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15/06/2017

Agenda d'un Français en France - De Septembre 2016 à Juin 2017

Pat Poker

                Pour cette fois encore, je choisis de publier mes journées à rebours. Je ne parviens pas à en trouver la raison. Sans doute est-ce une manière d’arrêter les jours. Ou de remonter le temps, plus simplement. Ce n’est en aucun cas une décision prise en fonction de critères esthétiques : elle est arbitraire, comme imposée par l’extérieur.

                Esthétique, en revanche, le choix de l’écriture des dates en en-tête de mes réflexions. La majuscule imposée aux mois, normalement interdite par la règle qui les traite comme les autres mots, répond à un goût calligraphique tout personnel.

                Esthétique aussi la posture du diariste que je deviens. Je rapporte l’événement avec un ton justifiant l’intitulé de ce blog i.e. L’Aristo.

                Il me reste à souhaiter à mes rares lecteurs une bonne lecture de ces commentarii à la Guichardin puisque j’y traite de littérature, de poésie, de moments politiques, et de ce que le chroniqueur florentin n’aurait pas manqué d’adorer : le cinéma.

 

Mercredi 14 Juin 2017 - Les surdoués passent le bac

                Pourquoi un plombier gagne-t-il mieux sa vie qu’un cadre ? Parce qu’il y a pénurie de plombiers et des cadres à foison. Rareté contre profusion. Et pourquoi donc ? Parce que les dernières générations ont été si dégoûtées des métiers manuels qu’elles les ont délaissés au profit du secteur tertiaire. Travailler la matière n’est pas assez bien. C’est souvent un art, mais peu importe : à la matière noire est préférée la matière grise. Le travail de l’esprit serait supérieur au travail des mains (comme si les deux n’étaient pas liés).

Les jeunes générations ont été élevées dans l’idée qu’un métier intellectuel est non seulement plus noble, et ceci reste à démontrer, mais encore plus rémunérateur que l’artisanat. En premier chef, il y a l’école, et en second, les parents. Tous encouragent la jeunesse à devenir médecin, avocat, ou ingénieur, au lieu de menuisier, charpentier, ou cuisinier. Diligentés par les gouvernements des quarante dernières années, instituteurs et familles, persuadés d’agir bien, ont convaincu tout le monde que n’importe qui peut se soustraire au labeur physique censé brutaliser l’espèce, parce que chacun peut être intelligent et vivre de son cerveau. Le principe appartient à la bonne vieille égalité qui, lorsqu’elle est forcée de s’étendre à tous, confine à l’égalitarisme. C’est très français, l’égalité, mais ici, c’est encore un truc de socialiste : cela partait d’un bon sentiment, d’un idéal qu’ils disent, mais qui a abouti à un salmigondis de mépris pour les métiers manuels, et de déception provoquée par la société de service. Bref, que du mal-être à la place de l’épanouissement annoncé.

A défaut d’améliorer la condition ouvrière dans quoi les socialistes enferment la totalité des travaux de force, ils l’ont purement oblitérée. Devenez des zintellos, c’est mieux, et vous en avez le droit ! Les droits à sous-tendent tant les discours égalitaristes que je parie qu’ils inventeront bientôt le droit à la beauté pour les moches. Pénétrés du rêve prométhéen de se substituer à Dieu, ils ont bien créé le droit au QI : quel sens donner à ce baccalauréat obtenu par 85% des candidats ? Moyenne générale : 15/25, mais prononcez « sur 20 ». Minable, mais rien ne les arrête quand il s’agit de gonfler les statistiques pour cacher la réalité. La société ment à des élèves suffisamment sots pour la croire. Ou sont-ils hypnotisés par ses rêves gauchistes ? En vérité, la plupart ne vaut rien et devrait être poussée vers moins d’abstraction.

                Les meilleurs intègrent les Grandes Ecoles. C’est la minorité. Le reste croupit dans les sciences molles enseignées dans des universités freudo-marxistes. Ces élèves, infatués par un enseignement secondaire qui leur a mis dans le crâne qu’ils sont géniaux, affrontent l’existence à Bac + 5 avec un Diplôme de sociologie des plantes vertes en entreprise. Il est difficile de trouver un débouché avec ce torche-cul, de sorte que plusieurs finissent au chômage, ou sur les quais du RER à fermer les portes sur des cadres mieux armés. Les moins mauvais dégotent un poste à la noix dans une firme du CAC, sise à La Défense, punis à fabriquer du vent sur Power Point et Excel. Leur journée n’est certes pas chômée, mais même leur salaire misérable ne saurait la justifier. Ils sont vite las et bouffés par la rancœur des promesses non tenues : Bac + 5 pour ca ?! Ca les hante. Quoi de plus normal puisqu’on le leur avait juré ? Ce qu’ils ont subi est odieux. Il eût mieux valu être honnête avec eux dès le départ, au lieu que de s’en servir pour prouver que l’égalité est réelle. Ils auraient été plus raccords avec eux -mêmes et n’en fussent que plus accomplis.

Je croise nombre de ces égarés au bureau. La psychologie de la rancune les conforte dans l’idée qu’ils n’y arrivent pas parce qu’ils sont incompris, ou, corolairement, parce qu’ils sont trop brillants pour accomplir bien ce qui leur est mal demandé. Ils se résument en affirmant qu’ils sont des surdoués. Même qu’ils l’ont lu. Dans un bouquin acheté à la FNAC au rayon MEILLEURES VENTES. Leurs angoisses, leur retrait du monde, leur échec : c’est parce qu’ils sont surdoués ! Bac + 5, c’est au moins ca, attends. Au vrai, ils sont si limités qu’ils ne comprennent pas leur limites. Ils ont le droit à l’intelligence, pardi ! Pathétique. J’ai longtemps pratiqué une amie qui m’expliquait qu’elle était surdouée, et que le monde entier qu’elle enviait et haïssait tant l’enviait et la haïssait pour cela. En l’écoutant, je comprenais qu’elle était victime des mantras gauchistes. Une parmi d’autres. Je lisais une fois sur le blog du PSY qu’il recevait dans son cabinet une palanquée de ces malades mentaux. La surdouance est une mode en quoi les sacrifiés de l’égalité ont foi.

                Last but not least, les diplômes des Grandes Ecoles sont dévoyés par cette orgie de diplômes foireux. Il y a comme un ensevelissement sous la masse qui entérine une censure des plus doués. En tout, la quantité salit la qualité, et la présente situation n’échappe pas à cette règle. Elle place en concurrence un tel nombre de diplômés que les meilleurs sont rendus invisibles par la myriade de médiocres.

 

Mardi 13 Juin 2017 - La piscine et La Défense

La piscine

               Dès l’arrivée des beaux jours, les populations de Nanterre et de Clichy s’invitent à la piscine de Neuilly-sur-Seine. Des noirs et des arabes en masse. Heureusement, ces êtres incapables d’effort et de discipline ne s’aventurent pas dans le bassin sportif, de sorte que Dimanche dernier, il était vide. Je nageais seul.

Les classes dangereuses s’acagnardaient sur la pelouse extérieure. Unies par le tas, elles paressaient au soleil, hurlant un peu, histoire de manifester leur présence. Elles signaient leur passage par la crasse. Le sol se souillait depuis les vestiaires jusqu’aux cabinets. Jonché de poils, d’extraits de gonades et de fesses, il suait une eau grise et tiède qu’il expulsait dans une myriade de flaques. Sans doute est-ce là la loi du nombre, mais elle ne possède pas de meilleurs agents que ces cultures arabo-africaines. Comment une telle absence de savoir-vivre ne contrarierait-elle pas le vivre-ensemble promis par le gouvernement socialiste ?

A leur hostilité s’ajoutait un érotisme qui s’épanouissait dans la danse canaille et le chahut racaille. Je remarquais le port systématique du string pour les filles, souvent tatouées, et considérais avec amusement les attouchements entre garçons de douze ans parlant de « douche crapuleuse » pendant que je me rinçais. Ces chances pour la France en train de se taquiner…quel étrange spectacle. Ils étaient quatre et provoquèrent une bousculade à force de se tirer par le slip. Personne ne mouftait. Je pense que je ne serai pas cru par qui me lira. Mais c’est la vérité. Je ne sais si c’est la chaleur qui les poussait à s’exhiber, mus par une espèce d’instinct qui leur faisait oublier qu’ils se trouvaient dans un lieu impropre à la chose. Ou alors s’agissait-il de leurs mœurs entretenues dans le souvenir du hammam ? Je ne m’en offusquais pas : je connais l’Antiquité qui encourageait les amours homosexuels et pédérastiques, ainsi que l’Orient enculeur. Disons que ces garnements n’opéraient pas avec la même classe que je prête aux petits Spartiates et autres Babyloniens : leurs manières obéissaient à la sauvagerie brouillonne des voisins de prison. J’étais en revanche attristé par l’indifférence des blancs face à leur inconduite. Je voyais leur peur d’intervenir que je ne connus pas quand il s’est agi de tancer un adolescent qui avait manqué me sauter dessus. Je pensais à la nocence de Renaud Camus, et me disais que la disparition du silence s’apparente à un crime contre l’humanité. A l’évidence, les immigrés africains n’en mourront pas. Pour commencer, ce sont les meurtriers, et pour finir, ils n’aiment rien tant que le bruit. Leurs voix…leurs accents…il n’est jusqu’à leurs yeux qui ne déposent leur chape sur la France, leurs yeux lourds et gras, carbonés, couleur fèces.

 

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La Défense

« La vie est un problème d’optimisation sous contrainte. » Entendu dans la bouche d’un cadre en Juin 2014

Hier soir, j’étais perdu sur la dalle de la Défense. Mon ensemble gris, à peine rehaussé par une cravate noire à points blancs, me dissolvait dans la masse des cadres. Le soleil ouatait le ciel de printemps. Je me sentais devenir si anonyme, écrasé que j’étais par une architecture brutale, je crois même qu’on parle de brutalisme à son propos, j’étais si isolé, donc, que je rebroussai chemin après vingt-cinq minutes d’égarement. Au diable mon entretien ! Mais comment les gens supportent-ils leur condition ? Il y a une forme d’ascèse dans leur renoncement. Ou est-ce une acceptation ? Les nuances importent parce qu’elles permettent de séparer la petitesse de la grandeur. Peut-être y a-t-il du courage là-dedans, aussi, mais qui serait bravache, alors, car la victoire n’est pas une option. De la bravoure, donc. Suis-je à ce point dénué de force mentale dans la vie pour ne l’éprouver que dans le sport ? Ressaisis-toi m’intimais-je une fois dans ma rue ; arrivé chez moi, j’écoutai une émission d’Alain Soral.

 

Lundi 12 Juin 2017 - Miscellanées

Je, François Villon

                J’entends souvent chez les modernes, lorsqu’il s’agit de critiquer ce qui ne fonctionne pas, que « c’est le Moyen-âge, quoi ! » Pourvu que les mœurs ne se réforment pas assez vite, ou qu’il n’y ait pas de 4G, et c’est le retour à des temps osscurantisses. S’il fallait les croire, le Moyen-âge serait l’enfer. « Qu’est-ce qu’on devait se faire chier ! La religion, tout ca. L’Inquisition. » Voire.

                De la biographie de François Villon ressort l’impression qu’on s’y amusait beaucoup, sans doute trop, même, au point qu’en effet, le Moyen-âge rappelle l’enfer fêté en boîte de nuit aujourd’hui, et certaines se nomment LES ENFERS, justement, notamment une autrefois sise au pied de la tour Montparnasse. Surjoué, devrais-je écrire, pour l’enfer, parce que LES ENFERS sont cachés et ne se réveillent qu’au soir. Les moyenâgeux ne se cachaient pas, eux : gueuletons, ribauderies, charivaris, canulars, tavernes et poésie, bref, un monde rabelaisien enfermé dans les ballades de Villon. Et au grand-jour. Et ils étaient heureux avec ca, ces gracieux galants. Sans doute le paradis est-il un enfer qui ne serait pas tenu au secret. Le Paris du XVème siècle, quoi. Dit autrement, et je m’adresse aux modernes qui se figurent vivre « l’époque la plus cool », l’existence villonesque garantit une vie de joie, mais de cette joie tragique qui ne remise pas le réel dans les arrière-mondes, embrassant la pauvreté comme une bénédiction. Rires, rimes, ripailles, bagarres avec les sergents, corporations d’étudiants, esprit de communauté, lupanars : trouve-t-on une seule once de cet état d’esprit dans le Paris du XXIème siècle ? Les modernes-quoi sont-ils aussi fendards qu’ils le pensent ? Qu’ils soient sans-le-sou et ils chialent aussitôt qu’ils ne seront pas « zeureux ». M’est avis qu’ils appartiennent à la pire espèce des raseurs : les conformistes, qui sont des ennuyeuses qui se croient drôles. Les moyenâgeux étaient autrement branques que ce tas de sots. Ils buvaient au moins autant qu’eux, se battaient au moins autant qu’eux, baisaient au moins autant qu’eux ! Je ne défends pas l’idée qu’il faille être un voyou, ni qu’un parigot de 1500 souscrit davantage à la dictature rock de 2017 qu’un marcheur macronien : j’estime que notre jeunesse devrait se chercher d’autres modèles que les siens, c’est-à-dire admirer plus un Villon ou un Rabelais qu’un rappeur, car ils surpassent tout ce qu’elle voudrait être, et ce que le rappeur sera jamais.

 

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Werner Herzog

                CONQUETE DE L’INUTILE fut écrit durant le tournage de FITZCARRALDO. Il s’agit de la chronique de la réalisation du film, qui pourrait s’appeler le film du film. Dans CONQUETE DE L’INUTILE, Herzog retient le courant de fiction qui sous-tend le réel, moyennant quoi il en extrait une réalité. Avec Herzog, la réalisation du film surpasse le film, c’est-à-dire que la CONQUETE DE L’INUTILE dépasse FITZCARRALDO. C’est que le conquistador de l’inutile, c’est Herzog en personne. Il l’a déjà prouvé SUR LE CHEMIN DES GLACES en promettant à Lotte Eisner qu’elle vaincrait son cancer grâce à sa mystique de la marche : Werner Herzog, bouleversé quand il apprend la maladie de son amie, décide de parcourir à pieds la distance Berlin-Paris pour la sauver. De son effort à lui dépend sa survie à elle. Aucun sens sinon les liens sacrés de l’amitié. La mystique entretient la conquête de l’inutile. C’est moins une affaire de but que de moyen. Le chemin importe plus que l’arrivée. Grands classiques ; universelles resucées de l’homme blanc qui s’est inventé Sisyphe. Herzog ne fait jamais que transformer un mythe en fait naturel, et rend l’inimaginable évident. Comment rester insensible à un tel bloc de poésie qu’il faut prendre au sérieux quand il confesse que seuls CONQUETE DE L’INUTILE et SUR LE CHEMIN DES GLACES lui survivront ?

                Remarque :

                on lit dans CONQUETE DE L’INUTILE le récit des soirées qu’Herzog passe à New York et à Miami. Stars du showbiz. Avocats thunés. Putes. Coke. Réceptions avec des acteurs qui se prennent pour Brando et tabassent des femmes dans une chambre à part parce qu’elles jouent mal à la fiancée modèle. Les années 80, les années fric, les années-quoi...Ces pages m’ont rappelé une scène de CROCODILE DUNDEE lorsque le baroudeur australien transforme naïvement la dose de cocaïne d’un yuppie en une inhalation que le toccard s’empresse d’inspirer (c’est la pire manière de consommer les amphétamines parce que leurs vapeurs bousillent le cerveau ; celui-ci est rendu débile par des visions de monstres ; le système nerveux se déglingue et le corps tourne zinzin en deux semaines.) Herzog porte sur ces gens un regard déformé par la jungle péruvienne, donc distordu par la distance qu’elle a placée entre lui et les hommes. Il les conchie, évidemment, mais son rapport échappe aux banalités du genre. Il est facile de critiquer les mondanités à la loup de Wall Street, mais Herzog le fait mieux. Faire mieux les choses simples est une définition du talent.

 

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HHhH

                J’ai vu hier le film HHhH sur Heydrich Reinhard, le père de la solution finale. C’est un film français sans intérêt, comme tout ce qui est français depuis la mort de de Gaulle. Je retiens le rigolo Gilles Lelouche qui joue Morávek, le chef de la résistance tchèque. Il est si nul que son jeu me faisait penser à un chien qui croit checker en donnant la patte.

Jeudi 08 Juin 2017 - Aux conquérants de l'inutile

A mes amis

Texte dicté par la musique d’AGUIRRE, LA COLERE DE DIEU

 

« Si je n’eusse pas été moi, j’eusse été Diogène. » Alexandre le Grand

 

Drieu

L’homme à cheval.

C'est le seul écrivain dont le style, lorsqu'il est imparfait par ce qu'il laisse d'impression de bâclé, me fasse penser : « Quel style...».

C'est très rare de rencontrer un tel écrivain. Fût-il un homme à séduire par une femme que cette femme en dirait qu'il a du charme. Parce que précisément : son style a du charme. Ceci dit, dans ses livres travaillés, il excelle tant qu’il enhardit mon admiration.

 

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Céline

L’audace d’une guerre punique : il détruit Carthage, sale le site pour que rien ne repousse, et bâtit la sienne à côté, sa Nouvelle Carthage. Depuis, l’empereur Destouches y rend possible un empire littéraire dont le limes ne cesse même pas au-delà de la poésie. Comme Rome, c’est un rêve, une abstraction qui devient une réalité dans la nuit. Un éclair.

 

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Valéry Larbaud

« Pâleur moite et rentes » dit l’idiot.

Héritier des sources d’eaux de Vichy. Vagabond abandonné à l’étreinte du beau. Années 20. Attendu que la France s’est déjà donné son Proust, et que Valéry est trop riche pour en proposer un mime, Larbaud en cherche un par pays visité. C’est James Joyce en Irlande, Italo Svevo en Italie, et A. O. Barnabooth dans son journal. Il les lit, les traduit, les incorpore et les crée. C’est la quête de l’absolu sous l’écorce du monde qui est gratté, fréquenté, parcouru, exploré, éreinté, ruiné. Larbaud cesse un jour, foudroyé par le handicap ; fin de sa vie, il est cloué à un fauteuil.

 

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Henry Miller

« A Fitzcarraldo, conquistador de l’inutile ! » lance un nabab péruvien. Il aurait pu s’adresser à Werner Herzog ou à Henry Miller.

Je lisais hier sur Facebook le statut d’un certain Vincent Castagno. Il écrivait qu’un aristocrate possède des mœurs de bourgeois et vit comme un clochard. Et bien Miller, c’est pareil. Intelligence racée, génétique, héréditaire, accumulée dans sa généalogie germano-mongole. Un sédiment de géographies contraires.

L’esprit de Miller commence en Europe avec la raison d’un Elie Faure - et finit en Asie dans la mystique de Nietzsche, de Dostoievki et de l’immense Spengler, ce philosophe capable d’analyser une civilisation à partir de ses toits. Les quatre Fitzcarraldo de Miller... LA CRUCIFIXION EN ROSE, Tome 2, PLEXUS : « Les quatre cavaliers de mon Apocalypse personnelle ! Chacun exprimant pleinement sa qualité unique propre : Nietzsche, l’iconoclaste ; Dostoïevski, le grand inquisiteur ; Faure, le magicien ; Spengler, le bâtisseur de schémas. Quelle fondation ! »

 

Lundi 05 Juin 2017 - P. G. Wodehouse

A la grand-mère de L. , qui me parlait de P. G. Wodehouse

 

« Le danger, avec nous autres hommes, c'est que, lorsque nous croyons analyser notre caractère, nous créons en réalité de toutes pièces un personnage de roman, auquel nous ne donnons pas même nos véritables inclinations. Nous lui choisissons pour nom le pronom singulier de la première personne, et nous croyons à son existence aussi fermement qu'à la nôtre propre. » Larbaud, Barnabooth, 1913

 

                Je ne sais pas bien pourquoi, mais hier, alors que je me trouvais dans le jardin d’une propriété en pays de Caux, je pensais à P.G. Wodehouse. Sans doute était-ce le parc, ou la demeure, ou alors le ciel, voire les trois à la fois, qui me rappelaient l’ambiance de ses romans. On y lit la landed gentry du XIXème siècle ; esprit sport ; société de printemps ; mais qui se serait perdue dans l’Europe des années 20. Le butler Jeeves tourmente ces aristocrates londoniens, égarés parce qu’ils n’ont pas compris que la Grande Guerre a arasé leur monde. Sous les bombes, restent les débris d’une classe dont la langueur autrefois signe de raffinement s’est transformée en paresse bonne à moquer. Ne s’avisant de rien, les gentlemen sont devenus bêtes. Ils manquent de cette cynique intelligence qu’Agatha Christie insufflait à des personnages encore flegmatiques. Wodehouse estime que ces derniers sont désemparés, voire totalement paumés. Il faut admettre qu’avec les tranchées, l’industrie a pénétré les reins et les cœurs d’une Grande-Bretagne si groggy que ses élites ont tourné abruties. C’est un point de vue d’écrivain, et s’il paraît braque au début, il s’affine à la lecture des opus de Wodehouse où l’on devine l’impact de la guerre livrée par la technique à l’esprit. Celui-ci aussi a été intoxiqué à Ypres. Une certaine idée de l’homme s’en est allée, dissoute avec les tommies.

Wodehouse regrette l’apathie de cet état-major moral que constitue la high society. Ni l’aristocratie, ni même la gentry ne trouvent grâce à ses yeux. Mais au lieu de les accabler, il les chahute avec un goût tout britannique pour l’autodérision. Alors il imagine un majordome du nom de Jeeves vouant un culte à Shakespeare, Byron, Keats et Spinoza, écrivain de surcroît, plus aristo que les sang-bleu, et qui les remplacerait. Il s’agit de sauver ce à quoi les nobles d’Angleterre ne donnent plus d’importance. S’oublier, oui, mais oublier, non : c’est ici que se situe la différence entre légèreté et crânerie. Son maître s’entiche-t-il d’une moustache ou d’une tenue d’Arlequin, que Jeeves désopile. Un peu de tenue, voyons... On n’obéit qu’à elle. Retrouver son rang est à ce prix, et c’est à force de sarcasmes que Jeeves tente de le rappeler à Bertram Wooster. Le sens du service suit l’amour des hiérarchies.

Un peuple, qui après avoir décapité un roi s’était dépêché de rattraper son ânerie en consacrant une nouvelle dynastie, s’en remettrait donc à un majordome. Et pourquoi pas ? Surprendre pour contrer la statistique des industries, voilà ce que propose Wodehouse. (Ne pas se prendre au sérieux, vivre tragiquement, mais sortir au plus vite du drame de la Somme, bref, une bonne dose d’âme européenne.) Wodehouse écrit une révolution domestique à l’anglaise menée par Jeeves. Absurde ? Oui, mais pas impossible. Tout est permis depuis Verdun. Et puis comment s’étonner d’une jacquerie de valet pendant qu’à Saint-Pétersbourg, les bolchéviques, ces ruffians !, sont en train de noircir la Russie blanche ? C’est sans doute cela l’esprit sport : la victoire de l’incongru, lequel enrage les statisticiens. Et puis c’est autrement classe qu’un plan quinquennal, n’est-ce pas ?

Avec nos remplaçants africains d’aujourd’hui, ce tas d’analphabètes, comment nous serait-il permis de railler le maître de Jeeves et Jeeves himself, à nous, qui nous laissons envahir par des crasseux ? Nous ne méritons aucun Jeeves, pas plus qu’un Wooster. Nous vivons à l’ère des Gatsbys, américrânement nôtres, des old sport projetés à la tête d’un monde seulement commerçant. Fitzgerald avait vu juste, en grand écrivain qu’il était, lorsqu’il imaginait la trogne de la gentry US cuvée 1920 à laquelle il donna le nom de Gatsby, l’exact négatif de Jeeves. P. G. Wodehouse et F. S. Fitzgerald se connaissaient-ils ? Ou leur collaboration est-elle l’un de ces hasards dialogiques dont regorge la littérature française ? Il y aurait là matière à écrire un livre, je crois, ne fût-ce que pour abandonner cette idée tenace en France que Wodehouse était un écrivain rigolo, et Jeeves un bouffon. (A noter que Wodehouse est l’auteur favori de Bayrou. Voilà sans doute ce qui l’a achevé...)

