j’ai pensé que la folie yucatèque leur venait de la jungle. L’environnement comme la langue sous-tend les gestes, les corps et les esprits (évidence prouvée par la biologie, cf. les gènes sauteurs). S’il y a eu partout en l’homme de cette pensée magique par laquelle les Mayas justifient leur barbarie, je ne connais aucune autre contrée où semblable colère se soit déchaînée contre le genre humain. La jungle. Il y a eu les Aztèques, c’est vrai, mais ils ont précisément succédé aux Mayas (si je grossis le trait de l’Histoire et de la géographie du Yucatan). Eux aussi furent les rejetons de la forêt équatoriale, le cœur des ténèbres si bien décrit par Conrad, Apocalypse Now et plus récemment par la série TABOO. Eux aussi firent de la démence un dogme.

Ils bâtirent pourtant une civilisation durable à laquelle nous devons Mexico, sise au milieu des lacs. N’était Cortès, ils auraient perduré, mais ils s’étaient déjà condamnés. C’est le faux paradoxe que Malaparte relève dans KAPUTT : comment une civilisation peut-elle imaginer se maintenir par la barbarie dont elle accouche ? (Question synonyme : que doit la civilisation tolérer de violence nécessaire à sa survie ? (question très actuelle en Europe)). En général, elle fait passer ses crimes pour du raffinement et ne résiste plus à l’épreuve du temps ni de ses ennemis.

Certains historiens osent la comparaison Aztèques-Nazis. Si son relativisme (crasse) la décrédibilise, il y a une certaine parenté qui unit les Nazis aux Aztèques dans le détachement vis-à-vis des massacres une fois qu’ils atteignent une échelle industrielle. Même déshumanisation infligée à soi et à autrui, même acceptation à devenir un rouage et à normaliser l’exception. C’est ainsi qu’on assiste impuissant à la chute de sa civilisation. Et, bien que les ressorts ne soient pas les mêmes, nous gagnent des sentiments identiques à ceux que l’Européen de souche peut aujourd’hui ressentir face aux hordes migratoires. C’est en ce sens que Renaud Camus parle de génocide. Il y a ici aussi des sacrifices humains. Des sacrifices indirects, parties d’un sacrifice plus large : métaphysique disons. Des sacrifices par contumace.

 

  • RADIO

-

      J’ai entendu ce matin sur FRANCE INFO une chronique sur LES MONOLOGUES DU VAGIN. Je ne compte plus les fois que j’en entends parler. Ils n’ont que cette farce à la bouche. Si je mets en doute sa qualité ? Parfaitement. Sa notoriété vient de l’engouement pour le baveux, une mode, renforcée par un féminisme baiseur. Il y a aussi l’époque qui est vulgaire, comme ce titre insane. C’est d’un crasseux. Pourquoi pas LES MONOLOGUES DU FION ? On verrait des acteurs péter sur scène. Comme un discours politique. De gauche, évidemment.

 

-

      J’ai entendu hier sur FRANCE INFO le pycnique Julien Dray parler des GAFAs et des Big Datas. Dans l’idée de sauver le parti socialiste, il prétendait que le PS devait s’atteler aux problèmes laissés de côté, et en l’espèce, il était question des clients des GAFAs, lesquels seraient moins des utilisateurs-consommateurs que des employés-fournisseurs de données personnelles non rémunérés. Ce serait un nouveau rapport de force instruit par le capitalisme. « Nous vivons la révolution du numérique » et cette révolution substitue aux moyens de production non détenus par les salariés des données produites détenues par des non-salariés. « Il faut donc salarier la clientèle des GAFAs : ceux-ci doivent la payer ».

Seul un socialiste pouvait y penser. Au moins Julien Dru confirme-t-il qu’il y a du génie chez l’idiot. Un truc un peu fou que Dostoïevski avait parfaitement identifié. Sauf qu’ici, Julien Dru oublie que les personnes (après s’être acquitté de leur abonnement auprès de leur fournisseur d’accès) vont sur Internet gratuitement et concèdent, quand il le faut, de livrer gratis leurs informations personnelles. Personne ne les y oblige. Si elles ne le souhaitent pas, et bien elles ne vont pas sur Internet, point. La petite case à cocher « J’ai lu et j'accepte les conditions », c’est tout ca, elle conditionne tout, et invalide le raisonnement de Julien Farfelu. Quel sot.

Le speaker lui oppose ensuite que le penseur libéral Gaspard Koenig a déjà dit la même chose, comment vous positionnez-vous donc sur ce sujet au parti socialiste ? (Qui a déjà lu Gaspard Koenig dans Les Echos rira au mot penseur). Julien Dru répond que Gaspard Koenig ne pense la question qu’au niveau de l’individu, quand lui la rapproche de l’Etat. Koenig la pense en libéral, je la pense en socialiste. L’Etat doit « faire tampon » entre la personne et les GAFAs. L’Etat doit prendre soin de ses ouailles égarées, ses petits chéris qui ne comprennent rien, et pour ca, heureusement que les socialistes sont là. Et puis cela permet de créer une taxe, automatique une fois que le quidam est salarié : il faut bien payer la protection non réclamée et le nouveau rapport de force capitaliste doit bien servir à remplir les caisses franc-macs. La sottise n’est pas innocente, is it, Mister Dru ?

 

Vendredi 02 Février 2018 – De Malaparte

      Mon écrivain préféré ? Difficile à dire. Il en est un auquel je porte une grande affection, et c’est Malaparte. Pour son œuvre géniale, déjà : KAPUTT et LA PEAU sont deux chefs-d’œuvre de la littérature européenne. Et pour les circonstances de sa découverte, le temps de cette découverte s’entend, et quand je dis temps, c’est dans tous les sens du terme : l’époque à laquelle elle renvoie, le souvenir qu’elle a créé, sa météo, aussi.

La première fois que j’entendis parler de Malaparte, c’était en 2011. Je regardais la chaîne HISTOIRE dont le programme HISTORIQUEMENT SHOW donnait la parole à Maurizio Serra. Ce diplomate publiait une biographie de l’Italien. Bonne, du reste, élégante, agréable à lire. La couverture affichait le visage en noir et blanc du Toscan. On eût dit le Saint-Suaire tant l’image était floue et absorbée par la télévision (effet double-écran de la TV et de la photo).

      A la fin de la journée, je m’étais muni du livre de Serra. J’étais allé l’acheter dans les sous-sols du VIRGIN des Champs Elysées dont la librairie occupait l’ancienne salle des coffres d’une banque morte. En le feuilletant, je comprenais que Malaparte était un homme du XXème siècle alors que son portrait N&B et le bout d’HISTORIQUEMENT SHOW m’avaient laissé l’impression d’un gentilhomme du XVIIIème. Le nom devait me tromper. Malaparte porte une sonorité étrangère que j’associe à Casanova. Pourquoi ? Non lo so. Il y a bien sûr ce qu’apporte à l’inconscient la figure imposante de Napoléon Bonaparte dont le nom résonne comme celui de l’écrivain (et ce n’est d’ailleurs pas un hasard). Mais de fait, une fois qu’on connaît Malaparte, on admet sans problème qu’il s’agit d’un gentilhomme du XVIIIème qui se serait égaré au XXème.

Malaparte s’est planté de siècle. C’est ce qui me plaît. Il s’est tiré comme un chef de ce pétrin : vivre au XXème siècle avec les armes et la déférence du XVIIIème, vous imaginez le topo ! Quelle gageure. Deux siècles décadents, mais l’excès de raffinement settecento s’accommode mal de l’excès de barbarie novecento, non ? Et pourtant, Malaparte s’en sort à merveille : d’abord héros des tranchées dont il sort victorieux après Caporetto et Bligny, on l’aperçoit 25 ans plus tard aux avant-postes de l’opération Barbarossa. Chapeau l’aristo. Au point qu’il finit par symboliser les années 1900-1950. Ses mémoires de guerre VIVA CAPORETTO ! et LA VOLGA NAIT EN EUROPE sont injustement méconnus (je remercie LES BELLES LETTRES de les avoir récemment republiés).

Les années 1900 sont lourdes d’elles-mêmes et du puritanisme romantique du XIXème, mais Malaparte vole ; il plane, et s’en défait avec légèreté. Bien que ce célibataire s’accomplisse dans un tempérament de spartiate (il dormira sa vie durant sur une couche militaire ; gymnatisque le matin ; écriture la nuit pour s’assurer du silence), il n’a rien du moine-soldat. C’est le chevalier servi du siècle dernier. Il n’y a qu’au Japon qu’on lui trouve un cousin en Mishima. Nulle part et jamais il n’aura été chez lui, mais partout et tout le temps il se sera entendu dire de faire comme chez soi. De faire avec untelle comme si elle fût à lui (elles le lui demandaient, lire son journal* et ses souvenirs**). Un sigisbée du futur. C’est une définition possible de l’aventurier ou du diplomate. Ce n’est pas pour rien qu’il rêvait d’entrer dans la carrière comme il disait. Il écrivait aussi que le propre de l’homme est de se sentir libre en prison. Très honnête homme, ca.

 

* : JOURNAL D’UN ETRANGER A PARIS

** : IL Y A QUELQUE CHOSE DE POURRI

 

Mardi 06 Février 2018 – Aphorismes

  • Les politiques entrent dans le métier comme on entrait au couvent : sans vraiment y croire.
  • MacRon a transformé la gauche caviar en gauche cadavre.
  • Entendu dans une pub pour solidays : « Ici, même les silences font du bruit ». C'est une définition possible de l'enfer.
  • Dans la série des pays (de merde) qu’on nous présente comme les grandes puissances du futur depuis 70 ans : 50% des ménages brésiliens est privé du tout-à-l’égout et vit au-dessus de ses excréments.
  • L'IA : à défaut des extra-terrestres nous aurons les extrahumains.
  • La créativité s’accommode mieux d’un déficit de culture que d’un excès. C’est-à-dire que la culture élève autant qu’elle paralyse. Ca peut sembler paradoxal mais pour créer, il faut ignorer : c’est ce qui permet d’oser. L’intuition s’affirme par l’audace que l’érudition bloque. Le génie doit être insolent pour exister. Le créateur est impoli. C’est encore plus vrai, mais dans un sens moins noble, de sa version moderne qu’est le créatif : lui est carrément grossier. Mais il crée.
  • Un type au taff sent tellement la clope qu’il en paraît rabougri : plus fumé que fumeur. On dirait un mégot. C’est comme si Dieu l’avait écrasé dans un cendar et qu’avec le temps Il le pulvérisait.
  • Je lis que le Canada de Trudeau prévoit de se doter d'une population de 100 millions d'habitants d'ici 2100 pour avoir la démographie d'une super puissance mondiale. Il prévoit de faire entrer 450 000 immigrés par an. N'importe quoi. Il faut se doter d'une faible population forte et non d'une forte population faible : peu de gens très qualifiés et non beaucoup de gens sous-qualifiés. Peu de gens très intelligents et non beaucoup de gens débiles.

 

Mardi 03 Avril 2018 – Chroniques marsiennes

  • Après Lille et Bruxelles, Gobee.bike cesse son activité de « vélos flottants » à Paris

      Je l'avais annoncé. C'était évident.

      Les casseurs, soit tu leur casses la gueule et tu n'es plus démocrate, soit tu restes démocrate et tu ne les accueilles pas. De ces deux choses l'une : ne pas s'étonner qu'à faire venir des sous-développés en masse, on devienne sous-développé. Importer l'Afrique rend africain et non l'inverse : les noirs ne s'européanisent pas. Les gobe-bike ne sont destinés qu'aux sociétés pacifiées, racialement homogènes, blanches d’autrefois ou asiatiques d’aujourd’hui, lesquelles briseraient les casseurs. Nous Européens avons choisi de les protéger à notre détriment. Pendant que d'autres sociétés moins démocrates se développeront, nous involuerons. Génial. Mais il y aura toujours les droits de l'homme. C'est le plus important.

  •  

      Une photo montre un appartement étudiant de 2018 dans une mégalopole occidentale. On devine le coin cuisine dans le fond à droite. A gauche se trouve un lit haut qui domine une baignoire, placée juste en-dessous. La vie des générations futures : atroce. Mais c’est la seule façon de gérer le parc humain dans un contexte de démographie folle. Le nombre paupérise et restreint l'espace. Le nombre divise. Voici l'œuvre du diviseur qui excelle à inverser les valeurs en vil antéchrist qu'il est. Le « croissez et multipliez-vous » est transformé en « croisez-vous et divisez ». Vraiment atroce.

  •  

      Chez le mélancolique, les souvenirs se confondent avec les regrets. Se souvient-il d'un bonheur qu'il regrette qu'il soit passé ; envisage-t-il un malheur qu'il regrette qu'il se soit passé.

  •  

      Vu sur France 5 un documentaire sur l'originale et fascinante civilisation viking. Découvreuse de l'Islande, du Groenland et de l'Amérique. Pétrie de cet esprit d'aventure propre à l'homme blanc : mélange d'intelligence, d'audace, de force physique, de foi, de curiosité renforcées par le goût de l'effort, du dépassement de soi et de s'inventer un destin. Des Prométhées. L'homme blanc est un bâtisseur, à l'opposé des races froussardes du sud qui se grattent dans leur hamac en peau de fesse.

 

  • Afrique du Sud : la spoliation des fermiers blancs, révélateur d’une fracture raciale que la doxa ne peut plus dissimuler

      Bientôt chez nous en France : dans quoi, 100 ans ? Ca donne envie d'y faire des enfants.

      La constitution sud-africaine n'est pas aussi malléable que cela. C'est tout de même le signe que la cessation de l'assomption des hiérarchies entre cultures et civilisations (laquelle peut confiner au racisme) tourne à la vendetta : il n'y a aucune volonté de pardonner à qui (le monde blanc) souhaite être pardonné. Ce monde blanc veut se rédimer de ses péchés et passe à confesse gentiment, de son gré. Mais cela ne suffit pas aux pythies tiers-mondistes qui veulent le punir. Vengeance. Les anciens bourreaux sont devenus les victimes de leurs anciennes victimes. Cela ne me dit rien qui vaille pour nos descendances.

      Mon conseil : vivre en Bretagne. Région préservée. Que des blancs, de l'espace, du temps. J’y suis, d’ailleurs : Dieu que je m'y sens bien. Un inconscient sentiment de bien-être. C'est ici que je vivrai plus tard. C'est ma terre, mon sang. On se croirait dans les années 60. C'est devenu un corps étrange qui est étranger à la France. Une sorte de Suisse : les gens parlent français mais ne sont pas français. Ou des Québécois. Un truc comme ca. Jusqu’à quand ?

 

  • CALL ME BY YOUR NAME

      Ce film met en scène le monde que Renaud Camus aime tant, défend et désespère de voir mourir. Le lac de Garde. Une famille bourgeoise, esthète, défaite des contingences matérielles. Musique, littérature, plaisirs charnels et spirituels, nourritures terrestres (sans référence à Gide), la jeunesse portée au pinacle.

Le film rencontre un énorme succès, signe que les gens chérissent le calme et le silence, la culture comme marques d’affection entre les humains. La conversation, aussi, l’insouciance. Que ne comprennent-ils la catastrophe civilisationnelle en train de balayer tout ca ? J’en ai déprimé une fois le film achevé.

Le film, scénarisé par James Ivory, tient de son MAURICE qui serait mâtiné de MORT A VENISE. Un objet viscontien où la peur de perdre l’être et le monde aimés se substitue à celle de mourir. Plus subtil, plus léger - parce que moins brutal. Comme Visconti, l’auteur du livre dont le film est tiré est un spécialiste de Proust.

 

  • Film BORG/McEnroe – Federer - Tennis

      « 1980 ou quand Borg était encore l’idéal de beauté de ces jeunes filles » me dit T. Après avoir vu le film Borg/McEnroe, voir aujourd’hui le Borg vieux me chagrine. Vieillir : quelle abjection. Pour un sportif de sa trempe, la vie n’a aucun sens sans la jeunesse, la fougue, la force, la beauté. Je maintiens ce que j’ai toujours pensé : pour les icônes, mieux vaut mourir jeune. Le risque de devenir pathétique est trop élevé.

                Sinon, qu’est-ce que je peux aimer la dégaine des grands sportifs des années 80 ! Il y a comme un romantisme qui émane d’eux, racé, à l’européenne. L’équipe de France des années 80, avec Platini en tête, est un exemple archétypique de ce que j’écris (d’ailleurs, on les appelait Les Romantiques). Et Bjorn Borg avait tout de cet archange des 80s qui, s’il plane au-dessus des hommes, reste planté au seuil de sa douleur tel un Byron. Un poète romantique. Il existe en eux un maelstrom intérieur. Platini à l’euro 84 était paraît-il comme possédé : tous ses démons remontaient à l’entraînement dixerunt ses coéquipiers. Très romantique, ca.

                Dans le même genre, il y a Federer, le plus grand tennisman de l’Histoire. En 2009, il remporte Rolang-Garros. Et j’ai vu cette année-là le sacre définitif de l’empereur qui avait tout gagné. J’ai aussitôt cessé de suivre le tennis car mon histoire avec ce sport m’était paru soldée : rien de plus grand ne pouvait s’y produire. Le tennis est un grand sport. Déjà, métaphysiquement, c’est le plus riche : il n’y a pas de chronomètre. La contrepartie, c’est la tension des matchs. Même en tant que spectateur, j’avais du mal à regarder mes favoris. Je m’attache trop aux grands sportifs. Federer a tout gagné et m’a offert le spectacle de son génie. Cela me suffit. Si j’avais eu 25 ans en 1980 j’écrirais cela à propos de la finale de Wimbledon de 1980, gagnée par Borg.

 

  • Un monde païen

      Le monde païen est tragique : il n'y a pas de rédemption possible. L'homme ne grandit que dans l'échec et devient presque un dieu : il échoue au stade du demi-dieu, de l'homme-dieu, du presque-dieu.

      Les monothéismes proposent la rédemption comme étape vers la vie éternelle que précède la résurrection. En demandant pardon, l'homme siège aux côtés de Celui qui était devenu Dieu-homme. Les religions abrahamiques arrachent la tragédie du cœur de l’homme païen qu’elles transforment en homme croyant.

      Le sport tient du monde païen dont il est l’unique rémanence. Le sport frappe par sa dimension tragique. Certains se rappellent plus que d’autres au souvenir de la tragédie. La boxe ne connaît que très peu la rédemption, par exemple. Et le football pas davantage.

Voyez Cerdan qui meurt dans le crash du vol Paris-New York où l’attendaient Piaf et LaMotta. La première, il l’aimait, et elle aussi ; le second, il le haïssait, et l’autre aussi. L’amour et la vengeance (LaMotta disait que Cerdan s’était couché, c’est donc l’honneur qui était touché) ; Cerdan est privé de tout. Foudroyé.

Voyez Zidane dont le retour fantastique à la coupe du monde 2006 s'est transformé en échec tragique. Zidane est terrassé à deux doigts de la rédemption. Sa chute est son jubilé. Le public judéo-chrétien ne lui a pas pardonné son geste. Les médias mettent les clous, ce néo-clergé putassier. Le public le voulait grand, Zidane fut seulement grandiose. Le public voulait un Dieu, Zidane n'en fut qu'un demi. Le public voulait un messie, Zidane fut un héros. Le public fut comique, Zidane était tragique.

 

  • Soral sur Céline

      Soral devant un tableau inspiré par MORT A CREDIT : « C'est plein de petits détails violents et brutaux mais le tout reste harmonieux. Et c'est d'ailleurs très célinien. Du sordide à la chaîne et in fine de la poésie. »

      Toujours chez Soral cette capacité innée à résumer et à englober une figure par une formule simple et profonde. C'est très difficile. C'est un exercice qu'il termine avec une facilité et une aisance déconcertantes. Je l'admire pour cela. Il a du talent. C'est un homme intelligent. Dommage qu'il n'ait su s'en contenter (beaucoup aimeraient posséder ses capacités) : il a fallu qu'il croie qu'il est génial. De là qu'il est tombé dans ses délires complotistes comme s'il était au parfum de quelque prodige inconnu. Ca s'appelle un prophète mauvais, ca. Donc un gourou. Mais quel cerveau. J'aurai toujours de l'affection pour ce grand fauve.

 

  • Du mot PROJET

      J'ai constaté la récurrence du « mode projet » (et cette expression de mode machin est ignoble). Le projet s'applique à tout. Il contamine la vie privée (de là que c'est totalitaire). Les relations amoureuses deviennent un projet à deux qui débouche sur un projet enfants etc. Dans ce monde utilitariste rompu à l'efficacité, tout est organisé, aseptisé, privé de l'enchantement spontané et de son cortège d'erreurs qui rendent à la vie toute sa beauté.