 

Mercredi 31 Mai 2017 - Elucubrations libertaires d'un prisonnier

                Je lisais ce matin à propos du concept de liberté. J’ai trouvé ce qui suit :

« Raymond Aron dans son Essai sur les libertés : « La mobilité est plus grande qu’elle n’a jamais été et la démocratisation de l’enseignement augmentera les chances de promotion : oui, mais jadis la stabilité était la norme et l’improbabilité de l’ascension n’était pas éprouvée comme une privation. » Dorénavant, « les fils d’ouvriers et de paysans auront le sentiment d’être privés d’une liberté à laquelle chacun a droit, celle de choisir son existence ». Un sentiment de privation mâtiné de culpabilité ; la conversion d’une inégalité ancestrale en échec personnel. C’est que, « pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’homme qui se sait inférieur ne dispose d’aucun moyen commode de conserver malgré tout l’estime de soi », explique Michael Young dans The Rise of the Meritocracy. Fulgurance reprise presque mot pour mot par Christopher Lasch dans La révolte des élites et la trahison de la démocratie. Lasch décèle une corrosion de l’estime de soi renouvelée en « souci obsessionnel de l’estime de soi ». Que dire à ceux qui occupent des fonctions peu prestigieuses ? Une seule réponse : « Vous auriez pu vous élever mais vous ne l’avez pas fait. » Pour Young, l’inégalité des chances avait paradoxalement pour vertu de favoriser, d’entretenir le mythe de l’égalité entre les hommes. L’ouvrier se disait alors : « J’aurais pu être médecin mais je n’ai simplement pas eu cette chance. » Cela aurait été possible, mais dans un autre monde. Nous touchons peut-être ici à l’expression la plus profonde de la liberté : la contingence. »

 

                La phrase la plus importante de cet extrait est : Un sentiment de privation mâtiné de culpabilité ; la conversion d’une inégalité ancestrale en échec personnel. L’augmentation des possibilités rend plus grande l’éventualité des regrets. Ne pas avoir su en profiter, et n’en avoir in fine pas joui, déprime davantage que de n’avoir seulement jamais pu profiter. Vaut-il mieux être prisonnier de sa condition dès la naissance et à vie ? – ou est-il préférable de pouvoir s’en extraire et d’en concevoir une immense amertume en cas d’échec ? Ne jamais avoir à prendre de risques ? – ou pouvoir, voire devoir, en prendre sous peine de le regretter, puis de déplorer encore une audace qui aurait été contrariée ?

Le cantonnement relève de la logique des castes, et avec le fatalisme qu’il engendre, il intime de rêver sa vie. La méritocratie promet, elle, de vivre ses rêves. Le débat se pose maintenant en ces termes : Rêver sa vie ou Vivre ses rêves.

Sans doute que je me trompe, mais je crois que le rêve n’est jamais déçu qu’en rêve, tandis que la vie, elle, est non seulement gênée dans la vie (en tant que principe, elle contient les germes de sa négation, dont la mort) mais encore dans les rêves. Il y a comme une double sanction à être sommé de tenter, et à échouer. Je sens d’instinct qu’avoir plus d’horizons est enthousiasmant, surtout aujourd’hui tant l’existence est synonyme de tentatives et d’entreprises en tout genre, mais il n’est pas dit que cela plaise à tout le monde : certains n’ont pas besoin de prendre des risques, certains ne veulent pas prendre de risques, et s’accommodent mieux des chagrins qu’ils dissolvent dans leurs songes, de sorte qu’une société égalitaire n’est pas la panacée. Imagine-t-on qu’en forçant le récalcitrant à jouer, il s’en trouvera plus heureux que s’il était resté à ne pas jouer, comme il l’entendait au départ ? La réponse est non, sauf pour les personnes qui s’imaginent que l’existence est une agitation permanente, et celles-là sont les modernes. Les festivus festivus de Muray.

Enfin, la multiplicité des choix oblige, et crée des angoissés. Très vite, ces tourmentés ne se contentent pas de leur situation et comprennent qu’il auraient dû privilégier l’aboulie ; alors ils envient les velléitaires n’ayant pas agi. Ai-je effectué le choix le plus judicieux ? Ne me suis-je pas trompé ? Ai-je été à la hauteur ? sont les interrogations qui leur torpillent le crâne. Une seule réponse : « Vous auriez pu vous élever mais vous ne l’avez pas fait. » C’est qu’il leur a été signifié ou laissé entendre qu’il y a mieux, et qu’il y aura toujours mieux, partant qu’ils ont échoué.

 

Mardi 23 Mai 2017 - Promenade de santé

                J’ai vu sur les étals de la FNAC un livre d’Obama publié dans la collection « Cahiers Rouges » de Grasset. Le titre est DE LA RACE EN AMERIQUE. Rien que ca. Barack Obama se prendrait-il pour Tocqueville ? Ou pour Toccard ?

Titre français, texte anglais. Allez comprendre. Mais plus rien ne devrait étonner le Français-sous-protectorat-étatsunien que je suis. Donc, l’ancien président américain aborde un sujet interdit par le gauchisme culturel d’émanation US, à savoir la race. Moi qui la croyais bannie, je la vois en plein dans le titre, en gros, comme s’il s’agissait d’alpaguer avec. La french theory, la new left, la nouvelle gauche, les gender studies, bref, le kit mains liées des néoconservateurs nous casse la tête depuis 50 ans ; on nous rabâche qu’il ne faut pas stigmatiser ni amalgamer, et que pour cela il faut empêcher de prononcer le mot race qu’on prévoit même de retirer de la Constitution, et on nous balance la race sans hésiter?

Pourquoi diable y consacrer un essai au titre gros comme un sabot plein de merde ? Pourquoi ? Faut-il croire que la race procède d’une réalité, et que bien que cette réalité soit tue, elle est réelle, et qu’elle l’est tellement depuis sa mise à l’index qu’elle fascine autant qu’elle titille l’esprit curieux et contradictoire de l’être pensant? Ils n’ont vraiment honte de rien. Ils nous auront tout fait.

                Au rayon des Bandes Dessinées, les meilleures ventes attirent le regard vers trois tomes sur lesquels sont dessinés Marine Le Pen, Donald Trump et Vladimir Poutine. Les slogans Totalitaire et La vague barrent deux albums dont le cycle s’appelle LA PRESIDENTE. En médaillon :

Sur le tome 1 : « Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas... »

Sur le tome 2 : « Il est encore temps d’éviter le pire… »

Sur le tome 3 : « Et si le cauchemar devenait réalité… »

Mais c’est vous le fieffé cauchemar ! Vous, les antifascistes obsédés par le fascisme, vous, les antiracistes obsédés par la race ! Vous, la réalité irréelle ! Vous, les tartuffes qui créez ce que vous feignez de craindre pour que vos coquecigrues prennent corps et que vous puissiez dire « voyez j’avais raison, j’l’avais bien dit, oui dà ! » ! Et alors vous en tirez une rente morale et financière. Bande de sorciers. Sournois et pervers. Perfidies. « Jouer sur les peurs », « Faire le jeu de » : jactances avec quoi vous reprochez à ceux qui ne font rien ce que vous faites vous, ragotins ! Ca vous excite ? La peur fait frétiller ? La frousse fessière, bien bourgeoise, c’est ca ? Une guillotine produit toujours son effet, n’est-ce pas ? Idiots !

 

                Puis j’ouvre un journal. Je lis un article consacré à l’attentat de Manchester. L’auteur est un certain Bouzou (rien que le nom).

Extraits avec commentaire :

 

« D'où la tristesse, aujourd'hui, de constater que ce n'est pas une ville comme une autre qui est frappée par le terrorisme, mais un emblème de la civilisation occidentale qui incarne le libre-échange, la destruction créatrice, la technologie, le féminisme, le syndicalisme, la pop musique, la bière bue sur le trottoir, le football… tout ce que des islamistes fanatiques peuvent haïr, tout ce que des Européens peuvent adorer, est présent à Manchester à la puissance 10, comparé au reste du continent. »

 

On dirait une traduction d’Obama. Sinon, ce qui est dit est faux : ce sont les sous-devs qui adorent la crasse et son hygiène mentale, à l’inverse des Européens. Les terroristes adorent casser, roter, péter, puer, tuer, gueuler, ils adorent le bruit, le fracas, la grossièreté puante du cochon qu’ils sont, ils adorent ce qu’ils adorent détester, comme la musique de boîte de nuit où ils aimeraient crouiller parce que y’a d’la meuf ma gueule. Ils sortent de l’anus de la création, un peu comme Manchester. Comme quoi, il y a une logique à aller se faire péter là-bas.

 

« Le terrorisme peut se lire comme la matérialisation violente du combat de la société fermée contre la société ouverte. Manchester incarne depuis des siècles la capacité d'une ville libre à se réinventer. Elle rappelle qu'il n'y a pas de décadence de l'Occident mais un changement permanent qui n'est pas un long fleuve tranquille. L'attentat du 22 mai 2017 restera comme un événement tragique de plus dans cette ville où les drames n'ont jamais interrompu la marche cahoteuse vers le progrès. »

 

Un vrai prône de fin. Avec le mot réinventer que ce genre de fiottes progressistes a substitué au bon vieux ressusciter. Un peu, et cette chialeuse nous aurait parlé du transhumanisme dans quoi le progrès achève de dissoudre ses lubies chrét-ines. Bouzou le chanoine, va.

 

                J’arrête là. C’est assez pour aujourd’hui. Je me demande souvent s’il faut rire ou pleurer. J’ai au moins ri hier soir au cinéma devant LE ROI ARTHUR de l’excellent Guy Ritchie. Son film regorge de trouvailles filmiques. Ca part en tous sens, impression de balancer des uppercuts, grande santé nietzschéenne. Une phrase : « Si tu veux lui donner envie d’être roi, donne-lui de grandes visions. » Une weltanschauung ! On était loin de Bouzou-la-courte-vue.

 

Lundi 22 Mai 2017

A Mom

 

« Mussolini voyait dans le « totalitarisme » (il est l’un des premiers à avoir employé l’expression) le moyen de contrôler « du berceau à la tombe » l’existence quotidienne des individus. Or c’est bien aussi ce que finit par accomplir aujourd’hui – au nom de la « compétitivité », de la « flexibilité », de la « croissance » et de la nécessité « d’adapter les mentalités au monde moderne » - l’économie capitaliste mondialisée. » Jean-Claude Michéa.

 

                Je disais Vendredi que les cadres dynamiques vivent dans un univers totalitaire. Je m’adressais à des collègues. « Le matin, tu empruntes les transports en commun. Tu te trouves au milieu de la foule ; les gens sont entassés. Du bruit. Les gares, des transits. Les wagons, des passages. Tu sors de là, tu suis un chemin fléché, tu t’abandonnes au flux pour arriver au bureau. Tu débarques dans ton open-space. Les taffeurs t’attendent dans un brouhaha pressé, stressé, constipé, et les types se serrent comme des sardines. Tu t’assois comme quand tu vas à la selle. Un clavier, un écran, tu te ramollis devant un ordinateur. La machine te gobe. Tu es agi par la machine-homme, toi, homme-machine machinique machinisé. C’est là ta condition de conquis. Puis tu déjeunes à la cantine, assis, et c’est le poulailler. Tu vas au sport, c’est la salle de gym, open-space du sport, et tes fesses sont sous des machines. Tu es écrasé par les poids, concassé par l’industrie lourde devenue technique du loisir. Idem à la piscine : c’est bondé. Des lignes d’eau optimisent les denrées. Gestion des hommes. Organisation. Timing ! En fait, où que tu ailles, la classe moyenne s’est donné rendez-vous, comme si sa masse était si infinie qu’il serait impossible de la diluer, et qu’en tous lieux, elle serait identique. Puis tu rentres dans ton appartement coincé entre d’autres appartements où sont parqués d’autres cadres. La société à laquelle le cadre appartient le plonge dans une organisation unique qui combine affolement, cacophonie, et entassement. Partout. Tout le temps. Même en vacances : la classe moyenne occidentale part au même moment au même endroit pour reproduire en short le même mode de vie qui use et pousse justement à se mettre en congé. En gros : impossible d’échapper au trio affolement, cacophonie, entassement. Ce n’est pas qu’il te poursuit, mais c’est que tu le reproduis sans t’en rendre compte, avec les autres, qui ne s’en avisent pas non plus. C’est ainsi qu’un inconscient collectif s’installe et qu’il engage la société à un fonctionnement précis. C’est un tout cohérent, rôdé, broyant les résidus sur son passage à mesure qu’il les englobe : c’est un tout qui rassemble tout. Il est la somme de ses parties du fait de l’absence de figure transcendante vu qu’il n’y a pas de dictateur, et c’est pourquoi on parle de totalitarisme mou, ou soft. « Le dictateur, c’est vous », dit Renaud Camus. Le tout est la résultante ; le tout est le total. C’est un fait totalitaire. Et je crois qu’il est en pleine expansion. Il y a bien quelques niches qui s’y soustraient, et encore sont-elles uniquement promises aux riches, mais ce fait totalitaire s’étend. Son extension est continue. C’est donc un fait totalitaire totalisant. Or c’est ca, un totalitarisme : un principe d’existence unique, partout, en même temps, en pleine croissance. En l’espèce, il s’impose aux territoires conquis où il modèle les esprits humains en uniformisant les modes de vie et de pensée. Affolement, cacophonie, entassement. Il faut vraiment être prétentieux pour ne pas croire que sa façon de penser ne s’en trouve pas modifiée. » Je m’arrêtai là. A bien me relire, je dois préciser que l’affolement, la cacophonie et l’entassement conduisent à l’abrutissement plus qu’à une pensée, quand même elle serait réduite à la portion congrue. En sorte que les humains du totalitarisme soft ne pensent pas : ce sont des abrutis, au sens strict du mot.

                L’ami Mom était amer, hier soir, après un week-end qu’il a passé en compagnie de camarades devenus cadres. Une phrase de son courriel m’a marqué : « il y a ceux qui se sont posés des questions, qui ont continuer à travailler sur eux-mêmes, ceux qui ont lu, écrit, réfléchi, au prix d'un certain enfermement et d'une forme de mise à l'écart. Et puis il y a les autres. […]Il m'est de plus en plus difficile, aujourd'hui, de passer du temps avec mes congénères. Le sobriquet d' « intello » me pend au nez à chaque conversation, à la moindre évocation d'un auteur. » Mom résume la condition du dissident. Je veux lui dire ici que je partage sa vision et assume également sa position. Il en coûte à l’homme qui lit. Il lui coûte de s’isoler, parfois, lorsque les autres le tiennent pour fou, le plongeant dans son ennui, et qu’ils s’amusent, eux, heureux d’exister, et que lui se demande si sa solitude est subie ou choisie. C’est leur droit le plus strict que ce bonheur aveugle, mais les moqueries qu’ils réservent à celui qui le remet en question rappellent le « dictateur, c’est vous » de Renaud Camus. Cela finit par attrister son homme avec le temps.

 

Lundi 15 Mai 2017 et Mardi 16 Mai 2017 - Bases pour panser l'avenir et Tocqueville

Bases pour panser l'avenir

                20% des logements parisiens sont des HLM (Habitation à Loyer Modéré). Il ne s’agit pas de barres d’immeubles qui seraient construites dans Paris ; rien à voir avec l’architecture soviétique des quartiers Nord, ni avec les résidences d’un Le Corbusier à Marseille. Les HLM de la capitale n’ont pas l’ambition communiste ni fasciste d’optimiser le temps. Elles se cantonnent aux appartements haussmanniens.

La mairie de Paris a acquis 20% des logements du parc immobilier. En bonne socialiste, elle les a préemptés, et s’est appropriée une partie de l’habitat privé en à peine 30 ans. La suite a consisté à la louer à loyer modéré, c’est-à-dire à prix réduit, à des populations défavorisées de facto éligibles aux facilités d’accès au logement. Il s’agit d’immigrés parce qu’en plus d’être effectivement défavorisés, ces gens constituent le réservoir électoral des socialistes habitués aux démarches clientélistes.

Cette brillante idée porte atteinte au marché privé de l’immobilier qu’elle ampute d’habitations disponibles à la vente ou à la location. En créant un marché public dont elle détient le monopole (avec tout ce que cela contient de gabegies et de concussions), la mairie socialope a mécaniquement augmenté la rareté des biens restants. Dans les faits, les loyers ont grimpé et la valeur du mètre carré a explosé sous le coup de la demande, de sorte qu’il est difficile pour la classe moyenne de se loger sans se saigner à blanc pour s’enfermer entre quatre murs exigus. Les jeunes actifs de Paris, à 95% bobo comme le révèle la carte des scores électoraux d’En Marche !, savent-ils que le fléau de l’immigration les touche au portefeuille et bousille leur qualité de vie ? Ou sont-ils à ce point aveuglés par leur morale en toc qu’ils en deviennent bêtes ?

                A ce problème immigré, s’ajoute celui de la classe d’âge des plus de 60 ans dans les mains de laquelle se concentre le capital. Dit autrement, les retraités détiennent le capital sous la forme d’économies qu’ils conservent pour leurs vieux jours. Quoi de plus naturel ? Une rente immobilière dopée par une bulle pas près d’éclater, de l’argent qui fructifie plus vite qu’il n’est utilisé (rendement supérieur aux besoins) : pourquoi s’en priver ? Se reposer sur son trésor est un phénomène compréhensible et vieux comme le monde, seulement, vivant plus longtemps qu’autrefois, les seniors rendent le monde vraiment vieux, et se gardent de réinjecter leurs deniers dans une économie catatonique parce que le capital n’y circule plus. Figé, le capital se suffit d’une rente autogène au lieu de participer à la croissance (il faudrait forcer les vieux à utiliser leur argent, or de cela, n’en serait capable qu’un gouvernement autoritaire, de type fasciste, investi d’une mission salvifique, prompt à casser les réticences des vioques qui vont contre les jeunes). C’est bien entendu le résultat du comportement égoïste d’une génération inconsciente ou insoucieuse des enjeux d’une civilisation qui ne se régénère que si la jeunesse s’épanouit. Il y a une crise métaphysique en Occident. Et elle s’entretient mutuellement avec la crise économique. Son origine remonte à Mai 68 dont les héritiers soixante-huitistes sont les seniors grippe-sous à peine évoqués. La rupture fut de leur fait, et soumet le principe supérieur de l’intérêt général à leur hédonisme. Ne compte que leur bon plaisir, à ces poudres d’aristocrates sans perruque. Et ils exigent, avec ca, ils exigent que les jeunes actifs financent leurs retraites afin qu’ils continuent de profiter. Vivre à crédit ne les a jamais dérangés, alors Entretenez notre mode de vie, et bossez pendant qu’on voyage ou qu’on s’installe au Maroc. Pourquoi changer ? qu’ils disent. Ont-ils jamais pensé à l’avenir de leur progéniture ? Non : ils ne vivent que de l’instant. Tous aux manettes, ils violent ma génération par le fisc et la morale, l’empêchant de se constituer un capital à son tour, la sommant d’obtempérer et la traitant de réactionnaire si elle se rebiffe. Ce faisant, ils la privent de l’hédonisme matériel qu’ils se sont arrogé, sans lequel le confort mental n’existe pas. C’est ainsi que s’installe un conflit de génération entre les soixantenaires et plus, maîtres d’aise, et les trentenaires et moins, leurs esclaves. Les propriétaires contre les locataires. Ce n’est pas près de s’arrêter. Cela finira mal. Et je le souhaite.

 

***

Tocqueville

Je cherchais hier une citation pour illustrer mon propos. Pour rappel, je déplorais la rupture métaphysique instruite par les faux-monnayeurs de Mai 68 pour qui le bien commun est ringard, surtout par rapport à l’argent. Ces anarchistes rouges ont désormais plus de 60 ans et n’ont d’anarchie que leur enrichissement matériel, et personnel. La France n’est plus un pays mais un espace où circulent les marchandises. Hommes, biens, hommes-biens en les personnes immigrées - sont les seules denrées admissibles parce que matérielles. L’immatériel amuse quand il n’est pas méprisé. Il ne sert plus à rien. Il rappelle « la France rance et moisie » de Philippe Sollers. Bien qu’homme de culture, ce grand fat résume dans cette phrase ce que son engeance s’est évertuée à détruire en à peine plus d’une génération – la sienne. Sollers, marxiste bourgeois issu de salon. Un peu, et on croirait qu’il vivait au temps du Directoire, avec sa bouille Barras.

Bref, je cherchais une phrase pour accompagner ma description du processus de la décadence en marche, laquelle passe par la destruction de la culture. Je me disais que je trouverais cela chez Tocqueville, mais rien ne venait. Mémoire sèche. Il fallut que j’attende le soir pour tomber sur ce que j’avais en tête à la lecture du tout dernier paragraphe de mon livre du moment. L’auteur cite Tocqueville, justement, et lui aussi veut tancer l’esprit soixante-huitard : « « En affaiblissant parmi eux le sentiment du bien commun, en dispersant les familles, en interrompant la chaîne des souvenirs, en accroissant outre mesure leurs besoins, on les a rendus moins civilisés qu’ils n’étaient. » Tocqueville parlait de l’influence néfaste de la modernité sur les Indiens. »

 

Vendredi 12 Mai 2017 - Méditations

                Tout ce qui conduisit à la Bataille de France de Mai 1940 provient moins des stratagèmes d’Adolf Hitler que de l’impéritie anglo-française. Les démocraties occidentales n’osèrent jamais tordre le bras du Führer, sans doute parce qu’elles n’en avaient ni le courage ni le talent politiques, et lorsqu’elles furent attaquées, elles s’en remirent à un état-major qui ne brilla que par sa nullité militaire. Les événements qui se succédaient depuis 1933 souriaient à Hitler, dont l’audace augmentait à proportion d’une chance qui enflait. Il faut parler de réussite insolente, laquelle jeta l’effroi sur le monde entier en Mai 1940, à commencer par Hitler himself, qui dansa quand il apprit la défaite française. Sidérant. Il me fait penser à un joueur de casino qui gagne à tous coups, il a connu la mouise, alors il rejoue, et encore une fois, et une autre, et chacune de ses tentatives est un succès, il croit comme tout le monde qu’il a la martingale, génie ? assurément !, intelligence ? prodigieuse, peut-être, en tout cas ce n’est pas suffisant pour le prouver, puisqu’il rejoue et perd en une seule fois la somme de ses gains, sur quoi il se suicide. Précisément.

                La France sort bousillée de Mai 1940. Pulvérisée. Elle ne s’en est toujours pas remise. Elle reste convaincue qu’elle était totalement nulle, ce qui est faux : les dirigeants l’étaient, pas le pays. Il y eut des faits d’armes grandioses côté français durant la bataille de France qui compta en quelques semaines plusieurs milliers de morts, autant que les premiers carnages de 14. Ce fut un déchaînement ouvrier, un cataclysme d’industrie, des usines en marche.

Il y avait en France une marine exceptionnelle, et des troupes libres aguerries. Toutes auraient pu combattre. L’Empire colonial était profond. Le renoncement fut celui du gouvernement proto-Vichy. Mais rares sont les Français d’aujourd’hui à le savoir. Ils préfèrent se morfondre dans l’idée qu’ils ne sont rien, que des zéros, trop forts les Allemands, et qu’ils ne sont plus rien tout seuls. Leur analyse ne résiste pas aux faits historiques, mais rien à faire. On a beau leur mettre le nez dans la merde, ils continueront à dire que ca ne sent pas mauvais. D’aucuns jureront que ca sent bon, même. Eux sont les collabos.

Une fois ce principe appliqué à la modernité, on entend que l’islam est une religion de paix et d’amour, et qu’il faut pleinement l’associer à la République. Je regardais une interviou de Guillaume Faye hier soir. Il rappelait que selon Napoléon, la France ne se réforme qu’au travers de révolutions, c’est-à-dire sous stress dont le sens scientifique, appliqué à l’Histoire, suppose qu’il n’y a que la violence pour qu’elle réagisse.

Pendant ce temps, des collègues considéraient ce midi la mosquée installée dans la rue au pied de mon entreprise. D’abord amusés, il finirent par admettre d’eux-mêmes que ca fait flipper. A mon Pourquoi ?, ils répondirent que prier comme ca sous la pluie montre qu’ils sont énervés. Ils sont chauds… ! Que oui ! La foi, mélangée parfois au fanatisme, donne la force. D’où cette indifférence à la météo durant la prière. Il émanait des mahométans une grandeur qui rejaillit sur mes collègues soudain sidérés. L’ascèse, l’idéal, l’honneur, la soumission à un principe plus grand, bref, l’homme qui décide d’échapper à sa propre mesure fera toujours son effet : c’est l’Histoire. Je parie qu’il y a des fichés S dans le tas. Et oui mon gars : mais tu as voté MacRon, Grand Manager Total, et il veille sur toi. Tu l’auras bien cherché. A propos, cette mosquée de La Défense, c’est celle de Nanterre qui ne s’est jamais construite parce que l’imam s’est barré avec les fonds. Pauvres idiots. Collabos.

 

***

 

                Brigitte MacRon ? Elle donne à la France un vrai visage : celui d'une pute à migrants, fardée comme une grue Belle Epoque qui serait projetée dans une époque laide, usine à prothèses ambulante, harnachée de bric et de broc, de migrance et de crouilles, Grand Manager MacRon aux manettes, la France dans sa hideur, la France ménopausée qui n'enfante que des immigrés, France stérile, France léguée par Hollande le bide, homme-femme bréhaigne sans suc, sans vie, la France vieille putréfiée dans la ride, ravagée bimbo, France morte.

 

Jeudi 11 Mai 2017 - De l'open-space comme outil de destruction physique

A Thierry C.

                Le brouhaha diffus, associé à la densité de population et à la promiscuité, donnent aux « espaces de travail ouverts » des airs de gare ferroviaire à une heure de pointe. La « cage d’acier » théorisée au début du XXème siècle par le sociologue Max Weber pour désigner la bureaucratie naissante est un « open-space » puisque c’est ainsi qu’on dit. Supposé favoriser les échanges d’information, laquelle doit d’autant mieux circuler qu’elle est soumise à l’empire du flux, l’open-space résulte en fait de choix économiques dont le but est de diminuer les charges : un grand bureau coûte moins cher que plusieurs petits bureaux.

Il y a systématiquement, derrière les hypocrisies de la communication, une réalité humaine qui ne ment pas, elle. Dans le cas de l’open-space, elle revêt un certain mal d’être. Je ne sais pas si le « burn-out » en résulte, ni s’il y participe, parce que j’accorde peu de crédit au psychosomatisme. Mais je remarque une indisposition physique induite par l’open-space.

Il est vrai qu’il rend la tâche moins pénible que les usines mais il n’en est pas moins abrutissant par ses sollicitations continues : c’est un déchaînement. Des collègues passent, qui pour un rire, qui pour un café, qui pour un sujet, toujours une tape sur le corps pour s’annoncer ; le téléphone professionnel sonne ou clignote ; le Smartphone notifie et somme de répondre ; l’ordinateur affiche des alertes, tchats, mails, mises à jour ; bref, ce sont dans tous les sens des prises de contact physiques, sonores, visuelles et intempestives. La neurologie enseigne qu’elles nuisent à la biologie du cerveau. Littéralement stressé par ces artefacts, son fonctionnement en est si troublé que le bouillon se propage au système nerveux. L’organisme entier est alors stressé lui aussi, c’est-à-dire choqué, et son équilibre interne affecté, bientôt rompu. En découle un malaise physique renforcé par une position assise. Celle-ci, via l’absence d’exercice qu’elle implique, empêche l’oxygénation des muscles et du cerveau qui tournent atrophiés. Flétrie, la personne ne parvient pas à se concentrer, surtout si elle est d’un tempérament solitaire et s’épanouit dans le calme, moins si elle est hyperactive et a besoin d’entrain pour exister. Mais dans tous les cas, le taffeur fournit un travail de moindre qualité. Dans le contexte d’un management de rentabilité, il est victime d’angoisses dont le point de concours est sans doute le fameux burn-out. Voilà comment les exigences économiques mâtinées de mensonges conduisent à l’effet contraire à ce qui était escompté.

Deux de mes collègues sont sujets à des vertiges provoqués par cette ambiance délétère. Ils ont consulté. C’est un mal physique, assurément. Je suis aussi concerné, le cerveau comme bouilli à la fin de la journée. Ma tête en vrille. Je suis ce grand cadavre à la renverse, coupable de n’avoir su maintenir son attention plus de vingt minutes. Je ne supporte pas l’éclat de voix, et je ne parle pas des cris. L’exigüité de mon logement accentue l’impression d’enfermement. Le crâne comprimé par deux timbales, je cherche le silence. Zéro musique, rien. Epuisé. Fatigue nerveuse. Le corps ne demande qu’à s’éployer mais n’a plus les moyens de ses envies asséchées par un influx nerveux bousillant. En général, il suffit d’une bonne séance de sport pour me remettre à l’endroit, ce qui porte à croire que l’élan vital n’est pas consommé, mais effacé, et qu’il y a une contradiction entre la fatigue ressentie et l’état de fatigue effectif. C’est ainsi que de nombreux cadres deviennent obèses parce que, confondant leur harassement nerveux avec une déprime musculaire, ils craignent de se forcer ; ils rechignent et sombrent dans une façon de catalepsie ; quel cercle vicieux ; alors l’atrophie du corps finit par advenir et les nerfs restent en pelote. Vieillesse prématurée. Laideur. Fiotasserie. Faiblesse. Décadence. Ce fut mon cas de 2012 à 2013 lorsque j’étais en surpoids – j’ai depuis perdu plus de quinze kilos.

                Ce matin, il n’y avait personne dans l’open-space. J’étais avec un collègue pendant que les autres assistaient à une matinée-séminaire. Quelle paix ! Comme le dit un ami, « c’est régénérant ». J’ai mieux travaillé, concentré, apaisé, et rapidement, avec une efficacité rarement montrée dans la vie active. Quelle maîtrise, enfin ! O silence ! Je me sentais alors parfaitement à l’aise, le corps abandonné à la stase de l’esprit. Que n’ai-je un bureau où m’isoler à l'abri des dissipations ! Je me rappelle mon enfance, l’été, lorsque je lisais sur les marches du perron en face d’une prairie. Retiré. L’ILIADE et L’ODYSSEE. Le vent pour seule compagnie, et son cortège animal. La journée m’appartenait totalement. Ma journée était mienne...

 

Mercredi 03 Mai 2017 - Le communicant

                Je travaille dans le tertiaire. J’appartiens à cette classe d’actifs qui englobe les cadres. Précisément, j’évolue dans la finance, c’est-à-dire dans une banque au sein de sa branche d’investissement.

Le monde bancaire se scinde en deux : il y a la banque de détail qui s’adresse aux particuliers auxquels elle permet de posséder un compte-courant et accorde des prêts, et il y a la banque d’investissement, dite d’affaires, qui œuvre sur les marchés financiers où se connectent via transactions des investisseurs institutionnels i.e. Etats, fonds de pension, assureurs, banques, voire des particuliers suffisamment riches pour être conviés (en général des Saoudiens et des Qatari nantis de leurs pétrodollars).

J’officie dans le département des risques en tant qu’analyste. C’est un organe de contrôle des fameux traders. Je veille à ce que soient respectées les limites auxquelles ils sont astreints, c’est-à-dire à ce que leurs portefeuilles ne soient pas trop gros. De prime abord, chacun pourrait penser que je les flique. Ceci pour la théorie, car dans la pratique, ce sont les traders qui s’assurent que je ne les flique pas. Alors ils peuvent faire du business tranquille. Il y a donc une contradiction entre ce qui m’est demandé et sa réalisation effective. C’est la contradiction interne de mon métier.

Ce n’est pas gênant en soi parce que le Beau peut émerger d’exigences contradictoires pouvant être dépassées ou contournées à force d’intelligence ou d’inventivité (en architecture, par exemple). Ceci pour la théorie, encore, car dans les faits, j’assiste au triomphe du Laid.

Contrôler sans contrôler-vraiment passe encore, mais dire qu’est contrôlé ce qui n’est pas vraiment-contrôlé oblige à enrober de mots la réalité - sauf à mentir, ce qui serait en l’espèce un aveu interdit donc aussitôt refusé, dût-il être formulé, en sorte que la non-vérité remplace le mensonge par le moins disant. Il convient d’interpréter ce qui est attendu avant de donner à interpréter ce qui rentrera ou devra rentrer dans les clous après interprétation. La vérité si je mens. Kafkaïen. On comprend ici qu’il s’agit de travestir le réel par la nuance. Farder la réalité traitée comme une voiture volée.

Pour cela, il y a la communication. Dans cet univers, elle reste la meilleure arme. C’est elle qui est choisie et la mieux utilisée par mes pairs résignés, lesquels, bien qu’intelligents et inventifs, en sorte qu’ils pourraient participer du Beau s’il étaient correctement sollicités (utilisés ?), sont moins des banquiers que des communicants. Quiconque ne se soumet pas à l’oukase de communiquer n’est pas plus banquier pour autant : il est simplement non-communicant. Alors il ne peut réussir. Il ne sera pas encouragé, ni félicité, ni de facto bien payé. Au plus sera-t-il considéré comme un récalcitrant qui se gâche, et c’est mon cas, au moins comme un nul qui est placardisé.

A l’inverse, le communicant fait carrière. Apprécié de sa hiérarchie, la direction l’appuie dans son ascension. Il entoure sa progression d’habitudes prises au gré de sa réussite : flagorneries envoyées à l’échelon supérieur, mépris pour les subalternes, impolitesse également, mesquineries consistant à chiper le bon travail d’un collègue qui sera trahi aussi sec si besoin, publicité autour de ce qui doit être fait mais n’est pas vraiment-fait, mais c’est le jeu n’est-ce pas, bref, il se pare des atours cherchant à fabriquer du vrai à partir du faux. Ou du rien. Grand classique des intrigants. Vieux comme le monde. A ceci près qu’ils opèrent dans le monde du travail où nécessité fait loi, or c’est intriguer qui est devenu nécessaire, de sorte qu’intriguer perd de sa saveur d’autrefois. Il vaut mieux s’afficher que se cacher. La Laid est lui-même enlaidi. Ainsi, dans l’espoir sincère d’être admiré (pour ce qu’il n’est pas), le communicant devient ce qu’il n’était pas forcément au début : un narcissique (j’ai assisté en huit ans de carrière à plusieurs transformations de ce type, et le plus rigolo est qu’elles s’accompagnaient d’une modification du corps, comme s’il était remodelé par une attitude socialement modifiée). Il paraît que c’est de la politique. Certains ajoutent en entreprise : de la politique en entreprise, donc. Je ne sais pas encore si c’est la politique au sens noble qui a inspiré la politique en entreprise, ni si c’est le contraire, mais j’ai l’impression que les deux s’entretiennent mutuellement, l’une étant le reflet de l’autre. La tertiarisation des sociétés occidentales a porté les communicants au pouvoir, dans le privé et dans le public, de sorte que les managers se confondent avec les présidents tant par le physique que par le psychique. J’ai déjà écrit que la pensée managériale sert désormais la praxis du politicien. Je le maintiens. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que mes collègues, narcissisme aidant, choisissent le candidat à l’élection présidentielle française 2017 qui incarne le mieux leur fonction, à savoir Macron. C’est un vote narcissique : ils votent pour le communicant Macron parce qu’il a gravi les échelons du secteur privé comme il s’apprête à franchir ceux du public, et vite avec ca. Jeune, fringant, beau garçon, riche. Tout ce à quoi ils voudraient ressembler. Tout ce à quoi ils aspirent devenir. Le kit du parfait politique en entreprise qui les séduit et qu’ils s’apprêtent à élire.

 

Mardi 02 Mai 2017 - Pensées pour eux-mêmes

                Avec ses PENSEES POUR MOI-MEME, Marc Aurèle lègue un livre d’introspection. Il n’attend pas que le lecteur se rallie à sa pensée. Il ne souhaite pas persuader. Avec l’humilité propre au stoïcisme, philosophie qui inventa le fatalisme et posa les bases du déterminisme, Marc Aurèle espère être imité. Pas plus. Il ne se pose pas en modèle parce qu’il n’en a pas la prétention. Tout au plus donne-t-il un exemple de ce que le sacrifice du temps peut apporter quand une partie en est consacré à la pensée. Les PENSEES proposent une vision du monde construite dans l’acceptation-de-ce-qui-advient sous-tendue par l’effort. Cette résistance s’est concrétisée dans une politique d’annexion des territoires barbares débutée depuis le Principat d’Auguste. Au terme de sa vie, Marc Aurèle a repoussé le limes de l’Empire romain comme il a dépassé ses limites intérieures. En exhaussant les terres de Rome sur les marches germaines, il obéit au principe de s’élever par la discipline qu’il applique à la géographie de son héritage. Il a le sens de la fonction. Par éthique de responsabilité, il perpétue l’extension d’un territoire à mesure qu’il dresse la carte de sa conscience. LES PENSEES POUR MOI-MEME sont autant une œuvre existentielle qu’un texte politique.

La lecture et l’écriture sont des occupations humaines qui ne trahissent pas l’idéal militaire : rigueur, effort, méditation, action. Une tension de l’être. (Je défie quiconque écrit un peu de me prouver que la concentration que cela impose n’est pas épuisante, pour peu que l’entreprise soit prise au sérieux.) C’est un exercice du corps et de l’esprit, donc de l’homme tout entier. C’est précisément ce qu’était l’Empereur philosophe : un homme total.

Tout le contraire des gauchistes. Je veux maintenant parler d’eux, pas des socialistes, lesquels sont parfois cultivés et essentiellement mus par leur « fibre sociale ». Ces derniers respectent encore leurs opposants et soutiennent, même si cela s’avère faux dans les réalisations de leur politique, qu’ils ont le souci de la France. Ils sont simplement naïfs, voire un peu bêtes. La mode est de les traiter d’idiots utiles.

Les gauchistes, c’est différent. Ils sont tout bonnement idiots. Eux sont excités par la haine de la France, des Français de souche blancs, et de ce qui les caractérise - pour faire simple : leur ancienne grandeur (notamment du temps de l’Empire colonial) ce qui se traduit par un rejet de leur Histoire et de la géographie, « sus aux frontières ! » , et leur religion, en sorte que l’anti-chrétienté, voire l’athéisme, pourraient suffire à définir un gauchiste.

A la différence du socialiste, le gauchiste est agressif. A chaque fois que j’ai eu maille à partir avec lui, cela s’est fini dans l’invective. Cris, assertions, anathèmes, et des menaces, presque. Un peu comme il fait en ce moment avec Dupont-Aignan.

Non sans humour teinté de mauvaise foi, il finissait toujours par me traiter de fasciste. (En vérité, on était deux, avec un fasciste inconscient, lui, et un autre bien conscient de ce qu’il est, moi). De toute façon, c’est bien simple : quiconque n’est pas d’accord avec le gauchiste est un fasciste. Et peu lui chaut s’il emploie les méthodes de ses ennemis pour parvenir à ses fins : par la merveille du raisonnement performatif, il échappe à ses contradictions. Le gauchiste n’est pas homme, il est Dieu. Il est l’exemple. Il est le modèle. A l’opposé de Marc Aurèle, il veut persuader. Pourquoi ? Parce que. Performatif, ma gueule. Ainsi est-il « fasciste avec les fascistes », et « intolérant avec les intolérants » (sauf dans le cas où ils sont musulmans parce qu’il ne voit nulle intolérance chez qui n’est pas blanc, même quand il viole sa femme).

                Je dois admettre qu’autrefois, mes Discussions avec un gauchiste me mettaient les nerfs en pelote. Alors j’ai arrêté. J’ai cessé de le fréquenter, de lui parler, de le voir, de le regarder, bref, de débattre avec lui.

Ce week-end, j’étais en Normandie avec des gens de droite. Au milieu, un gauchiste. J’apprécie beaucoup cette personne : raison de plus pour ne pas avoir participé à une série d’échanges houleux survenue Samedi et Dimanche soir. Je retiens néanmoins quelques perles que j’écris dans cette chronique par souci de les archiver. (J’aimerais d’ailleurs être doué d’ubiquité pour observer les dîners entre amis de cet entre-deux-tours. Ca doit être beau !)

Je retiens les poncifs habituels du type : « le FN, c’est la fermeture, et tu peux pas survivre sans ouverture, ni diversité ». Pourquoi ? Parce que performatif. « Les frontières, c’est complètement con. » « L’autorité, ca se finit dans les pleurs, ca sert à rien. » Stop. Pas besoin d’intervenir à ce niveau d’arrogance. Ce n’est pas que c’est stupide mais c’est déroulé avec la mécanique de la connerie, sans aucune envie d’argumenter, seulement avec celle d’avoir raison. Je décidai d’abandonner l’anti-Marc Aurèle à lui-même. Les autres s’écharpaient avec lui sur la religion. J’entendis que « la religion, c’est un aveu d’impuissance, un aveu de faiblesse, une affaire de faibles. Les gens ont peur, et alors ils croient en Dieu. » Je convins toutefois qu’il gagna le débat grâce à cette énergie du nouveau croyant i.e. l’athée qui croit en non-Dieu et troque le doute chrétien contre la certitude. Quel prosélyte ! Quelle hystérie ! Décidément, la haine, qui est le substitut de l’amour de soi, est le moteur des passions humaines. Sur ce, il me fut demandé pourquoi je ne participais pas, alors que « tu lis beaucoup, connais plein de choses, et tu as des idées qui prêtent à débattre. » J’esquivai la dernière remarque, de même que je ne répondis pas à la question de peur de vexer le gauchiste qui n’aurait pas manqué d’entendre les raisons de mon mutisme et se serait emporté. Et puis de toute façon, les faits ne sont pas avec lui. A part des mots, il n’a rien. J’éludai davantage en expliquant que ces questions théologales, surtout quand elles sont ainsi menées, sans possibilité de déployer ses idées, n’abordent que la superficie de la chose, en sorte que je ne pouvais me résoudre à m’y mêler. « C’est que, vois-tu, j’imagine que le secret de Dieu se terre dans le mécanisme qui permet à la chair, cette matière organique, de se penser elle-même. Nous sommes de la matière capable de s’abstraire. C’est la pensée suivie de la parole, ou inversement, chi lo sa ?, par quoi le corps manifeste des sentiments immatériels. C’est cela qui est fascinant. La transcendance ou l’immanence ? Dieu ou non-Dieu ? L’immatériel. Le spirituel. Il faut commencer par cela. Or personne ne sait expliquer ce qui rend cela possible, donc je me tais. Le mouvement, déjà, par quoi est-il initié ? Par l’énergie ? Oui, mais quel en est le principe, de cette énergie ? Tu crois remonter à la source, et tu ne trouves qu’un delta. C’est triste. Aucune philosophie ne résiste à l’épreuve de cette question. Alors on a inventé la métaphysique. Soit. Mais c’est de la masturbation parce qu’elle se prive de la biologie, cette science du corps : la métaphysique part d’un pré-supposé pensé, en sorte que toute ses conclusions sont a mimina auto-entretenues, et au pire sui generis. Dit autrement : la métaphysique tourne en rond. Aucune discipline n’est d’aucune aide sur cette question. Mais je crois que la physique quantique et la biologie la perceront, et que la vision nietzschéenne de la vie est la bonne. Des forces nous dirigent vers ce qu’elles veulent. Pétris de l’illusion que nous voulons ce qu’elles veulent, nous allons en définitive vers ce qui veut que nous le voulions. Ce ce est à l’origine des forces. Il faut simplement rendre compte de ce ce.» Je ne développai pas plus. Replié sur mon quant-à-soi, je m’abandonnai à des considérations sur Marc-Aurèle, façon PENSEES POUR MOI-MEME, et entrepris d’établir ce qui sépare le fatalisme du déterminisme. Je me dis alors que Jacques le Fataliste est peut-être le Marc Aurèle des Lumières. Mais je ne réussissais pas à conclure, pas plus que maintenant. Au milieu des songes, j’entendis le gauchiste décréter que « tu ne peux pas être de droite quand tu réfléchis. » Je dis : « Pardon ? » Lui : « Je te mets au défi de me citer des penseurs qui ne soient pas de gauche. » Je lui en divulguai une tripotée. Puis : « Mais je vois ce que tu veux dire. A moi, maintenant. L’ordre naturel est dit de droite non parce qu’il l’est (la nature est apolitique), mais parce que l’homme de droite se subordonne à la nature dans laquelle il voit un ordre, auquel il souscrit. Il reconnaît un tout supérieur régi par des lois qu’il accepte. Hiérarchie. Et il applique ce principe de verticalité à la société. La loi du plus fort, dit-il souvent, ce qui est faux, car c’est la loi des faits dont il faut parler. La fatalité. Le déterminisme. Le réel tragique. Nietzsche. L’homme de droite accepte la mort, et ce faisant la vie. En face, le gauchiste n’accepte pas la mort, de là qu’il tourne athée, et ce faisant il rejette la vie. Alors oui, le gauchiste est un progressiste, et aujourd’hui il est devenu transhumaniste. Le gauchiste est prométhéen. C’est Faust, même. Orphelin de son ombre, il est sans mesure. Pourquoi pas. Mais alors il faut comprendre que le gauchiste voudra tordre les faits à proportion de ses idées. Parce que la réalité doit être déformée pour épouser le moule de sa vision. En matière politique, cette pulsion le conduit à réformer l’ordre établi comme il dit. Casser les codes. Bousculer les habitudes. Et toutes ces sornettes de la réalité irréelle. Pour cela, il faut des théories capables de faire croire qu’elles vaincront le réel une fois appliquées. Elles doivent rêver et faire rêver. Pour celles qui ont du succès, elles le doivent aux faiseurs de rêves et aux rêveurs. Il faut un marchand de sable et un agi. Le gauchiste est agi, absolument. Halluciné, si tu préfères. Tout à sa simili religion. Le gauchiste croit qu’il croit et qu’ainsi, il sait. C’est le marxisme et ses dérivés, comme la théorie du genre aujourd’hui, ses schismes et ses hérétiques, ses troskystes et ses léninistes, et son URSS de clergé, ou son université-église en France. Il est vrai que Marx n’est pas gauchiste, mais le gauchiste en a sa propre compréhension. Il connaît son Marx comme on dit, et se l’approprie. Il s’y entend à réformer, justement, et par la grâce de son individualité qui prime sur le reste, il est souvent l’unique réformateur qu’il reconnaisse. Sa bible reste LE CAPITAL qui est beau comme une théorie mathématique. On sort abasourdi de sa lecture. Et c’est précisément là où je veux en venir : les théories gauchistes développent des contorsions brillantes pour échapper au réel, et on ne les trouve pas chez l’homme de droite parce qu’il n’en a pas besoin. La force de ses arguments suit celle des évidences. Le bon sens. Mais cette force est comme compassée par la brillance du langage controuvé gauchiste. La droite est trop prosaïque. Elle ne fait pas rêver. Prise au piège d’un rigolo paradoxe, elle est condamnée à perdre en ayant gagné. La nature vue de droite est chassée par les mots dits à gauche. J’attends avec impatience qu’elle revienne au galop, cette nature. Alors bon, en somme, dire que tu peux pas être de droite quand tu réfléchis est le résultat d’une illusion tout à fait compréhensible. Mais n’oublie pas que toi, tu as gagné en ayant déjà perdu. »

                Dans ce texte, toutes les phrases non grasses et mises entre guillemets viennent de mes conversations avec les gauchistes, donc de ce qui pourrait être leurs PENSEES POUR EUX-MEMES entendu qu’ils ne pensent en fait que pour eux.

 

Jeudi 27 Avril 2017 - Il est né le femelle enfant

                MacRon tenait un meeting à Arras hier soir. Tendu comme un string africain, il donnait toutes les raisons de croire qu’il était furieux de ce qui s’était joué à Amiens dans l’après-midi. A le voir s’énerver sur le site de l’usine Whirlpool, déjà, je me disais qu’il agissait en enfant contrarié par des limites qu’il lui est impossible de dépasser : il est improbable qu’il gagne la confiance ouvrière, bien qu’il en ait envie.

L’impuissance est un sentiment universellement partagé qu’il est difficile de réprimer sans la maturité nécessaire. L’éducation et le temps amènent à la sagesse grâce à laquelle chacun s’accommode de ses manques. L’enfant, lui, méconnaît tant l’importance de se dominer qu’il enrage de ce qui lui résiste. Il le fait savoir en piquant l’une de ces colères qui s’appelle un caprice. La taloche et le temps, encore une fois, lui enseigneront à ne pas déranger son monde quand celui-ci ne va pas dans son sens. En observant MacRon s’exciter, je me suis fait à l’idée qu’il est retombé dans les travers du petiot capricieux qu’il a été (comme chacun). Sans doute doit-il ce tort à une ascension rapide dans la haute administration et la grande finance, lesquelles l’ont persuadé qu’il est tout puissant. Mais non, l’omnipotence n’existe pas, même dans l’univers du « petit Mozart du M&A »,et surtout en démocratie dont le jeu des trois pouvoirs est de l’empêcher. Alors peut-être MacRon reste-t-il convaincu qu’il fait exception à cette règle qu’il n’accepte pas, et ce serait pourquoi il éructe autant contre son adversaire l’ayant chiffonné.