Ce qui explique mon rejet brutal du monde moderne est la mort de la poésie. Je vote extrême pour cette seule raison.

 

  • Le triomphe du Beau vu le samedi 18 mars 2018

      Ce matin à Dinard, je suis réveillé par un splendide soleil de printemps. Ciel bleu. Température d'avril tiède. Je passe un sweat. Je descends jusqu'à la mer et là, spectacle : je vois la vague de froid russo-scandinave fondre sur le continent. Je la vois littéralement. Le ciel devient instantanément gris. La température chute. On se croirait dans un film de science-fiction. Une nappe de brouillard descend sur les terres : c’est l’air qui est instantanément transformé en une masse blanche par un gradient de température négatif. L’air gèle, vitrifié. Son aspect est transformé et l’environnement se métamorphose comme d’un embrasement spontané. Boum. Chaud-froid.

Je me suis vite carapaté. Quelle messe que ce dirac météorologique. La mer étale qui devient rageuse. La nature me signifiait : vois l'organisme vivant si puissant que je suis. Moi qui vis et travaille hors-sol fus vraiment saisi par cette démonstration de force. Quelle merveille.

 

  • Les oiseaux disparaissent des campagnes françaises

      C'est certainement négatif et c’est l'épiphanie de la décadence, d'une fin de cycle - d'aucuns parleront du démon. Mais le silence total, et tu verras que ce sera le luxe recherché très bientôt dans notre contexte de démographie et d'immigration clownesques, le silence total, donc, me plaît énormément ! Je ne supporte pas le bruit. A cause de son côté totalitaire révélé par Kundera, il effraie l'anar de droite que je suis.

  • La mode des séries de ma génération obéit à son conformisme mutualisé à la paresse.

 

  • Remarque sur l'orthographe

      Avec la mort de l’orthographe, les générations futures ne remarqueront même plus qu’en achetant LE SAIGNEUR DES ANNEAUX elles choisiront la version pornographique, donc détournée, du film dérivé de l’œuvre de Tolkien. Avec un zeste d’imagination adolescente, elles retiendront que les hobbites sont des braquemarts sur pattes, vivants, aux pieds-de-couilles velus. Il y a un truc à creuser, non ? Une nouvelle burlesque à inventer. Il y a quelque chose de surréaliste à la Boris Vian dans ce monde de débiles en herbe rouge.

 

  • Du mot « Black »

      Les noirs que je connais détestent le mot black. Ils savent très bien ce que ca cache : un racisme qui trouve là un bon moyen de les traiter de nè**gres avec le sourire hypocrite du politiquement correct. On dit bien un blanc et pas un white. Et quand on dit white trash, c'est précisément à la langue vernaculaire qu'on fait appel pour s'assurer que l’interlocuteur sache, sans besoin d'explications, qu'on parle de la classe pauvre américaine wasp.

 

  • Après la grossophobie

      J'attends avec impatience l'étape d'après : la mochophobie. Elle arrivera le jour où un laid portera plainte contre une pépée qui lui aura mis un vent en boîte de nuit. Elle l'aura discriminé. Une internationale des laids pondera un hashtag du genre #balancetabonnasse en solidarité avec l'éconduit et en souvenir de tous les râteaux. En poussant le vice, mais c'est moins réaliste, les belles disciminatrices écoperont d'une peine de prison à proportion de leur haine de séduction (une journalope trouvera bien un trick linguistique de ce style). Les prisons seront remplies de bonnasses. Le métier de gardien de prison sera relancé. Leurs grèves terminées. Rigolo.

Mais bon, la lutte anti-mochophobie s'attaquera probablement plus aux beaux mecs qui seront sommés de s'enlaidir. #susauxbeaux. Si on t'ajoutait une balafre ici ? Ou une calvitie par-là ? - histoire de remettre de l'égalité là-dedans.

 

  • Dernier jour de mars – Samedi 31

      J’ai rencontré samedi dernier le compagnon d’une connaissance de L. (L. et moi étions à un mariage civil). Enfin, rencontré, c’est beaucoup dire : je l’ai vu.

      L. m’avait expliqué qu’il était écrivain. Proust et Houellebecq sont ses auteurs favoris.

      J’ai remarqué un livre chiffonné dans la poche de son imper (ce que je déteste : un livre se respecte). Des cheveux frisés et la barbe de circonstance, évidemment. Tout l’attirail de ce à quoi ressemble le Parisien 2018 qui dit qu’il est écrivain et maltraite le livre qu’il est en train de lire (mais plus c’est sale, plus ca fait authentique et concerné).

N’étaient ses yeux effrayés, j’aurais pu être confondu, mais je connais ce regard qu’on trouve chez celui qui n’a rien vécu : dès lors, comment pourrait-il écrire et être un écrivain ? Il pourrait imaginer, penser. Mentir aussi, mais à l’écrit seulement, c’est-à-dire créer des personnages et non en jouer un. Il n’aurait lors nul besoin de raconter et, avec un peu d’estime, il deviendrait écrivain. L’intelligence peut compenser le déficit de vécu. Mais je ne rien senti de tout ca chez lui.

      J’ai en revanche été impressionné par le cousin du marié, qui était aussi son témoin et vers lequel je suis naturellement allé, convaincu à l’avance qu’il était quelqu’un, lui. Je ne fus pas déçu. Un ULMien tout ce qu’il y a de plus gauchiste. Le monde n’est lu qu’à travers «le social ». Ha ! Il m’en a servi de « la violence sociale ». L’économie explique tout, pour lui. La religion descendrait de la dette. Mais quel esprit prodigieux ! En voilà un qui n’a pas volé son diplôme. Un vrai intellectuel qui n’aurait pas dépareillé au temps des Péguy, Sorel, Proudhon...Il savait penser, « connecter des objets » comme il disait, parce que « c’est ca, penser, c’est prendre des risques ». Il souffrait tout du même du syndrome de l’intellectuel parisien, bien qu’il se soit forcé à devenir provincial (mais c’est aussi parisien, en fait), qui consiste à penser ce qu’il pense. Il frisait le mauvais métaphysicien qui pense qu’il pense et oublie de penser à ce qu’il est censé penser. Ainsi pense-t-il la pensée. Il ne pense pas le sens ni la mort (objets de la métaphysique) mais comment il faudrait les penser. Il pensait comme un matheux, sauf qu’il ne connaît rien aux maths.

Il adorait Emmanuel Todd. J’ai donc relu mes notes. Ses règles sur l’héritage par exemple : selon que tout va à l'aîné ou que l'on partage également entre enfants, il y a des conséquences majeures sur le rapport de la société à l'inégalité. J’avais entendu cela il y a quelques années dans l’une de ses conférences. Je retranscris ce que j’avais enregistré dans mon magnétophone : « Ben oui l'héritage à l'aîné etc. tu lis Balzac (un royaliste) et lui t'explique déjà que donner une partie au reste de la fratrie a tout foutu en l’air, que c'est ce qui a foutu le ver dans le fuit, que ça a posé les bases de l'égalitarisme.

La version des Romains, version proto-capitaliste/libérale (au sens de la circulation de l'argent), proposait de partager l'héritage entre tous les descendants pour éviter les nœuds de capital. L'argent devait circuler, ne pas être retenu, et pour cela, il fallait multiplier les mains qui le tiennent : dans le tas, il y en aurait bien une pour refuser l'esprit rentier et investir, et puis bon, avec moins de sous en poche, la rente n'existe plus, et faire fructifier le capital par l'investissement devient vital, évident. Ca profite à l'économie. Voilà comment intelligemment forcer les riches à participer à l'effort collectif sans les spolier ni les punir. C'est pour cela que même si cette façon de redistribution fait penser au socialisme, elle n'est pas socialiste. »

Je repensais à tout cela en marge du mariage. Moment intéressant de fin mars, donc.

 

Mercredi 04 Avril 2018 – Entendu ce matin

      Julien Denormandie, député en marche, était l’invité de Bourdin ce matin. Cette petite n’avait que le mot loi à la bouche. Des lois pour ceci, une autre pour cela, « c’est en légiférant qu’on améliorera la qualité de vie des Français ». Faux ! C’est en leur fichant la paix. C’est la qualité de vie de tes copains qui t’importe, uniquement.

Seulement, Denormandie doit bien faire illusion « pour légiférer » et il lui faut donc inventer. Et pour ca, il doit « se positionner sur des sujets d’importance », en l’occurrence le logement. Adapter les loyers aux salaires des locataires ? « C’est un sujet à l’étude ! » : socialiste, pourceau de socialiste ! Ils sont fêlés. Il osera même affirmer que c’est républicain. Ben voyons. Il vous vient des envies de meurtre en entendant cela, d’en venir aux mains, aux pieds, aux coups de boule, bref, de le tabasser jusqu’à ce que silence s’en suive. « La loi aidera » affirme encore Denormandie. Le temps d’enfiler ma chemise, je l’entends seriner qu’ « il faut arrêter avec les normes, il faut arrêter de vouloir tout normaliser comme ca » : nom d’un chien, mais quelle morgue ! Loi loi loi, puis pas de norme norme norme : à mort !

Puis il enchaîne, tout penaud avec sa tête de premier de classe qui a le QI du dernier, là, avec ses mimines posées sur la table, il enchaîne, donc, sur « les logements évolutifs. » L’idée de départ est de « rendre de la transparence dans l’attribution des HLM » (sic), d’assurer un « turnover fréquent », ce qui suppose de rendre les habitations adaptables à n’importe qui, n’importe quand, n’importe où. La norme sans la norme, sans doute. Il s’agit de la standardisation en marche qu’analyse si bien Renaud Camus. Il sera possible de pousser les murs, de déplacer les portes, de jouer sur la taille des pièces en fonction de celle des familles, (peut-être de changer le four en chiotte ? le broyeur en mixeur ?), donc d’apporter une illusion de singularité à l’indifférenciation généralisée. L’interchangeabilité des humains s’exporte jusqu’aux lieux qu’ils occuperont. C’est une conséquence de ce que partout, l’homme doit être chez lui. En sorte que son chez-soi n’est nulle part. Une fois le logement évolutif établi, le déracinement sera total.

 

Jeudi 05 Avril 2018 – Brèves

  • Guardiola et Messi, deux génies du football ? Je leur préfère Ronaldo : j’ai un faible pour les seconds magnifiques. Meilleur car second : il a la rage du déficit ! Paradoxe par lequel il dépasse ce qui le dépasse. Ca s'appelle un seigneur.

 

  • Une conversation

Phil : Je n’en peux plus de ces gens qui croient pouvoir expliquer le monde par le seul prisme du fric.

Moi : Oui mais là, c’était plus l’économie si tu veux. Un pur marxiste ce type. A fond dans le fétichisme de la marchandise.

Phil : Mais c’est la même chose : l’économie, le fric, c’est tout comme.

Moi : Oui.

Phil : C'est pour ça que le marxisme n'est qu'une opposition incomplète au libéralisme. Il en épouse un aspect fondamental : le matérialisme.

Moi : Oui. Pour le type, il prend le fric comme abstraction, en tant qu’objet de curiosité et non d'envie : il déteste l’argent. Le marxiste déteste ce par quoi il décrypte le monde.

Phil : Sur ce thème, j'avais une boutade pour « montrer » que c'est à gauche qu'on ne pense qu'au fric : « quand on est de gauche on pense pouvoir améliorer le monde en partageant les richesses, quand on est de droite on croit pouvoir le faire en partageant des valeurs ».

Moi : C’est joli, tiens !

 

  • Jean-Vincent Placé en garde-à-vue. Il a traité de pute une vingtenaire qui l’avait éconduit. 2 grammes au sang. Puis il a lancé des insultes racistes au personnel du bar qui le priait de s’en aller. Itou avec les policiers, menaçant l’alentour de renvoyer tout le monde dans son pays grâce à ses connaissances. « Tu ne sais pas qui je suis » a-t-il menacé, dans la plus pure approche racaille des rapports sociaux. Petite brute gniakwé, c’est mignon. En tout cas, moi, je sais qui tu es, Vince. Avec ta face de lune écrasée, tu es un écolo gauchisant qui donne des leçons de morale antiraciste pour dissimuler son impéritie. Et en bon antiraciste, tu es raciste et viens de le prouver : bourré, tu t’es révélé, murgé, tu t’es affirmé. In vino veritas.

 

Vendredi 06 Avril 2018 – Le polémolithique – Brève approche par Steinbeck, le cinéma et l’actualité – Texte envoyé au CGB

      « Finalement, c’est la frontière entre l’état de guerre et l’état de paix qui disparaît, puisque les guerres ne font plus l’objet d’une déclaration en bonne et due forme, et qu’elles se poursuivent une fois que les armes se sont tues, par le biais des diverses formes de « réparations » ou de « rééducation » des populations. » Cette phrase d’Alain de Benoist rappelle ce que Steinbeck annonçait après sa couverture de la guerre du Viêtnam : « la politique est désormais la prolongation de la guerre par d’autres moyens ». L’inversion de Clausewitz serait plus conforme à la réalité.

Ses DEPECHES DU VIETNAM sont ses mémoires de guerre. Parti en Indochine en tant que reporter, il y raconte ses journées en territoire Viêt-Cong aux côtés des GIs. Il passe au Cambodge et en Thaïlande où il impressionne à saisir la région en à peine quelques semaines. Sa femme l’accompagne. Ils ont suivi leur fils qui s’est engagé dans les marines. Le protéger à distance n’est pas la moindre raison d’un voyage entrepris à soixante ans. Mais elle s’efface devant l’Indochine dont Steinbeck ne trahit pas le mythe : lui aussi est noyé dans les charmes de l’Asie. Tout est moite, insaisissable, planqué dans des tunnels. La zone est impossible. Alors Steinbeck surplombe le front de jungle depuis les hélicoptères dont il loue les pilotes. Il se satisfait de dominer le ciel par la technologie, subjugué par la rumeur des mitrailleuses.

D’abord convaincu du bien-fondé de l’intervention américaine, le Californien sort de l’aventure meurtri dans sa chair et dans sa foi. Il doute. Il mourra bientôt. Ses Dispatches from the war seront son dernier opus. A l’issue de son reportage, s’il continue d’admirer la force des armes et le courage GI, il respecte autant le Viêt-Cong.

      Comme hypnotisé, Steinbeck a réfléchi à l’avenir de la guerre. Il prophétise un monde livré à un conflit total. Total parce que international : depuis la guerre du Pacifique qui s’est poursuivie en Corée, les USA peuvent se projeter dans l’instant en n’importe quel point du globe ; mais surtout parce qu’il touchera les sociétés entières, des civils aux militaires (ce qui n’est plus nouveau depuis la Première Guerre Mondiale) mais en s’adjoignant les artistes, les médias, l’image. La guerre ne subvertira plus le réel : elle s’y substituera. Elle fera de la politique. Adviendra le polémolithique.

      Dans le film APOCALYPSE NOW, les marines dansent sur le Mékong au son des Rolling Stones. Zéro satisfaction ailleurs que dans cet instant culte où la politique s’annule dans la guerre. C’est bien celle-ci qui réclame une politique que toute une « culture occidentale » s’empresse de lui servir. L’art de la guerre doit être compris comme l’art au service de la guerre, non pas une fin mais un moyen. La guerre n’a pas besoin de stratèges mais de bruits. Charge à eux de communiquer. Aux sons des flingues s’ajoutent ceux des guitares et des batteries nécessaires à l’impérialisme du futur : la fête. La télévision prépare le terrain en jinglant les batailles.

Le film GREEN ZONE achève le chemin parcouru depuis les 60s. Il montre un lieu sécurisé au milieu de Bagdad en 2003. Les soldats s’ébrouent dans une piscine. Ils n’entendent que du rap. Ils font de la musculation et biglent des bimbos de clip. Ils patientent avant d’aller dessouder de l’Arabe histoire de se divertir. Teen life. Comme la politique qu’elle instruit, la guerre occidentale ressemble à un spring break et s’efface derrière la fête. « Les GIs, faites plutôt l’amour ! » mais ils fêtent la guerre : la fête est la prolongation de la guerre par d’autres moyens. Elle va plus loin, parce qu’en plus de subvertir le réel, elle s’y substitue elle aussi.

      Autre illustration : DAECH. Le terrorisme y est un principe d’état exporté par ses kamikazes festifs. Ils s’éclatent plus qu’ils ne se font éclater. Il suffit de regarder les faces réjouies des djihadistes en train de brandir les têtes qu’ils viennent de trancher. Même air ravi que celui des adolescents qu’ils étaient lorsqu’ils venaient de choper une meuf en boîte. Il existe une photographie d’un barbu tout sourire en train de tenir par les cheveux la tête d’une Kurde coupable d’avoir tué cent de ses frères. Le type est bien mis, on dirait presque un écolier, pas sauvage pour un sou. Le décalage le rend plus barbare : plus moderne. Le faux raffinement mis à photographier sa joie après avoir tué signe le recul de l’humanité au stade de ses instincts. Le selfie, attentat festif.

Ce soldat est l’enfant islamiste de la guerre festive. Il est pareil à ses copains qui pornographient l’assassinat au moment d’étêter leurs prisonniers. En direct. Des images et des selfies qui servent autant une propagande qu’elles créent l’idée d’une mort esthétique supérieure à la vie. La mort est fêtée au point qu’elle deviendra bientôt une fête, comme au Mexique.

      En Europe règne une fête des mœurs qui investit act-upement la guerre et la politique par ses chansonniers. Conchita Wurst, tiens, syncrétisme de cette tyrannie des minorités comme on dit, laquelle prend le pouvoir de disputes en polémiques.

La France n’est pas en reste. Elle s’émeut au souvenir de la racaille de 1789 par quoi s’est larvée sur le territoire une guerre civile qu’explique Richard Millet dans ses chroniques commencées en 2015. Au nom des droits de l’homme, la fête des mots commande une politique de l’erreur qui braque les intelligences. C’est le politiquement correct. Toute l’UE-US croupit dans cette philosophie. Partout, s’étend cette erreur morale. Ses porteurs sains se contentent de dire des conneries, mais les malades agitent la menace du coup d’éclat permanent : attentats à la dignité, au Bataclan et performances arty descendent des mêmes singes.  Louis Pauwels parlait en 1986 de sida mental. C’est exact, et depuis il s’est donc répandu :

dans la guéguerre cathodique ;

en chaque pisse-copie que la critique qualifie d’engagé ;

en un performer qui dit qu’un plug géant est son grand œuvre ;

en un violent de l’EI ou son envers, l’énervé de l’acte selfie qui est Lubitz, Breivik, Merah et Coulibaly à la fois.

      La guerre fête et la fête guerroie. Aucune ne baisse les armes. L’UE-US balance la démocratie sous les bombes et chansons. Irak-Afghanistan-Libye, et Corée et Viêtnam avant eux en attestent – tous pays mis à la panade polémocratique. Mais toujours, les artistes et le chœur médiatique mènent l’effort de fête afin de caler les opinions sur leur tempo. BHL piaille LIBERTE. Les drones font le boulot. Des « frappes chirurgicales ». « End of civilization » se lamente un personnage de GOOD KILL, ex-pilote d’avion de chasse devenu guideur de drones. Il combat comme à la kermesse.

Finalement, le polémolithique, c’est MAD MAX : fête, mouvement, brouhaha, rut à toute blinde, ruthaha faudrait dire, gigantesque gay pride armée, blindée, les soldats à gueule de Conchita épilée, la musique infernale crachée par des bolides, déchets nucléaires, le tout en couleurs criardes, faut foncer, aller vite, tuer n’importe où, n’importe quand, n’importe qui, faire n’importe quoi, et ca devient un moment politique avec leur chef en slip. « Magique ! » comme disent les glands.

 

Jeudi 12 Avril 2018 – Le testament de l'orange

  • Les gauchistes des INROCKS et de TELERAMA sont d'excellents critiques de cinéma, je dois le reconnaître. Même Libé sait y faire. C’est étrange car leurs critiques révèlent un postulat de départ identique au mien : avant de la réussir, commence par affronter la vie avec la classe des détachements et oscille entre dandysme dilettante et discipline (intérieure) d'ascète, cette Très légère oscillationchère à Sylvain Tesson, qui porte à la solitude. Pourtant, eux débutent et finissent dans le socialisme, moi dans le fascisme.       