                Hier soir, il voulait se venger afin de remettre les pendules à l’endroit. C’est lui le meilleur. C’est lui l’élu. C’est lui qui est le plus beau, le plus fort, le plus intelligent. Ainsi va la psychologie de l’enfant, le figeant aux marges de la folie dans quoi son être d’émotion, et seulement d’émotion, entend persévérer. Il faut un père fouettard à MacRon, je crois. Et ce n’est pas à Marine Le Pen de s’y coller, mais à la France. Osera-t-elle ? Je l’espère. Un semblable homme-bébé à la tête du pays est effrayant – tout brillant qu’il soit. Parce que je ne nie pas qu’un gamin puisse être doué, mais il ne saurait être sa propre mesure sans tomber dans la sociopathie.

A Arras, MacRon tança Marine Le Pen en la traitant d’héritière, moyennant quoi elle ne pouvait être le candidat du peuple qu’elle prétend incarner. Voire. C’est d’autant plus de mauvaise foi que la gauche dont MacRon descend a toujours avancé qu’il n’y a aucune contradiction à défendre les pauvres en étant un riche. C’est une position tenable, absolument. Les chevaliers se l’imposaient autrefois. Par exemple, l’aristocratie guerroyait et n’exigeait qu’en dernier recours le sacrifice de l’arrière-ban. Ce qui est demandé à un politicien aujourd’hui est une colonne vertébrale à la fois intellectuelle et morale, une structure, un cadre, un respect des codes, et non de ressembler à tous ses électeurs. Pour cela, il y a déjà eu Jésus, et il y a encore Dieu. Qui parle d’élire Dieu, sinon MacRon, d’ailleurs, qui se prend pour lui ? Bref, ce sont des évidences. Je ne prends aucun plaisir à écrire ces banalités. Au vrai, j’ai été saisi par l’hystérie de l’homme MacRon à Arras. Quelle énergie disait un ami ; non : quelle hystérie. Whirlpool l’a manifestement jeté dans un amok jamais plus vu chez lui depuis sa première couche. L’enfant roi. L’enfant Dieu. En parcourant la presse ce matin et en échangeant hier avec mon amie, je réalise que je ne suis pas le seul à penser cela. Inquiétant. « Pas ca ! Pas ca ! Pas ca ! » vagissait-il au moment de conclure, pareil à un soumis qui regretterait un jeu sexuel sado-masochique. Précisément : pas ca !

Il y a en effet un côté femelle chez MacRon, un je ne sais quoi de dominé, d’autant plus risible que son physique ne colle pas au ton de ses philippiques. Quand il est hors de lui, il ressemble à un cadre dynamique malingre qui tape du poing en réunion comme le lui a conseillé son coach en ambitions. Ridicule. C’est un homme-enfant femelle dont la voix casse au terme de la coda en une manière de cri aigu, comme d’un pleur qu’il ne soit pas entendu ni compris. Il affirmait que les Le Pen se cacheraient en cas de guerre dans leur château de Montretout : en plus d’être un piètre orateur, il est mal renseigné parce que plus personne n’habite Montretout, et que Jean-Marie n’hésita pas durant les événements d’Algérie à troquer son costume de député contre le treillis militaire. Mais MacRon ment certainement : en bonne femelle aspirant à séduire les foules, il s’enroule autour sournoisement. Passionné de politique, j’ai lu que ceux qui secouaient les masses au début du XXème siècle déroulaient leur discours à la force de leur libido. Littéralement, ils faisaient l’amour aux masses, et si bien que cela confinait au viol. VIOL DES FOULES PAR LA PROPAGANDE POLITIQUE, de Tchakhotine, est encore aujourd’hui la bible des spin-doctors. Il est certain que MacRon sait, mais de même qu’un adolescent peine à trouver corps à ses fantasmes, de même MacRon fait mal l’amour. Du reste, que fabriquerait un amant du calibre de Benito avec une femme de 24 ans son aînée ?

 

Mercredi 26 Avril 2017 - Le moment Whirlpool

                En déplacement aujourd’hui sur le site de l’usine Whirlpool d’Amiens, MacRon est interdit de rentrer. Il se retire pour discuter avec l’Intersyndicale. Surprise : Marine Le Pen arrive. Les ouvriers l’acclament, scandent des MARINE PRESIDENTE ! MacRon l’apprend, s’énerve, s’étrangle, c’est qu’il n’aime pas être joué !, et parle aux médias : « c’est une instrumentalisation », « c’est les heures les plus sombres », « c’est pas mon projeeeeet », les journalistes l’encouragent à rencontrer lui aussi les ouvriers. Il obtempère. Toutou MacRon débarque face aux grévistes. Il est alors bousculé, hué, sifflé, et Marine Le Pen est de nouveau applaudie. MacRon tente de dialoguer mais sa voix de zozote est inaudible, couverte par les cris qui le roulent dans la farine. Marine l’a eu comme un bleu.

Attali commente : « Whirlpool, c’est une anecdote ». Il est aussitôt banni d’En Marche !

Cette journée, qui semble sortie d’un roman d’Octave Mirbeau, ravigote le français rabelaisien qui est en moi. Il y a comme un parfum de Gergovie, une furie franchouillarde, une furia francese de zouave, qui défonce tout dans les rires et dans la joie. C’est la France qui croit à la défaite par goût du panache. Elle perd, mais se dit parfois qu’elle va crier Victoire !, histoire d’enquiquiner, et alors elle vainc. Jouissif. Je désopile. Aujourd’hui, MacRon est ratatiné, écrabouillé, bousillé, étrillé, supplicié. En Marche ! Hue ! Carabistouillez-moi le garçon !

 

Il est fort possible que ce que la presse appellera L’affaire WHIRLPOOL, ou Les événements de Whirlpool, voire, en plus warholien, Le moment Whirlpool, soit le virage d’une campagne présidentielle qui a mis de côté les vrais sujets puisque c’est comme ca qu’on dit. Cette campagne de six mois n’a accouché que de montagnes-souris. Un quasi-semestre (!) pour ne parler que des affaires de François Fillon, et du simili-népotisme de Marine Le Pen à l’UE. La candidate frontiste a écarté les semonces médiatiques avec le mépris qu’elle emploie à l’endroit de l’Union Européenne : cohérente jusqu’au bout, elle a eu raison du quatrième pouvoir qui a démoli un Fillon soumis au tigre de papier.

Aucun mot sur l’immigration-invasion qui ne s’assimile plus, mais terrorise par la religion islamique armée (on compte 21 attaques de terroristes musulmans sur le sol français depuis celles de CHARLIE HEBDO le 7 Janvier 2015), et par l’orgie démographique qui remplace les Français blancs (les immigrés arabo-africains produisent en moyenne trois fois plus d’enfants) ;  rien sur l’effondrement de la civilisation française i.e. de la culture, de l’enseignement, de l’art ; pas un commentaire sur le processus de désindustrialisation avancé : rien que des louanges tressées au verbiage de MacRon, à sa jeunesse et à son sourire de « Mozart de la finance ». Que de la forme, et laide avec ca. Nul !

Avec Le moment Whirlpool, la campagne présidentielle aura attendu l’entre-deux-tours pour révéler tout ce qu’elle avait dans le ventre. Et comme tout ce qui a été contenu trop longtemps, cela sort avec fracas. Le moment Whirlpool confine à l’hystérie d’un retour du réel dont la série d’uppercuts envoyés dans la gueule du spectacle le fait vomir ce qu’il voulait cacher : le nouveau clivage Mondialisme-Nationalisme.

Depuis le soir du premier tour, ce n’était qu’une question de jours tant Emmanuel MacRon incarne la France déracinée, et Marine Le Pen la France enracinée. Le moment Whirlpool certifie que l’opposition horizontale droite-gauche est morte, et son monde de vieux avec.  S’y substitue un clivage vertical Elites (j’y reviendrai après) – Pauvres gens. C’est le monde nouveau. C’est le tournant de la campagne.

C’est en France l’idée de Guilluy qui confronte la France des grandes villes, gagnantes de la mondialisation par l’économie, à la France périphérique, perdante de la mondialisation par l’immigration de masse.  L’heure est aux populismes, de gauche et de droite, et c’est leur processus sous-jacent qui a permis la victoire de Trump aux USA. La révolution white trash. Sans doute la révolution des petits-blancs de France aurai-elle promis la victoire à un « Front-du-bas » si Mélenchon et Le Pen avaient suivi les conseils de Jacques Sapir qui leur intime de s’allier – mais c’est une autre histoire, ou plutôt, un autre chapitre qui est en train de s’écrire et sortira avant 2022. Front de Gauche + Front National : craignez les classes dangereuses.

Dans l’attente, on en reste à cette analyse : MacRon, dénoncé en Candidat des élites, contre Le Pen, ramenée en Candidat des beaufs. Univers festif, nomade et vagabond, où les gens sont beaux, contre coin triste, sédentaire et figé, où les gens sont laids. Le Monde contre la France. Les gentils contre les méchants. Les intelligents contre les bêtes. Les riches contre les pauvres. Les sur-diplômés contre les sous-diplômés Je veux bien. Mais que sont ces élites, au juste ? Imbues d’elles-mêmes, méritent-elles le titre qu’elle se décernent ?

Inventaire avant liquidation.

Elles travaillent dans le tertiaire, vivent en ville, ambiance multiculturelle, mélanges des genres, sexe industriel, tolérance totale (sauf si l’amoureux est mahométan, là on se convertit, mais par ouverture d’esprit qui ne marche que dans un sens), elles adorent Uber, surtout quand ca leur permet de flatter leur bonne conscience en tapant la discute avec Abdel, chauffeur occasionnel qui survit dans sa caisse de location quand il ne galère pas en banlieue. Elles bossent dans la communication, dans le journalisme, la finance, la publicité, la télévision, c’est-à-dire des taffs de service qui sont moins des métiers que des jobs. Si elles ne sont pas à craindre, elles sont des classes assises, craintives, elles, et menacées de cellulite ou frappées de calvitie à force d’enfermement les privant du grand air. Mais surtout, elles ne s’éprouvent que dans l’idéal mesquin du confort : je le constate dans mes discussions lorsqu’au lendemain d’un attentat sur les Champs-Elysées, elles n’évoquent que le salaire à gonfler, et l’appartement où s’installer, loin des immigrés qu’on aime bien pour faire la nounou et récurer ses chiottes. Ils sont si gentils les Africains... Ha les zélites ! Impossible de ne pas déformer l’appellation de ce ramassis de flandrins. Pas étonnant que les zélites salissent autant les gogues de l’entreprise où je travaille. Régies et mues par l’égoïsme où s’absorbe leur individualisme, comment pourraient-elles faire cas de Fatima qui passera nettoyer après ? Sont-ce là des élites ? Vraiment ? Les zélites sont-elles des élites ? Elles ne lisent pas, rien, jamais. Elles ne s’élèvent pas. Ne s’instruisent pas. Et leurs diplômes en sont-ils puisqu’elles se disent plus diplômées que les frontistes ? Fac, sous-école de commerce ou de communication, et bouffonnades de boîte d’ingénieurs post-bac : mais que sont ces fumisteries diplômantes sinon des papiers-cul ? Une élite s’arrache à sa condition et commande. Elle propose une Weltanschauung. Mais en l’espèce, c’est zéro. Les zélites ont l’agenda d’un vieux garçon ménopausé : série le soir après un sport de paresseux histoire de se mentir encore, Instagram, Facebook, on a un avis sur tout même si on ne connaît rien, « c’est la dé-mo-cra-tie quoi », et ca vote MacRon, lequel tend le portrait de ces zélites à Brueghel l’Ancien. Alors non, MacRon n’est pas le candidat des élites mais celui des zélites, telles que je viens de les définir. Il n’y avait qu’un ectoplasme à gaz pauvre pour représenter ce ramassis de sous-hommes. A sous-race de banquier, sous-race de Français. Il leur fallait bien ce faux beau gosse à corps flasque pour porter leur projet de l’homme-marchandise indifférenciable et indifférencié. MacRon...il est à pisser de rire, avec ses deux joues grises de Parisien pollué. Bravo les ouviers de Whirlpool, vous l’avez bien chiqué !

 

Mardi 25 Avril 2017 - Quelques remarques en passant

                Je le dis : je ne suis pas démocrate. J’en tiens pour une monarchie de droit divin avec une aristocratie forte, d’émanation fasciste, histoire de profiter du meilleur de la modernité. (Le fascisme est la plèbe qui imite l’aristocratie.)

Le nazisme est une horreur germanique gauchiste. Une espèce de fracas païen, avec la rue et le caniveau mêlés dans l’esprit de forêt. Mais il est vrai qu’il y avait de très hauts QI chez les excités de la race. Et quels généraux ! Mais bon, barbarie et civilisation confluèrent dans l’accident industriel d’Auschwitz à cause du pays le plus civilisé du monde . Une civilisation si raffinée qu’elle en devint barbare. Une esthétique si belle qu’elle en devint cruelle. Un érotisme si passionné qu’il en devint torture. Un bavarois si prussien qu’il en devint SS. Et lorsque je parle d’accident industriel, je ne fais pas de l’humour noir, j’écris simplement « l’industrie si technique qu’elle porta atteinte à l’être humain ».

Dans la même veine, il y a Hiroshima et Nagasaki : la technique et l’industrie si monstrueuses, la technique si technique et l’industrie si industrielle, même, qu’elles vaporisent l’humanité. Avec le côté Oncle Sam bourrin porté par l’efficacité du One Shot, clinical, instantanée, qui annule le temps, tel que l’exige la rentabilité. Question de rendement. Avec Hiroshima et Nagasaki, on est au-delà de l’industrie. C’est une abstraction. C’est déjà du tertiaire. La bombe atomique annule aussi la matière, soit une partie de l’espace, et pas qu’en pratique parce que la théorie quantique admet la masse négative. L’espace-temps déformé terrifie l’Homme à Hiroshima, mais enthousiasme l’esprit humain à Nagasaki parce qu’il exige la distorsion de cet esprit. Révolution – donc jubilation possible. (La physique quantique taquina drôlement l’esprit cartésien français, par exemple.) C’est qu’il faut une âme à la post-humanité même s’il s’agit de l’humanité héritant d’Auschwitz, de la bombe nucléaire, du travail tertiaire et de la paix atomique. Or tout ce qui précède cette âme neuve est si contraire à l’intuition et à l’entendement qu’il faut parler d’accident pour approcher l’incompréhensible. A terme, il ne faut pas s’étonner de la civilisation accidentale (cf le blog de L’Aristo) qu’est devenu l’Occident.

Remarque : l’utilitarisme post-1945 est un accident spirituel, l’analogue d’une bombe H lancée sur l’âme, ou d’un camp d’extermination pour l’esprit – un accident industriel aussi, donc. Une théorie de la masse négative.

Et puis en fait, je crois qu’il est trop tôt pour tirer les conséquences des crimes contre l’humanité américains. Ils sont d’ailleurs la Révolution américaine.

 

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J’ai vu hier soir le film GOLD. Une scène m’a ramené à l’actualité française en ce moment consacrée au second tour de l’élection présidentielle 2017 qui oppose Emmanuel Macron à Marine Le Pen. Je parlerai de la scène après.

Le personnage principal est l’un de ces sans-dents qu’adore détester Hollande. Gras, chauve, alcoolique, fumeur, il est un prospecteur minier qui travaille la roche à la machine et à mains nues. Il incarne cette Amérique white trash pro-Trump qui s’unit aux petits-blancs de France pro-FN par le biais d’une Internationale du beauf. On pourrait la nommer « l’Internationale Guilluy », du nom de ce géographe français qui a identifié les ressorts de l’anti-mondialisation dans la France périphérique. Pas belle à voir, l’Internationale Guilluy se fiche de ce qu’elle est. Carrément inconscients d’eux-mêmes, ses gens sont drôles, théâtraux, à l’aise dans leur exubérance au point qu’ils doivent se trouver beaux. (J’avais une amie comme ca). Des Trumpistes aux USA, des rabelaisiens en France. Ils ne se posent aucune question comme on dit, et sont séduits par les philippiques d’un Trump ou d’un Le Pen.

Dans l’Amérique des Pères Fondateurs, ils sont pétris de la foi réformée qui les engage à trouver Dieu dans l’argent. C’est une question de bonheur chez ces eudémoniaques. Au fond d’eux, résiste en germe une envie d’entreprendre à la Trump. (En France, Le Pen était un reaganien). De là aussi qu’ils se reconnaissent autant en Trump qu’en ses discours. Ils ont la foi dit la formule - et en tout, de sorte qu’ils croient en eux comme en Dieu et ne doutent de rien. On peut y voir l’esprit entrepreneur qui existe en Amérique et qui, lorsqu’il vainc la paresse, devient cet état de l’âme jetant les reins et les cœurs dans les plus folles entreprises, en transe !, souvent au détriment des corps : d’où le Far West, d’où la ruée vers l’or, d’où la quête du pétrole version THERE WILL BE BLOOD. Frénésie. Histoire et géographie se confondent. L’exploration et les cartes. Rien à voir avec du tourisme. L’aventure.

Dans GOLD, le héros campé par Matthew Mcconaughey cherche de l’or et n’hésite pas à s’enfoncer dans la jungle indonésienne, depuis son Nevada, sur la base d’un rêve éthylique. La dose de folie nécessaire à ses talents instinctifs finit par avoir raison du sol. Il dégote un filon aurifère qu’il exploite avec ses ouvriers, en pionnier blanc, homme total émergeant de l’intelligence visionnaire et de la force physique dopée au mental d’acier. Ha, cette foi puritaine des conquistadors WASP ! O rage du mâle occidental !

Arrivent sur ces entrefaites les cow-boys de Wall Street. Bobs. Col blanc, costume trois pièces, l’arrogance en bandoulière. Et cette tête sortie d’une peinture de Brueghel l’Ancien, ce génie qui anticipa la grimace du XXIème siècle. Leur but : investir dans la mine d’or dont l’once promet une classe d’actifs épatante. Vient ici la scène qui m’a ravigoté.

Elle confronte Matthew Mcconaughey à des bankers pleins de leur importance. Sûrs d’eux, comme on le leur a appris dans leur séminaire de sciences humaines. Ils proposent un verbiage de communicant. Ils offrent un partenariat stratégique. Du Macron ! Et Matthew Mcconaughey de débuter son show de beauf décapant. Grisant. Ultra. Il crie, rit, geint, se fout de toute sa gueule de toute leur gueule, et invective, lève les bras, hurle ! Que serait-ce si Marine Le Pen agissait de la sorte lors du débat qui l’opposera à Emmanuel Macron ?! Du délire pur, du bonheur total ! Pris dans un conflit de classe Champ vs Ville, Matthew Mcconaughey montre ses mains et se lance dans un speech la terre ne ment pas : « Vous voyez ces mains ? Elles ont creusé la terre, arraché des ronces, nues, pour fouailler ses entrailles et en extirper un trésor, j’ai foui, moi !, et cette jungle a failli me tuer, la malaria, alors vous, avec votre partenariat stratégique, bien au chaud sur vos petites fesses dans vos petits bureaux, c’est tout ce que vous avez à me dire ? Vous me prenez pour quoi au juste ?! » Pour un con, Matthew ! Ils te prennent pour un con ! Comme Macron et son électorat prennent pour des cons les white trash de France, ô mon Matthew ! « Allez vous faire foutre ! » Tu l’as dit ! L’Internationale Guilluy vous dit d’aller vous faire foutre, les cadres, avec votre mépris pour le travailleur, pour l’ouvrier, le chercheur, l’agriculteur, le terrien ! Allez vous faire foutre avec votre condescendance de perché dans des tours sans horizon, envers l’homme enraciné dévoreur de ciels ! Allez vous faire foutre avec votre conchiage d’apatrides à l’endroit des patriotes et des nationalistes ! Allez vous faire foutre avec votre esprit des villes qui dissout l’âme des campagnes ! Rue contre rural ! Hors-sol contre glèbe ! Tertiaire contre Matthew Mcconaughey ! Macron contre Le Pen ! Allez vous faire foutre !

 

Lundi 24 Avril 2017 - Think thank breakfast ou Le coeur des ténèbres

A Mom

 

Cratyle finit par ne plus parler qu’en agitant le doigt. Agi par sa peur panique de la pensée performative, quel doigt eût-il remué aujourd’hui ?

 

Chapitre I

Le cœur arraché.

 

                Hier, j’ai reçu un courriel professionnel qui rapportait la création du CHALLENGER GROUP. C’est un cercle de collaboratrices, rien que des femmes, créé secrètement. Il s’élargit en ce moment aux hommes. Un « groupe au féminin » qui s’ouvre. Les ressources humaines ont accepté, saluent l’initiative, et appuient la démarche. La créatrice est une intrigante d’entreprise occupant une fonction transversale, c’est-à-dire un poste de parasite. C’est N.

N. est un archétype balzacien de ce que l’époque produit de plus nul. Incompétente, fausse, elle utilise les autres sans hésiter, aussi prompte à chiper leur travail quand il est bon qu’à le leur laisser quand il est mauvais.

Pas plus tard que mardi, j’ai été le jouet de sa mesquinerie. J’avais accepté de présenter un travail en cours afin de « meubler son agenda ». « Il faut que tu racontes une histoire pour ma réunion. » La présentation s’est mal passée parce qu’en entreprise, seule compte la forme, à savoir la communication, en sorte qu’un travail en cours n’est pas pris comme tel, mais comme achevé, parce que sinon nul ne communiquerait à son sujet, si bien que je ne fus pas à la hauteur des attentes. Je m’en doutais, mais j’ai voulu être gentil. Grand mal m’en a pris, surtout lorsque je remarquai que N. ricanait avec les huiles qui souriaient de mon bide, histoire de s’attirer leurs faveurs, à la courtisane.

Les rapports humains en entreprise exigent la sympathie suivie de trahison quand nécessaire. Les comportements sont cordiaux et d’ailleurs tout le monde fait précéder sa signature d’un Cordialement-virgule vidé de sa substance : il ne signifie que l’hypocrisie qu’il contient. Tout est feint, mais la feinte est bourrine, toujours à fleurs de mots. Un enfant la détecterait par le simple instinct qu’il développe en classe maternelle, et précisément, l’open-space est un centre aéré. La violence y est douce mais n’est pas un artifice. Elle ne s’exerce qu’après avoir testé que la personne est enfin amadouée. Si elle est exempte de la brutalité barbare, elle n’est pas plus civilisée. Elle reste un instrument de la décadence.

Bref, je me suis fait avoir comme un bleu. Mais je décidai de prendre sur moi. Un peu de sagesse n’a jamais tué, et après tout, je savais que j’aurais dû me méfier. J’en fus quitte pour débiner près de mon boss N. dont les manières lui valent mon éternelle méchanceté. N. n’obtiendra plus rien de moi. Ainsi sera-t-elle cantonnée à son travail de forme dont l’absence de fond finira par trahir la vacuité.

                En fait de vacuité, il y a ce CHALLENGER GROUP. Il s’agit d’un groupe de réflexion qui s’annonce comme un Think thank parce que plus c’est américain, plus c’est better. Son but est de collecter des innovations pratiques en vue de les communiquer. Je traduis l’anglais douteux de l’exposé. Il ne veut rien dire. C’est du vent, du vide, du Macron. C’est transverse, à la mode start-up, donc ca doit marcher, et sinon il y a pour cela la photo façon facebook en bas du mail, toute de smiles et de friends. Les codes de réussite officieux stipulent qu’il faut être visible. Il faut se montrer. La traduction officielle est possible au travers de bêtises comme le CHALLENGER GROUP.

 

             Chapitre II

    CRATYLE. Le cœur du rien.

 

                Il suffit de dire pour devenir. Il suffit d’énoncer pour créer. L’énoncé a force de vérité. C’est purement performatif, donc creux et faux.

Il va de soi que je moquais aussitôt l’idée de ce CHALLENGER GROUP. Je me déchaînais, énervé par le culot de la médiocrité sûre d’elle-même que je découvrais encore une fois, toujours avec effarement. Je ris pendant tout l’après-midi, haut et gras, y allant de mes propositions burlesques pour caricaturer cette ânerie. Je maugréais que N. était une connasse, une jean-foutre, et lui conseillais d’aller s’acheter des diplômes et qu’on en reparlerait après. Clou du spectacle : j’envisageais de créer un Think thank breakfast qui récolterait chaque matin les mauvaises idées que je promettais de jeter à la poubelle. Je passais dans les travées de l’open-space avec mon Think thank breakfast, prétendant que les ressources humaines l’adoraient. C’était ma vengeance. Ca s’esclaffait tant que je détruisis le CHALLENGER GROUP avec la volupté d’un Bakounine. O anarchie, ma folie douce.

Dans l’histoire de la philosophie, Cratyle a très tôt identifié ce qui sépare la parole de la pensée i.e. l’énoncé de la vérité, ou encore la performativité de la logique, de sorte qu’il mit le langage en question au point de ne plus vouloir parler. Au terme de sa vie, il restait muet et bougeait un doigt pour s’exprimer. Il pensait mieux ainsi.

Cette France performative, qui s’affirme dans la pensée d’entreprise autrement nommée pensée managériale, est la France de Macron. Le Think thank breakfast et le CHALLENGER GROUP sont une partie d’un tout cohérent qui s’avance sans plus se cacher, en marche macronique. Un ami du taff me demandait pourquoi je m’agaçais autant, alors que pour lui, « ca passe au-dessus de la tête ». Alors je lui expliquais que le Think thank breakfast ne me dérange pas en soi (c’est du pipeau rigolo auquel personne ne croit), mais qu’il agit, consciemment ou non, en vertu d’un tout supérieur qui détruit le pays. Or pour contrecarrer ce tout, il faut commencer par détruire au moins une de ses parties.

                La performativité dit rien avec tout, ou peu avec beaucoup. C’est cette contradiction dans les termes qui agace. C’est le bon vieux Beaucoup pour ne rien dire populaire, ou le Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare. Cette approche de l’existence est une tentative d’expliquer le monde aussi vieille que lui. Elle était jusqu’à présent l’apanage de quelques hurluberlus, ou d’enfants qui disent que « c’est celui qui dit qui est » (toujours cet instinct de classe maternelle) ; ce qui est nouveau, c’est qu’elle est devenue la norme. Et le hic, c’est qu’elle déconnecte des réalités parce qu’elle interdit de les penser. Je me demande souvent si ce n’est pas un refus de se confronter au réel qui contient tout le tragique de la vie, et si c’est le cas, j’en conclus que l’époque n’est plus mûre pour l’amor fati nietzschéen consistant à aimer ce qui survient. Cette époque n’aime plus ce qui advient au point de préférer qu’il ne se passe rien. De là le sentiment de vide qui envahit l’Européen privé de but plus grand que soi, comme rivé au stade de l’enfance.

La pensée performative découle du principe de précaution qui engage à ne plus se mouiller, lui-même dérivé de la paix atomique qui a pulvérisé les instincts guerriers et entériné la crainte comme appréhension de la vie. Il semble même que la peur constitue l’apprentissage des générations post 1945. Les risques ne se prennent plus par les corps, mais en bourse, au détriment de l’économie dans le pire des cas. Alors tant pis, donc, si ca pète, chat perché, on risque rien, même si une économie du tiers-monde en berne jette dans la pauvreté des millions de gens. La dématérialisation de l’Occident suit sa déspiritualisation. C’est qu’il y a derrière tous ces Think thank breakfast une volonté d’échapper à sa finitude qui n’est plus envisagée. La mort est évacuée, non pensée. Seulement, chassez le réel, et il revient au galop. Comme il n’est plus désiré, il fait mal s’il se manifeste et n’est pas plus compris. Pire encore, il est nié, occulté, et certains hallucinés maintiennent que le Think thank breakfast est la solution.

Le temps de la transversalité est arrivé : en entreprise comme en politique, l’horizontalité étend son principe strates par strates et achève de se substituer aux hiérarchies. Les décisions sont prises à l’unisson suivant une logique démocratique égalitariste où chacun se sent l’égal d’autrui, en sorte que tout le monde propose et personne ne choisit. C’est la mise à mort de la verticalité et de son culte du chef et de l’autorité. C’est désastreux sur le plan métaphysique d’autant plus que cela s’instruit aussi en bas, dans le physique, jusqu’à poser la velléité comme unique fonctionnement. Hollande illustre ce schéma à la perfection. L’aboulie n’est-ce pas. En dernière instance, aucune décision ne se prend, rien n’aboutit, tout stagne, et seuls les mots sans conséquence, donc le verbe creux, accordent une valeur à qui les profère. Le monde performatif appartient aux communicants. Dans ce monde, Angot est écrivain parce qu’elle l’a dit et que ca a été dit. En politique, Macron est un président parce qu’il l’a dit et que ca a été dit. En art, Jeff Koons est un génie créateur parce qu’il l’a dit et que ca a été dit. En entreprise, la créatrice du CHALLENGER GROUP est un cadre compétent parce qu’elle l’a dit et que ca a été dit.

                (On m’opposera que le monde tourne. Que je suis catastrophiste. Que j’exagère. Disons qu’il y a encore quelques chefs pour colmater les brèches. En entreprise, en politique, en art, en agriculture, en industrie, en artisanat, dans l’enseignement, de-ci de-là, des personnes courageuses agissent dans l’ombre pour maintenir l’héritage dilapidé par les velléitaires qui ne manqueront pas de s’approprier le travail de ces chefs épars, le moment venu. Mais cela n’a qu’un temps. A force d’enseigner la médiocrité, il ne restera qu’elle et l’effondrement en cours sera consommé.)

 

              Chapitre III

CONRAD. Le cœur des ténèbres.

 

                Dans le contexte de l’attentat de hier soir au cours duquel un policier a été tué d’une balle dans la tête, le Think thank breakfast est-il judicieux ? J’en doute, mais certains en restent convaincus. Les centres de déradicalisation des djihâdistes ne proposent que ce qu’ils énoncent, à savoir qu’ils vont déradicaliser. Ils sont des CHALLENGER GROUPS. Or les faits remontent que les radicalisés ont tabassé les animateurs des centres après les avoir moqués, et qu’ils ont déserté les lieux, filant dans la nature avec leur vision du monde ancrée dans l’esprit. Bref, dans tous les cas, dans un monde performatif, le réel mortel et tragique est trop odieux pour ne pas proférer « Otez ces faits que je ne saurais voir. »

Alors que je discutais avec l’ami Mom du dernier attentat, il rappelait que les tenants du Think thank breakfast ont leur part de responsabilité dans l’anéantissement de la France. Il y avait comme une continuité dans ma journée, entre le mail du CHALLENGER GROUP et le policier assassiné, et Mom l’identifiait en même temps que moi. L’aveuglement des Think thank people les empêche de penser le danger qu’ils n’ont du reste pas créé, mais laissé s’établir à force de prise de distance mentale et physique : ils ne conçoivent pas l’habitus (plan métaphysique) de personnes avec qui ils n’habitent pas (plan physique). Connaissent-ils quelque chose aux immigrés parqués dans les banlieues ? Habitués à se cacher dans un CHALLENGER GROUP pour performer au sein de l’entreprise, ils imaginent que la formule fonctionne à l’échelle de la nation. Le management sauce start-up fut le laboratoire de la praxis politique moderne et il n’est jusqu’à Macron himself qui ne l’avoue dans son slogan offrant de « faire de la France une start-up nation ».

Suivant le mécanisme de la foi réformée, les Think thank people croient que la parole peut tout – alors que c’est le verbe. C’est le « J’ai dit » qui ne s’avise plus qu’il s’est défait de toute autorité depuis qu’un souverain a été décapité un 21 Janvier 1793.

Exporter ce procédé d’analyse à l’ensemble de la société répond à un processus totalisant qui devient un fait totalitaire. C’est le fonctionnement des classes moyennes tertiarisées qui résident en ville. Elles travaillent en open-space, dans un environnement déconnecté du sol et aseptisé, et elles votent Macron. Si leurs cerveaux se sont projeté dans les murs depuis les années 1970, ils sont maintenant configurés à la mesure de cette architecture. Leur pensée est auto-entretenue selon le mécanisme de représentation schopenhauerien. La métaphysique est traduite. Le couple Métaphysique/Physique moderne existe, et bien qu’il soit débile, il profite d’une logique interne qui le rend pérenne. C’est terrifiant. La pensée qui en résulte induit une attitude qui fait accroire aux tertiarisés qu’ils sont au-dessus de tout. Bien au chaud dans leurs tours et dans leurs quartiers protégés par leurs badges et des digicodes, ils pourrissent dans des étages où ils nourrissent un sentiment de domination. Leur impression de sécurité est fausse. Ainsi naît l’arrogance gavée de mépris. Ainsi disparaît toute possibilité de comprendre ce qui advient réellement, tragiquement, et ce n’est pas un Think thank breakfast qui y aidera.

                Je trouve ces gens fous, dangereux, et leur Macron est l’un de ces « faux prophètes [QUI] viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravisseurs. » Matthieu 7:15. Un loup rapace. On peut le voir en ce moment au cinéma dans le personnage du pasteur psychopathe de BRIMSTONE (ce film est un chef-d’œuvre). C’est pour cela que je ne cesse de l’agonir depuis six mois et que je méprise ses fans.

Ce matin, sur l’escalator qui conduit au pied de la Grande Arche de la Défense, je lisais LE CŒUR DES TENEBRES de Joseph Conrad. Je remarquai que le titre crée une continuité supplémentaire entre hier et aujourd’hui. Le CHALLENGER GROUP, le policier tué, les deux découlant de l’autre : ne touche-t-on pas au cœur des ténèbres ?

Ce livre est l’histoire de Marlow parti à la recherche de Kurtz, chasseur d’ivoire. Ce dernier s’est enfoncé dans la jungle du Congo. Au terme d’un voyage initiatique, Kurtz et Marlow, en une manière de destins croisés, se trouvent au fond des âges primitifs. Sur le fleuve, leur reflet les attend : ils avaient rendez-vous avec cette part de sauvagerie que la civilisation a domestiquée. C’est l’ombre de l’Homme qu’il lui faut connaître sans quoi il perd la mesure de lui-même (mythe de Faust). La barbarie se tapit dans l’Homme et n’en a jamais été éjectée. LE CŒUR DES TENEBRES inspira APOCALYPSE NOW dont le colonel Kurtz est le même Kurtz de Conrad. Si les lieux du livre et du film diffèrent, la géographie est identique et la jungle fait pareillement office de révélateur. Une page m’a frappé pour sa similitude avec ma situation. Marlow explique qu’il n’éprouve que du dédain pour les gens qu’il croise en Europe à son retour du Congo. Il a vu le mal dans le bien et le bien dans le mal. Il connaît la vie tragiquement. Il n’est pas besoin d’un tel voyage pour s’en aviser. Lire suffit. Le voyage initiatique est un livre lu de façon plus intense. En sorte que même si je n’ai pas vécu comme Marlow, j’ai assez lu pour reconnaître dans son mépris celui que j’éprouve envers ma génération. Pour conclure, je recopie la page tombée à pic, parce qu’elle dit mieux ce que j’ai écrit plus haut et que la ressemblance de ce qu’elle décrit avec l’aujourd’hui est troublante ; les mots prennent une résonnance inquiétante et étrange dans le souffle de leur justesse :

« Non, ils n’eurent pas l’occasion de m’enterrer, même si je ne garde qu’un souvenir flou de cette période, un étonnement apeuré, comme si j’avais traversé un monde inconcevable, dépourvu d’espoir et de désir. Je me suis retrouvé dans la ville sépulcrale, incapable de supporter la vue de tous ces gens qui se hâtaient dans les rues pour se filouter les uns les autres, pour dévorer leur infâme cuisine, avaler leur bière infecte, pour rêver leur rêves insignifiants et sots. Ils empiétaient sur mes réflexions. C’étaient des intrus qui n’avaient selon moi qu’une fausse et agaçante connaissance de la vie ; j’étais si certain qu’ils ne pouvaient savoir ce que moi, je savais. Leur comportement (simplement celui d’individus ordinaires vaquant à leurs occupations avec la certitude d’être pleinement en sécurité), ce comportement m’était une insulte aussi scandaleuse que la bêtise qui s’affiche devant un danger qu’elle n’est pas à même de comprendre. Je n’avais pas particulièrement envie de les éclairer, mais j’avais en revanche un peu de mal à ne pas rire au nez de ces gens si stupides et si pleins de leur importance. Je suppose que je n’allais pas très bien à cette époque-là. Je déambulais par les rues d’une démarche mal assurée (il y avait diverses affaires à régler) et je dévisageais en ricanant avec amertume des personnes tout à fait respectables. »

 

Mardi 11 Avril 2017 - Frères humains

                François Villon rencontra Charles d’Orléans alors qu’il était en train de révolutionner la poésie française. Rabelais, La Fontaine, Rimbaud, Verlaine, Céline, et son contemporain Charles d’Orléans: tous partagent le regret de n’avoir pas été Villon. A la lecture de La ballades des pendus, Charles d’Orléans sentit le génie, davantage : il sut immédiatement qu’il avait affaire à un poète immense.

Cet homme de cour avait bénéficié d’une éducation d’aristocrate renforcée par des années de lecture en prison. Lui-même pas mauvais poète, au don renforcé par l’ennui de la geôle, il composait des rondeaux dont on lui doit l’invention. Le rondel n’excède néanmoins pas la forme, surtout chez Charles d’Orléans qui pratiquait une poésie classique. Le fond se cantonne aux thèmes habituels de l’extase : la souplesse d’une étoffe, la grâce des jouvenceaux et jouvencelles, ô jeunesse éphémère !, la beauté du printemps à quoi le Charles d’Orléans poète doit sa renommée. Mais il n’était pas assez profond pour enrichir le fond de la poésie médiévale. Il échouait sur les récifs du monde intérieur qui cantonnent au sensible, loin de l’âme humaine. De son côté, c’est à ce tréfonds du corps que Villon s’agrippait de toute sa force. L’âme. La conscience de soi. C’est ce qui impressionna tant Charles d’Orléans qu’il le convia à sa cour pour discuter poésie comme on dirait aujourd’hui.

Ancien bedeau, sans doute incroyant ou damné après avoir tué, violé et pillé les campagnes en compagnie des soldats égarés de la guerre de Cent ans, les coquillards, à qui il avait offert sa promise qu’ils déflorèrent avec lui, Villon restait comme piégé par l’absence de Dieu, laquelle pesait sur ses ballades. En sorte que Villon révolutionna le fond de la chanson française. Vous semblez toucher au cœur de l’existence lui aurait dit Charles d’Orléans, et vous êtes le premier à le faire, ou…à oser. Précisément, il fut le premier, à tenter et à savoir l’écrire. Et le tout en usant d’une forme ancienne, la ballade, longue, qui soumet le poète à la métrique du décasyllabe impropre à la langue française. Et pourtant : des vers qui secouent le lecteur soudain placé au cœur de la vie et du sens parce que brutalisé par la mort. C’est cela même : en introduisant la mort dans une poésie bucolique depuis l’Antiquité, Villon devint un poète brutal qui préfigura tout ce que la littérature française offrirait de plus grand. Je ne sais si j’ai lu, ni si je l’ai inventé, mais Villon contient la langue française dans sa langue, celle des pendus, où il enferme notre littérature. Si j’étais un piètre critique, j’écrirais que nous sommes tous les pendus de François Villon, nous, les frères humains qui après lui vivons. Je citerais aussi un critique du VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT célinien qui pensait en 1932 que le livre de Destouches est le plus grand cri de détresse jamais poussé par l’homme, et je dirais qu’il se trompait, et que c’est cette ballade mortelle de François Villon qui lança ce cri :

 

Frères humains qui après nous vivez,
N'ayez pas vos cœurs durcis à notre égard,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous merci.
Vous nous voyez attachés ici, cinq, six :
Quant à notre chair, que nous avons trop nourrie,
Elle est depuis longtemps dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poussière.
De notre malheur, que personne ne se moque,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

Si nous vous appelons frères, vous n'en devez
Avoir dédain, bien que nous ayons été tués
Par justice. Toutefois vous savez
Que tous les hommes n'ont pas l'esprit bien rassis.
Excusez-nous, puisque nous sommes trépassés,
Auprès du fils de la Vierge Marie,
De façon que sa grâce ne soit pas tarie pour nous,
Et qu'il nous préserve de la foudre infernale.
Nous sommes morts, que personne ne nous tourmente,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

La pluie nous a lessivés et lavés
Et le soleil nous a séchés et noircis;
Pies, corbeaux nous ont crevé les yeux,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais un seul instant nous ne sommes assis;
De ci de là, selon que le vent tourne,
Il ne cesse de nous ballotter à son gré,
Plus becquétés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

Prince Jésus qui a puissance sur tous,
Fais que l'enfer n'ait sur nous aucun pouvoir :
N'ayons rien à faire ou à solder avec lui.
Hommes, ici pas de plaisanterie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

 

Jeudi 06 Avril 2017 - Poème

A Nicolas

 

La pénibilité du travail est réelle.

Mais on trouve un confort en étant salarié :

Un semblant d’objectif brise notre essentielle

Peur panique et humaine de la liberté.

 

Oui, le chômage effraie. Non pour la pauvreté,

Mais en raison du vide appelé solitude.

Le bureau – l’open-space offre en fait l’amitié.

Un divertissement, aussi. Ou l’habitude ?

 

Mercredi 05 Avril 2017 - Strophe

A Nicolas

 

Le recul sur le temps vient de ce qu’il avance.

Regarder le temps brûle au lieu de le brûler

Lui. C’est étrange de ne pas vivre, je pense.

On est déjà cendre sans même avoir existé.

 

Mardi 21 Mars 2017 - Discussions d'entreprise et de Réseau social

Entreprise

- C'est Macron, je ne comprends pas. Mon fils l'a même remarqué, ses phrases sont creuses. Deux minutes de plus que les autres candidats pour ne rien dire.

- C’est le paradoxe du monde de service qu'il incarne : des phrases creuses qui annoncent normalement un monde hors-sol, i.e. hors des réalités, qui devrait donc se planter, et qui pourtant fonctionne. Ici, c'est ce monde : beaucoup de bouffons creux qui disent de la merde mais tout roule. J'ai toujours été étonné par cela. Je crois que la raison est que les communicants qui sont médiocres envahissent le champ de la représentation, et alors ils deviennent visibles. Parenthèse : « Visibilité » est le mantra de l'entreprise, et de la politique, et de notre société, c’est la même pulsion née en démocratie totalitaire que celle de la transparence, faut tout voir et tout montrer, c’est de la pornographie, l’ère du porno chic qu’ils disent, et c’est aussi la pulsion du bruit, faut tout gueuler et tout écouter...Ce sont des faits totaux parce qu’ils englobent tout. Tu construis l’égalité comme ca, en pourrissant bien tout le monde. Bon alors tu as ces communicants partout, visibles, et ils prospèrent parce qu’ils vivent du travail de l'ombre de types comme toi qui permettent que ca fonctionne. Sans doute cela a-t-il toujours existé, donc blâmer la modernité est un pet dans l’eau : tu as un noyau dur qui fait le boulot et un noyau mou énorme, la chair du fruit, qui profite de cela et s'épanouit autour du noyau. Les visibles ne sont néanmoins pas comestibles, et tiennent davantage du parasite que de l'utile sans faire mentir un sens figuré du mot « fruit » qui désigne un « nul ». Lui, là-bas, c’est un fruit ! En entreprise, tu as les cadres, et en politique, les hommes politiques. Macron propose la jonction des deux : c’est un cadre en politique comme il a dû être un politique en entreprise. Bref, cela explique un peu Macron. C’est une synthèse de tout ce que la modernité a recyclé de caca en merde : cadre communicant, journalope par l'esprit et dans la forme (on dirait un présentateur télé !), animateur de séminaire type sciences humaines bien molles pour le coup, et j'en passe. Acteur aussi, tiens. Mais de série B pour mémé ménopausée. Effet pipi assuré. Pas de rétention avec Macron. Et si tu y penses, tout cela, c’est aussi pour ca que les minorités agissantes font l'histoire : cela survient quand le noyau dur qui trime s'énerve, et défonce une majorité molle , parasite.

 

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Réseau social

-Macron dit que pour lutter contre l’islamisme, il faut rassembler les énergies, bâtir des partenariats. Pour le chômage ? Pareil.

-Ca marche aussi avec « Rassembler des partenariats, bâtir des énergies. » C’est l’avantage du PowerPoint, le pense-bête des « smart » d’école de commerce, que de pouvoir interchanger (encore un mot à la con) les syntagmes sans modifier le sens de l’ensemble. Parce que précisément, il n’y a aucun sens. Alors le non-sens tolère le non-propos, et les deux s’entretiennent mutuellement. Pareille grammaire en bois découle d’un structuralisme purgé de ce qui le rendait rigolo, à savoir un vocabulaire abstrus et gavé de néologismes pour mieux cacher le vide de ses concepts. L’idéologie s’en sert d’autant plus qu’il lui permet de s’éloigner des réalités. Il n’en reste pas moins incompréhensible, hors-sol comme on dit maintenant, et quiconque accorde plus de crédit au réel se verra systématiquement reproché par les structuralistes d’avoir tort parce qu’il ne comprend rien. Le Pen ou autre – je m’en tape de ces histoires de partis. C’est le procédé de dénégation. Classique. Il est aussi appelé don quichottisme, voire bovarysme. Macron est d’ailleurs une madame Bovary 2.0 (pour parler comme ses groupies), un canular humain qui imagine mal ce qu’il ne voit pas, et voit mal ce qu’il imagine.

 

Mercredi 15 Mars 2017 et Jeudi 16 Mars 2017 - MISS MACRON, l'obamalbinos - Macron, Soeur Sourire, et ainsi joue-t-il !

MISS MACRON, l'obamalbinos

                Faut-il aller voir MISS SLOAN ?

                Je m’attendais à un film d’action dont le rôle principal serait tenu par une femme militaire bushiste. Au lieu de quoi, j’ai vu un film sur les lobbys avec une femme militante clintonienne. Je ne me suis pas diverti, MISS SLOAN m’a enragé. C’est qu’en ce moment, avec le macronisme triomphant, j’en ai ma claque des néocons, des trotskystes, de la démocratie, des droits-de-l’homme, des lobbyistes et des spin doctors. Je ne peux plus saquer ces cadres dynamiques sûrs de leur fait, avec leurs petits muscles d’urbains, dont l’arrogance augmente depuis qu’ils investissent la politique et qu’avec Macron ils ont trouvé leur champion.

                Je n’en peux mais de ces cabinets d’influence qui font pression sur les médias, les juges, la cour, les politiques, avec une armée d’avocats et d’ingénieurs sociaux gaspillant leur intelligence à interpréter la ligne 6 du paragraphe 85 alinéa 2. La finalité ? Contrarier un sondage, modifier les intentions, changer le vote, faire jurisprudence, faire date, et manger un bonus, bref, de la communication bâtie sur du vent pour produire du pet. La caution ? Le droit, cette stase juridique sida-isant l’Occident.

                MISS SLOAN batifole dans ce lisier. C’est d’ailleurs « MISS SLOAN » qu’il faudrait appeler MACRON tant lui aussi sort d’un fumier. De même que lui, elle adapte son opportunisme à l’auditoire, mollusque dépourvu de colonne vertébrale. De même qu’elle, il pervertit son intelligence dans la mercatique cynique et souriante, hypocrite Obamalbinos frenchy. Et puis MISS SLOAN va bien à cet inverti.

                Les MISS MACRON s’agitent dans des think thank, démoulent leur suc dans l’appareil dirigeant avant d’en peupler les coulisses. Terra Nova, Institut Montaigne, arcanes de chienlit !

Les SLOAN se manifestent dans des groupes virtuels.

SLOAN MACRON jacte en franglais. Pendant que ses marcheurs titillent la team ambiance, ses geeks chauffent les helpers sur INSTAGRAM et FACEBOOK, et MISS MACRON délègue à des chefs appelés référent. Lire ici révérend parce que c’est raccord avec l’idée que MACRON tient plus du télévangéliste que de l’homme d’état. Boufonnage total. Idiotie pantagruélique du management réclamant son baisage universel. Les lobbys sont enfin leur maquereau et dansent autour du globe, main dans la main, avec des cœurs dessinés dessus.

                Les lobbys sont des parasites, ils ne sont ni démocratiques, ni démocrates, contrairement à ce qu’ils prétendent. Non que je me passionne pour le peuple, mais les lobbys s’en cognent. Ils travaillent pour des groupes de pression (c’est estampillé « langue des médias ») bien décidés à ce que les gouvernements leur obéissent. SLOAN&MACRON n’œuvre que pour soi-même, rien que le salaire. Je n’ai rien contre les personnes dont l’argent est le moteur. Le hic ici, c’est que les loobys concourent à ce que le cynisme devienne la valeur phare des démocraties qu’ils transforment en ce que Renaud Camus appelle la davocratie. Le pouvoir de Davos. Le business aux manettes. Bizness is bizness, avec jingle youtral.