          Les personnages de Jim Jarmusch et Wes Anderson sont des anarchistes, et plutôt de droite. La politesse,            la culture, la solitude, la lecture, la musique, le retrait, l’exercice (sportif et érotique), le raffinement, le                goût pour l’artisanat qui est celui des choses bien faites sont chez eux des valeurs cardinales. Avec ca,                comment pourraient-ils, ces dandys, être de gauche ? C’est ce que croient les INROCKS et TELERAMA, bien           que cela ne les empêche pas d’en proposer la meilleure lecture. Ils décèlent tout ce que Jarmusch et                    Anderson ne font que suggérer, avec la finesse de plumes cultivées, puis se plantent dans les grandes                  largeurs au moment de conclure. Les ennemis de Jarmusch et d’Anderson seraient respectivement le                    libéralisme et le fascisme. Bof. Leur ennemi est l’ennemi mortel de l’anar de droite : le totalitarisme, point.

          Et surtout quand il se pique de faire le bien d’autrui qui ne sait pas ce qui est bien pour lui (précis de                    socialisme).

 

  • J’ai vu lundi soir le film-documentaire NI JUGE, NI SOUMISE qui suit le quotidien d’une juge belge aux affaires de mœurs. On reste à la surface des bas-fonds bruxellois, de sorte que les enquêtes s’effacent devant le seul et vrai sujet du film : la juge. A l’entendre raconter ses blagues bouffonnes aux prévenus, servies par un accent belge qu’aucun comique n’oserait imiter de peur d’en faire trop, je me suis demandé si les Belges sont totalement cons ou géniaux. La juge est impossible à qualifier (rigolote ? drôle ? drôlatique ? bidonnante ? déjantée ? fantasque ? Wesandersonienne ?). Elle est belge, voilà tout.

          La totale connerie qui le dispute au génie n’est du reste qu’un faux paradoxe déjà traité par Dostoïevski                dans L’IDIOT, mais pour la Belgique, il me semble que Tintin le souligne le mieux. Gamin (j’habitais à                  Bruxelles de 2 à 9 ans), je lisais avec délectation les aventures du reporter du petit XXème mais je ne                  savais pas s’il devait à sa chance ou son intelligence cette aptitude à se tirer du pétrin. Dans le premier                cas, sa témérité ferait que tout sourit à cet audacieux inconscient, un peu bébète, bien brave comme on              dit ; dans le second cas, son courage s’allierait à un sens de la débrouille hors-pair, et à un flair de haut              QI. Haddock ou Milou ? Sans doute passait-il de l’un à l’autre au gré des pages et des albums, et sûrement

          restait-il belge.

 

  • Décadence.

      Avant-hier, Porte de Champerret, j’entends dans la rue une Séfarade parler au téléphone. « Le mec est locataire, ouais. » Une moto vrombit.

« Mais ouais j’te dis, il est beu-lin-dé, le mec. Il prend 400 khâ, puis 400 khâ de bonus, 800 khâ, quoi, et il fait rien de sa thune, trop chelou le gars. Ouais, jeune le mec.» N’importe quoi. A baffer. Coup de boule.

      Hier midi, marchant dans Neuilly-sur-Seine, j’observais que certains jeunes de la bourgeoisie locale s’habillent tels des gueux du Moyen Age, enfin, tels que l’imaginaire actuel se figure un gueux. Avec leurs fripes frustes, grises et noires, informes, le monôme adolescent que j’ai croisé ressemblait à l’hydre Jacquouille la Fripouille. Elle criait comme quouille, d’ailleurs. Une fois dans le métro, l’un de ses membres s’est subitement mis à hurler dans les escaliers de SABLONS. Ce cri. Strident. On eût dit un homme sur le point d’être castré, ou un cochon qu’on écorchât. Il m’a tellement énervé que je lui ai dit de la fermer, « taré, bande de tarés, connards ! ». Ils n’ont pas moufté, ce qui prouve qu’à la moindre autorité, ils s’effritent façon statue de sable. Ce ne sont que des genreux qui se sont choisi la laideur pour patrie qu’il servent avec zèle : le laisser-aller typique des vilains.

Une fois sorti, vint mètres plus loin, je tombe sur un groupe de filles tout aussi énervées. Voix fortes, sons aigus, le trottoir occupé par leur démarche large et lente, étalée. Je ralentis, obligé. Je subis leurs cris. Je réclame le passage deux fois, « pardon », rien, seules au monde. Alors je lance « ha mais ferme ta gueule ! » et ca s’écarte. Il n’y a plus que l’impolitesse qui se fasse entendre. Il n’y a plus que la violence-pour-les-faibles qui se respecte. Je comprends qu’en telle société les Jim Jarmusch et Wes Anderson de ce monde optent pour le pas de côté. Par ce geste, le poète se met à l’abri et prend acte de la barbarie. Peut-être que l’humour grinçant de la juge fantasque pourrait aider à remettre de l’ordre dans tout ca. Il y aurait un film à faire. Jarmusch, Anderson et la juge donneraient un ton, celui qu’on trouve chez l’odieux Enderby d’Anthony Burgess, par exemple. Ce professeur de poésie finit dans LE TESTAMENT DE L’ORANGE par tabasser dans le métro londonien, à coups de canne, une bande racaille au motif qu’elle est mal attifée et impolie. C’est cela, il faudrait mettre en film LE TESTAMENT DE L’ORANGE pour opposer la cadence à la décadence.

 

Vendredi 13 Avril 2018 – Tête de trucs

  • J’ai retrouvé un vieux poème de 2011. Vu son rythme, son sujet et le ton que je lui donnais, je devais lire Lautréamont et Byron à l’époque. Il date du samedi 18 juin 2011.

 

Assis dans mes pensées

A la margelle de mon âme

Je reste ému à sa fontaine

Et sens mes eaux-veines couler.

 

Je contemple mes doubles

Danser le sel aux bras des flammes

Sur l'air des temps froids qui s'enchaînent

Aux mélodies d'océans troubles.

 

      « Danser le sel » se voulait certainement surréaliste, proto-surréaliste plutôt : à la Lautréamont. Quant au côté byronien, il vient de la rupture de rythme imposée par la dernière strophe à la première (il suffit de lire le poème à voix tue). La chute est longue alors que ca commence vite. A un chant maldororien succède un tourment byronique qui fige.

Le poème est bref. Il est facile à construire. L’envelopper d’autres images suppose un talent de grand poète, ce que je ne suis pas. C’est un poème que je n’ai pas su combler à cause de mes lacunes. Il partait bien, puis rien. Il fait pschitt. Précisément comme le sujet qu’il contient : la rupture de rythme suggère ce pschitt. En sorte qu’il sublime ses propres manquements, dont il se sert pour, sinon se dépasser, au moins faire illusion. Il ne souffre donc pas d’absence d’ontologie : ce poème a un sens. Une métaphysique. Il est bon. Mais il aurait pu être excellent en étant plus long. M’aurait-il fallu plus d’ambition ? Oui. J’étais paresseux en 2011, bien que je m’appliquasse déjà la même discipline devant les exigences du savoir. Aujourd’hui je suis plus dur à l’effort, mais j’ai décidé de passer à la prose afin de m’adresser à l’époque dans un langage qu’elle comprend : c’est plus rapide et efficace. La poésie est morte, aujourd’hui, tuée récemment, de sorte qu’elle n’a rien à dire. Plus personne ne l’écoute. Or il y a urgence à combattre la décadence. Alors autant employer l’outil adapté à la situation. Va pour la prose ! (ce que je viens de faire).

      Les Indiens adorent l’administration. Ils en sont dingues. Malades. Fous. Je me souviens que dans les magasins d’état (l’Inde n’est cependant pas communiste) le client choisit son produit dans telle boutique où lui est fourni un papier tamponné qu’il faut faire viser à un guichet où se règle l’achat. La facture tamponnée remplace le billet précédent. Il faut la produire en un troisième point pour récupérer ses emplettes. Il est alors possible de rentrer chez soi sans oublier de faire constater à la sortie que le nombre de tampons coïncide bien avec le nombre d’achats.

      A New Delhi, je m’étais inscrit à une piscine en mai 2015. Même pataquès pour être en règle. Il avait d’abord fallu faire constater que je savais nager. Un seul aller-retour en crawl suffisait (il fut pénible et frustrant de se déplacer et se changer pour nager deux minutes avant de se rhabiller). Le lendemain seulement, si le test était concluant, la procédure d’inscription pouvait commencer. Elle durerait trois heures de temps, baladé que je serais d’un point à un autre. Je pourrais alors, une fois tout étiqueté par la chaîne bureaucratique, venir crawler le premier jour ouvré de la semaine suivante.

      Les Italiens détestent les chemisettes. Ils disent (en simili français) que « c’est castratif ». Pour eux, un homme qui porte une chemisette n’en est plus un. Ils remarquent que c’est un truc de Français. De même, les chaussettes sont mi-mollet. Plus courtes, elles laissent la peau visible au cas où le pantalon se relèverait. Il paraît que c’est plouc.

      J’ai remarqué que d’une saison à l’autre me reviennent des impressions identiques à celles vécues une ou plusieurs années auparavant. Ces impressions anniversaires se traduisent par des

retours de pensées développées dans le passé au même moment de l’année. Un lieu de passage routinier leur est propice. Peut-être devrais-je ranger cet écrit dans la rubrique « SIGNES », mais je crois qu’il n’y a rien de mystique, ici. C’est plutôt psychique avec un fondement biologique. Il s’agit d’humeurs mi-animales, mi-humaines dont la fréquence suit celle des solstices et équinoxes. Le balancier de la nature est si puissant qu’il imprime son rythme à notre psychè, en tout cas à la mienne.

Il m’arrive de repenser à ce à quoi j’avais pensé, ou de me ressouvenir de ce dont je m’étais déjà souvenu, en des termes et selon des thèmes suggérés par une excitation connue. Cela survient au même mois, voire au même jour du même mois, d’une des années précédentes.

Le lundi 09 avril 2018, j’ai envisagé la pluie telle que je l’avais décrite le jeudi 07 avril 2016 (je me suis replongé dans mes archives pour le vérifier). A deux jours près, c’était tout pile. Avant-hier soir, le mercredi 11 avril 2018, j’ai ouvert un livre à cause de je ne sais quel besoin d’en relire la dédicace. Elle avait été écrite le vendredi 09 avril 1999. Deux jours près encore. La liste, que je ne vais pas dérouler ici, est longue. Je parie que son calendrier est plus précis que le nôtre qui est bardé de contingences humaines. Détaché des affres de la gestion des années bissextiles, et des imperfections arithmétiques dictées par nos conventions d’encadrement du temps, son agenda suit possiblement la révolution des astres. De sorte que nos mémoires seraient le décalque de mécanismes cosmiques répétitifs. Ne constate-t-on pas que les marées jouent sur le mental ? Or elles sont provoquées par les forces gravitationnelles de la lune. En sorte que le vendredi 09 avril 1999 vaut 19 ans plus tard un mercredi 11 avril 2018 humain, tandis que le cosmos, lui, indiquerait que nous sommes un vendredi 09 avril 2018. Il est possible de le vérifier. De calculer l’exacte période du mouvement de la terre dans le bal des planètes. La physique est suffisamment savante pour cela. Mais le but de simple fast check est bien pauvre. La lecture arbitraire du temps que nous nous sommes choisi est commode, donc nécessaire.

C’est un phénomène intrigant, pas plus, explicable aussi par la biologie, ou la mienne uniquement, si je suis spécial (partie animale du « truc » : l’instinct) mais aussi par le rapport que chacun entretient avec le temps (la partie humaine : la conscience piégée dans l’inconscient ; la peur de vieillir ; la crainte de la mort). Il me faut ici emprunter à l’informatique son vocabulaire, car c’est peut-être le concept de mémoire vive qui s’applique le mieux, cette mémoire invisible qui tourne en sourdine, avec l’air de ne pas y toucher, et sans laquelle rien n’est possible, ni archivage, ni compilation. Cette même mémoire pousse aussi à réécouter telle musique à intervalles fixes et réguliers. Satie sied bien à l’automne, chez moi, par exemple. C’est certainement un fonctionnement proustien qui consiste à explorer le temps passé afin de s’assurer qu’il ne fut pas perdu. Il semble aussi méticuleux que le sont les personnages de la recherche.

 

Mardi 17 Avril 2018 – Brièvetés de grands

      J’aime d’autant plus sortir que je prends de l’âge. Je ne parle pas d’aller en boîte de nuit, quoique danser m’a toujours amusé. Etre dehors, ne plus être enfermé, là vivent mes aspirations. Bientôt dix ans de vie active, cela achève son homme. Quelle ironie encore dans ce que me propose le parler moderne avec cette vie active qui ne l’est précisément pas, assis que je suis dans un open space. C’est l’une des nombreuses antiphrases d’une société de service qui se ment à elle-même en se définissant par le contraire de ce qu’elle est. Tout ce par quoi elle se désigne correspond à son exact opposé. A ce niveau, c’est pathologique : les cadres ne sont peut-être pas fous mais habitent un asile. Le mot qui leur convient est aliénés, et pas au sens marxiste (encore que), mais au strict plan médical. Ces aliénés, donc, jurent qu’ils sont actifs quand ils ne le sont pas. Je suis ac-tif ! crient-ils, manière de se suggestionner. Seulement la prophétie ne s’auto-réalisera pas.

      Je me promène, donc, je ne reste pas chez moi ni n’y rentre tôt. Je me rends au cinéma ou à la piscine, je visite cet ami, un autre, puis vais au restaurant. Autrefois très casanier (essentiellement pour satisfaire ma boulimie de lecture et ma cinéphilie), je le suis moins depuis l’âge de 31 ans. Je ne sais pas bien comment, mais je lis autant qu’avant, et visionne autant de films. Il y a que j’ai grand besoin de marcher, maintenant, et même seul. Il faut m’aérer, et cela ne m’empêche pas de penser : le grand Nietzsche ne me contredirait pas sur ce point. Sans doute qu’ainsi je ne pense pas à la mort. Et je pense mieux en observant le monde, aussi, et les gens.

  •  

      J’étais à Cabourg le week-end dernier, le Balbec du grand Proust. Le Grand Hôtel avec sa vue sur mer m’a surpris de beauté. Quelle

merveille. Quel beau pays que la France. J’ai vu à l’entrée de la ville un panneau municipal qui montrait un Marcel Proust en bonhomme naïf, avec une mèche aplatie et une moustache grotesque. Le tout monté sur un petit corps de cadre dynamique.

L’injonction Soutenez Marcel ! surplombait le dessin. J’ai songé que Renaud Camus en aurait fait un bon tweet à propos de l’évidente dictature de la petite-bourgeoisie, encore une fois tout à sa familiarité. Evidente quand on y prend garde, et d’autant plus si on a lu le grand Renaud Camus. Ici, il y a ce point d’exclamation agressif, faussement patelin, sympa dirait Renaud (soutenez-le !), qui rappelle l’absence de manières des petits-bourgeois. Le grand Richard Millet parle, lui, de tyrannie du cool. Est cool celui qui se réfère au grand Proust en l’appelant Marcel, comme si c’était son pote, comme s’il le connaissait, comme s’il l’avait lu. Derrière Soutenez Marcel ! apparaît le mensonge permanent dans lequel la petite-bourgeoisie enroule la culture. Elle transforme celle-ci en sa sous-culture d’inculte qu’elle nommera (par antiphrase) culture. Rien ne l’empêchera lors de clamer qu’elle connaît Marcel Proust sans l’avoir lu. Rien ne lui interdit, même, de dire qu’elle l’a lu sans l’avoir lu, avec le cran du demi-cancre.

  •  

      Ayant récemment déménagé, je me suis trouvé devant des problèmes de bricolage, d’électricité, et d’informatique de réseau – des télécoms, disons. N’ayant pas longtemps accepté mon ignorance, j’ai appris en cinq mois ce qui m’était nécessaire. En plus d’acquérir une culture, j’ai découvert des disciplines. Discipline est le bon mot puisqu’il revêt l’idée d’ordonner le monde et soi-même avec. Attitude, règles, rigueur.

      J’excelle désormais dans la construction d’un réseau informatique. J’ai appris sur le tas, ai fouillé dans la jungle d’internet, ai fréquenté des forums, j’ai discuté virtuellement avec des types sensationnels de précision et de logique. Jamais la notion de communauté intellectuelle ne m’a paru si claire.

Hier après-midi, j’ai enfin pu concevoir par l’esprit le réseau domestique que je souhaitais créer. Je m’y collai le soir. Pari tenu. Ce que j’avais prévu se réalisait. Pas d’antiphrase, là ! L’esprit se coulait dans les faits, saisi dans la fonction d’une matière mise au pas. Quel apaisement. Du concret, du vrai, du dur, du réel. Je me suis entretenu ce matin avec un technicien qui m’avoua qu’il avait normalement ce genre de discussions avec un électricien (je voulais m’assurer d’un point avant d’achever ma bricole).

J’ai toujours été comme cela. Je le tiens de mon père et de notre bretonnité, et du père de ma mère, aussi, ce génie, (partant d’elle aussi), j’ai toujours été ainsi, donc : dur au mal, acharné, râgeux, hargneux comme un poème de Dylan Thomas : quand je décide de comprendre, je comprends tout, et pour peu que je tienne une lubie, j’irai au bout. Seulement c’est rare, ou du moins ca l’est dans la vie active, cette antiprase. Ha ! Si seulement je parvenais à mettre autant de mien dans le travail, je serais chef, comme me disait mon boss au moment de m’évaluer. « Intelligent mais…je ne sais comment dire : tu es difficile à cerner. »

      Le maître-mot, c’est curiosité. La difficulté apparaît d’elle-même car la curiosité peine à se susciter. Au préalable, il y a l’éveil. Il y avait autrefois des classes d’éveil que l’Education Nationale devrait songer à ressusciter. Il me semble qu’existaient aussi des classes de discipline. A rétablir itou. Si je me suis bien fait comprendre, curiosité, éveil, discipline : tout ca, c’est lié, et ce tout jouit d’une cohérence interne imparable : grâce à lui, on assujettit le monde.

 

  • L'écrivain qui connaît parfaitement les hommes est-il un dieu ou trop humain ?

 

Mercredi 18 Avril 2018 – Tétra

      J’ai vu hier soir au cinéma le film DON’T WORRY, HE WON’T GET FAR ON FOOT. Biopic du caricaturiste John Callahan qui était tétraplégique. Pas mauvais ; le hic, c’est la tétraplégie. Déjà, j’en ai

une peur bleue, et seul le suicide solutionnerait le pépin ; ensuite, et ici se trouvent les raisons de se suicider, le calvaire vécu par un handicapé est insoutenable : les déplacements en fauteuil roulant ont beau être pénibles, ils en constituent le moindre mal, parce que pour le reste, c’est zéro sexualité, indépendance réduite à néant, poche à merde sur la jambe, obligation d’être lavé par un tiers auquel on ne peut cacher ni fesses ni gonades. Aucune réserve n’est possible. On devient un spectacle permanent. On est un monstre mis à nu. Atroce.

Le film expose cette situation à l’envi donc dérange en plus de convaincre (mais en avait-il vraiment besoin ? : qui n’est pas convaincu que la vie de tétra ne vaut rien ?) C’est bien ce spectacle de l’humiliation quotidienne qui nuit au film. Mais il explique aussi son succès parce qu’il satisfait le voyeurisme de la société moderne. Il y a en elle un côté voyeur plus prononcé que chez ses devancières. Ne réclame-t-elle pas toujours plus de transparence ? En politique, en mœurs, en architecture, aussi, qui n’est pas en reste avec son culte scandinave de la baie vitrée. Etendue à toutes les sphères de la vie, la transparence prend de plus en plus l’aspect d’un totalitarisme, celui de la patte blanche. Il ne faut pas s’étonner qu’elle exige que les politiques étalent leur patrimoine au grand jour. L’hypocrisie s’estompe à peine, c’est le plus drôle, et le dispute à l’indécence. Telle société (dont les racines plongent dans l’égalitarisme et le communisme) n’attendait que les réseaux sociaux pour renforcer ses convictions. Ils l’ont dotée de moyens supplémentaires. De monstrations en exhibitions, l’humain vu y devient voyeur. Tout voyeur y voit tout, tout voyeur y est vu partout.