MISS MACRON étreint les hommes de Davos en qui Samuel Huntington enfermait l’hyperclasse mondialisée, des technocrates apatrides, hors-sols, connectés à leurs smartphone, bouh à la terre, nomades éparpillés dans le monde qu’ils uniformiseront jusqu’à ce que des populations atomisées en autant d’atomes qu’elles comptent d’individus soient unies dans la ville-monde sans frontières, sans race, sans âge (les vieux à la campagne), sans couples, sans familles, sans enfants, sans sexe (diarrhée de la théorie du genre), un monde d’où la sexualité a été purgée de son érotisme, c’est-à-dire de l’amour, lequel se réduit à de la pornographie, comme la vioque SLOAN qui se tape des escort boys, comme MISS MACRON qui gode la chnoque Trogneux, bref : un monde sans âme consubstantiel de l’hôtel.

                Donc non, il ne faut pas aller voir MISS SLOAN.

C’est ce qu’on voit tous les jours. MISS SLOAN ou MISS MACRON, c’est la pourriture infra-humaine désexualisée, qui s’aseptise jusqu’au fion, ratatinée en un être machinique et automatique qui ne supporte plus la chair par puritanisme inversé : d’où leur pornographique intelligence dégueulée sur leur choix non-amoureux, leur racolage non-électoral, leurs références non-intellectuelles : des marchands du temple, des pharisiens, des philistins, des pourceaux de béotiens, madrés, à rouer jusqu’au dernier sang, et encore faudrait-il alors les transfuser pour répéter l’acte de démolition jusqu’à satiété. La détestation que je leur voue se confond avec leur haine de soi, leur haine de la vie, leur haine de la contemplation, leur haine de la beauté, leur amour du laid.

J’avais envie d’étriper les personnages du film, tous bouffis de satisfaction IVY LEAGUE. Heureusement que le réel les étrille façon puzzle : le film ne se prive pas de le montrer, et comme un signe du destin, la première scène tragique est intervenue lorsque je réunissais mes affaires pour quitter la salle. J’y ai vu une raison de rester, et j’obtempérai, enfin réjoui de ce jab-jab-jab dans les dents du SLOAN WORLD.

 

***

 

Macron, Soeur Sourire, et ainsi joue-t-il !

                Il n’y a pas longtemps, j’ai écrit au sujet de Macron en réaction à un article du Figaro qui expliquait qu’il est le candidat de l’économisme. J’avais commenté qu’il est bien l’agent du monde totalement dévolu au fait économique, à quoi j’ajoutai qu’il n’est pas étonnant qu'il cartonne auprès des Parisiens dont l’horizon s’arrête au kha-euro. Les 2.0 et ces âneries.

Pour reprendre Marcel Mauss, Macron est une partie du « fait social total » qu’est le capitalisme. C’est pourquoi Miss Macron en propage l’idée qui veut qu’il n’y aurait pas de culture, mais des cultures. C’est le sacrosaint pluralisme chanté par la macronie depuis les années 80. C’est que Macron n’est pas une nouveauté. Il obéit si bien aux principes qui ont modelé la France au cours des quatre dernières décennies qu’il en est le rejeton favori, c’est-à-dire l’héritier, donc le contraire d’un révolutionnaire qui injecterait du neuf comme on dit dans la langue macronisée. Le titre de son livre REVOLUTION est une blague. Quelle fourberie.

                Dans mon texte d’hier, j’appelais Macron Miss Sloan à cause d’une ressemblance qui n’est évidemment pas physique, mais psychique. J’expliquais qu’il s’agit de personnes froides, rationnelles, calculatrices, à la génétique utilitariste, et définitivement transformées en robots de Bernanos. Ce sont des automates pilotés par la raison conformément à ce que le libéralisme attend des individus. Des êtres rationnels à l’indéniable intelligence confite dans l’optimisation.

                Or dans un monde lobby-ifié, l’émotion offre de meilleurs résultats. De meilleurs résultats politiques, de meilleurs résultats sociétaux, de meilleurs résultats électoraux. C’est elle qui excite les passions et influence les orientations politiques et les choix de vote. En sorte que la raison est subordonnée à l’émotion, or Sloan et Macron l’ont compris. Ainsi, bien qu’ils soient robotiques, ils donnent raison à la raison de l’émotion, et parce qu’ils sont incapables de la moindre empathie, ils s’obligent au rôle de l’ému. C’est ce qui explique le côté théâtral des discours politiques depuis quarante ans. Du fait que Macron est un robot plus moderne que les autres, il surjoue au point qu’il se fige dans des airs mystiques qui entourent ses meetings de campagne. La larme à l’œil, il se tient prêt à pleurer en gémissant des textes tire-chiale. Régis de Castelneau lui a trouvé le sobriquet de télévangéliste.

                Je remarque que la meilleure arme du comédien est le sourire. Il est aussi troublant chez Macron qu’il est surnaturel chez Miss Sloan.

J’ai vu Macron chez Bourdin sur BFMTV. Je l'ai bien observé (et écouté, mais il n'est pas obligatoire d'être concentré pour le comprendre). Je l'ai bien regardé, donc, parce que le langage corporel en dit long sur un individu. Et à la fin de l'interview, durant ce moment où les caméras s'attardent sur l'interrogé qui se défait de son rôle et s'abandonne à celui qu'il est vraiment, j'ai vu Macron sourire. Son sourire était celui de certains garçons que je croisais en classes préparatoires et en École : très intelligents, rompus aux abstractions et aux théories, ils n'en étaient pas moins déconnectés du réel, lequel les jetait dans la confusion, de sorte que toute interaction humaine devenait une épreuve ou un calvaire à l'origine d'un stress qu'ils géraient dans un rictus de gêne. C'était un sourire laid. Toujours le même. Et c'est ce sourire que je vis chez Macron. Il appartient aux Sloan dépourvus d’intelligence émotionnelle. Ce sont des gens bêtes avec la vie, les femmes, les amis, et parfois si cons qu'ils en deviennent méchants. Je les ai bien connus. Macron en est. Il est le seul homme politique qui, par le décalage qu'il y a entre ce qu'il dit être et ce qu'il est, provoque chez moi la honte qu'il n'ait pas honte de lui.

Macron, qui n'a trouvé d’amour qu'une vioque, et c'est certainement la conséquence de ce que je viens d'expliquer, est un technicien bloqué dans sa bulle. Ce n'est pas un homme politique, au sens étymologique, même, puisque sa personnalité l'exclut de facto de la cité. Il n'a rien à faire là. Il est en cela fort inquiétant.

                Une dernière observation à propos de Sœur Sourire :

dans leur rapport au monde, il arrive que la très haute intelligence et la débilité congénitale se confondent dans leur expression. Le très haut QI ne comprend pas ce qu’il y à comprendre vu qu’il comprend tout. Le très faible QI ne comprend pas ce qu’il y à comprendre vu qu’il ne comprend rien. Le premier s’étonne de la bêtise d’autrui, et culpabilise par complexe de supériorité. Le second s’étonne de sa propre bêtise, et culpabilise par complexe d’infériorité. Il en résulte chez les deux types l’embarras d’être là, semblable à celui que ressent l’étranger en terre d’exil. Il y a un lancinant « Mais qu’est-ce que je fous là ? » qui frappe leurs tempes au point, parfois, de les rendre fous : c’est l’autisme. Bouffés par leur malaise, ils se sentent obligés de s’excuser par peur de déranger. Et précisément, ils dérangent : les génies sont autant moqués que les idiots. Alors ils composent avec le monde : le prodige fait sans, le taré fait avec. (Macron, qui appartient à l’évidence à la première catégorie, fera sans, c’est-à-dire sans le monde, mais depuis un monde créé pour échapper au réel qu’il nie à chacune de ses interventions. Un monde hors-sol, un non-monde, à proportion de quoi il fera de la France un non-lieu du capital. Il est l’enfant naturel du capitalisme. Il est chimiquement pur. Il est la Forme-Capital. C’est en quoi il est effrayant.) Faire sans, c’est anticiper, et faire avec, c’est expérimenter. Prévoir ou reconnaître les moqueries, et s’y soustraire. Les deux options enseignent qu’un sourire préserve de tout parce que si rien ne lui est reproché, c’est qu’il est pardonné. Alors le génie sourit comme l’idiot. Tout le temps. Par crainte. Et Macron ressemble à un débile quand il sourit. Tout le temps. Ainsi se joue-t-il de ce monde qui croit jouer avec lui. Il tient sa partition. Il cabotine ? Et après ? Ainsi joue-t-il, dit Sœur Sourire.

 

Lundi 13 Mars 2017 - De l’homme-masse

                Je ne sais plus dans quoi j’ai lu que « la vie de l’Homme en démocratie consiste à se gérer comme une administration ».

                Cela sous-entend la paperasse générée par une organisation contrôlante. La démocratie est régie par le droit qui est bourré de paragraphes et d’alinéas dans lesquels il faut insérer l’être humain pour qu’il devienne le citoyen. Il s’ensuit une tonne de papiers qui sont autant de fiches : la fiche natale de l’extrait d’acte de naissance, la fiche nationale d’état civil, la fiche électorale d’état civique, la fiche fiscale des impôts, la fiche salariale de la paye, la fiche sanitaire de la sécurité médicale, la fiche sociale de la caisse d’allocations, la fiche mutuelle du remboursement, la fiche commerciale de l’abonnement, la fiche bancaire du prêt, la fiche mobilière du bail – et j’en oublie. A cela s’ajoutent des sigles ad libitum : SECU, CICE, CSG, CRDS, CRAN, MRAP, LICRA, LDH, LDJ... L’énumération suffit à donner le tournis. C’est si absurde que je comprends l’idée de phobie administrative parce qu’elle cache l’envie d’échapper au devenir-matricule (avec celle de ne pas perdre un temps déjà dévoré par l’ogre administratif).

Le devenir-chiffre, aussi, est l’avenir de l’homme démocratique. C’est-à-dire rien. Parce que : comment vouloir entreprendre quoi que ce soit dans un monde qui dépêche sur l’individu son boa procédural et son constrictor fiscal ? Comment y éprouver sa liberté quand la moindre action fait s’agiter des chaînes qui enserrent aussitôt la gorge de l’excité? C’est qu’il faut déclarer, expliquer, rendre compte, créer des référents administratifs, de sorte que le tout rend encore plus pénible qu’il n’est déjà le début du début d’une entreprise (création de boîte pour l’entrepreneur, voyager pour l’aventurier, se marginaliser pour l’écrivain etc.) Alors va pour le choix du devenir-rien, donc n’être rien, afin de préserver sa tranquillité.

                Cela sous-entend ce que j’écrivais Vendredi : « il allait falloir badger pour sortir de la glu des transports en commun, puis rebadger pour travailler dans l’open-space. Il faudrait se connecter aux réseaux internes, répondre aux sollicitations des téléphones professionnel et privé, des tchats professionnel et privé, des mails professionnel et privé, du phone et du smart, et ne pas oublier ses identifiants ni ses codes. » Organiser, classer, ranger, ficher, rester connecté.

                A terme, les personnes accepteront que soit insérée dans leurs bras une puce compilant les informations dont ce système a besoin pour fonctionner. Ils abdiqueront leur vie privée non par haine de la liberté, ni par peur de l’insécurité, comme le prévoyait Hobbes, mais pour se faciliter l’existence et in fine avoir la paix. Le Léviathan les enquiquine tant qu’ils sont prêts à tout pour un peu d’air. En sorte que la démocratie est le système d’oppression le plus efficace qui soit : chacun réclame cette servitude volontaire sans qu’il y ait été apparemment forcé, mais sournoisement amené, et tout se passe comme s’il l’avait voulu, lui, de son propre chef.

 

                Ce Dimanche, je décidai justement de trier des papiers accumulés dans un placard depuis le mois de Juin 2015 (par phobie administrative ?). J’en ai eu pour 3h30. J’y ai retrouvé quelques-uns de mes écrits dont deux parlent de l’administration, comme s’il s’agissait de clins d’œil à ma punition.

                Sur des posts-it, j’avais raconté lors d’un voyage en Inde en Mai 2015 la folie administrative du pays, proche de la maladie mentale. C’est là-bas une passion qui justifie que c’est « la plus grande démocratie du monde », comme on dit, pour peu qu’on accepte que vraiment « la vie de l’Homme en démocratie consiste à se gérer comme une administration ».

Cette expression prouve que le sens commun associe moins la démocratie à une idée politique qu’au nombre de ses gens vus comme des ressources humaines.

Ce n’est pas l’étendue géographique de l’Inde qui en fait « la plus grande démocratie », mais le poids de sa démographie encadrée par une administration débile, qui dégueule ses tampons, ses bouts de cartons, et ses parasites. Ceux-ci barrent et biffent et signent des documents depuis des postes doublés à l’infini, selon le principe paranoïaque des entreprises totalitaires. Qu’ils sont tatillons ! Mon Dieu...Contrôler, recontrôler, demander un énième contrôle, et le quidam doit payer pour que la procédure remonte la chaîne. Quelle plaie...Une société d’administration finit malade de sa corruption. La minutie démocratique est identique à la psychose soviétique.

                Je tombai aussi sur un paragraphe recopié pour les besoins d’une nouvelle. Je l’avais écrit sur ordinateur, le 19 Mars 2015, après avoir tchaté avec un collègue. C’était : « A « Que fais-tu ce weekend ? » je répondis que ce ne serait « Rien. La vie est d’un banal. » Je lui retournai la question. Il dit : « Course de vélo demain, vélo en appartement dimanche, et ménage et stretching et petites séries. » L’ami était le comptable de ses jours. Il consignait son temps dans un emploi. « C'est-à-dire ? » demanda-t-il après que je lui en eus fait la remarque. Alors j’observai qu’il planifiait tout, que chacune des tâches est chez lui compartimentée et soignée au point qu’il prévoyait la corvée du ménage. Je m’arrêtai là, craignant de le vexer. Le genre notaire, s’il détient désormais les pleins-pouvoirs, reste susceptible et n’accepte pas qu’on lui rappelle ses manies. Pareil à une vieille fille qui n’a pas vu les années filer, il refuse d’être photographié et s’enfonce dans ses travers. Alors lui mettre sous le nez ses « petits côtés », non, impossible. L’ami vivait avec son temps. Davantage, il vivait pour son temps dont il amplifiait les rondeurs au rythme de sa génération. Depuis la seconde moitié du XXème siècle, les hommes naissaient et mourraient encore mais ne se reproduisaient plus : ils se produisaient. Règne du même. Standard. Les hommes se rangeaient.»

L’Homme démocratique est l’Homme de la fiche. Il est le manager de son quotidien, le gestionnaire de ses journées, bref, une taupe bureaucratique affairée à classifier ses gestes dans ses faits, et ses faits dans ses gestes. En organisateur de l’avenir au détriment du présent, il compulsera son passé plus tard, au seuil de la mort, quand ses souvenirs n’excèderont pas la somme de ses regrets. C’est ce qu’il en coûte d’hypothéquer l’aujourd’hui.

 

Vendredi 10 Mars 2017 - Redite éternelle

                Ce matin, en sortant du métro, je fus frappé par le spectacle des gens expulsés de leur wagon. J’étais comme secoué par une vision qui dépassait ce qui était visible. C’est ainsi que naissent les métaphores dans l’esprit des Hommes. Lorsque ce procédé est poussé à bout, et qu’on dispose d’une once de talent pour peindre, écrire, ou versifier le monde, on obtient le surréalisme.

Je voyais donc une marée d’insectes jaillir des entrailles des murs. J’étais fatigué, et sans doute abruti par mon état. De sorte que l’image qui se déposait derrière mes yeux devint carrément dégueulasse : je pensai à un furoncle explosé qui dégueulait ce pus humain, ou à une giclée de sperme pourri, toxique et stérile.

                Tout citoyen occidental connaît l’ambiance des souterrains urbains. Le gris, l’odeur, l’humidité, la crasse, le bruit des râles humains et des machines (ces escalators...) tapent si fort sur le système nerveux de la personne qu’elle entre dans un état de sidération. C’est toujours inconscient, parce que sinon, c’est la folie : c’est grâce à une forme d’autohypnose que les gens échappent à la démence. L’autosuggestion grâce à quoi il est permis de penser que tout cela n’est pas si grave permet de se soustraire à la névropathie. Etrange que ce phénomène de folie auto-provoquée qui préserve du maboulisme par choc étranger.

                Après cela, il allait falloir badger pour sortir de la glu des transports en commun, puis rebadger pour travailler dans l’open-space. Il faudrait se connecter aux réseaux internes, répondre aux sollicitations des téléphones professionnel et privé, des tchats professionnel et privé, des mails professionnel et privé, du phone et du smart, et ne pas oublier ses identifiants ni ses codes, tout en restant assis, à méditer sur ses perspectives professionnelles et privées, son avenir comme on dit, y croire ou faire semblant, s’interdire de rêver, se dire qu’un livre ou un film sauverait la mise encore une fois, écrire un peu, comme maintenant, hic et nunc, écrire qu’on écrit, et vivre un peu.

 

Jeudi 09 Mars 2017 - Notes sur le match Barcelone - PSG

                Ligue des champions. Huitièmes de finale, Février-Mars 2017. De Monaco au PSG, l’analyse est identique : l’émotion tue l’action, le mental s’effrite et brise les jambes. D’aucuns diront que c’est très Ligue 1 tout ca, c’est de l’amateurisme. Voire. Mais il est vrai que c’est très français.

                Je regarde beaucoup le sport, notamment le football et le rugby. Beaucoup moins à la télévision qu’avant, mais je lis à propos du sport passé et contemporain. C’est un sujet passionnant en soi, mais surtout pour ce qu’il contient de chronique sociologique. J’en connais donc l’Histoire, c’est-à-dire les joueurs et les matchs historiques. Or je remarque que côté français, les grandes victoires sont faites du même bois que les grosses défaites : un esprit fantasque renverse tout sur son passage quand il n’est pas pareillement culbuté, et contrarie souvent les lois du sport que l’adjectif anglo-saxon clinical suffit à caractériser.

                Clinical, les Français ne le sont pas. Le Français est un poète, donc bon soldat, à l’aise dans l’anarchie des combats, un guerrier étrange mais souvent vainqueur sans que lui-même sache expliquer pourquoi. Jusqu’au XXème siècle, les vaincus reprochaient à leur ennemi d’avoir triché s’il avait engagé des mercenaires français. A l’origine, il y a les fameux cadets de Gascogne qui inspirèrent jusqu’à Ernst von Salomon. Il n’en reste pas moins que le Français est un sportif peu sérieux (qui se motive dans l’urgence à l’aide de mantras guerriers, comme son hymne, parce qu’il sent que son être-soldat l’aidera). Cela se maintiendra parce que c’est l’âme d’un peuple - même : c’est l’âme du territoire français, en sorte que les joueurs étrangers du PSG sont comme contaminés par cet esprit. Dit élégamment, ils sont influencés. Ce principe d’influence est universel, si bien que les internationaux français qui jouent à l’étranger ont su assimiler la nécessité clinical avant de l’instiller dans les mentalités du Onze de France qui est l’une des plus brillantes sélections depuis 1978 (la parenthèse 1958-1978, qui s’étend de Kopa à Platini, tient de l’éclipse).

                Alors il ne sert à rien de traiter les joueurs du PSG de nullards, de faiblards, ni d’ajouter qu’on croyait que, et qu’en fait que. Tout cela n’approche que la superficie de l’événement sportif et nourrit les sous-analyses journalistiques. Les journalopes donnent eux vraiment dans l’émotion et l’amateurisme. Les footballeurs du PSG restent de grands sportifs, seulement il arrive que leur mental s’effondre, comme pétrifié par l’impératif d’être clinical, ce qu’ils ne sont ni ne seront jamais devenus (sauf à quitter la France). Il n’y rien à leur reprocher qu’un mental friable, donc. Mais il est vrai que cela n’effacera pas l’amertume du supporter. Ne vaut-il pas mieux considérer que c’est ce mental oscillant entre la rouste et l’épate administrées comme elles sont reçues qui permit la victoire du match aller ? Le panache se remarque à cet amour de la victoire partagé avec le goût pour la défaite. Ainsi la France se réjouit-elle davantage d’une honorable défaite que d’une petite victoire. Elle vit de poteaux carrés. Peu ou prou, cela rejoint le mot de Cioran au sujet des Français qui préfèrent un mensonge bien dit à une vérité mal faite. (A l’évidence, les peuples saxons vivent à l’opposé.) Restons-en là. Il n’est pas désagréable d’être né Français. Les Romantiques platiniens sont la seule réalité qu’une métaphore de presse ait jamais su capter.

 

Mercredi 08 Mars 2017 - De la passion de noter le monde cinq étoiles : UBER

                J’ai eu affaire à APPLE Dimanche dernier parce que la batterie de mon iPhone 6S était défectueuse. Les outils électroniques meurent aujourd’hui au bout de deux ans, et leur durée de vie n’excède donc la garantie que d’une année. L’obsolescence de mon smartphone avait été mal programmée parce qu’il était vieux d’à peine un an. En sorte que j’ai facilement obtenu un appareil flambant neuf.

                Un certain Karim s’est occupé de moi. Il fut un garçon charmant, clair dans ses explications, et efficace. Bien malgré lui, il y eut un pataquès d’ordre technique et administratif qu’il est inutile de détailler, mais qui fut assez pénible pour nous faire perdre l’après-midi entier. De bout en bout, le dénommé Karim se démena pour régler le problème, en accélérer le traitement, et finalement y remédier. Au moment de se dire au revoir, il fut exagérément cordial. J’en fus fort étonné. Je ne parle pas de la ridicule poignée de mains à laquelle le personnel de l’APPLE STORE semble être tenu par une directive du management, mais de ses yeux écarquillés. Son regard était comme paniqué pour je ne sais quelle raison. Je me sentis gêné car il n’est pas dans mes habitudes d’accabler quiconque, surtout quand il s’est montré sérieux. Alors je le remerciai et lui précisai que ce sont des choses qui arrivent et qu’il n’était coupable de rien, si ce n’est du fait qu’il n’y avait plus de problème, donc bravo.

                Le lendemain, je reçus un e-mail de la part d’APPLE qui réclamait une évaluation de Karim. Il était désigné par son seul prénom, ce qui me parut être d’une familiarité crasse. Mais comment s’étonner que dans l’antre du cool, amputer à l’écrit l’état civil d’un tiers absent, ne constitue pas une grossièreté ? A l’oral, l’équivalent est d’appeler quelqu’un par son nom de famille. C’est d’une vulgarité telle que j’ai souvent mouché ceux qui s’y sont risqué. Il n’y a guère qu’à l’école ou à l’armée que ces manières sont acceptables quand elles sont celles d’un professeur ou d’un instructeur contrariés. Je remarque aussi que la société d’ouverture, dans laquelle l’Occident se confit sous les coups de boutoir du soft power et d’entreprises telles qu’APPLE, ne garantit pas forcément aux minorités qu’elle chérit le respect qu’elle exige pour elles par ailleurs. Le respect ! Minimum respect ! Apparemment, ce n’est pas le cas de ce respect minimum qu’est la politesse parce que le sieur Karim en était exempté, comme s’il allait de soi de l’introduire ainsi qu’un domestique, avant l’humiliation qui suivrait.

                L’humiliation de Karim consista à être évalué par moi. On me fera observer que le client est roi, et que n’importe quelle entreprise est sujette à la critique. Mais ce n’est pas tant le fait d’évaluer qui est ici blessant, que la forme de cette évaluation : elle est d’autant plus brutale qu’elle est nominative parce que ce n’est pas APPLE qui est notée, mais Karim - et pour finir, son contenu est affligeant : il me fut demandé de noter sur une échelle de une à cinq étoiles la gentillesse de Karim, puis son degré de compassion et d’empathie, après quoi, les choses sérieuses interrogeaient son efficacité, son intelligence ( ! ), et la clarté de ses explications. Existe-t-il procédé plus infantilisant ? plus rabaissant ? plus mortifiant ?

                Je compris grâce au questionnaire la peur de Karim qui avait suivi la poignée de mains estampillée APPLE. Il craignait que je ne le démolisse parce que j’avais dû patienter, et que j’en eusse été si incommodé que je l’en tiendrais pour responsable. Sans doute mon cas particulier a-t-il motivé son management à enquêter et à me sonder. J’ai mis cinq étoiles à Karim, et ai félicité sa diligence et ses compétences. Je jouai donc le jeu totalement, réalisant là qu’il s’agissait d’un exercice d’anthropologie moderne. Après tout, il faut que je me prépare à l’UBER monde de demain, où le client et le vendeur se notent mutuellement. Dire que tout aura commencé depuis la banquette d’un taxi et s’accomplira, en France, avec Macron...

                Il est évident que n’importe quel client d’APPLE s’y colle, de sorte que Karim peut servir de défouloir à qui lirait le mail en un instant de mauvaise humeur, par exemple ; ou de souffre-douleur au mesquin qui saque pour saquer ; ou de dépose-merde au raciste, tiens, mais le vrai raciste, pas celui qui est fantasmé par les médias (alors qu’APPLE jure ses grands dieux qu’elle préserve ses fifres du racisme auquel elle permet en fait ici de se déchainer, précisément comme la politique hypocrite du cool et du soft fonctionne à l’échelle de la société). Ce procédé flatte une autre passion triste de l’être humain, sournoise et subtile, laquelle est le bon sentiment qui grouille dans les bonnes consciences : j’éprouve une certaine consternation devant la satisfaction que j’ai ressentie à bien noter Karim, comme si j’avais été brave tel qu’on a voulu que je sois.

                Cette idée est encore une utopie managériale démoulée par l’esprit libéral qui croit à la main invisible : elle suppose que les gens ont intérêt à bien noter, parce que chacun est lui-même évalué (pour sûr que Karim m’aura gratifié d’étoiles), et qu’ils espèrent optimiser leur classement en vue de gains qui seront maximisés. Cette sottise parie que tout le monde est gentil, or c’est faux, en sorte qu’au lieu d’instaurer la concorde, la passion de la note instruit une forme de la guerre de tous contre tous en encourageant les faux-semblants, la manie de s’épier déjà bien présente chez les Parisiens, et l’hypocrisie motivée par la peur de perdre son emploi.

                Un collègue libéral, macronien, antifasciste, à qui je racontais cela ce midi, me fit observer qu’au moins, comme ca, ca marche, le service est de qualité, c’est top. Un autre collègue objecta que c’est un mode de fonctionnement fasciste au sens où l’homme moderne l’entend. Je rétorquai au premier, en une façon de taquinerie, que bizarrement, dès que le fascisme s’en mêle, ca fonctionne. Beau joueur, il rit, et surenchérit avec ABERCROMBIE dont le directeur est en ce moment inquiété pour avoir discriminé ses employés sur le critère de la beauté. Cette fois, chacun était noté à dimension de sa plastique et des traits de son visage, puis éliminé ou engagé, et placé dans les magasins à des endroits déterminés en fonction de ses attraits : plus que du fascisme, c’est du nazisme. ABERCROMBIE est un miroir grossissant de LA CULTURE DU NARCISSISME diagnostiquée par Christopher Lasch dès les années 70. Apparemment, les dégâts mentaux provoqués par les pratiques d’ABERCROMBIE génèrent des névroses telles que le boss est poursuivi en justice.

                En société post-démocratique, la liberté est remplacée par l’égalité. Tocqueville avait envisagé cet aboutissement de la démocratie dans DE LA DEMOCRATIE EN AMERIQUE. Il appelle égalitarisme la recherche de l’égalité qui est ce processus conduisant à annuler les différences. Dans le domaine de l’école, il a provoqué la disparition de la notation, histoire de ne pas vexer les moins égaux. Or la passion de la note s’est installée dans la société comme s’il y avait un équilibre à respecter que perpétuerait le principe des vases communicants. En mathématiques comme en sciences physiques, il importe d’identifier les invariants du problème. L’humanité a beau être une science molle sans éléments de mesure, le désir de noter et d’être évalué reste l’un de ses invariants. C’est pourquoi ce que l’école a abandonné se retrouve dans ce à quoi elle prépare désormais, à savoir l’entreprise.

                L’évaluation dans le monde du travail capitaliste s’est depuis cent-cinquante ans trouvé un biais qui est le salaire. Dans une société de service qui se paie de mots, la paye s’agrémente de techniques de management déjà anciennes. Elles se manifestent au cours d’entretiens de fin d’année qui sont des séances d’appréciation des collaborateurs. En plus de reproches, y sont formulés des conseils qui mélangent les préceptes du New Age à des mantras bouddhistes pour grand-mère en fin de vie. C’est minable d’un point de vue philosophique, mais cela crée un état d’esprit motivé et conditionné pour exporter ces idioties dans la sphère privée. Il est admissible de parler de Zeitgeist. Cela signifie que ces pratiques débordent de l’entreprise et s’étendent à l’ensemble de la société selon une dynamique totalisante. C’est le phénomène dit d’ubérisation consubstantiel à l’univers des cadres parce qu’il prétend que le monde a vocation à devenir une firme. La syllabe uber sonne comme le préfixe de l’Übermensch, le surhomme des nazis auxquels APPLE et ABERCROMBIE empruntent, au moins dans les apparences de fonctionnement, la systématisation industrielle et rationnalisante. Par bien des côtés, les post-démocraties libérales copient, voire réalisent en mieux, les œuvres de leur ennemi prétendu. Le tout uber pour uber alles ?

                Je conclurai en évoquant le premier épisode de la saison trois de l’intelligente série BLACK MIRROR. Dans ce volet, les gens se mesurent via smartphones interconnectés à proportion de leur amabilité, de leur accoutrement, de leur physique, de la qualité de leur réseau d’évaluateurs et d’évalués, et in fine de leur note, c’est-à-dire que la note est notée. C’est le principe de l’idéologie que de supplanter le réel par l’abstraction, et l’incarné par le désincarné. Cette absurdité généralise la névropathie. C’est la paranoïa des société totalitaires qui bouclent sur elles-mêmes. De même qu’en URSS, le contrôleur qui contrôlait était contrôlé (et ainsi de suite jusqu’à l’infini), de même les noteurs de BLACK MIRROR sont notés par des noteurs notés en fonction de leur note qui note à leur place, et est notée à son tour. (On devient une note, en sorte qu’on est une note – au lieu qu’avant, on avait une note, donnée à l’école.) C’est le panopticon utilitariste où la note, donc le chiffre, se substitue à la personne. C’est l’un des objectifs d’une civilisation économique qui place ses espoirs dans la rationalité pondérable plutôt que dans l’impondérable humanité. La statistique, le sondage, les points de courbe, la note ! s’installent dans les mœurs et concourent à la création d’un nouvel habitus. Toute ressemblance avec APPLE n’est pas fortuite : elle est voulue.

 

Lundi 27 Février 2017 - O Naples !

                Je regarde la série GOMORRA qui est réalisée par Roberto Saviano.

                La série ne s’attarde pas sur les petits trafics de drogue assurés par la base d’une organisation parallèle à l’Etat. Tout au plus sont-ils présentés comme un passage obligé pour qui veut escalader la hiérarchie de la Camorra. Ou alors sont-ils des stages qui préposent d’abord aux rackets, puis préparent aux meurtres et à la corruption ? Précisément, la série démonte les collusions entre le pouvoir et les mafieux, et les concussions qui en résultent, souvent au profit de la mafia. Celle-ci se compose de cadres réunis par le sang : les familles, qui sont des clans devenus des baronnies. Elles constituent autant de seigneuries qui se substituent à un état défaillant dans la vie de quartier. Elles s’y taillent de véritables empires moyennant prébendes, d’où elles s’exportent en Espagne et en Amérique Centrale. (L’image de la pieuvre utilisée par les dessinateurs n’est pas qu’une vue de l’esprit.) La religion catholique n’est pas absente de l’équation. Elle se manifeste dans le culte marial exacerbé par la figure de la mamma dont l’importance en Italie du Sud est commune à tout le bassin méditerranéen. De sorte que ces seigneuries mafieuses qui s’animent autour d’un code d’honneur chevalier (suzeraineté et vassalité, femmes et enfants préservés), et de la religion, ressemblent à ces féodalités primitives qui protégeaient les populations grâce à leur armée, et en assuraient la survie au travers de dons, ou de visites de générosité. L’un des chefs dans GOMORRA, qui est une femme, se comporte en dame patronnesse d’autrefois.

                Je ne discuterai pas de la nature du gouvernement qui serait capable de casser les reins de la mafia.

Mais je constate que la démocratie n’y parvient pas, et que même si certains juges sont armés du sens de leur devoir (cf. les juges Falcone et Borsellino), la corruption est telle qu’ils sont muselés et trahis par leur propre camp. Je sais aussi que le fascisme, dont la doctrine stipulait que l’Etat est tout, par quoi il ne pouvait laisser prospérer la mafia, réussit à créer des hommes unis par le poing du préfet Cesare Mori. Ils furent à deux doigts d’éradiquer ce fléau. Sans doute les fascistes avaient-ils une haute idée de l’Italie qu’ils ne voulaient pas abandonner aux racailles. Mais ils n’eurent pas le temps d’achever leur grand-œuvre car la guerre finit trop tôt. Les démocraties saxonnes furent aidées par les mafieux qui avaient en tête d’éliminer leur bourreau. Il semble que cette alliance perdure, comme si elle n’avait jamais été de circonstance, mais de nature, et qu’elle prouvât maintenant, après cet examen du passé, le côté ontologiquement mafieux des démocraties. En cela, GOMORRA n’est pas étrangère à THE WIRE, ni  Naples à Baltimore.

                Il est admis en Italie que le Sud est pauvre, et qu’il est condamné. C’est un cliché. Personne ne remet en cause ce lieu commun qui alimente le mépris de l’homme du Nord pour l’homme du Sud. En-dessous de Rome, les sous-développés. Et il n’y aurait rien à y faire.

C’est étonnant parce que Naples fut autrefois une cité-état florissante, dont le port lui permettait de se projeter sur des voies commerciales qu’elle avait elle-même ouvertes. Elle en recueillait les fruits pour assurer la santé d’un royaume bien ancré dans les terres. Conquérir la monarchie de Naples était essentiel à qui voulait a minima dominer ou a maxima unifier l’Italie. Charles VIII, Louis XII, Cesare Borgia ou encore Charles Quint ne le surent que trop bien. Plus tard, ce furent les Républicains du royaume de Piémont-Sardaigne qui, avec Cavour et Garibaldi, au moment du Risorgimento, c’est-à-dire de l’unité italienne, voulurent rallier Naples. Ce fut leur Vendée : les Napolitains refusèrent. En ayant chassé en premier les Français de Napoléon, ils avaient déjà prouvé une identité forte conçue dans l’idée du trône. Mais qu’à cela ne tienne, les Républicains du Nord firent rendre gorge à Naples. Les lubies monarchiques façon royaume de Sicile passaient encore, mais l’aristocratie ne devait plus exister dans l’Italie unifiée. A la manœuvre était Giuseppe Mazzini, « fervent républicain » comme on dit.

Les Piémontais, alors plus pauvres (économiquement du moins) que les Napolitains, siphonnèrent les richesses de Naples en surtaxant les échanges commerciaux. (Toute proportion gardée, cela se jouerait aussi à la même époque aux Etats-Unis où la fin de la guerre de Sécession entérinerait la victoire du Nord industriel sur le Sud aristocratique.) Bien inspirés par les jacobins de Napoléon Ier, dont ils appliquèrent les principes que les premiers avaient étendus aux provinces de France, les mazziniens appauvrirent une ville et tout son arrière-pays, à savoir l’Italie méridionale. Les gentils républicains volèrent Naples, taillèrent en pièce son économie et plus largement sa civilisation, l’abandonnant à son sort, puis doublèrent l’embargo d’un non imprimatur moral qui jugeait que le sud n’était pas assez républicain. Naples, ainsi brisée, fut livrée en moins d’un siècle à la misère qui se dit en vieux toscan Maffia. L’étymologie n’est jamais singulière : elle est multiple, et a ceci de fascinant qu’elle relie la langue à l’Histoire sans autre lien que l’Homme de culture veut trouver. La seconde origine du mot Mafia serait le cri de ralliement des révoltés siciliens contre l’occupant français au XIIIème siècle : MAFIA : Morta Alla Francia Italia Aviva (À mort la France vive l'Italie). On peut imaginer qu’il a perduré, et qu’au moment de l’Unità, il ait été recyclé par les Italiens méridionaux pour désigner une association de brigands, conservatrice des réflexes claniques propres aux aristocraties, et née sur les rancœurs provoquées par la politique du Nord biberonnée aux idéaux de la Révolution française. Attribuer la paternité même indirecte de la mafia à la Gueuse, surnom dont les anti-républicains affublaient la IIIème République, n’est peut-être qu’une autre preuve de la « mafiosité » intrinsèque des démocraties.

                Chaque épisode de GOMORRA meurt aux sons d’une musique mélancolique. La fin est invariablement tragique et semble regretter autant le gâchis d’une jeunesse dissoute dans la mafia que la disparition de Naples. C’est un chant du cygne.

Sans doute que j’attribue trop d’intentions à Roberto Saviano : son scénario n’excède peut-être pas le constat dressé, à savoir que les mafieux sont des ordures qui pourrissent une ville que je sais belle pour l’avoir visitée deux fois. Ses églises, sa mer, ses bâtiments, ses fontaines, son livre : LA PEAU de Malaparte, et sa langue composée d’italien, de français et d’espagnol. Quelle ville. O Naples...Mais je veux croire que Saviano met davantage que le présent dans sa série ; je veux croire qu’il y place les ferments d’une ville jadis incandescente dont il veut entretenir le souvenir.

J’admets que ce n’est certainement qu’une marotte d’indécrottable sensible ; Naples est une ville créée par et pour les poètes, de sorte que la voir ainsi violée par des faquins est un crève-cœur. Le génie de Saviano extirpe de ses bas-fonds ce qu’il reste de son âme : sous ce pont inachevé, immonde résidu d’un marché public certainement avorté à cause d’un règlement de comptes, sous ce pont, donc, qui renvoie au paysage des villes-pustules indiennes, sous ce pont toujours, un voyou sentira qui il aurait été si Naples avait échappé à l’enfer capitaliste. La flamme vacille mais n’est pas éteinte, pas tout à fait, pas encore. La Naples de Saviano est l’Italie dont Pasolini craignait l’avènement. Une Italie US, bousillée par le monde techno-marchand, le consumérisme et le tout-argent. LE DECLIN DE L’OCCIDENT de Spengler trouve dans ce voyou sous un pont une parfaite représentation. Ha ! La démocratie...

Voilà ce que me dit Saviano. Voilà ce que je pleure avec lui devant son chef-d’œuvre.

 

Jeudi 23 Février 2017 - Yes U-kraine

                Deux managers se sont greffés à nous, ce midi. J’étais accompagné de collègues dont l’un est un Ukrainien autrefois venu en France pour étudier à Polytechnique. D’une intelligence exquise, c’est un compagnon de table agréable. Nos conversations nous amènent souvent sur l’Ukraine, le sport - le football essentiellement -, l’Histoire, les langues slaves, la littérature de Vassil Barka dont LE PRINCE JAUNE est devenu un classique pour les écoliers ukrainiens, et de là nous rebondissons sur l’URSS. Ses propos fourmillent d’anecdotes. Il répond à toutes mes questions et m’entretient dans l’idée que la discussion peut enrichir au même titre que la lecture.

                Les deux incrustes ont plombé le déjeuner. Il y a belle lurette que je n’écris plus au sujet du cadre dynamique, non seulement parce que je l’ai trop fait par le passé, mais aussi parce que j’évite de fréquenter en privé les agents de la pensée managériale. Celle-ci se paye de mots et assène des conseils encourageant le développement personnel (je ne sais du reste pas ce qu’est le développement personnel vu qu’il n’est jamais défini, ce qui est le propre du concept mou et plus largement du soft power).

                La pensée managériale sature en ces instants de campagne présidentielle les espaces public et médiatique à cause d’Emmanuel Macron. Ses idées ressemblent aux principes du New Age. Il refourgue gratis un bien-être concocté par un gourou bas de gamme. Comme on dit chez moi, c’est un moteur à gaz pauvre (lequel gaz est difficile à allumer et chargé de poussières). Horresco referens sa vision du monde est partagée par les deux gus qui ne manquèrent pas d’embarquer la discussion sur le ralliement de Bayrou au télévangéliste d’En Marche ! Puisqu’il m’était impossible de participer, ou d’écouter les échanges, je décidai d’en observer les acteurs.

                J’ai longtemps cru que les macroniens sont des sociopathes qui font semblant de croire à ce qu’ils disent, parce que c’est ce qu’il faut pour réussir, mais il m’a semblé aujourd’hui que non, parce que les deux types paraissaient réellement passionnés par leur monde matérialiste, utilitariste, et totalement dévolu au fait économique. L’attention qu’ils mettaient à ne pas prononcer un mot plus haut que l’autre nuançait à peine leur entrain. N’importe quel haut poste dans la hiérarchie d’une organisation humaine impose de s’effacer derrière le rôle proposé. Ce n’est pas rédhibitoire tant que le compromis n’excède pas les limites de la négation de soi au-delà desquelles il se transforme en compromission. C’est pourtant de ce mal que sont atteints les deux macroniens. C’est comme si chez eux le personnage qu’il leur avait fallu jouer avait gobé la personne. Leur moi véritable a foui sous des couches de faux-semblant déposées année après année au point d’annihiler leur identité. C’est grave parce que c’est cette transformation mentale qui est exigée pour monter - comme on dit au taff. Pour grimper, il faut s’oublier, voire carrément disparaître. Le changement s’accommode d’un état d’esprit remodelé, neuf ! dira un précepte de développement personnel, mais aussi d’un corps nouveau, attendu qu’un tel sacrifice entérine la paresse physique, donc la prise de poids. C’est que le développement personnel promet la forme à qui s’étale dans un sauna ou s’abandonne à un jet d’eau froide. Après tout, l’argent doit bien servir à quelque chose, et surtout, le stress créé par un haut poste n’est pas le prix à payer, mais une façon de salaire qui donne droit à la beauté sans efforts. Vous l’avez bien mérité, mon gros ! Ainsi la pensée managériale suit-elle une logique holistique qui fait du tout la partie : elle boucle sur elle-même et régente les hommes qu’elle recrée à son image.

Je pensai alors que l’entreprise regorge aussi de garçons semblables à l’Ukrainien, c’est-à-dire de gens authentiques, lesquels occupent des postes indignes de leur QI ; je comprenais que c’est précisément leur authenticité dont il leur est impossible de se priver (par choix ou par inconscience, la nature est chez certains plus forte que tout) qui les maintient dans leur position subalterne. Le refus du compromis devant la compromission, tel est le combat métaphysique qui se joue dans les laboratoires du monde moderne.

 

Mardi 21 Février 2017 - Chikaya Diallo et Guigenre Canet

Chikaya Diallo  

                J’ai entendu ce matin Rokhaya Diallo sur hihiTélé analyser la colonisation française. Repentance, crime contre l’humanité, racisme d’état, tout le disque de Chikaya Diallo y est passé. Son exposé se voulait intellectuel en sorte qu’elle en appelait à l’Histoire et commença d’imaginer une conversation entre Jules Ferry et ses ministres. Elle emploie alors le passé simple, et dit que Jules Ferry répondut. Répondut... ! Tiens donc, Chikayasse...Ca en veut aux blancs, et ca les imite comme un singe savant copie les humains.

                J’ai été fort étonné par Pascal Praud qui, dans la même émission, parle de Ramon Fernandez : cet âne connaît Fernandez, le grand critique littéraire. Incroyable. Pascal Prout explique que l’époque de la Collaboration et de Vichy est complexe, et à titre d’exemple, il donne l’enterrement de Ramon Fernandez-le-collabo auquel tout le monde avait assisté. C’est qu’en ce temps-là le peuple français savait rendre hommage à la littérature. Il ne rechignait pas à se réunir autour de celle qui l’avait façonné. Pour sûr qu’il savait conjuguer le verbe REPONDRE au passé simple...

 

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Guigenre Canet

                J’ai vu la semaine dernière le film ROCK’N ROLL de Guillaume Canet dans lequel il débine le jeunisme et le narcissisme contemporains. Par auto-dérision, il cristallise sur sa personne cette critique de la modernité. Le film devient cocasse, voire carrément burlesque (certains diront grotesque), lorsqu’il choisit la chirurgie esthétique pour rester jeune. Son visage se transforme en une bouffissure infecte. Ses lèvres explosent sous son nez intact mais prisonnier de joues grossies et déposées sur leur passé telles deux prothèses bouffonnes. On dirait des fesses. Et Canet ressemble à un gros cul. Sa tête paraît une excroissance d’un corps qu’il entreprend de développer à coups de protéines et de musculation. Il se transforme en une bête de foire qui n’est pas sans créer un malaise chez le spectateur.

Ce clown transformiste dévoile alors la fa(r)ce de l’époque. Canet-Fregoli a été gobé par son désir de se figer dans un temps qui ne passerait plus, donc dans un non-temps où il involue au lieu d’évoluer. En l’occurrence, il involue vers un monstre qu’il assume totalement, et c’est précisément ce qui est effrayant : comment l’époque peut-elle instiller chez lui (et d’autres) un déni tel qu’on croit beau ce qui est laid ? La modernité rend malade du déni d’inversion. C’est ainsi qu’il existe chez certaines personnes une envie de ne pas vieillir qui se confond avec celle de rester jeune. Si cette phrase ressemble à une lapalissade, elle a le mérite de souligner la démarche négative du sujet narcissique qui mélange sa peur de vieillir avec le regret de perdre sa jeunesse (lequel est un sentiment universellement partagé au point qu’il en est plus dramatique que la mort, c’est-à-dire que c’est la fuite de sa jeunesse qui est le drame de la vie).

Au terme de son délire, Canet s’est coulé en une chose indéfinie presque sans sexe : les visages des chirurigiés esthétiques se ressemblent tous, qu’ils soient féminins ou masculins, si bien que les femmes et les hommes se dissolvent pour ne plus figurer qu’un genre. Je ne suis pas certain que Guigenre Canet avait cela en tête, mais comme souvent, l’œuvre se dépasse elle-même par la grâce de l’interprétation. ROCK’N ROLL établit (aussi) que la chirurgie esthétique donne un aspect au genre dont la théorie ne l’avait jamais inventé. La chirurgie esthétique est le pinceau du non-temps. Le patient qui est davantage un cobaye est le modèle sur lequel le non-art travaille directement. Il en résulte un sujet devenu objet. Difficilement identifiable (homme ou femme ? : combien de fois me suis-je posé cette question au moment de croiser un chirurgié esthétique), ce dernier est un non-sexe qui est un genre, neutre comme la grammaire.

 

Vendredi 03 Février 2017 - Maelstrom

                J’avais lu sur le blog d’un psy, qui s’appelle LE PSY, d’ailleurs, qu’escalader la décennie de la vingtaine prend du temps, mais qu’une fois en haut, c’est la dégringolade. La pyramide des âges, une fois projetée sur un individu, ressemble à la falaise de Sisyphe. 

 

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Le complotisme parodique ou Don Quichotte

                Je crois que c’est le réel qui complote. La réalité est-elle réelle, déjà ? Et le réel a-t-il lieu ? Je laisse ces questions aux philosophes qui s’écharpent dessus depuis Epicure jusqu’à Einstein en passant par les croyants. Mais je maintiens que le réel est complotiste. S’il y a des gens qui sont morts au terme de leur vie, s’il y a des gens qui meurent, ce n’est pas par hasard ! Mais ouvrez les yeux, bon sang, avant de les fermer pour toujours. On ne vous dit pas tout : la mort existe. On vous la cache dans les cimetières, les crématoires, mais les coulisses servent ses intérêts. La mort occultée est en fait occulte : rendre passive la mort qui est active, voilà le complot du réel !

 

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Conversation entre un sourd et un voyant                

                A la faveur du DECODEX mis en place par LE MONDE, par quoi le journal entend diriger les élégances mentales à coups de pastilles et de bons points, on m’a adressé ceci par écrit, cette semaine, au bureau (après que j’eus dis que ces socialistes sont insupportables. Ce sont des bigots, des pisse-foi sans autre Dieu qu'eux-mêmes. La France, ce pays de droite qui se laisse mettre par des communistes...une première dans l'Histoire...) : « La France n’est pas un pays de droite. D’ailleurs ca veut dire quoi droite ? Chrétien ? Conservateur ? Libéral ? La France est un pays extrêmement laïc par rapport à nos autres amis occidentaux (excepté l’Allemagne qui est aussi un pays où la religion est absente depuis longtemps), ce qui pour moi l’enlève déjà de la catégorie « de droite ».

Où sont les communistes en France ? C’est très américain moyen d’avoir peur des communistes.

Sur les dictatures des médias en France par contre c’est clair qu’on est pas loin d’être champions du monde. »

               

A quoi j’ai répondu :

« Si tu ne sais pas définir la droite, comment peux-tu dire que la France n’est pas un pays de droite ?