      DON’T WORRY, HE WON’T GET FAR ON FOOT est tiré de l’autobiographie de Callahan. On y apprend qu’il fut alcoolique de 13 à 27 ans. Il soigna son alcoolisme en fréquentant les alcooliques

anonymes. Typique des Etats-Unis où la rédemption passe par ces réunions. Chuck Palahniuk, l’auteur de FIGHT CLUB, raconte que c’est en écumant les cercles anonymes qu’il est devenu l’écrivain qu’il est. Il rencontra les cabossés des grandes villes dont les histoires disaient celle de l’Amérique récente. Mises bout à bout, elles composaient une chronique de la sociologie du pays. Avec son talent, Chuck Palahniuk en fit un objet littéraire important : une œuvre. En feignant diverses afflictions, comme le héros de FIGHT CLUB, il put se frotter à des échantillons représentatifs d’une société américaine en mal d’american dream. Dans une société individualiste où chacun croit posséder un destin d’exception, l’échec est d’autant plus retentissant et mal vécu. D’un matérialisme arrogant, on a donc vite fait de passer à un mysticisme protestant qui promet le rachat au bout de conversations anonymes. On comprend qu’on n’est pas si unique que cela, et ce que dit Tyler dans FIGHT CLUB prend ici toute sa dimension : « Vous n’êtes pas exceptionnels, vous n’êtes pas un flocon de neige merveilleux et unique ». Mais ce n’est pas grave parce qu’il est plutôt rassurant que d’autres se ressemblent : le message mi-gourou mi-protestant des chefs de la file anonyme enseigne que c’est cela qui rassemble. Et c’est ce gimmick qui soigne les victimes d’une société explosée par la concurrence ultra.

Car Callahan finit par s’en sortir. Il ne boira plus une goutte. Mieux : il s’accomplira dans l’art qui lui offrira la célébrité. Aller d’un excès à un autre n’a jamais dérangé les Américains, bien au contraire, c’est leur force. Mais c’est une force aveugle : dans le cas de Callahan, la morale protestante le convainc que la tétraplégie est moins le problème que la solution à sa dépendance éthylique. Elle le somme d’oublier qu’il est paralysé, elle en fait un illuminé. Un mystique. Il n’y a qu’un Américain pour y croire et envisager que « le mal vaut parfois un bien supérieur » dixit l’adventiste du film. Si Callahan est revenu de l’alcool, c’est parce qu’il est cloué à un fauteuil. Point. Impressive. Et c’est aveugle de cette foi que Callahan deviendra un grand caricaturiste. C’est aveugle et fort à la fois qu’il mènera une grande existence ici-bas. Alors il sera « un flocon de neige merveilleux et unique ». Une histoire américaine.

 

Mercredi 18 Avril 2018, le soir – Hallucinations

  • Les femmes bien faites : on dirait des gouttes d’eau.
  • Des requins nagent dans le ciel. Il pleut des dents et du sang.
  • Vu un Chinois au corps dessiné dans les douches de la piscine des Halles, athlète naturel ; étrange car on ne s’attend pas à ce qu’une race à chair molle produise pareil spécimen, c’est un hiatus

aussi incongru qu’un vieillard qui bande.

  • Une Bible protestante, cet objet hémiplégique. Ready-made hérétique. Comme si on purifiait une religion en ôtant quelques livres par-ci, quelques psaumes par-là. Encore une pulsion à deux balles.

 

Vendredi 20 Avril 2018 – Mon hommage à Renaud Camus

      J’ai lu ce matin l’entretien accordé par Renaud Camus au Harfang (Québec) en avril 2018. L’objet de la conversation est le Grand

Remplacement. Son corollaire le remplacisme est aussi abordé.

Tout le logos de Renaud Camus s’y déploie avec une maestria Grand Siècle. Quel esprit. Fin, dansant, classe. J’exagère sans doute mais en le lisant, je suis sous le choc. Sous le choc de tant d’intelligence. Il me rappelle la notion de démonstration élégante qu’aiment employer les professeurs de mathématique quand il s’agit de résoudre un problème complexe en trois lignes au lieu du triple. Seuls les hauts QI en sont capables, les autres donnent dans le laborieux. Les taupins parlent de démonstration bourrin. Rien de tel chez Camus.

Renaud Camus démontre les phénomènes à l’œuvre en Europe avec l’aisance du fort en maths. Fort en thème sied mieux à ce littéraire qui admet son ignorance scientifique dans son journal de l’année en cours, mais sa démarche, a minima par sa forme, n’emprunte pas moins à la rigueur mathématique. Son propos est net, précis, clair comme de l’eau de roche. Il rend justice à La Bruyère, Boileau ou Descartes pour lesquels rien de plus haut que l’esprit de synthèse. Dire beaucoup avec peu. Enoncer le plus avec le moins. Construire une algèbre avec des outils sommaires pour bâtir une œuvre totale. Magistral. C’est français, ca, et c’est précisément ce qu’est Renaud Camus : un Français, un écrivain français. Ce génie.

Etre un écrivain français, je veux dire : être défini comme tel, est déjà un honneur en soi, mais Renaud Camus le surpasse. C’est lui qui fait honneur au statut d’écrivain français.

 

Vendredi 20 Avril 2018 – Farce et attrape

      J’entends en ce moment dans le métro parisien les haut-parleurs recommander aux usagers de prévenir la sécurité s’ils sont témoins ou victimes de harcèlement. Flique donc, citoyen ! Zyeute le voisin qui mate le cul de la belle que tu ne pourras plus regarder, pisse-froid !

      J’entends en ce moment sur les chaînes d’informations que des radars mobiles dépêchés par une entreprise privée se chargeront de flasher les automobilistes énervés, récalcitrants comme on dit. Restreins-toi, citoyen ! Retiens-toi. Contris-toi. Contiens-toi. Sois rabougri, ratatiné, pourri, écrabouillé, fini, emprisonné. Pulvérisé, tiens. Accepte sans broncher que te soient rognées tes dernières petites libertés. Tes ultimes petits excès. Excès de vitesse : a-t-on jamais pondu plus con ? Excès de lenteur, oui, France ensocialistée jusqu’au trognon.

Les flashs passeront de 2 à 12 millions. Bigre, ca en fera des amendes et des pépètes pour l’état. Avec ca, il va pouvoir financer la venue de tout un tas de remplaçants. Leur construire des habitations, les choyer bien comme il faut. Tous les moyens sont bons quand il s’agit de racketter les non moins bons Français. Les racailles attendront. Les terroristes aussi (redondance, et pour plus de détails, lire Renaud Camus).

      Sacrée république. Hé gueuse ! Tu n’es as pas marre ? Hypocrite outre à sentiments. Obèse de tout le fauxel de la création. Tu pues, république ! Tu empestes la vie mortelle des démocraties châtrées. Tu pollues le monde de ta semence stérile. Le moindre éjaculat de toi, vieille sèche à décrets, sent la morue. Ecrire ton nom donne envie de chier. J’y vais, république.

 

Lundi 23 Avril 2018 – Observations du week-end écoulé

  • Piscine de Neuilly. Les gens bronzent. Morceaux de chewing-gum dans les maillots. Compressés, sur le point de gicler, d’exploser,

réclament la liberté de fondre et de s’étaler et de s’accoler. Sluirp.

  • Les chairs des femmes tremblent comme la croupe d'un cheval s'excite pour en chasser une mouche.

      À chercher la perfection, tout en refusant le défaut, on descend toujours plus bas l'âge de ses conquêtes, jusqu'à comprendre que seule

l'adolescence apporte satisfaction. N'importe quel artiste assumé prend ce risque, témoin MORT A VENISE.

C’est que les adolescents grandissent : le mouvement croissant empêche l'affaissement des chairs. La gravité est contrariée, combattue, annulée. Le sport n'offre à l'adulte qu'un outil-ersatz à substituer à la croissance.

Chez la femme, les talons hauts rappellent cet âge adolescent fait d'élancement, de défi aux forces telluriques, lancées qu'elles étaient vers le ciel (la grâce). C'est un artifice efficace dont il est criminel de se priver (pour une femme).

Dans le film de Visconti, le tout jeune Tadzio est le seul à dompter le ciel auquel il intime de stopper la chute du soleil. Le bras levé, comme d’un salut païen à Neptune et Dionysos, il commande. C’est sans doute la plus grande fin de film jamais réalisée. Tadzio prend les rênes du destin du monde : l’avenir lui appartient. Le The end est un éternel commencement : c’est ici plus qu’un début. L’adolescence triomphante a le toupet d’arrêter la mort et de manifester sa turbulence au cosmos. Quel contraste avec le tourment du vieux musicien à l’agonie ! Lui subit, il est agi, tout le contraire de Tadzio l’agissant, Tadzio l’agité. Bogarde en a le souffle coupé. C’est paradoxal, car dans son cas le spectacle de la victoire totale de la vie l’étouffe au lieu de le ranimer. Mais il faut bien que le sens de la scène colle au The end. L’amour qu’il voue à Tadzio est motivé par sa quête de la perfection dont la vie jamais empêchée (adolescence) est la seule dépositaire. C’est paradoxal, oui, je ne me trompe pas, parce qu’à trop aimer la vie, il se fait aimer de la mort.

 

Mardi 24 Avril 2018 – Point par point

 -

Comptines

  • Les gauchistes me font penser à des Bitos sans neurones.
  • Je lis de moins en moins de romans. Surtout des essais. Et des essais qui parlent de romans. Des essais sur la littérature. C’est que mon temps m’est compté. Je pare au plus pressé. Tout connaître sans connaître tout, c’est l’objectif. C’est la quadrature du cercle que j’ai peut-être en l’espèce réalisée.

         Je lis autour des romans, donc. Je lis sur les romans ; je lis ce qui les transcende. Je n’en lis que des                   analyses prises comme autant de béquilles d’une pensée supérieure. Je lis donc la version méta des                     romans. Des métaromans.

  • Pour mes pensées, ne jouissant pas d’une érudition totale, je ne crois qu’en mon intuition. Lire Spengler donne une foi inébranlable en le pouvoir de l’intuition. Spengler écrit. Mal ou bien, il écrit. C’est un furieux qui balance des uppercuts à chaque page. Un génie germanique fait pour dominer le cosmos.
  • Le regard d’artiste ou d’esthète n’est pas sexuel. Le problème de l’artiste est de ne pas trouver la perfection. De là qu’il l’imagine. Si l’imagination prend le pas sur le réel, il ne baise jamais. Sinon, et c’est heureux, il accepte ce que tout le monde sait : en ce bas monde, il y a de la beauté chez l’être accompli, non adolescent, chez l’être figé, qui n’est plus en mouvement, chez l’être adulte, fait, et imparfait. Autre point : le défaut équivaut à la fêlure qui souligne la perfection du reste : l’artiste qui sait cela baise bien, et beaucoup.
  • La conquête don junaesque confine à l’avarice : pulsion accumulatrice.

 

-

      Sylvain Tesson a écrit UN ETE AVEC HOMERE sous le patronage de Lawence Durrell dit-il. Or mon père m’a toujours parlé de Durrell. J’ai d’une certaine façon grandi dans l’esprit « Durrell ». Etonnant comme les affinités se rejoignent ; ici avec Sylvain Tesson que j’adore et qui adore Durrell. Façonné par ce dernier qui semble avoir influencé Tesson, il était prévisible que je lise avec plaisir ce dernier.

 

-

      Dans la série VIKINGS, le grand jarl Ragnar Lodbrok prophétise à son meurtrier une terrible punition que ne manqueront pas de lui infliger ses fils. (De fait, ils vengeront leur père en envahissant l’Angleterre à la tête de ce qu’on appelle LA GRANDE ARMEE PAIENNE. Magnifique machine de guerre du Moyen Age. Mécanique implacable qui dévastait tout sur son passage. Des milliers de guerriers d’Odin dont les plus vieux n’avaient pas 25 ans ; jeunesse ardente ; pouls nietzschéique et boréal qui transfusa l’Europe carolingienne.) Ragnar se sacrifie pour réveiller son peuple endormi (il se laisse tuer après s’être livré). Au seuil de la mort, il promet que « Lorsque les petits marcassins entendront le râle du vieux sanglier, ils vont grogner très fort ». Les petits marcassins se rassembleront en effet et captureront le roi Aelle de Northumbrie qui subira le supplice de l’aigle de sang. (Ici, la série respecte scrupuleusement ce que l’Histoire enseigne).

      Réveiller par le sang un peuple endormi, c’est justement l’idée du livre DESOLE JEAN-PIERRE de l’identitaire Daniel Conversano. Son personnage jure de faire entendre le râle d’un vieux sanglier aux petits marcassins. Comprendre ici les blancs, lesquels, une fois qu’ils seront guéris du sida mental qu’est le gauchisme, lâcheront le chien rouge comme dit Tom Wolfe. Le chien rouge, ce sera eux, enragé du sang viking qu’ils ont rendu stérile depuis 70 ans. Et le chien rouge, une fois lâché, force blanche à la Moby Dick, fait mal, très mal. Il grogne. Il va grogner très fort, je le sens. Efficace. Ceci aussi, je le sens. Le chien rouge viking sèmera l’horreur avec l’aigle de sang. Ca va dépoter. On va tout nettoyer. Ha ! Je veux !

 

-

      Ce matin, au moment de m’engager dans un escalator de La Défense (le premier qui suit la sortie du métro en son terminus), j’ai senti l’agitation d’un cadre dans mon dos. Je devinais son costume et son agacement provoqué par la foule compacte qui avançait lentement. Je ne l’ai pas regardé, ce cadre. Sans trop savoir pourquoi, je ne l’ai pas aimé d’emblée. Sensation. Je me suis dit qu’il avait de mauvaises ondes, puis me suis rabroué tant cette expression m’horripile (ce mélange de pataphysique et de pensée de bonze). Je me suis corrigé, et j’ai reformulé : sa présence m’infectait. Il provoquait chez moi une impression de gluance. J’imaginais un personnage filandreux et finassier. Un pot de colle géant si dégueulasse qu’une fois qu’il fut proche de moi, j’eus envie de lui balancer un coup de coude. Dégage ! C’était physique.

Plus loin, je pus l’observer une fois qu’il eut passé devant moi. Il s’agissait de G. Un lointain collègue. Une langue de vipère, maigre salope que j’ai toujours tenue (et à raison, je ne suis d’ailleurs pas le seul) pour la reine du faux. Tout ce que je déteste. Sa gueule, aussi. Comment oserai-je douter après cela de l’animalité de l’homme et de ses ressorts doués d’instinct ? Les mauvaise ondes nomment mal ce que j’appelle méfiance. Les mauvaises ondes associent uniquement à l’esprit un mécanisme de rejet qui part d’abord du corps avant d’être validé mentalement. Car pour avoir entendu parler G., je sais parfaitement ce qu’il est, ce faquin.

 

Mercredi 25 Avril 2018 – Bosch et Brueghel

A Mom.

      L’absence de silence est une implication de la barbarie. L’absence de honte également.

      Jérôme Bosch : il faut se rappeler les rires et sourires qu’il peint sur des gueules vautrées dans l’outrance. L’exubérance de tempéraments veules dégueule du pinceau. Son épigone, Brueghel l’Ancien, est plus ancré au quotidien. Il montre la figure de l’homme de son temps qui prend le pas sur celle que celui-ci cache dans son grenier de Dorian Gray. Civilisé et éduqué, l’homme donne une épaisseur à la frontière entre la franchise et l’hypocrisie.

Cet homme montre ses mimiques au public (ha çà oui !), ses grimaces aussi, ses trucs et astuces pour se maquiller. Mais il existe sans jamais afficher son côté boschique. Ceci, l’afficher, il le promet aux ombres qui peuplent la mort. A elles, il ne pourra de toute façon rien dissimuler. Comme le spectateur d’un tableau de Bosch, elles regarderont le défilé des confessions. Il y a de ces flagellants de Séville dans ces défunts que le maître peint en enfer. Je crois qu’il faut y voir exhibés dans leur nudité crue les vivants que Brueghel l’Ancien saisira dans la trivialité du quotidien. Défaits de ce vernis de silence et de honte qu’ils se sont appliqué, ils sortent des civilités en mourant et cessent de s’oublier. De ce point de vue, la mort chez Jérôme Bosch peut être comprise comme une renaissance : quel autre homme qu’un bébé se roulerait sans vergogne dans ses brailleries ? Ou sont-ce des retrouvailles avec soi ? La vérité succéderait au secret dont Brueghel n’est pas dupe. Influencé par Bosch, il a retenu avec lui qu’au-delà, ca y est, les hommes sont eux-mêmes, morts à eux-mêmes ; avec leurs tourments, leurs défauts et la somme de leurs péchés. Ils devront en répondre avant d’atteindre à l’innocence.

      C’est à tout cela que l’homme moderne est devenu étranger : jamais il n’aura à s’expliquer. Ni vivant (surtout pas, et puis quoi encore ?), ni mort (la blague ! Non mais ho ! Dis donc !). « Je n’ai rien à cacher » brame-t-il. Alors il montre. « Venez comme vous êtes ! » exige-t-il. Lors il vient.

Ce barbare s’est déjà pardonné. De ses erreurs il s’est absous. Le vernis a craquelé et été poncé, épousseté, aspiré, balancé. Honte de quoi ? Silence de qui ? s’exclame l’ensauvagé. Fierté de tout ! Bruit pour tous ! qu’il soumet.

Brueghel et Bosch, ces génies, donnèrent sans le savoir un masque à l’arrogance du XXIème siècle qui s’en est affublé pour ne jamais l’ôter. Le temps passe, la greffe prend. Le fard devient fardeau, la civilisation la barbarie, l’honnête homme l’homme honnête. L’homme transparent. L’homme déjà crevé. Descendu du grenier, il s’est installé dans le salon. Il se brandit. Vivant comme un mort de Bosch, on devine dans son fracas le tintamarre d’une toile de l’Ancien.

 

Mercredi 02 Mai 2018 – Mes provinciales – Texte envoyé au CGB

      J’ai vu lundi soir le joli film MES PROVINCIALES. Paris. On y croise une altermondialiste de gauche, pro-migrants et zadiste. Annabelle. Annabelle pleure de ne pas savoir conseiller son colocataire cinéphile lorsqu’il lui demande son avis à propos de son dernier scénario. « Tu as un regard d’enfant » lui dit-elle dans ses larmes. « Et quand je vois ce regard, je me sens impuissante, si petite, si nulle, si inutile. » On imagine sans peine qu’elle joue aussi ce numéro aux immigrés qu’elle secourt à la Chapelle.

Tout à sa mission, cette pasionaria n’a pas de temps à consacrer à la vie sentimentale. Pas de sexe non plus. Ce qui frappe chez cette fille stérile autrement féconde au monde (grâce à la lutte), c’est son comportement de maman. Annabelle materne tous ceux qu’elle rencontre, les commande et les rabroue à la façon d’une mère au foyer. Elle a toujours raison ; elle est investie dans sa mission d’éducation. Son colocataire finit par la fuir parce qu’elle l’épuise à « [lui parler ] comme un gosse. » Plus qu’une mère au foyer, Annabelle me rappelle une mère supérieure fort concernée par la tâche qu’elle s’est assigné, bien qu’elle ne vive pas recluse. Au contraire, elle se fond dans le corps social qu’elle dissout à l’acide de sa foi gauchiste. Annabelle se frotte à la misère qu’elle jure d’éradiquer à grands coups d’idéaux. Elle veut bien entendu changer le monde, sauver la planète, éradiquer le mal. Ses obsessions : accompagner les autres et œuvrer au salut des marginaux. Son existence oscille entre le refus de sa vie de femme, le refus de la vie, même, et le don de soi : Annabelle a tout de la nonne. Une vierge.

Et c’est bien ce que sont ces gauchistes militantes qu’on voit en ce moment aux JT : des pythies sans Dieu, paumées dans un monde séculier. A leur décharge, elles ont été abandonnées par le clergé et l’école, et c’est livrées à elles-mêmes qu’elles tentent de déchiffrer un environnement complexe qui ne leur sert qu’une tautologie marxisante pour les y aider. Un gloubi-boulga de Marx et de Jésus épicé au Che. Et en fait de guides, rien que des culbutos sociaux-démocrates. Difficile dans ces conditions d’être cohérent. Mais le Christianisme a-t-il été chassé qu’elles galopent après parce que là est leur vraie nature. Ne fonctionnant qu’à la commisération et à la pitié, ces crétines vivent de résidus chrétiens sans s’aviser qu’elle singent une religion qu’elles disent détester. Il est vrai qu’à force de mal copier le Christ, elles le caricaturent et satisfont l’Antéchrist, mais elles restent ce qu’Emmanuel Todd appelle des cathos zombies. Annabelle passe son temps à chialer, et je ne sais pas sous quel ordre se rassemblaient les pleureuses comme elle, mais il devait bien exister. Remarque : leurs pendants masculins sont des moines d’un nouveau genre. Leur accoutrement zadiste, à elles comme à eux, ressemble à celui du peuple d’arrière-ban qui suivait les chefs croisés. Au moins les gueux avaient-il la dignité de ne pas lancer de mode avec leurs guenilles. C’étai la foi qui leur tenait de mode. La foi en le Christ Sauveur.

 

Jeudi 03 Mai 2018 – Inventaire

-

      WORD révèle que de décembre 2015 à fin avril 2018 j’ai écrit 141200 mots qui correspondent à un livre de 565 pages dans l’édition classique. Une œuvre prototypique ? Il s’agirait d’une sorte de journal ; pas d’un journal (attendu qu’il n’est pas le fac-similé de mes journées). Il n’a rien d’un décalque de mon emploi du temps mais plutôt de celui de mes réflexions, idées et autres notes (certaines de ses entrées sont ainsi intitulées). Si j’étais écrivain, il s’agirait de l’arrière-plan de mon œuvre. Un morceau secondaire. Pas au sens de second choix, mais parce que le journal, et plus encore un simili comme le mien, relève d’un sous-genre de la littérature. C’est une affaire de conventions (la France, longtemps auto-proclamée patrie de la littérature qui s’est dotée d’une Académie, adore les conventions) mais surtout de goût : rien de tel que le roman pour percer dans les lettres et atteindre un public. Rien de tel qu’une histoire pour séduire et convaincre le lecteur d’aller chercher davantage chez ce diable d’écrivain. Je ne trouve ici rien à redire. Je ne blâme pas les mœurs intellectuelles d’Europe (il en va ainsi partout, pas qu’en France). Ce fut longtemps mon fonctionnement de toute façon. J’arrivais aux essais après en être passé par les romans. C’est différent maintenant, et je m’en suis déjà expliqué dans ce simili-journal, mais mon cas est ici exceptionnel au regard de la statistique.

 

-

      À l'honnête homme a succédé l'homme universel qui a précédé l'homme standard. D’abord des devoirs, puis des droits, et rien : ni droit ni devoir. Ainsi vit l’homme standard. Chronique du dévoiement.

 

-

      L’adolescence analphabète et son cortège de pubères : on pourrait les surnommer les anals. Déjà, il y a une antiphrase implicite car ce sont tout sauf des annales. Et enfin, il y a une allusion claire à la position de leur cerveau.

 

-

Bémols à Michel Onfray :

  • il vit dans le fantasme d'une gauche chrétienne et gentillette avec les pauvres auxquels elle serait la seule à donner de l'instruction. Il n'y a pas que cette gauche à pratiquer cela. C'est même ni de droite, ni de gauche. Bonaparte n'était pas spécialement à gauche, or il a créé une école moderne, dite du mérite.
  • il critique le libéralisme à cause d'un psittacisme franchouillard, avec un côté marxisant poussiéreux, rigolo, automatique. Il doit pourtant savoir que sa critique du libéralisme conduit à le confondre avec ce dont il se revendique : le libertarisme. Alors il dira qu'il critique en proudhonien etc. et que le libéralisme peut alors se distinguer du libertarisme et que lui, Onfray, ne se sent pas proche des néomarxistes français. Soit, mais franchement, entre le libéralisme d'Hayek et le socialisme d'Onfray, il n'y a pas photo. Le premier apporte un semblant de prospérité là où le second souille de merde tout ce qu'il touche. Le libéralisme, appliqué en Amérique du sud dans des pays sans ressources rend ces derniers (Chili, Uruguay) infiniment plus riches que d’autres intrinsèquement plus dotés mais tartinés de bouse socialiste (Argentine, Vénézuela : le pire exemple, quel gâchis, ha ! ce que je peux détester les socialopes).

 

Vendredi 04 Mai 2018 – Quelques remarques

-

      Je regardais à l’instant une photo en noir et blanc du petit-neveu de Napoléon Bonaparte. Fils de Napoléon III, il fut tué en Afrique lors d’un combat contre les zoulous. J’ai pensé que Napoléon Eugène Louis Jean Joseph Bonaparte possédait le visage type du Français de souche de 1850-1950. La coiffure, la moustache et les paupières lourdes lui donnent même des airs proustiens, très troisième République. Aujourd’hui, le phénotype français, c’est Booba. Un zoulou.

Pour le prince impérial, il est possible que le noir et blanc crée une ressemblance artificielle entre les personnes qui se faisaient photographier avant le technicolor, donc durant les 100 ans séparant 1850 de 1950. J’inclus le daguerréotype dans la photo N&B, alors qu’il permettait la couleur, parce que le temps de pose que nécessitent les deux technologies est égal et confère aux photographiés un air identique. L’attente et la patience impriment le même rendu sur les visages, et c’est donc sans doute cela qui les fait tous s’apparenter. Le temps long (proustien) contraint les modèles de la même manière. De conditionnement en contrition, l’expression des photographiés prend un pli unique. De là que les visages argentiques de nos ancêtres laissent cette impression de déjà vu, de tiens, je crois bien que je le connais, lui, mais d’où serait-ce ?

Ceci étant, au-delà de ces considérations, il y a chez Napoléon Eugène un regard qui contient son époque. Son regard ne dit pas l’impatience de fixer l’objectif : il livre son temps. Il le récite, ce temps. (Proust est un écrivain en noir et blanc). C’est le même regard qu’on voit chez n’importe quel Français 1850-1950, du poilu au bourgeois en passant par l’artiste et l’aristo. Tout comme l’accent, le regard témoigne du passé. Chez les Français d’avant, il est profond, ancré, plein d’un pays dont la voix a changé : aujourd’hui, les regards des selfies sont si vides.

 

-

      L’Action Française a réalisé sans le vouloir le but que s’est fixé le communisme : rassembler les classes sociales puis les rendre égales.

Il y a toutefois des différences. Pour commencer, le communisme n’a jamais réussi, l’AF si. La classe unique marxiste n’a jamais paru, la classe aristocratique si.

Si je devais développer, j’écrirais que le communisme théorisait à l’excès la classe unique et qu’il s’excitait sur le creuset métaphysique où chacune se fondrait en une seule. Rien de ce foin à l’AF. La communion était spontanée, irréfléchie : jeune et physique. Elle était réelle et voulue, non abstraite et faussement désirée. L’AF profitait de la race de certains : l’AF était vernaculaire. En quoi le communisme pouvait-il profiter de l’encore inexistante classe de personne ?

Il y a aussi que les camelots du Roi n’abandonnaient pas leurs origines en s’invitant dans les rangs maurrassiens. L’aristo côtoyait le prolo sans que l’un jalousât ni méprisât. Le courage intellectuel et physique (lors des bagarres de rue et dans les tranchées de Verdun) suffisait à les unir dans l’amitié au-delà de laquelle ne disparaissaient pas les différences de classe : celles-ci se juxtaposaient moins qu’elles ne disparaissaient dans les oukases auxquels ne se refusaient pas les cocos. Eux imposaient leur néo-réalité. Ils tordaient le réel et les gens pour en fabriquer des nouveaux. N’y arrivant pas, ne leur survivaient que rancœur et frustration. A coté de cela, l’enthousiasme militant de l’AF fait rêver. La camaraderie, les  fameux camarades ! et autres chatouillis de langage, c’était à l’AF qu’on les trouvait. L’esprit de corps vaut plus que l’esprit de classe. L’esprit de corps existe, l’esprit de classe n’existe pas. L’esprit de corps vit depuis la nuit des temps, l’esprit de classe est mort-né. Le miracle de l’AF, c’est aussi celui de l’armée qui l’avait en cela précédée. Plus largement, l’aristocratie (guerrière) avait tout inventé.  M’enfin, si j’étais communiste, je vivrais le succès de l’AF cuvée 1910-1934 comme une grande humiliation.

 

-

      On vient de m’installer le nouveau compteur gaz GAZPAR. Connecté. Selon le technicien que j’ai questionné, les gens sont aussi frileux avec GAZPAR qu’avec LINKY, sa version électrique. Connecté itou. On apprend beaucoup auprès des petites gens, comme disent mes collègues, alors qu’ils ne le sont pas vraiment, petites. Et d’après le technicien que j’ai vu cet après-midi, moult personnes craignent les ondes de ces nouveaux compteurs. Ils prétendent qu’elles sont magnétiques, or ce sont des ondes radio. Le leur dirait-on qu’ils cesseraient d’écouter les news sur le transistor de leur véhicule. Sont-ils bêtes. Ou des petites gens ?

C’est en tout cas un refus catégorique qu’ils signifient à cette technologie dernier cri. Ils éludent le rendez-vous d’installation ; réitèrent au second ; et s’y emploient encore et toujours quand ils sont relancés et menacés par les factures-sanctions (attention, chers lecteurs, soyez prévenus. Montant : 80€). Ils préfèrent le conflit et le relevé manuel à l’ancienne qui complique l’existence tous les deux mois. C’est qu’il ne faudrait pas que l’Etat connaisse instantanément tout de leur consommation (pensez-vous, il le sait déjà). Et puis c’est dangereux, ces ondes. Aucune preuve, mais ce n’est pas grave. La physique ondulatoire dit que c’est à pisser de rire, mais non, ils y tiennent à leur complot des ondes. Ces complotistes sont d’autant plus drôles qu’ils moquent « la théorie du Grand Remplacement », dont les tenants seraient des complotistes. Or c’est un fait, pas une théorie ; et dire le réel, ce n’est pas croire au complot.

 

Lundi 07 Mai 2018 – Qui ne saute pas n'est pas Cratyle !

-

      Le pouvoir des mots ? Et comment ! Par exemple, à force de s’entendre dire que la France est fourbue, on finit par y croire. Pis, on finit par l’être soi-même, fourbu. Autre exemple : on arrive à croire que les immigrés-qui-eux-ne-croient-pas-qu’ils-sont-français sont des Français.

Les mots s’incarnent et donnent chair à l’idée qu’ils véhiculent. Le hic, c’est que ca permet à Hermogène de persévérer dans son être alors qu’il a tort. Bien que je reconnaisse son pouvoir, je lui préfère Cratyle parce que lui a raison. Tellement raison qu’il ne parlait qu’en remuant le doigt. De peur que les mots n’incarnent plus rien, il préférait se taire. Chez Cratyle, le langage se réduit d’autant plus à peau de chagrin qu’il est pratiqué. C’est en étant parlé qu’il se déleste de ses sacs d’étymologie et travestit ce qu’il énonce. Le langage et les mots deviennent le vecteur du mensonge. Qu’aurait dit Cratyle de notre époque ? De Macron, le roi communicant ? Comment aurait-il supporté ce moment de la pensée performative autrement qu’en remuant son majeur ?

 

-

      J’écrivais l’autre jour que « l’absence de silence est une implication de la barbarie. L’absence de honte également ». J’en ai eu un bel exemple hier pendant que j’étais dans la file d’attente devant la piscine de Neuilly-sur-Seine. Dès qu’il fait beau, la basanerie de Nanterre et de Clichy rapplique afin de souiller les pelouses jouxtant le bassin extérieur (le sportif est alors totalement vide : point positif).

Une moukhère qui se trouvait devant moi avec ses nièces faisait tenir à l’une d’elles une enceinte portative sur laquelle la tante envoyait de la musique depuis son smartphone. (Pas de la classique, évidemment). Bien qu’indisposé par cette inconduite, je me tus, n’ayant aucune envie d’entrer en conflit avec une bande si arrogante. La vieille avait l’œil méchant de l’immigré sûr de son fait. Petite prunelle fèce où se logeait le regard chafouin de l’Arabe fier d’être con. Et le cul bardé de ces droits qui le gonflent d’importance et de légitimité. Bien posé en France, ce cul. Sans devoir, même pas celui de se torcher. Ce tas de femme était aussi à l’aise que ce pote envahissant qui, venu pour dîner, reste dormir, et s’installe insidieusement chez vous avant que vous vous rendiez compte qu’il traîne en slip dans le salon et pose ses pieds puants sur la table basse. Quoi ? T’as un truc à dire ? Raciste ! qu’il vous lancera si vous vous risquez à quelque observation.

Les tubes de l’époque allaient bon train, donc. Je me les prenais pleine poire. La chaleur commença d’avoir raison de ces filles en surpoids et l’une des plus jeunes se plaignit d’avoir mal à la tête et exigea de couper le son. Le tout dans une langue fleurie pour une gamine de 10 ans, accent de banlieue à l’appui. La tante la souffla et pérora : « Tout le monde aime la musique. Je vais pas l’éteindre. Toute façon, c’est bientôt la fête de la musique, alors hein. Si on peut plus écouter de la musique dehors, c’est quoi ca ? Si les gens ils zaiment pas la musique, bien t’as qu’à rester chez toi, hè ! » Ahurissant. Comment mon pays en est-il arrivé à tolérer cela ? Ou comment en suis-je parvenu à ce niveau de décalage avec lui ? Je pense l’exact contraire de cette roulure. Mon éducation et la tenue qui en découlent sont-elles à ce point à côté de la plaque que je doive me sentir si déconnecté de ces « Français » ?

En lecteur de Renaud Camus, je ne devrais pas m’étonner. Cet événement est d’une banalité...Il émane du faussel, ce mot par lequel Renaud Camus désigne le règne du tout-inversé, des valeurs renversées, de la France-grand-cadavre-à-la-renverse, de la France fourbue, précisément. Le faussel est parfaitement incarné et Cratyle ne rechignerait pas à le prononcer. La femme pycnique en proposait une juste illustration. Je pense que Renaud Camus aurait eu le courage de lui demander de cesser son cirque, lui. Il relate parfois dans son journal qu’il a rabroué tel personnage qui brillait par son indécence dans un lieu public qu’il avait l’inélégance de confondre avec son chez-soi. Je me souviens d’un type dans un musée qui meuglait ses commentaires devant les tableaux : Camus raconte lui avoir hurlé de se taire. (Jouissif).

 

Lundi 07 Mai 2018 – Vision futuriste

      J’imaginais tout à l’heure à quoi ressembleront dans vingt ans les travaux de réaménagement d’appartement. Je me disais que la robotique leur serait intégré. Je ne pense pas que les robots seront utilisés pour les tâches de plomberie et d’électricité parce qu’elles ne peuvent pas être standardisées. Il y a trop de différences d’un immeuble à l’autre (d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre). Impossible de normer quoi que ce soit. Créer un schéma réplicable à l’infini relève de l’utopie. L’œil humain sera nécessaire. Parce que la main de l’Homme restera l’outil le plus abouti de l’évolution sur Terre, il faudra toujours un humain à la tuyauterie dont il sera l’expert. Et il y a que l’Homme est doué d’une intelligence adaptative, donc il sait ramener l’inconnu à du déjà-vu, contrairement à l’Intelligence Artificielle. L’Homme sait transformer une situation exceptionnelle en une banalité facile à traiter car déjà traitée. Le génie du constructeur consiste à faire parler le passé. C’est ce qui s’appelle le savoir-faire.

      En revanche, les robots le remplaceront pour les travaux de peinture et de ponçage. Murs et sols sont universels. Il y a de quoi proposer à la robotique une méthode de traitement.

L’artisan-chef conservera le contrôle de ses nouvelles machines, il mènera les analyses de la composition des murs et du parquet pour choisir l’enduit adéquat (certainement permises par ses engins), il les paramétrera en fonction et veillera à leur bonne marche. Le gain de temps sera énorme. Finies les interminables attentes de rénovation des logements haussmanniens. Si j’étais artiste-peintre, je m’amuserais à croquer cet avenir. L’idée serait de célébrer le génie humain. Par mon tableau, l’art serait mis au service des plus géniaux créateurs : les inventeurs, les ingénieurs, les bâtisseurs. Au centre de la toile, je peindrais un homme occupé à diriger le bal de ses drones en train de cracher leur peinture sur les murs. L’homme serait au centre, il serait LE SUPERVISEUR, celui du titre de mon tableau. Au sol, une machine à poncer s’animerait per se, sous le regard conquérant de l’homme. Ca promet.

 

Mercredi 09 Mai 2018 – Ce qui vous touche

-

      Je suis dans ma période « Renaud Camus ». C’est frappant dans ses livres, la mort de la poésie. La mode de la quantité l’a évacuée du monde. Lequel, une fois devenu le monde de la quantité, continue de prier que son règne vienne.

Renaud Camus insiste sur les problèmes que pose la démographie d’une humanité sans cesse plus nombreuse. Celle-ci s’entraîne et s’enchaîne dans une promiscuité qui annule le silence et l’espace, et empêche de contempler. La lutte pour un peu de place et de répit est permanente. Une guerre de tous contre tous débouche sur une violence continue à partir de laquelle la vie suffit à se définir. C’est à un processus de décivilisation que l’homme assiste. De sa décivilisation. Il involue vers la déshumanisation. C’est ce que j’appelle le devenir insecte. A l’arrivée : un non-homme. Un non-homme censuré par la masse et les autres, rendu invisible par de multiples autres que lui. Un non-homme agité par la conscience statistique de la foule.

Le non-homme est un homme abîmé au double sens de l’épithète : esquinté et enseveli. Son absence au monde découle de la présence obèse de l’humanité. Ha ! Pauvre non-homme. J’aimerais parler de sous-homme mais aujourd’hui la précaution recommande d’éviter la sémantique nazie. Ce serait trop, de toute façon, parce qu’après la lecture de LA SECONDE CARRIERE D’ADOLF HITLER (Renaud Camus), on reste fourbu, comme foudroyé par un constat implacable qui vous jette dans la tristesse. On n’a pas envie d’en rajouter. Les larmes vous gagnent pour peu que vous vous laissiez aller à la réalité de ce qui y est dit, écrit, relaté, commenté, analysé, conceptualisé, en un mot comme en cent : révélé. Mais bon, je savais déjà cela. J’en parle souvent autour de moi parce que je le vis. Le bruit, les gens, les habitations cage à lapins qui entassent et enchevêtrent les masses urbaines, banlageulisées et maintenant rurales. Mais se lire (en mieux, évidemment) chez un autre que soi qui pense comme soi réchauffe le cœur. Surtout s’il s’agit d’un écrivain de la trempe de Renaud Camus. Parce que quel écrivain ! Quel styliste. Quelle intelligence.

 

-

      Sylvain Tesson disait de lui à la télé, l’autre jour, qu’il est inquiet et que c’est ce qui le définit. C’est aussi ce que je dis de moi. « Quand rien ne m’inquiète », selon Schumann, « c’est ce qui m’inquiète ». L’angoisse naît de son absence. L’inquiétude permanente. Cela pourrait faire un titre (un peu lourd) d’un prochain journal de Tesson.

L’entendre dire qu’il est inquiet m’a confirmé que nous approchons le monde de la même manière : avec méfiance et dans l’idée de le contempler (c’est ambitieux). Il nous faut nous en écarter pour le mieux comprendre et parce que sinon nous y sommes inféconds. Lire Sylvain Tesson ne manque jamais de me rappeler la proximité entre lui et moi. C’est intellectuellement jouissif et entraînant que de se lire chez un écrivain. Il l’est tout autant de l’entendre à la télévision confirmer pourquoi nous l’aimons, pourquoi nous le lisons, que nous avons eu raison de croire en notre amitié virtuelle. Nous ne nous sommes pas trompés de nous reconnaître en lui. Cela vous donne épaisseur et cohérence. Cela vous rassure. Cela vous encourage.

 

-

      J’ai vu aux abords de la salle Pleyel une extraterrestre. C’était avant-hier, avenue des Ternes. Certainement mannequin, du niveau Victoria’s secret. Elle était accompagnée d'une vraiment moins jolie - évidemment. Cela m'a rappelé une scène du livre UN SINGE EN HIVER lorsque le narrateur, qui est le substitut d'Antoine Blondin, voit passer une créature entourée de ses copines peu amènes qu'il appelle des poissons-pilotes. Je m'étais dit que c'était bien vu littérairement. L’image allie justesse et drôlerie. Elle présente aussi l’avantage de correspondre à la réalité. A celle des faire-valoir. Dont acte avant-hier.

      Ce n’est pas le genre de femmes qui excitent sexuellement les hommes civilisés, je crois. Trop de beauté la leur rend non seulement inaccessible mais coupe leur envie érotique et pornographique : qui voudrait souiller la perfection ? A part les bougnoules, personne - et c’est pour cela que j’ai ajouté l’épithète civilisés, plus haut. Certes, les bistres aiment salir et humilier la grande bellezza. Tandis que les Européens la chérissent. De sorte qu’accompagner la grande beauté satisfait moins leur libido que leur égo. S’affichant à son bras (ou l’affichant au sien, selon qu’il flatte ou pas), celui qui l’a séduite signifie à l’entour sa satisfaction. Il dit aux hommes Reviens dans 10 vies, quand le karma te l’aura offerte.

 

-

      Paolo Sorrentino mauvais réalisateur ? Enfin, Moyen, quoi, Fellini c'est mieux. Vraiment ? Ce n'est pas un truc de réac, ça, mais un tic de grincheux. Le grincheux regrette moins son passé à lui que le passé tout court, du temps qu’il visionnait LA DOLCE VITA avec la délectation du sybarite. C'est ici d’autant plus mesquin que Sorrentino est un excellent faiseur de films.

Le réac a en revanche raison de regretter le passé de la France à cause de l'immigration-invasion que son pays subit et qu'il ne subissait pas avant - en un temps qu’il (le réac) n'a pas connu. Spécialement s'il est comme moi dans sa trentaine.

      Entendu dans LA GRANDE BELLEZZA : « La nostalgie est la seule distraction qui reste à ceux qui ont peur de l'avenir ». C’est exact.

 

-

      Tout misanthrope commence par se détester. La haine de soi précède la détestation des autres. J’en sais quelque chose. L’humain est une saloperie, ha çà !, mais je ne suis pas en reste.

 

-

      J’ai croisé une touchante gauchiste hier lors d’une soirée. Touchante à maints égards :

  • Elle confessait que le racisme des Arabes envers les noirs l’attriste et que l’égal mépris des noirs envers leurs pauvres la jette dans une colère...noire. Elle parlait de classisme : au moins évitait-elle l’idiot racisme de classe. Une tendre naïveté violemment déflorée qui parle avec rage ne rate jamais de m’être sympathique.
  • Il fallait la voir répéter les mantras je-suis-très-diversité et vivre-ensemble avec le même entrain qu’un perroquet. (« Ici, en France, on essaie de vivre-ensemble ! » Précisément, on essaie parce que ca ne marche pas.) Entrain contrarié par l’absence de cacahuètes que je ne lui donnais pas. Je ne me démontais pas. Alors elle gesticulait sur son fauteuil, agacée qu’elle était de ne pas me convaincre ni de trouver ses arguments. Sa pensée magique devenait inopérante, chose qu’elle a rarement dû subir du fait que ses « idées » valident le consensus et sont validées par lui (dans une dialectique de bébé Cadum). Elle a l’habitude d’être écoutée, adoubée, saluée, adorée. « Trop chouette cette meuf. » D’abord parce que tout le monde est d’accord avant qu’elle n’ait commencé ; aussi parce qu’elle rallie les moins réveillés, ceux qu’elle ennuie et qui, pour qu’elle se taise, lui passent tout. L’énergie du gauchiste ahurit son auditoire ; l’abrutit ; le débilite ; ou le touche.
  • Remontée mais jamais agressive, elle sortait son joker : le sociologue, dont elle me parlait des études, ce qui ne veut rien dire, d’autant plus que ses études ne brassent que dalle. Astrologue des temps modernes, le sociologue est le curé d’un paradis sans Dieu, partant sans substance, et qui dit le rien avec rien. Mais ma gauchiste y tenait. « Des études de sociologues révèlent que les profs notent différemment les élèves en fonction de leurs origines. » Ben tiens. Et si c’était vrai ? Où serait le mal ? Silence. S’ensuivit lors un numéro d’équilibriste entre ce que l’époque lui intime de penser, que dis-je, l’oblige à penser (et qu’elle se force à), et ce qu’elle sait et voit mais s’interdit de savoir et de voir. Donc de dire. Donc de penser. Se jouait devant moi un conflit entre son inconscience faite de psychisme reptilien et de saine conscience refoulée, et sa nouvelle conscience bâtie sur du réel déformé (aussi tordu qu’elle) : un néo-réel. Elle semblait se parler à elle-même. Je n’existais plus. Elle me faisait penser à un robot en proie à un bug matriciel qui hoquetterait sur un bouclage sans fin. Incapable de me convaincre (elle le voulait elle, c’est prosélyte ces bestioles, c’était sa décision, je n’avais rien demandé), elle se suggestionnait. Retour à sa configuration d’automate. Rebootage touchant.
  • A coups d’arguties, elle expliquait et justifiait (justifiait, surtout, car elle défend les opprimés, la grande cause, toujours !) que les noirs et les Arabes réussissent moins bien à s’intégrer que les Asiatiques. J’étais au spectacle. Elle se débattait avec les évidences qui contrariaient chacun de ses arguments. Elle avait beau plaquer sur les faits ce qu’elle avait décidé qu’ils devaient être, ceux-ci se dérobaient. Têtus ! En cela, rien de bizarre. Elle servait la soupe qu’on lui avait servie et enseigné à cuisiner. Arriva ce qui devait arriver : obsédée qu’elle était par les races, elle finit d’elle-même par les classer et trouva toute seule la réponse. « Les Asiatiques subissent une énorme pression de la part de leur famille pour devenir médecin ou chercheur ou cadre. Alors que les Arabes et les noirs sont heureux si leurs enfants deviennent secrétaires. C’est ca qui explique qu’ils s’intègrent moins bien. » Moi : « Oui. Mais là, tu restes à la superficie de l’approche. Tu y es presque. Ton raisonnement est sur le point d’aboutir. Je veux dire, qu’est-ce qui permet que ces familles asiatiques se comportent plus intelligemment ? » Yeux de merlan frit. « Et bien le fait qu’ils sont, ces Asiatiques, plus intelligents. Regarde la carte des QI : le QI asiatique est le plus élevé du monde. Et comme tu le dis, ils arrivent à des postes qui nécessitent de hauts QI, à la différence des autres. » Elle :« Je ne crois pas au QI. J’ai un bon poste et je n’ai pas un haut QI… » « Si, tu en as un ! » (ce dénigrement de soi-même...) « …la raison est sociale, ils vivent dans la mouise, c’est difficile pour eux. » « Certes, mais les Asiatiques se sortent de la même mouise. Et puis, oui, le social, mais il y a aussi le facteur ethnique : si les noirs et les Arabes vivent dans la mouise, c’est aussi qu’ils bullent ici dans une mouise d’importation qu’ils ont pourtant fuie, celle bien de chez eux. » Ici, j’ai cru qu’elle allait pleurer. Se décomposer. Elle était pulvérisée. Je m’en suis voulu, elle m’a touché. En deux temps trois mouvements, elle m’expliquait déjà qu’au Québec, « où j’ai vécu », les Maghrébins de l’élite marocaine et tunisienne « y réussissent mieux scolairement que les Français » (avec quelle jouissance insistait-elle sur les Français - cette haine de soi ne laissera jamais de me fasciner), « et que tous les autres. » Je portai maintenant l’estocade : « Oui, ces Maghrébins de la haute je les connais, je les ai pratiqués en prépa et en école, et bien ils ont tous profité du système scolaire français à l’ancienne, la mode coloniale, vieux système qui a périclité chez nous parce qu’on l’a abattu, et c’est donc doublement qu’ils sont meilleurs que tout le monde, a fortiori que les Français ». Et hop, une gauchiste de moins. Touché-coulé.

 

Mercredi 09 Mai 2018 – Généraliser

      Il faut généraliser. Généraliser a permis les plus grandes conquêtes de l’esprit. Sans généralisation, pas de modèle. Sans modèle, l’homme ne serait jamais allé sur la lune. Il n’aurait jamais excavé des sols hostiles de la planète le pétrole dont l’humanité a tiré la force d’inventer encore. Sans généralisation, pas d’humanités, pas de philosophie, ni de théâtre ni de littérature, toutes avancées qui ont jeté l’intelligence dans le cercle vertueux de ses progressions. Sans généralisation, pas d’archétypes, pas de vision du monde à laquelle l’arraisonner. Sans généralisation, pas de mathématique, pas de théorème, pas d’abstraction, pas de génie. Pas d’art non plus : la mathématique, cet art abstrait ! Ha ! Si !

Si l’homme n’avait pas généralisé, il n’aurait pas discriminé, il n’aurait pas été discriminé non plus par mère évolution, oui dà, et le politiquement correct fût sauf. Ce serait gentil. Ca irait. C’est bon, ca. C’est bien, c’est sympa. Mais l’homme serait resté cet animal  apolitique avec autant d’impact sur son environnement qu’un coquillage à chair molle. Où serait allée se loger la représentation de tel mollusque que la naissance faisanderait ?

Trop faire cas du cas particulier (justement) cache une peur du risque. Le politiquement correct castre inventeurs, bâtisseurs, chercheurs, entrepreneurs. Il les stérilise et rend l’humanité inféconde. Hommes bréhaignes. Queues plates. Qu’une navette explose dans l’espace et on arrête tout ? Foutaises ! On continue oui ! A nous Mars ! A nos pieds le cosmos ! Et on intègre au modèle un lieu limite dont la densité statistique s’est avérée plus élevée que celle escomptée. On améliore. On avance vers le but qui a été fixé. Sans scénario, sans croire à la téléologie bigote des mous de Jésus mais en les desseins qu’Il nous avait promis. On ne lâche rien ! Même sur la croix ! L’humanité avance en tâtonnant bon sang ! Mais laissons-lui son sens du tragique ! Le politiquement correct est dramatiquement dramatique : il refuse le tragique de la condition humaine avec des manières de vieille fille. Il n’a que ses chat à cajoler. A mort ses chats ! A mort ses dieux-fiottes ! Discriminons ! Vive le fatum. Un seul slogan : Amor fati ! Rien d’autre. Amen.

 

Vendredi 11 Mai 2018 – Cliquez sur les panneaux

-

      Je regardais hier une vidéo envoyée par N. Elle montrait Marlène Schiappa qui se contorsionnait pour justifier que les femmes sont absentes des rues de banlieue. Il ne fallait surtout pas contrarier le politiquement correct. Ne pas se montrer raciste. Pour ne pas stigmatiser le machisme des primates qui interdisent à la femme de sortir, elle trouvait des raisons tantôt farfelues (les femmes n’ont pas le permis de conduire), tantôt idiotes (les femmes ne pratiquent pas le skateboard). C’est ce qui s’appelle les fourberies de Schiappa. Renaud Camus, très présent sur les réseaux sociaux, s’est amusé de mon jeu de mots : je tenais à signaler que je m’y suis fait remarquer du grand homme.

 

-

      Je regardais hier encore une autre vidéo qui recensait des témoignages de légionnaires étrangers. La Légion, cette confrérie qui sait égaliser les hommes en coulant leurs origines, race et religion dans le moule de la discipline. Dans le goût de l’effort ; dans la vie et dans la mort. L’armée couche le vivre-ensemble : ce qu’il jure de faire mais ne fait pas, la Légion l’accomplit sans jurer (avec des jurons, c’est possible, mais les vivre-ensemblistes ne sont pas en reste).

 

-

      En fait de vivre-ensemble, il me revient cette image surprise un soir que je courais dans le bois de Boulogne. Une racaille et un bref homme aux allures de notaire de province se tenaient devant la camionnette d’une prostituée. Le lascar attendait fièrement son tour, la clope au bec, avec toute l’assurance de sa classe sociale prise en pareille situation. Il y avait de l’arrogance, aussi, celle de celui qui ose et assume. Un tantinet monarque. Rien à fiche. L’autre m’avait semblé honteux, il faisait très attention aux regards, tout contenu, noué, coincé, raide. Tout ratatiné là, recroquevillé sur son attaché-case. Ce qui aurait dû me paraître cocasse me donna une impression de normalité. « Tout ceci est banal » m’est venu à l’esprit. Le tableau ne me choqua pas plus que ca. Il n’était plus étrange. Le beur et le petit notaire se tenaient cois. Sages. Ils se comportaient dans l’attente comme deux vieux amis qui ne partagent rien mieux que le silence. Ils ne s’ignorent pas (ils se voient encore moins), mais ils s’écoutent. Il arrive que la parole cache un aveu qu’eux préféraient taire. Ca se comprend. Ils vivaient ensemble, finalement. Les classes sociales réunies par le cul : ca a plus de gueule qu’un discours de Schiappa.

 

-

      ROMANTISME FASCISTE : le titre de Paul Sérant choque les contemporains. Le notaire qui va au bois ne comprend pas : un romantique, c’est gentil, et un fasciste, c’est méchant, comment est-il possible de les associer ? C’est un oxymore ! Non, petit notaire, c’est une redondance, mais pour le piger, il faut des années de lecture et une sensibilité innée que tu es trop loin de posséder pour que je perde mon temps à te l’expliquer. Il faut être futé, or tu es idiot. Va gagner des sous dans ton taff de con (notaire, c’est vraiment un taff de con).

 

-

      Un collègue s’agaçait ce matin de ne plus retrouver ses identifiants de connexion. Je le comprends : dans notre monde saturé de mots de passe, qui ne prend garde à les noter s’expose à tels désagréments. C’est pénible. Les « identifiants » polluent nos univers professionnel et privé. Je me souviens que dans le roman que j’écrivais en mai 2010 (resté depuis à l’état d’embryon - d’avorté en fait, même pas d’avorton), mon narrateur énumérait les codes et autres badges dont il était sommé de se munir pour exister aujourd’hui « On dit que les nazis ont industrialisé la mort, mais les Alliés ont industrialisé la vie » pensait-il. Il en concevait désarroi et amertume. C’est qu’il en coûte à l’humanité code-barre d’abandonner son identité aux chiffres. La lettre a été évacuée du monde et ce n’est pas Olivier Rey qui me contredira (il me faut lire son essai QUAND LE MONDE S’EST FAIT NOMBRE).

En septembre 2010, Houellebecq publiait LA CARTE ET LE TERRITOIRE dont le narrateur, Jed, explique qu’avec la numérisation il est devenu l’extension de ses identifiants et du matériel informatique. C’est par eux qu’il apparaît. S’il en reste le territoire (la chair, le côté physique), ses mots de passe en sont la carte. La société webmatique le cartographie en sorte que la représentation de lui-même n’est plus sa personne ni son esprit mais ses sigles d’identité. Dans un monde schopenhaurien, il n’est plus un homme. Pour un homme schopenhauerien (que sont Jed et Houellebecq), ce monde n’est plus un monde. A minima, ce n’est plus un monde habitable ou vivable. La poésie a crevé (où l’on retombe chez Renaud Camus). C’est ce que j’avais pressenti en mai 2010. Si Houellebecq en a diffusé l’idée avant moi, je l’avais comprise avant qu’il ne la révèle, et ceci confirme deux choses : que je ne suis pas mauvais et qu’il dit tout ou a tout dit. Houellebecq est trop imposant pour je puisse exister en tant qu’écrivain houellebecquien. C’est un ogre qui dévore tout. Il n’y pas plus de place. Je me cantonnerai donc aux chroniques et pamphlets. J’y existerai peut-être - certainement davantage que dans le roman.

 

Lundi 14 Mai 2018 – L’enfer c’est les autres

      Alors que L. et moi filions vers la Normandie vendredi soir dernier (bien après les départs du pont de l’Ascension : nous fuyons la foule et ses (m)effets), nous fûmes seuls sur l’A13 durant le peu de kilomètres qui séparent Neuilly-sur-Seine du premier péage. Béatitude. Personne à l’horizon. « Si seulement le monde pouvait toujours aller ainsi » lui dis-je. « Sartre a dit beaucoup de conneries mais il avait raison, l’enfer, c’est les autres. » Je précisai aussitôt qu’ « il ne l’entendait pas de la même façon que moi, ceci dit ».

Chez Sartre, autrui contraint la personne par le regard. Dans sa théorie du pour-autrui, c’est l’œil extérieur qui concède une identité. Chez moi, la seule présence suffit à m’irriter. Et d’autant plus si elle est nombreuse, ce dont Sartre ne se plaint pas. Au contraire, Sartre adore la masse. Il idolâtre les masses, en fieffé communiste qu’il était. Le nombre ne le contrarie pas ; l’enfer n’est pas physique ; l’enfer est métaphysique : l’identité se définit à proportion des regards qui se posent sur soi, partant, elle est multiple donc malaisante. Autant de soi-s qu’il y a de paires d’yeux. Sartre en déduit que l’identité, donc l’essence, n’a aucun sens, et que seule compte l’existence. Qui est observé existe de manière irréductible au regard d’autrui. La masse donne du corps à l’existence, et à défaut de vivre per se, Sarte se réjouissait d’exister avec elle. Grâce à elle. En elle. « L’existence précède l’essence » par ordre d’importance. C’est une histoire de poids dans la contrainte qui s’exerce sur l’individu. L’existence est robuste, solidifiée par le groupe - l’essence est faible, diluée dans la foule. Donc l’existence est une donnée (plus) fiable. Celle-ci, l’existence, ne vient pas forcément avant celle-là, l’essence. Il y a qu’elle a la force de l’évidence : elle tombe d’emblée par sa puissance démographique. L’existence roule la personne dans les gens. Elle enveloppe l’être dans une population. L’essence se manifeste timidement, souvent après : de quelque sorte qu’on l’envisage, elle est précédée.

      Le pour-autrui sartrien est à la base de l’existentialisme et je ne suis pas certain qu’il soit un humanisme. Sartre pouvait se tromper. A s’identifier à ce qu’on voit dans la prunelle d’autrui, on risque de ne pas aimer ce qu’il voit : on n’aime pas l’image qu’il renvoie et on a vite fait d’en confondre la détestation avec la haine de soi ou de l’autre. L’existentialisme est un narcissisme.

Au moment où j’écris ces lignes, le hasard m’en soumet une illustration. Un type parle à l’instant avec un collègue. Il était au lycée français de Moscou avec moi circa 1996. Ce n’était pas un ami parce qu’il avait un an de plus, mais un camarade pas désagréable. Cela fait plus de 7 ans que nous nous recroisons sur mon lieu de travail, mais il feint de m’ignorer, comme s’il souhaitait oublier son passé moscovite et tout ce qu’il contient. Même s’il a pris sa revanche (grand gaillard, rugbyman, polytechnicien devenu un professionnel accompli (riche trader : cela ravira les loups de Wall Street)), il semble n’avoir pas omis qu’il était autrefois une victime de cour de récréation, moquée et frappée (il était blanc, catholique, fils de bonne famille, toutes choses punies par les autres gosses qui se plaisaient à imiter les racailles rappeuses). Aucun grief entre lui et moi, pourtant. Mais aujourd’hui, il n’aime pas ce que je lui rappelle de lui, je crois. Cette part figée dans son passé qui le fixe en moi. Je ne vois pas d’autre explication. Il s’empresse de mêler cette gêne narcissique à l’impolitesse la plus sèche : une fois que nous nous trouvions seul à seul en réunion, pas un mot ne fut échangé à propos de nos souvenirs communs. Rien. Son regard me signifiait qu’il me rencontrait pour la première fois. De glace et de marbre. Pas l’ombre d’un doute n’émanait de cette certitude qu’il m’adressait : « Je ne te connais pas ». Comprendre : « Je me suis oublié. Je t’ai effacé de ma mémoire.» Sartre a identifié le mécanisme humain du déni. Ni plus ni moins. Chez certains, c’est un outil d’identité : voilà ce que Sartre nous dit. C’est de la sociopathie. Comment saurait-on y fabriquer de l’humanisme ?

 

Mardi 15 Mai 2018 – Notes pour comprendre le siècle

-

      Rien à voir avec ce qui suit, mais je méditais sur la guerre l’autre jour. Je comparais la première guerre mondiale à la seconde. Elles se distinguent par deux fondamentaux qui sont leur lieu et leur vitesse de déploiement.

De 1914 à 1918, la guerre s’ancre au sol. La terre agricole est sa tranchée. C’est un conflit paysan mené avec des poilus issus de la campagne ; un conflit enraciné à l’image de ses soldats qui ont été arrachés à leur village dont la glèbe les avait pétris. Une guerre paysanne, donc. Une guerre rurale. Et une guerre enlisée, fixe, figée pour les humains (seules les armes s’agitent dans l’espace séparant les armées : balles, obus, gaz volatiles, premiers avions).

De 1939 à 1945, la guerre s’anime. C’est un conflit motorisé, mobile, avec ses tanks soutenus par l’aviation, un blitzkrieg  qui fait penser Malaparte à « une usine en mouvement ». Justement, c’est une guerre ouvrière. Après tout, les ouvriers, ces urbains, devaient aussi avoir leur guerre après les campagnards. La deuxième guerre mondiale oppose à la première un conflit de déracinés conformément à ses armées composées de manutentionnaires anciennement paysans, déracinés eux aussi depuis l’exode rural. Le tankiste a remplacé le fantassin et le cavalier. Le soldat accompli est pilote ou conducteur. Qu’il vole ou chenille, il  se déplace. Les nomades se battent (les meilleurs tankistes de l’Armée Rouge étaient les Mongols). Il arrive qu’ils se donnent rendez-vous là où ils ont sédimenté après y avoir été aimantés façon moustique sur halogène : la ville devient parfois une tranchée à ciel ouvert. Cette guerre peut être citadine et s’abîme dans des redites absurdes des charniers de Verdun : Leningrad, Stalingrad, Dresde, Hambourg, Le Havre, Caen avant les collapsus d’Hiroshima et de Nagasaki.

 -

      J’ai vu hier soir une publicité pour l’Euro au cinéma. Le spot semble appartenir à une série (sans doute est-il le premier) destinée à convaincre le public des bienfaits de la monnaie unique. C’est un dessin animé de deux minutes qui montre une caricature de Français de souche attablé à un zinc. Le nez rougeaud, il descend des verres de pinard. Il porte une marinière. Il est gras. Son béret mange un crâne bourré de stéréotypes dont on devine qu’ils le font voter pour le Front National. Le type râle et maugrée que l’Euro a tout foutu en l’air, « c’était mieux avant avec le franc ! » oui dà ! Le beauf. Le bidochon de base conforme à l’idée de la France rance et moisie dont parlait autrefois Sollers dans TEL QUEL, à coups d’éditos de bourgeois marxiste.

En face de lui, le tenancier est un gentil bicot qui doute des propos de son copain. L’Arabe de service est un possédant. Pour appuyer ses remarques, surgit un super-héros moulé dans une combinaison bleue avec € jaune sur le poitrail. C’est EUROFORT. EUROFORT explique au souchien qu’il se trompe parce que l’Euro a diminué l’inflation du franc, et que le prix de la baguette n’a pas tant augmenté que cela, pas plus que celui des voitures ni de l’essence. Les arguments économiques sont enfantins, donc imparables dans notre société infantile. EUROFORT est de toute façon bienveillant, alors le beauf est convaincu, d’autant plus que le barman l’encourage à y croire. La publicité s’achève sur le nom du rade : CHEZ MOMO.

Momo…ha ! Momo ! Momo la joie versus souchien gronchon. L’avenir en face du passé, l’allié de l’EUROFORT contre l’axe maléfique du papi souverain. Cette animation de propagande contient un condensé du Grand Remplacement qu’on voit décidément partout quand on lit Renaud Camus (comme on voit la fête se développer n’importe où quand on lit Philippe Muray) : Momo et EUROFORT œuvrent de conserve à la disparition du blanc, forcément plouc, l’un par l’invasion ethnique et la vulve de Mama, l’autre par la destruction économique qui justifie une immigration à vil prix devenue le fourrier du super-héros. Ses desseins sont simples : créer une classe unique de pauvres corvéables à merci pour le bien d’une hyperclasse riche et déconnectée des réalités de Momo et des résidus blancs.

 -

      J’ai vu la bande-annonce de BRITANNICUS qui se joue en ce moment au théâtre. La réclame annonce que « BRITANNICUS se regarde comme un épisode de HOUSE OF CARDS. » L'inversion des valeurs, c'est ça : comparer Racine à une série. L'étalon de la série n'est plus Racine, mais c'est la série qui devient l'élément de mesure de Racine. Quand on lit Renaud Camus, impossible de ne pas de parler de faussel. L'inversion des références aboutit au monde du faux. Un monde reréférencé pour qu’il soit raccord aux us et coutumes de la petite-bourgeoisie. Ce qui parle à un petit-bourgeois, c’est-à-dire à tout le monde, ce n’est plus Racine mais HOUSE OF CARDS. La seule façon de rendre Racine comestible, c’est de l’intégrer au sous-genre cinématographique de la série. C’est seulement une fois qu’il sera inclus à son monde à elle que la petite-bourgeoisie s’intéressera à Racine (hors de question que ce soit à elle de s’inclure, encore moins de se soumettre). Comme l’explique Renaud Camus, le génie de la petite-bourgeoisie est d’inclure de force. C’est une classe inclusive. L’inclusion forcée s’étend à tout, de la culture à EUROFORT (monnaie unique pour tous) en passant par l’immigration (régularisation des immigrés) : c’est une opération totalitaire. C’est un totalitarisme et Renaud Camus y détecte ce qu’il appelle la dictature de la petite-bourgeoisie.

Tout ceci, la publicité l’a bien compris, elle l’a sans doute même créé, voire encouragé, et assume sans gêne d’en être l’agent de propagande. Dans le cas de BRITANNICUS, j’imagine que la Comédie-Française l’aura stipendiée pour attirer le chaland. « Pour se créer un public ». « Pour réunir une audience. » Alors la pub appuie là où ca fait bien en assimilant Racine à la série. En souillant Racine. En humiliant l’un des plus grands noms de la France.

 (Rien à voir mais je voulais vous demander si vous remarquez comme moi la puanteur des peuples du sud. Je ne supporte plus leurs hormones dont on jurerait qu’elles leur ont été inoculés par le soleil tant elles jutent de leur sueur, de leurs cheveux, de leurs yeux et bouches suintants.)

Vendredi 22 Juin 2018 – Malaparte et Jünger

      Dans les bois de Bligny durant l’automne 1918, le sort de la France se joue à l’approche de la fin du premier conflit mondial.

Les Allemands culbutent Anglais et Français. Demain Paris. Dans les rangs des Sturmtruppen se trouve un jeune caporal : Ernst Jünger, au beau milieu des orages d’acier.

      Les Italiens sortent de la bataille du Piave durant laquelle leurs troupes d’élites, composées de paysans, viennent d’écarter les Austro-Hongrois. Ceux-ci, aidés des Allemands, sortaient pourtant d’une éclatante victoire à Caporetto où s’était distingué un jeune gradé, plein d’entrain, d’allant et de génie militaire, inventeur de la mission commando : un certain Rommel. C’est lui qui rompt la guerre de position en nettoyant les tranchées au cœur des lignes ennemies. A la fin de l’année 1918, place au mouvement. C’est ainsi qu’en deux jours, à Caporetto, les Austro-Hongrois avaient démoli dans la chaîne du Carso deux ans de tranchées forées dans la glace et la roche par d’admirables Italiens.

      Après Piave, Cadorna est un général victorieux. Il envoie aussitôt ses hommes en renfort des Alliés. Direction les bois de Bligny. Parmi ces troupes de choc, un autre caporal écrivain : Malaparte. En chef de forces spéciales, Curzio Malaparte affronte Jünger. Il raconte.

 

« Tout commença la nuit du 14 par une terrible tempête de feu. Von Mudra, der Argonnengeneral, avait concentré le tir de deux mille pièces d’artillerie sur un front de cinq kilomètres à peine. Ce fut un massacre. Assis sur l’herbe, adossés aux arbres, dans un terrain sans tranchées ni abris, nous nous faisions tuer en fumant une cigarette après l’autre. A l’aube quand les Sturmtruppen passèrent à l’attaque, nos effectifs étaient réduits de moitié. Tous les commandants de bataillon étaient morts, une mitrailleuse sur deux ne fonctionnait plus. Ne pouvant rien faire d’autre, nous fîmes des miracles. L’idée nous vint de mettre le feu aux broussailles devant les chars ennemis qui devaient ainsi faire marche arrière pour éviter l’explosion de leurs réservoirs d’essence. Nous combattions au milieu des flammes. Nous attendions des renforts qui ne pouvaient pas arriver parce que les Allemands, écrasant deux bataillons de Sénégalais sur notre gauche, étaient désormais à quelques centaines de mètres à peine du commandement de notre division, à Nanteuil-la-Fosse. Nous n’avions pas mangé depuis vingt-quatre heures et n’avions rien à boire. Impossible d’évacuer nos blessés sans les faire tomber aux mains de l’ennemi. Le soir nous étions presque sans munitions, sans grenades. Les chargeurs des mitrailleuses Saint-Etienne et de nos Fiat étaient vides. La mêlée continua pendant toute la nuit. A l’aube du 16 les Allemands effectuèrent un bombardement d’ypérite. Nos vieux masques n’arrivaient pas à nous protéger, on n’entendait plus dans le bois immense que le râle des agonisants et le rire dément des soldats qui montaient à l’assaut en hurlant comme des bêtes. Nous avons repoussé dix-neuf attaques allemandes et monté sept contre-attaques à l’arme blanche. Je commandais la 94ème section de lance-flammes, les grenades que les soldats allemands portaient à la ceinture prenaient feu au contact des flammes. Les artilleurs anglais et français par mégarde se mirent également à nous tirer dessus. Mais nous n’avons pas cédé d’un pouce. Et l’ennemi ne fut pas arrêté par nos armes insuffisantes, mais par la merveilleuse folie de ces paysans de Toscane et d’Ombrie. Dans la soirée du 17, quand un corps d’armée écossais vint enfin à notre aide, les troupes de von Mudra se repliaient sur Fère-en-Tardenois. Le plan de Ludendorff avait échoué. Le 18, ce fut au tour des Alliés de passer à l’offensive. »

 

      Malaparte et Jünger sortent éreintés de la première guerre mondiale, mais ils sont devenus des écrivains. Soldats décorés, souvent blessés, revenus de tout et partis de rien, mais écrivains. La guerre, ce révélateur si puissant de ce que l’homme contient.

Que ces deux monstres sacrés émergent des tranchées auxquelles ils ont survécu quatre ans durant ne laisse pas de me fasciner. Il y a comme une caste d’hommes bénis des dieux, comme protégés par eux. Malaparte Jünger ? Pas touche ! disent-ils. Se rencontrent-ils au bois de Bligny et doivent-ils s’y affronter dans un choc titanesque que quoi qu’il arrive, ils survivront : mieux qu’Achille et Hector. Ici, la réalité dépasse la fiction et la guerre devient mythologie. Les deux caporaux passent de héros à symboles ; leur rencontre dans l’enfer de Bligny n’a d’autre sens que mystique : à leur échelle, ils résument et englobent les tranchées. En bataillant à un moment crucial pour l’issue du premier conflit mondial, ils concentrent sur eux l’acmé de la déflagration. Aucun scénariste n’aurait osé : c’est trop grand pour être vrai. C’est trop beau, même, mais c’est ainsi que la guerre est littéraire.

 

      Malaparte...Je n’oublierai jamais ce vendredi soir de l’été 2012 : je rentrais du boulot, allumai la radio qui sonna RADIO NOVA, et l’écoutai, affalé sur mon lit, fatigué. Le speaker expliqua que les programmes étaient interrompus pour une raison que ma mémoire aura desséchée. Un homme prit la parole et entra aussitôt dans une transe hallucinée, hallucinante et hallucinatoire : toute l’hypnose y était. Il parlait de la décadence : je choisis exprès ce mot vague parce que mon souvenir est diffus.

      L’effet que la radio produisit sur moi appartient au registre des émotions rares. Il arrive qu’on soit confronté à certain phénomène dont l’intensité soit si haute qu’on se rappelle moins le sens que le phénomène lui-même, bien que le sens soit parfaitement saisi sur le moment. Je parle ici de souvenance, qui n’en est pas moins forte ni marquante. Le véhicule compte alors plus que ce qu’il transporte ; le signifiant vaut plus que le signifié ; le medium devient le message. C’est ce qui se passa ce soir-là. Je crois que c’est exceptionnel dans une vie.

Ce n’est pas faute d’avoir cherché, mais je n’ai jamais retrouvé qui parlait, ni quel était le nom du programme : il était et aurait été, point. La voix se concentrait sur la déshumanisation en cours en Occident et la défaite de l’homme blanc. L’approche était métaphysique, c’est-à-dire que les défis démographiques et migratoires n’entraient pas dans l’équation, mais tout de même, le sujet ne manquait pas d’étonner sur une radio gauchiste telle RADIO NOVA. La parole suivait un allegretto dont l’allure ne nuisait pas au déploiement d’une pensée claire, nette, précise. J’étais suspendu au propos, comme hypnotisé par tant d’intelligence. L’homme l’était, intelligent. Telle fluidité ne pouvait être permise que par une haute conscience de soi et de ce qui l’entoure. C’était d’autant plus remarquable que tout était improvisé, tel qu’annoncé avant le monologue. Pareille transe, de toute façon, ne saurait être feinte ni répétée : l’homme était sincère. Sa raison s’exprimait, rien de plus vrai, surtout à la radio ; il n’avait rien d’émotion ; mais j’éprouvais la sensation de sentir son corps vibrer à côté, comme si la voix et le verbe provoquaient leur transsubstantiation. Ce fut encore plus prégnant lorsque son débit s’interrompit net. Rupture ! Et bien avant la coda de son morceau de bravoure. Alors qu’il se lançait  dans un couplet sur l’Europe nommément identifiée, il suspendit son cours en articulant distinctement un mot, que dis-je : un nom : MA-LA-PAR-TE. Lisez Malaparte disait la voix. Mais lisez Malaparte répétait-elle, si vous voulez comprendre l’Europe et le monde d’aujourd’hui, lisez Malaparte. Le ton tournait par instants à la supplique avant de redonner son ordre : KAPUTT ! LA PEAU ! Lisez-les ! Et à nouveau ce mantra au milieu d’un discours déjà tout entier mantraique Lisez Malaparte Lisez Malaparte Lisez Malaparte. Ses incantations sont tout ce qui reste de ce souvenir brûlant. Paroles incandescentes inscrites à jamais.

 

Vendredi 22 Juin 2018 – Bricolage

      Travail manuel à apprendre. J’avais noté cela cet hiver. Je me disais qu’après les travaux et le déménagement, il était temps de faire un bilan.

Mes notes :

La virilité basique, instinctive est du côté des manutentionnaires. J’aimerais être doté de leur force et aussi capable qu’eux de bricoler. A L. qui me dit « tu aimerais être comme eux avec ton intelligence », je réponds oui. C’est ca un surhomme.

Je dis cela sans pour autant considérer qu’ils sont idiots. Au contraire, il y avait beaucoup de bon sens chez ceux que j’ai croisés. Ils n’étaient pas bêtes, tant s’en faut. J’aimerais simplement, pour reprendre un concept à la mode, m’augmenter de leurs qualités physiques sans rien leur emprunter de matière grise ni (rien leur) concéder de la mienne.

Ces types sont ceux qu’on trouve dans les armées. Ils font de bons soldats. Un peu comme Malaparte ou Jünger, j’aurais aimé faire partie de leur confrérie. J’aurais appris à leurs côtés, et pour sûr que c’eût été mutuel. Même si je sais que j’aurais eu à passer la barrière sociale en prouvant mon courage, ma force, ma bravoure, toutes valeurs qu’il est nécessaire de posséder pour ne pas se laisser dominer (dans n’importe quel secteur), j’aurais fini par apprécier leur compagnie une fois le bizutage consommé. Et eux aussi : on finit toujours par m’aimer. Je suis droit et ils saluent ca. Je l’ai remarqué.

Alors je serais devenu un aristocrate sans particule, soit un fasciste véritable, qui ne s’en laisse pas conter par les esprits abstraits (dont il admire le génie) et commande à la plèbe (dont il admire la force, la violence, la vie : la puissance), et s’en fait respecter.

Vendredi 22 Juin 2018 – Notes des jours derniers

-

      L’homme universel (cher aux Lumières), c’est l’homme amputé de ses bons points. L’homme qu’on trouve le plus souvent, c’est le salaud.

 

-

      La métaphysique consiste à penser la pensée.

 

-

      La déculturation et la décivilisation (parfaitement identifiées par Renaud Camus) réduisent les bagages vocabulaire et conceptuel du contemporain à peau de chagrin. Concomitamment, et pourtant, celui-ci se distingue par l'emploi de mots savants ; il s'agit d'un faux paradoxe parce que ces mots, il ne les maîtrise pas, non plus qu'il ne les connaît ni ne les comprend. C'est une préciosité moderne aussi ridicule que celle épinglée par Molière ; un tic humain, de plus en plus répandu aujourd'hui, dont les malades se signalent par un comportement qui appartient à l'enfance. (En sortent-ils jamais, de l'enfance ? devrais-je commencer par faire observer.) De même que l'enfant se plaît à dire des gros mots, de même adore-t-il en répéter de grands pour imiter les adultes, et faire comme si, comme s'il savait. C’est le cas du contemporain qui n’est jamais devenu adulte, préférant le statu quo primitif. Et pour ce qui est de savoir, non, il ne sait pas. De sorte que le contemporain mésuse fréquemment de grands mots.

      On le trouve dans les métiers de service (politique, communication, entreprise) et de l'enseignement. Rien tant que l'image du bad-boy rebelle ne le séduit (le dur), de sorte qu'en fait d'enfant, il faut parler de garnement, et que des mots balèzes correspondent sans doute mieux à l'idée qu'il se fabrique des grands mots, la grandeur lui étant un concept étranger ou honni. Des mots de bonhomme au lieu des mots de grands.

      Les mots de bonhomme qu'il se choisit bénéficient d'une abstraction supérieure à celle du mot tout simple qu'il se refuse à utiliser. Non qu'il le sache : il ne le sait pas (déjà dit). Il croit seulement que son mot balèze équivaut au mot moins abstrus dont il provient. Ça fait mieux. Ça donne une contenance au discours et à la personne. C'est cela, les précieuses ridicules. Leur babil s'étoffe ainsi en piochant çà et là un mot « stylé », et le langage dote d'un parler « la société de l'hébétude » (Renaud Camus, encore).

      C'est ainsi qu'un problème devient des problématiques, une méthode des méthodologies, une vision globale d'un projet en entreprise une approche holistique dudit projet, une carte une cartographie, voire une carto, par apocope : cas singulier pour la bathmologie si chère à Renaud Camus quand il s'amuse à traquer les allers-retours du sens comme épiphanie de la décadence.

 

-

      Le vendredi 18 mai 2018 :

      J'ai entendu Schiappa dire la semaine dernière sur France Info que ce que cette radio relaie est la vérité. Si sic. Juré !

      Une autre de ses fourberies ? Même pas. Un aveu. Celui que Radio France est l'organe de propagande de la Pravda antiraciste (pour faire simple, j'aurais pu écrire gauchiste, féministe, ou toute autre épithète parmi celles qui se rassemblent dans ce gluant concept d'antiracisme).

 

-

      Il m’arrive de ne plus pouvoir converser avec personne. C'est comme si l'écriture avait absorbé ma parole. A force d’écrire (et de vieillir ?),j'éprouve plus de difficultés à pratiquer de grandes envolées comme avant.

      J’ai croisé un type qui me fait penser par ses travers à tant d'humains qu’il ne me rappelle personne.

 

-

      Un monde en paix est paisible, il n’est pas pacifique.

 

-

      L’esthétique :

      Une preuve que l’esthétique est d’importance ? Cortès. Le conquistador prouve que l’esthétique peut. C’est par les armes et son audace politique et militaire que Cortès subjugua les Aztèques, tout ceci est vrai, mais c’est aussi et surtout par son allure. Le vêtement, pour commencer : Cortès est élégant en toutes circonstances, sur les plages du débarquement à Cuba ou dans la forêt mexicaine. La barbe, pour finir : Cortès l’entretient, longue et taillée. Tout cela situe son homme et ne manque pas d’impressionner. On s’y soumet d’autant plus facilement. Le pouvoir de l’esthétique ! La puissance de l’esthétique !

 

-

      Le capitalisme addictif de Patrick Pharo :

      « L’addiction est en effet considérée aujourd’hui comme une forme pathologique du désir qui oblige à rechercher de façon compulsive et illimitée une certaine récompense, quelles qu’en soient les

conséquences pour soi-même ou pour les autres. Mais à mon avis cette pathologie du désir qu’est l’addiction relève moins d’une dérive individualiste du sujet contemporain contraint à affirmer son autonomie, que d’une dérive collective propre au capitalisme qui a mis en place une série de conditionnements et de routines, pratiques envahissantes auxquelles il est de plus en plus difficile d’échapper. »

Un ami est là-dedans. Il s'imagine autonome et libre de pensée. Face à lui, je suis au spectacle d'un être prisonnier de son ombre : celle de son geôlier.

 

-

      J’ai lu ceci chez une danseuse :

      « Pourquoi nous, les danseurs, nous plions-nous à un travail aussi répétitif ? Pourquoi nous entraînons-nous inlassablement à effectuer les mêmes pas, les mêmes gestes ? C’est pour assimiler dans le corps ces mouvements et libérer la tension de notre cerveau. La danse est un art vivant. En réalité, la discipline, la répétition sont entièrement au service de la liberté. Quand vous avez incorporé de nombreux automatismes, vous pouvez vous détacher de la performance à accomplir, ne plus vous préoccuper de la difficulté de tel ou tel pas, mais concentrer toute votre attention et votre énergie sur l’élément créatif, l’imprévu, le geste qui suscitera une émotion chez le spectateur. On travaille longtemps pour aménager en soi-même une ouverture par laquelle l’instinct et l’imprévu s’exprimeront. C’est par là que le merveilleux arrive. » Le sport comme professeur de liberté. Cette façon de mettre la danse au centre de tous les savoirs, la danse comme aleph des disciplines, s'est déjà vu chez Isadora Duncan.

 

-

      MacRon et Rufin.

      J’apprends que MacRon et Rufin viennent tous deux d’Amiens, et qu’ils ont effectué leurs études au collège-lycée LA PROVIDENCE. On est en plein dans LES DERACINES de Barrès, ici. C’est parfois sensationnel cette propension du réel à se joindre à la fiction – et inversement. C’est à cela qu’on reconnaît le talent d’un écrivain. Imaginer le réel. Pour rappel, LES DERACINES sont l’histoire de jeunes Lorrains montés à Paris pour bénéficier des Lumières. La ville les gonflera d’un esprit nouveau. Elle les gavera de l’idéal universel kantien prôné par la République et par leur professeur d’humanités qui les a encouragés à l’exil. Il leur a promis la réussite. La raison ne ment pas. S’arracher de son pays, de son patelin, de ses terres est la garantie mathématique du succès mondain, politique et social. Leur maître s’y est scientifiquement engagé.

Embarqués dans ce jeu de dupes, les déracinés reçoivent différemment leur fatum. Certains arrivent au sommet, ceux-ci sont les MacRon, d’autres font semblant de ne pas s’y trouver, ceux-là sont les Rufin, et pour le reste, ils se jettent dans la truanderie crapuleuse, leurs idéaux hors-sol balayés par une réalité misérable. Qui sont-ils aujourd’hui ? Sans doute quelques anonymes de la providence, oubliés par elle au profit des deux autres.

 

-

      Le besoin de reconnaissance est le produit dopant du moteur humain : il détruit autant qu’il améliore.

 

-

      Jamais époque ne s'était autant tatouée qu'elle condamne l'idée d'identité. Un outil ethnique (le tatouage) se met au service d’un moment de l’Histoire qui vomit l’ethnie. Etrange modernité.

 

-

      Moment misanthrope :

      L’humain, je le vois au moins une fois par jour : avant de tirer la chasse d’eau.

 

-

      Décadence – Vue du mercredi 06 juin 2018 :

      La décadence se manifeste dans une situation de décalage. Dans le film BEYROUTH (vu hier au cinéma), un plan montre une pépée en bikini sur la plage en train de croiser un tank et une femme intégralement voilée comme si de rien n’était : c’est la décadence même. Elle se signale par un décalage évident. Décalage de mœurs, et décalage entre les Libanais qui ne réagissent plus et moi qui me dis qu’il y a urgence, qu’il y a comme un petit problème. Cette scène, c’est l’orchestre du Titanic qui accompagne le sombrage du navire. De même, une tea party d’ambassade entre dandys vêtus à la Fitzcarraldo, tous indifférents aux bombes qui tombent et balafrent la si jolie ville de Beyrouth, pue la décadence. La même que Houellebecq met en scène dans SOUMISSION lorsque la classe moyenne parisienne s’amuse dans les jardins du XVIème alors que résonnent au loin, dans quelque rue, les tatata de kalachnikov. Fitzcarraldo, puisque j’en parle, est leur exact opposé : il accorde une attention particulière à la jungle incivilisée et affiche un maintien à toute épreuve, tiré qu’il reste dans les quatre épingles de son trois-pièces. De la tenue, morale et vestimentaire, que diable !

 

-

      Je préfère les chiens aux chats. Les chiens sont inconscients du temps, ils ne connaissent pas la mort bien que la disparition d’un être cher les atteigne au plus profond d’eux-mêmes. En fait, ils ne savent pas qu’ils mourront, de sorte que leur vie se soustrait à la métaphysique, au questionnement, à l’angoisse, et qu’elle n’est qu’une somme de joies et de peines aussitôt oubliées. Les chiens oublient tout sauf ceux qu’ils aiment.

A l’opposé, les chats semblent toujours contrariés. L’agacement qu’ils développent devant la moindre anicroche me rappelle les vieilles biques de maison de retraite qui n’ont que trop conscience qu’elles vont bientôt mourir. La vie d’un chat est une multiplication de peines inscrites sous la peau. Le chat n’oublie rien. Sans doute son caractère aristocratique lui vient-il de là, de cette mémoire sourde, et de la conscience de la lourdeur de l’héritage.

 

-

      J’ai vu hier le film donné en ce moment sur Giacometti. L’acteur Armie Hammer y joue un rôle de premier plan qu’il étoffe de sa voix qu’on entend en off. J’aime beaucoup sa voix, et c’est une raison suffisante pour que je regarde ses films. Armie Hammer possède un timbre envoûtant qui aurait fait de lui un magnifique conteur, ce qu’il est dans THE FINAL PORTRAIT parce qu’il y incarne un écrivain.

Je ne sais s’il s’agit encore d’un catalogage à la Hollywood mais Armie Hammer paraît destiné aux rôles d’homme raffiné, cultivé, homosexuel bien souvent (comme s’il était aujourd’hui obligatoire que l’honnête homme en fût (et c’est d’un cliché..., d’un minable…)). Mais en tout cas, ca lui va parfaitement, et j’ai l’idée qu’il choisit de camper ces personnages artistes tant sa voix leur semble destiné. Inutile d’ajouter que c’est un excellent acteur et qu’il comptera davantage encore dans un futur proche.

 

-

      Le béaba de la banale modernité – Vu le lundi 11 juin 2018 :

      Une junior est arrivée ce matin au bureau. Un collègue m’a envoyé un extrait de son profil Linkedin en me promettant ironiquement que nous allions bien nous entendre :

Les causes qui importent à N. : 

Enfants

Environnement

Droits de l’homme

Aide humanitaire et secours en cas de catastrophes

Lutte contre la pauvreté

Sciences et technologie

Services sociaux

 

      Linkedin, réseau professionnel, est aussi intoxiqué par la bien-pensance que Facebook.

      Dans le cas de N., cela me rappelle que l'époque offre un succédané de compétences (fausses : tout le monde est compétent quand il s'agit d'affirmer qu'il défend les bonnes causes (au sens de la morale) (il est beaucoup moins simple d'être par-delà le bien et le mal, c'est par trop christique ou nietzschéen)), un succédané, donc, qui permet de compenser les déficits. Souvent, les déficits visés sont académiques, ce qui ajoute du pathétique à une démarche qui manque de grandeur. Tout ceci est vieux comme le monde et a été parfaitement identifié par les classiques : ces travers de l'être humain compassés d'Aristophane à Anouilh en passant par Molière.

 

-

      Sport :

      Je connais certains types curieux de tout sauf du sport qu’ils jugent méprisable. Ils sont pourtant portés sur la connaissance, et bien souvent férus d’anthropologie. Ils refusent à l’humain sa part animale et ludique. Un peu comme si un homme à femmes n’en regardait pas les seins ni les fesses au motif que telle partie de leur corps lui parût ne pas devoir exister, partant, dussent être ignorées. D’un ridicule...(qui peut tuer !)

 

-

      Le moment le plus darwinien de l’Histoire ? Les Vikings.

 

Lundi 25 Juin 2018 – Football

      N’Golo Kantique est un beau surnom pour un joueur capable d’être à deux endroits différents au même moment.

16/10/2017

Remarques en voyageant à Anvers - Mi-octobre 2017 - Automne

Pat Poker

Anvers. Le temps d’un week-end. Deux jours et une nuit.

 

      Architecture

     Architecture art déco. Un peu d'art nouveau aperçu dans les dessins de devantures (des esquisses de femmes). Mais il est normal de retrouver les deux styles dans une même ville, voire sur une même façade, tant les deux se mélangent. Leurs époques se chevauchent, du reste. Le centre de Milan fait aussi coexister art déco et art nouveau, surtout dans le quartier de Brera dont Anvers possède quelques accents (de Budapest, aussi).

C’est sans doute pour cela que le footballeur Patrick Kluivert considérait que Milan était une ville du nord. Je me souviens d’avoir lu dans une interview de lui des propos réfléchis, plutôt fins pour un sportif, du temps qu’il jouait au Milan AC. Cela me paraissait normal, c’était dans les années 90. Aujourd’hui il ferait figure d’ovni dans le milieu du football et passerait pour un génie. Je me réfère à un footballeur hollandais parce qu’Anvers est beaucoup plus batave que belge. Il y a ses faux-semblants d’Amsterdam, déjà, et des cyclistes partout. Très peu d’Anversois parlent français, leur langue est un fracas de gutturales gothiques. Et les faciès masculins font très oranje, avec leur minois de bull terrier à la peau tirée sur les pommettes ; les yeux en amande plissée. Les femmes sont grandes, taillées en fût, athlétiques, mollet-chêne ou cuisse molle, en fonction du gain génétique. Race flamande, pas du tout wallonne.

Pour en revenir au style, je préfère l’art nouveau ; la Belle Epoque me plaît davantage que les Années Folles durant lesquelles étaient fêtés la mort de la France et le suicide européen.

      Des immeubles de brique rouge sortent d’un film américain qui se déroulerait à New York ou Boston. Des églises brunes, également en brique ; et des quartiers type Greenwich village. Je vérifierai, mais je suis presque certain que la Flandre a infusé le Flamand dans l’immobilier new yorkais.

      Des maisons hautes, étroites, aux longues fenêtres : des « maisons entre pignon ». J’ai bien connu cela  lorsque j’habitais à Bruxelles. L’urbanisme d’ici impose que les fenêtres ne soient pas trop larges, de sorte que les architectes ont contourné l’impôt en jetant les murs vers le ciel. D’où l’impression qu’au Benelux les habitations sont collées-serrées, et à cause de cette agglutination, elles sont ramassées. Les rues sont densifiées, condensées.

      Des maisons à la mode londonienne, aussi. La vie de l'Europe du nord ne s'organise pas en appartements telle qu'à Paris. Les frontons anversois sont personnalisés mais aucune anarchie : un ordre spontané surgit du chaos, c'est le goût européen pour le beau. Différents choix respectent une unité de ton. Ainsi va l'harmonie réellement constatée dans les villes d'Europe. Le « vivre-ensemble » (mot imaginé pour un mensonge d'utopie raseuse) était non seulement possible avant, mais déjà réalisé. L'art en témoignait, et il en résultait un art d'être au monde : un art de vivre. Lequel est souillé par les constructions du XXème siècle. Marx et Lénine coulés dans les fondations, avec Staline en grand architecte mondial : c’est affreux. Partout en Europe j’ai pu voir ces immeubles gris Stasi. La première mondialisation fut abstraite et s’orchestra dans les plans de Le Corbusier-s devenus fous. Les règles n’en étaient pas des dérivés du nombre d’or mais des mantras bureaucratiques chargés d’annoncer et de faire accepter aux employés leur vie merdique. Pour toujours. C’est à ce prix que tiennent la productivité et l’efficacité, en bref : la gestion des hommes, auxquels il est interdit de ne rien faire, même quand ils flânent. Il faut que le décor retienne leur âme qui leur est volé : il faut qu’il leur rappelle qu’ils sont piégés, qu’à l’espoir nul n’est tenu et qu’au-delà d’un horizon invisible, leur ticket n’est plus valable. Rêver n’est plus permis, car ce serait contre-productif. Le capitalisme monopolistique ne s’est pas privé de cet héritage légué par les employés 70s aux salariés. Là encore, c’est une histoire de rentabilité.

 

      Hôtel

      C’est une demeure à la Dickens du quartier des antiquaires. Oliver Twist, sorti de la mouise, n’aurait pas dépareillé. La chambre donne sur un jardin encastré. Une église devant. Plus bas, un couple de retraités dîne derrière son bow window. Nos voisins. Il est tôt. Anvers soupe à 18h.

L’endroit me rappelle le film CHAMBRE AVEC VUE de James Ivory (VUE SUR L’ARNO de Forster). Les cloches de l’église sonnent : la voix de l’Europe. Avec cette lumière sépia, jaune et orange de l’automne, c’est le crépuscule. Un avion déchire le ciel. Les gaz de condensation simulent un ressort en train de le ramener à son point de départ. Silence. Manière de suspension. Cette ambiance de paradis. L’Européen l’a connue pleinement, avant, rien que pour lui. Il se l’était créé, après tout. Pourquoi la brade-t-il aujourd’hui au tout-venant africain ? : il y a une mélancolie d’autant plus forte à sentir cette atmosphère nordique. La lenteur de vivre... « L’art de vivre est une lenteur. » m’écrit N. Oui, les hommes pressés morandiens ne vivent pas : ils meurent.

 

      Parc de Middelheim – Musée de sculpture en plein air

      J’y venais déjà, enfant, depuis Bruxelles, avec mes parents. Ballades. J’ai de nettes visions de mon frère, petit, en train d’y apprendre à marcher au milieu des statues. Mon père prenait des photos avec un appareil argentique.

On revient souvent dans les pas de celui qu’on fut, et en pensant à cela, j’entends la voix du personnage du film OSLO, 31 AOUT lorsqu’il se remémore ses vertes années, dans son dernier taxi. Il a mon âge : 34 ans. C’est un écrivain qui a abandonné la partie. C’est LE FEU FOLLET version 2010, en fait, tant le film s’inspire du livre de Drieu. Il y a de cela aussi dans MY DINNER WITH ANDRE lorsqu’à la fin Wally médite devant New York. La ville défile, lui est en taxi (décidément), et il évoque ses allées-et-venues ici et là, plus jeune, avec son père. J’éprouve pareils sentiments à Paris en Uber lorsqu’il me fait passer dans un quartier que je fréquentais avant, et que j’ai délaissé sans savoir quand ni pourquoi. Une rupture s’est faite sans que je m’en rende jamais compte, et avec l’endroit où je ne vais plus, ce sont des personnes qui sont sorties de ma vie. Des moments morts ; des amitiés enterrées, sans fossoyeur pourtant : il suffirait d’un appel pour que tout recommence. Et encore, pour l’avoir déjà essayé, rien ne repart vraiment. Les gens ne changent pas, mais leur relation, si. Il n’y a rien à faire : l’amour et l’amitié n’engagent pas aux nouveaux départs.

      Au Middelheim, je partage la mémoire avec moi-même. Le moderne ne condivise qu’un futur hypothétique, je préfère le passé certain. En y marchant, j’ai comme des flashs. C’est un sentiment universel, et je fixe telle statue de Pompon, son ours, ou le Balzac de Rodin, avec une sensation de déjà-vu –« deyjâ-vû » comment disent les Américains. Mes souvenirs d'enfance m'avaient laissé l'impression d’un parc immense, alors qu’il n’est pas plus grand que le jardin des Tuileries, preuve que le temps est élastique et qu’il se dilate avec les âges.

      Je retrouve l’homme cubique de Zadkine, l’écrivain d’Imre Varga, sculpteur hongrois ; il y a aussi Henri Moore, Georges Mine, l’expressioniste belge, ou Mark Macken.

 

      Il est possible de vivre en face du Middelheimpark. C’est un endroit cossu. On dirait les Hamptons, ou une suburb new-yorkaise. Une allure de Connecticut, aussi, du moins d’après ce qu’en montre le film THE SWIMMER. « Le Vermont. » me dit N. Très East Coast. Il semble que la déco de la côte est américaine soit d'inspiration flamande : il n'est jusqu'aux airs de Greenwich Village, comme je disais, qu'on ne retrouve dans le centre d'Anvers et qui ne rappellent que beaucoup de Flamands émigrèrent depuis le port d’Antwerp vers New-York. Ils quittaient la ville depuis l’embarcadère de la RED STAR LINE, tout de briques rouges, qui furent la dernière chose d’Anvers vue par ces migrants européens. C’est cette image dont ils se souvinrent au moment de bâtir New York.

 

      Socio

      Anvers est le paradis de la fripe. J’ai entendu dire que c’est pareil à Bruxelles. Friperies nombreuses, très garnies, très abordables. De nombreux brocanteurs, aussi. Un goût prononcé pour le design bois-fer, sorte de sucré-salé appliqué au mobilier. Les jeunes chinent. J’ai croisé des vingtenaires et des trentenaires dans des quartiers du type Paris 9ème. Les bars sont ouverts l’après-midi, on peut y danser n’importe quand. Même look qu’à New York, Paris, Londres : barbes pour les garcons et lunettes rondes pour les filles ; les deux sexes mâtinent leur style d’un mélange grunge-rock. On sent que les années 90 reviennent en force. L’habit est ample, large, retour du bombers, et la musique entendue ne le dément pas.

      Les docks sont rénovés ; jeunesse à vélo qui me fait penser aux clichés du canal Saint-Martin. De nombreuses terrasses dans la ville. Très étalée, elle pullule de restaurants qui ressemblent aux endroits branchés d’une capitale occidentale i.e. décoration mi-campagne, mi-usine. Les cadres du tertiaire ne sont ni paysans, ni ouvriers, (et ni pauvres, ni riches) : juste classe moyenne, alors ils font semblant d’être paysans et ouvriers.

      Je ne puis affirmer que c’est une ville bobo, bien qu’elle en ait tous les codes. Je me demande en fait si les Anversois agissent naturellement, ou s’ils le font exprès comme le hipster joue au hipster. Sont-ils sincères, et alors d’authentiques frimeurs-dandys ? Ou sont-ils des poseurs, qui se forcent à, pour faire comme ? C’est évident à Londres et à Paris, mais pas du tout ici. L. me dit que le mot bobo sert à nommer ce qui a toujours existé, à savoir les bourgeois qui investissent de vieux quartiers. Ils les quittent une fois qu’ils les ont réhabilités pour recommencer ailleurs. Le processus traverse les générations et perdure avec les héritages. La mode n’intervient que dans le choix du lieu, mais le fait que la mode existe, la mode en tant qu’elle est mode, disons, ce fait-ci ne varie pas. Si L. a raison, alors les Parisiens ont davantage conscience de ce qu’ils sont, et tirent d’un phénomène naturel et universel une grande satisfaction. En langage morderne, ils pètent plus haut que leur cul. Tom Wolfe qualifie cette attitude new yorkaise de Radical chic.

      La gentrification se constate à Anvers. Elle  participe de la mondialisation. Une culture de masse s'étend. C’est la dictature de la petite-bourgeoisie, éreintée dans son journal par Renaud Camus. Les nounous arabes et noires, toutes musulmanes, toujours voilées, et qu’on croise à chaque coin de rue comme partout en Europe maintenant, côtoient de young arty people. Elles vivent dans des HLM à proximité des bobos et de leur loft à trois mètres sous plafond. Ce sont ces gens que les radicaux chic se sont choisi pour garder leurs enfants. Ce sont leurs gens. Esclave se dit nounou.

 

      Rien à voir, mais il m’est venu une idée rigolote. Pensant lire sur le linteau d’une boutique la mention MARX&ENGELS, j’ai d’abord cru à l’existence d’une nouvelle marque genre ZADIG&VOLTAIRE. Puis, comprenant que je me trompais, je me suis dit que le nom cartonnerait.

      Pour commencer, Marx et Engels appartiennent au mythe occidental du Prince et le pauvre (Engels, riche bourgeois, et Marx, socialiste désargenté), donc cette alliance, revisitée par les codes modernes, est littéralement du radical chic. J’ai conscience que les bobos ne se l’imagineront pas, mais un peu de mercatique savante suffirait à le leur apprendre, donc à leur vendre les sapes MARX&ENGELS. Et alors, porter un zip Anti-Dühring serait aussi du radical chic.

Idéologiquement, maintenant, M&E (le sigle bénéficierait de sa proximité avec celui de MARKS AND SPENCER (M&S), et de l’image d’un brand excellent) correspond à leurs attentes : plus à gauche, y’a pas. Je sais bien que Marx conchiait les gauchistes, mais là encore : ils ne se l’imaginent pas une seconde. Et dans ce cas, on passe ce point sous silence pour leur faire acheter du M&E.

      Le vêtement importe moins que sa griffe. Aujourd’hui, le capitalisme n’a besoin que d’un vernis : la matière existe déjà, et ce n’est donc pas par elle qu’il faut innover. Le capitalisme adorerait récupérer deux de ses plus grands ennemis et se les allier de force : après Che Guevara, MARX&ENGELS : le capital absorberait les deux Allemands et les recracherait dans sa boue 150 ans après.

      Le capital applique ses principes à n’importe quoi et n’importe où : c’est sa force. Comme à Milan, dont l’allée centrale qui part de la piazza del Duomo à San Babila est bouffie de magasins, il s’empare du centre d’Anvers en tirant un trait de la place Rubens aux restaurants, puis barde cette allée des mêmes boutiques de fringues qu’à Milan. Résultat : le centre d’Anvers ressemble à s’y méprendre à celui de la capitale lombarde. Il espère transformer pareillement les hommes, et les rendre partout identiques, grâce à l’homme-nutella prophétisé par Renaud Camus, cet homme remplaçable à souhait, en qui et par qui le capitalisme s’étale. Les agents du capital ne sont pas des hommes révoltés, mais des hommes étalés. En manière de clin d’œil à Albert Camus, Renaud Camus devrait écrire L’HOMME ETALE.