Définir la droite, là, maintenant, par mail, non, car je n’ai ni le temps, ni l’espace. Quand tu lis LES DROITES EN FRANCE de René Rémond, à confronter aux GAUCHES FRANCAISES de Julliard, tu sais où situer la France. Brièvement, elle est un mélange d’orléanisme que la gauche incarne désormais, et de bonapartisme – avec du légitimisme qui se manifeste en littérature uniquement (le mouvement des hussards des années 50 est un cas d’école). L’extrême-droite, c’est différent. C’est le mélange du syndicalisme de Sorel avec le sursaut politique du légitimisme de Maurras, lequel ne fut qu’un écrivain en politique, un poète politicien, même, et sourd avec ca, donc une façon de raté, un ratage disons, ce qui explique les échecs de l’Action Française. L’AF n’est pas parvenue à prendre le pouvoir et n’a jamais exercé qu’une influence intellectuelle sur la société. Une influence énorme, certes, et pas stérile en fait de mentalité, mais bréhaigne en matière de gouvernement.

Une frange communiste sévit dans les médias, et par une façon de gramscisme, les idées de gauche irriguent le débat ambiant, hors-sol. A terre, le discours ne prend pas et s’écrase comme la merde qu’il contient.

Sinon, je n’ai pas peur des communistes, je les trouve intelligents, brillants théoriciens, mais si peu concrets qu’ils associent chez Pol Pot (produit de l’université parisienne) les gens qui ont des lunettes à des privilégiés. Chez les Khmers, tu aurais été zigouillé avec tes lunettes de Beigbeder. Pas en régime de droite. D’ailleurs, les régimes militaires que tu hais tant sont-ils de droite ? Non : ils sont d’extrême-droite avec une fibre sociale forte qui les renvoie dos-à-dos avec les communistes, voire les socialistes, un peu comme le parti Nationalsozialismus.

Choisir la religion comme curseur sur l’échiquier des partis est un contre-sens. Tu confonds religion et théocratie, puis tu sécularises le sacré pour dire que la foi est de droite. C’est n’importe quoi.

Quant à la laïcité, c’est un principe républicain issu de la IIIème République. C’est une mesure de régime, pas de parti. Ca n’exclut pas la France des pays de droite, mais l’inclut dans les Républiques. Et le parti le plus laïciste aujourd’hui est le Front National, donc un parti d’extrême-droite. Et le plus anti-laïc, donc le plus religieux, islamophile disons-le tout net, c’est le PS, donc un parti de gauche.

C’est drôle n’est-ce pas ? Jouer avec les idées exige de les connaître et de les maîtriser, sinon on se fait tarter.

                Pour la route, je te donne quelques éléments de réflexion à creuser pour commencer à penser.

-Napoléon fut d’abord jacobin : c'est donc un gauchiste qui fonda la droite la plus autoritaire, à savoir la droite bonapartiste, militaire, qui conscrivait autant qu’un comité de salut public de l’an II, véritable soviet avant l’heure. Il y avait du soviétique en Napoléon, absolument, et du stalinien. Ce n’est pas un hasard si Léon Daudet, monarchiste nationaliste, détestait tant Napoléon qu’il plaçait au premier rang des pères fondateurs du STUPIDE XIXème SIECLE.

-Tu liras que le syndicalisme de Sorel s’allia avec Maurras par l’entremise de Georges Valois (Péguy, un modèle de républicain, regardait cela avec attention), et que c’est, selon l’historien israélien Zeev Sternhell, la preuve que le fascisme naît en France. Or Sorel n'a jamais voulu entendre parler d’une union avec Maurras – pas plus qu’avec la gauche Jaurès, c’est-à-dire la gauche de gouvernement. Cette gauche philosophale qui se prétend intellectuelle. Donc Zeev dit n'importe quoi, de sorte que, si tu relis ce que j’ai écrit avant, l’extrême-droite française n’est pas fasciste. Je sens que c’est un peu trop pour ton cerveau formaté, sans rancune, j’arrête bientôt !

-En revanche, Mussolini, d'abord instituteur marxiste, puis journaliste socialiste à AVANTI ! (dont la traduction française EN AVANT ! annonce le fascisme acquis au mouvement, et rappelle étrangement l'EN MARCHE ! de Macron), et enfin soldat nationaliste dans les tranchées, fut un grand lecteur de Sorel. Mais qui doute que Mussolini ait créé le fascisme ?

-Macron dit NI DROITE, NI GAUCHE : pile le titre d'un livre de Sternhell dans quoi notre historien rigolo enferme le fascisme. Il le définit comme hors des partis, troisième voie les dépassant tous. Tu vas nous faire une apoplexie, j’arrête.»

 

Lundi 30 Janvier 2017 - Miscellanées

                Les anti-Trump français ne sont pas idéologues parce qu’ils n’ont pas d’idées. Ils sont pavloviens. Je propose de les appeler ologues. Des ologues. L’aphérèse permet de signifier leur connerie. Et le son zologues est rigolo.

 

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                A priori, si Le Pen est élue en France, s’ensuivront des manifestations massives pour contester son élection. Et bien profitons-en : ce sera l’occasion de faire un strike. Tatatatatata tirs dans le tas ! Je paierai pour en être.

 

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                Un surnom pour Hamon.

Jean Teulé appelle Fleur de tonnerre l’empoisonneuse bretonne Hélène Jégado qui tuait durant la première moitié du XIXème siècle. Attendu que le socialiste Benêt Hamon entend empoisonner la France au venin islamique, je propose de le nommer Rose de tonnerre. Le tonnerre sied bien à ce que symbolise ce corbac, c’est-à-dire la catastrophe musulmane sous le ciel de France. Rose pour la terre et son parti de cons, et tonnerre pour le ciel : au sol, des immigrés, engeance bougnoulique, et dans le ciel, allah.

 

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                FRANCE CULTURE rapporte une recrudescence des achats du livre 1984 de George Orwell depuis l’investiture de Trump. Comme si leur monde n'était précisément pas celui de 1984 (celui qu’ils encouragent et ont concouru à créer en tant qu’officine de la propagande droit-de-l’hommiste). Encore une fois, Trump se sert des médias contre ces mêmes medias, et sans qu'ils s'en rendent compte : parce qu'en lisant 1984, les gens vont se rendre compte, eux, que le monde médiatique est le monde orwellien. Je suis certain que la force des médias tient à l’ignorance des médiatifiés* : l’un des slogans de BIG BROTHER ne certifie-t-il pas que L’ignorance, c’est la force ? Et peut-être même qu’ils finiront par aimer Trump. Les gauchistes ont un côté salope qui les fait se jeter dans le giron de celui qu’ils détestaient la veille. Elles préfèrent toutes les connards, non ?

 

* : je crée ce mot médiatifiés, qui sonne comme Pétrifiés par les médias, bien qu’il faudrait écrire médiatisés. Sauf qu’il veut déjà dire autre chose, mais pour qui a lu Debord et sa société du spectacle en miroir, médiatisés et médiatifiés sont synonymes.

 

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                J’écrivais dans Spiritisme du vendredi 06 Janvier 2017 que le XIXème siècle fut ésotérique, ou n’aura pas été. Dans la lettre ANTIPRESS 60 du 22 Janvier 2017, Slobodan Despot apporte une précision : « En cela, [Baudelaire] se tient aussi loin au-delà du «dix-neuvième siècle à travers les âges», cette époque désormais installée à demeure où, comme l’a amplement démontré Philippe Muray, le socialisme naissant avait partie liée avec tous les spiritismes, tous les occultismes et toutes les magies dans le but de contrôler l’humain qu’il ne se souciait pas de comprendre, et d’en faire n’importe quoi d’autre que ce qu’il est. Mais un n’importe quoi contrôlable! » Comme 1984 . Aujourd’hui, ca pue encore plus l’ingénierie humaine. L’ingsoc de 1984.

 

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                J’écrivais dans AVE HOMO du mardi 24 Janvier 2017 que « le suicide [fasciste] doit être compris comme le résultat d’une vie accélérée, qui a été brutalisée, et la mort doit lors être acceptée comme cette accélération qui a mal tourné et précipite l’Eros dans le Thanatos. » J’ajoute aujourd’hui par esprit d’escalier que Drieu fait dire au FEU FOLLET que « la vie n'allait pas assez vite en moi, je l'accélère. La courbe mollissait, je la redresse. Je suis un homme. Je suis maître de ma peau, je le prouve. [...] Un revolver, c'est solide, c'est en acier. C'est un objet. Se heurter enfin à l'objet. »

                J’écrivais aussi : « J’ose hic et nunc cette intuition : le Romantisme commence en Espagne dans la pulsion de vie baroque, et s’achève en Italie dans la pulsion de mort fasciste. » Pourquoi ne pas parler d’une Internationale Romantique, au même titre qu’on parle d’une Internationale Communiste ? Il y eut bien jusqu’à une frange de la SS qui se réunissait sous le symbole du Soleil Noir, astre de la mélancolie, donc étoile romantique.

 

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                Je regardais ce week-end une interview de Guillaume Faye diffusée sur son blog. L’émission s’appelait ESPRIT VIF. Est-ce le nom de sa chaîne YOUTUBE ?

                Faye expliquait que Trump, « c’est Lindbergh au pouvoir », parce que comme lui, Trump parie sur « l’autarcie des grands espaces » et préfère l’isolationnisme à l’impérialisme. J’aime beaucoup cette formule d’autarcie des grands espaces. On y perçoit la confrontation entre une nature sèche et hostile, et l’Européen découvreur, explorateur, aventureux. C’est autre chose que les abstractions démocrates qui s’écoulent du flanc citadin. Faye a le sens du mot juste, en bon pamphlétaire. Il parvient à enfermer thèse et antithèse dans une seule tournure. C’est une intelligence fine qui parle de canul-art pour l’art contemporain. Calembour.

                Je connais Lindbergh pour plusieurs raisons. Il fut un pionnier de l’aviation ; il connut un drame familial lorsque son fils fut tué par ses kidnappeurs, et, ravagé par le chagrin, il se retira de la course à la présidentielle comme on dit en ce moment. Puis il y a ce livre de Philip Roth LE COMPLOT CONTRE L’AMERIQUE qui imagine les USA dirigés par le pronazi et antisémite Lindbergh à la place de Roosevelt élu en 1941. Faye ne compare cependant pas Trump à Lindbergh dans l’idée de le godwin-er : son cerveau n’est pas bouilli dans la graisse gauchiste bonne à Roth-er.

                Dans la même veine, il y a LE MAITRE DU HAUT CHATEAU de Philip K. Dick. Wikipedia : « Le récit a pour cadre principal le territoire des États-Unis désormais occupé, à l'est, par les Allemands, et à l'ouest, par les Japonais. L'histoire évoque notamment, par un effet de mise en abyme (ou de roman dans le roman), l'ouvrage de Hawthorne Abendsen, un écrivain qui a imaginé les conséquences d'une victoire des Alliés pendant la guerre. Le titre choisi par Dick pour son roman fait référence à une « maison isolée, une véritable forteresse », où vivrait Abendsen. » K. Dick envisage que les forces de l’Axe auraient gagné la seconde guerre mondiale. Une récente série télévisée est inspirée par le LE MAITRE DU HAUT CHATEAU (deux saisons déjà). Il faudra que je regarde ce qu’elle donne. Elle fascine les cadres de mon taff, subjugués qu’ils sont par la furia fasciste. Il en émane un parfum de Lindbergh qui aurait réussi, mais en mieux que Trump...

 

Vendredi 27 Janvier 2017 - Jim

A Nicolas

                Jim avait frappé ma sœur. Elle disait vengeance. La faiblesse physique réclame toujours un exécutant. Elle m’avait demandé de secouer Jim. J’avais répondu que je le ferais, quand j’aurais le temps. Elle avait pensé que j’avais la frousse. Moi, peur de ce jeune vieux, ratatiné par sa routine ? Branquignole. Mais elle disait vengeance, alors elle avait demandé au padre de me secouer pour que je secoue Jim. Au padre, on ne dit jamais non, mais on peut aussi tergiverser. Je suis comme ca, je lambine, un clampin, j’attends, et Jim dit que je procrastine. Quel con. Toujours un attaché-case sous l’aisselle et une intelligence de singe savant.

Je suis paresseux, voilà tout. Et après ? Le padre n’accepte pas que je regarde le monde avec des yeux d’enfant. Un adulte ca réfléchit, ca pense pas. L’autorité du père est devenue utilitariste et s’attend à ce que je joue les utilités, un emploi, travailler, et dans l’attente : calmer Jim. On tape pas ma fille qu’il avait dit. Un démocrate. Et voilà que le votant devenait clanique. Et ton principe universel, tu l’as mangé ?

                Secouer Jim, donc. Pourquoi pas ? Mais pas tout de suite. S’il se présente, je le baffe illico. J’aime la violence, surtout quand elle s’impose et qu’elle est demandée. Je n’ai jamais aimé Jim de toute façon. Ses yeux rapprochés ont un je-ne-sais-quoi de canin qui pue la fausse soumission. C’est-à-dire qu’il se croit plus fort que son maître, si je veux, je mords, c’est ca oui...typique de l’esclave, le mec idiot qui dit se laisser commander avec une colère sourde, comme rentrée par en-dessous, oscillant entre la bêtise qui donne la patte et le rabrou qui vient grogner. Un cadre dynamique. Le yuppie d’entreprise. Il croit qu’il a le pouvoir et qu’il l’abandonne, seigneur sans duché, et comme il aime ca, il ne se rebelle jamais. En fait, le serf s’enchaîne tout seul. C’est une race, et Jim y appartient. Un dominé qui se la joue dominant. Un taff, un métro, et un slip choisi en fonction des chaussettes, ultime fantaisie de dandy en mal de ruine. C’est Jim. Un résumé. Il voudrait la déveine, souffrir, paraître ce qu’il faut ne surtout pas être, ne rien devenir, et tout ca parce que la pub te dit que c’est sexy. Mais il est trop chanceux pour y arriver : il réussit. Réussite intransitive. L’argent. On fait mine de ne pas le prononcer, mot interdit, empêtré dans sa pudeur hypocrite par ceux qui lui courent après. Résultat des courses : Jim est aigri. Sentiment aride. Haine de soi. Et il a tapé ma sœur. Elle disait Je l’aime. Maintenant c’est Vengeance.

                Taffer, très peu pour moi. Je n’en peux mais. J’étais premier de classe, voilà qui en jetait. Du sport, des livres, des filles, et je tabassais le gauchiste quand je ne le moquais pas. Lui séchait les cours, moi les grèves lycéennes. Une fois, ce tas de cons m’en avait voulu  à mort de ne pas avoir participé à un sitting. Ces gosses de riche pensaient à gauche et avaient glandé pendant une semaine sous le préau. C’était politique. La blague. Ils avaient obtenu que les sanitaires soient toujours propres. La voilà la gauche : faire bosser l’immigré en lui disant qu’il y a droit. Là où elle chie, le fifre vit. Et après ca s’étonne qu’un métis leur pète entre les mains en devenant antisémite. Ca donne vraiment envie de les marave. La grève leur avait assuré du papier-cul dans les cabinets. Après ca, j’avais amené pendant un mois, tous les jours, un rouleau hygiénique que je déposais sur le pupitre d’un des leaders. L’un d’eux s’était plaint, un matin, ca suffit, voix de fausset, je me retourne, un pet. Et je lui avais enfourné le papier dans la bouche. J’avais fermé ses narines de fiotte et lui disais Voilàààà, on devient rouge pour de vrai mon coco, puis je lui avais redonné sa liberté avant qu’il devienne bleu. Le padre savait que j’étais cruel. Il savait que Jim était un de ces merdeux qui aurait réclamé son PQ. Je devais secouer Jim.

                Les nanas m’agaçaient. Des partageuses qui juraient par la veuve et l’orphelin. Faut aider. Zont pas de chance. Ca dégoulinait de pathos. Bons sentiments. Bonne conscience à peu de frais. En revanche, dans le choix amoureux comme dans la sape, là, ca faisait jouer la concurrence à plein. Les cuisses ne s’ouvraient qu’aux plus beaux. Mais pourquoi tu ne vas pas au bout de tes idées ? que je leur demandais, étends ton socialisme à tes principes ma grande, et sors avec le moche, tout le monde a droit, non ? Faut partager avec les pauvres. Tu parles des pauvres en termes économiques ? Moi qui croyais que l’argent c’est méchant parce que capitaliste, donc fasciste... Les gars, tous pareils. Un gros tas m’avait un jour brusqué parce que tu es raciste. Je réponds : Oui, j’aime pas les gros : le garçon fonce sur moi, j’évite sa masse, surtout pas aller au sol sinon je suis fait, une fois qu’il m’a dans le dos, je balance un grand coup dans le cul, c’est mou, c’est rigolo, aie !, et j’enchaîne avec cinq low-kicks dans les mollets et quand je le choppe au tibia, je ne m’arrête plus, bam dans l’os, vlan vlan vlan low-kick low-kick low-kick jambe et hanche en mouvement, et il chiale. Casse-toi gros lard ! J’ai été viré de l’école. Le padre, qui ne jurait que par le full contact quand j’avais dix ans, sport de combat auquel il m’avait initié, était diplomate, or la dirlo l’avait à la bonne, alors il avait obtenu qu’une mise à l’épreuve à l’armée entrainerait mon retour à la rentrée. Bref, histoire ancienne. L’histoire neuve, c’est Jim qui était une de ces femmes qui aurait fusionné avec un obèse tabassé. Une synthèse. Bon, allons secouer Jim.

 

***

 

                Vengeance et Jim résonnent. « A-t-on jamais cessé de penser à la violence ? demande le sage ». C’est de moi, je l’ai inventé. Je sais que le Christ a dépassé l’idée, René Girard et son bouc émissaire, je connais un peu, mais bon, lancer ca avant les horions m’a toujours plu. Le spartiate philosophait en se battant. Et Nietzsche te dit de penser debout, et Rimbaud déteste les assis. Il a fini cul-de-jatte, ce fou, ce poète, ce trafiquant ; avec tous ses vers enfouis dans son génie ; à 17 ans c’est rideau, et Rimbaud abandonne un iambe en Ethiopie. Tout est physique avec les grands poètes en qui sommeillent les guerriers et les grands peuples. Poète, prêtre, soldat : les seuls métiers. Violence physique et métaphysique. En sorte que le poète total, c’est le poète templier : en lui le rythme et la grammaire du son, la religion et la force. Ha ! Vlan Epée Maille et Alléluia !

                Dans les études supérieures, il y avait eu un truc marrant, et c’était le stage ouvrier. Six semaines estivales à bosser avec le prolo. L’Ecole ménageait des rencontres entre l’ingénieur qui allait bouffer l’élite et celui qu’elle bouffait déjà. Le rassemblement du haut avec le bas, tout ca dans le fracas de classes sociales étrangères. Rien à voir avec la mixité sociale qui métisse les âmes et les corps par la force, mais la rencontre de deux mondes, celui qui est adulte et subit, et pour qui la vie n’est qu’existence, et celui qui est enfant et ravi, et pour qui la vie est nonchalance.

                J’avais opté pour la marine, pas la Royale ni la marchande, mais celle des chalutiers. Les cons qui deviendraient bankers s’étonnaient de mon choix. Ca ne sentait pas l’argent, n’est-ce pas ; ca puait le pauvre. Tu te compromets qu’ils semblaient dire. Tu vas perdre ton temps. Et ces mouches votaient socialope. Ils ne m’appréciaient pas. J’étais violent. Drôle, mais on ne savait pas comment. Quand je repense à eux, je vois Jim. Ce grumeau au prénom d’amerloque dans lequel s’enferme l’époque. Une syllabe, brève, bête et vide, sifflante sortie des fesses.

 

Jeudi 26 Janvier 2017

                J’attends un collègue à côté des verres à la cantine. A ma gauche se tient debout un homme d’une quarantaine d’années, l’air sérieux. Un type arrive à sa hauteur et lui souhaite chaleureusement une bonne année.

-Merci, répond l’homme.

-J’ai appris que tu as eu de petits soucis de santé, content de te revoir parmi nous !

-Hum, oui, mais à vrai dire j’ai eu de gros soucis de santé...

-Oui, j’ai entendu, je dis « petits », pardonne-moi, en tout cas je suis heureux que tout soit rentré dans l’ordre.

-Moi aussi, j’ai eu beaucoup de chance, c’est pas passé loin, j’ai vraiment de la chance.

-Ha oui...

Après un silence partagé, l’homme renchérit :

-J’arrête tout, je change tout, je change de vie, je pars, je quitte tout – le tout dit dans un souffle de soulagement total, comme si la guérison valait moins que la décision qu’il prend enfin, qu’il a prise enfin, définitivement, sans jamais avoir osé avant, mais désormais il peut, il a le droit, il a assez payé comme ca, il a assez souffert, subi, enduré, ca suffit ! Je me casse.

Mardi 24 Janvier 2017 - AVE HOMO

                On trouve sur Facebook la page de l’INA. Elle regorge d’archives. J’y visionne des interviews qui font revivre des personnages disparus, et parmi eux certains que j’admire tant qu’entendre leur voix ou le récit de leur quotidien justifie ma journée.

Aujourd’hui, j’ai regardé une vidéo sur Monet, ses derniers jours, la venue de Clémenceau à son chevet, lequel l’habilla de son linceul qui était un rideau fleuri, « pas de noir pour Monet, car le noir n’est pas une couleur », le tout servi en images en noir et blanc, avec une voix-off relatant ses discussions avec le peintre. Fabuleux.

J’en ai visionné une autre qui est un entretien avec Dalì. Il s’exprime en français avec un léger accent via quoi il se réjouit de ses « intenses plaisirs sybaritiques. » A lui seul, et en une minute sèche, Dali enferme dans ses gestes, sa voix, ses mots et son corps toute l’Espagne baroque. C’est un grand d’Espagne, lui le monarchique anarchiste ou l’anarchiste monarque. Grand d’une Espagne qui court de la Reconquista au Rococo. Car je n’en démords pas : c’est le catholicisme agressif, violent, total avec son Inquisition, qui part à la conquête de l’Espagne. La Reconquista est d’abord un moment artistique. Et c’est servie par cet art vif et brutal, vivant et religieux, que l’Espagne conquiert le monde en à peine un siècle.

Je me souviens de CES CHERS ITALIENS où Malaparte parle de la catholicité ibérique : elle est organique parce qu’elle transcrit par la peau toute la souffrance du Christ qui résume la condition humaine : les Vierges espagnoles sont d’apparence grossière parce qu’elles exigent une matière peu résistante au passage du temps et à la gravité, de sorte qu’elles se figent dans la déchéance qu’il leur faut démontrer. Il s’agit de déchéance physique avec tout ce que cela comporte de torture de la chair. (L’Inquisition ne le sut que trop bien). Et Malaparte poursuit : il relève les ongles arrachés à on-ne-sait-qui plantés dans la glaise des statues (cette terre molle dont on comprend maintenant l’utilisation); il rapporte les larmes de sang véritable qui inondent les yeux, ainsi que les cheveux humains dressés plus haut. La Marie espagnole frappe, elle impressionne. Elle figure un cadavre en puissance.

 

                J’ose hic et nunc cette intuition : le Romantisme commence en Espagne dans la pulsion de vie baroque, et s’achève en Italie dans la pulsion de mort fasciste.

                Le baroque crie : Vive la vie !

                Le fasciste crie : Vive la mort ! (ou, mais c’est égal : Me ne frego ! qui signifie Je m’en fous !)

                Symétriquement encore : le baroque grossit aux côtés de l’Inquisition qui tue : idée de mort, mais son histoire appartient à la Renaissance qui est la vie dans la mort (et qui prend source dans la Reconquista). Résurrection.

                Le fasciste s’enfle d’un élan vital qui renforce : idée de vie, et son développement suit la Révolution qui est aussi la vie dans la mort (et qui provient du Risorgimento). Résurrection.

                Ces quelques éléments étayent l’idée d’une symétrie dans la symétrie autour de l’axe vie-mort qui place le baroque et le fasciste face-à-face. Le lien qui les transcende est d’abord géographique et latin. De l’Espagne à l’Italie, de son début à sa fin, le Fascisme est un lieu européen. Ce lien est enfin historique, c’est le Romantisme, dont la passion pour le suicide préfigure le nihilisme fasciste, là où son goût pour les couleurs pourpres en peinture, les dorures en mobilier, les trilles en musique, et les grammaires lourdes en littérature baroquisent le XIXème siècle. (La seule innovation romantique est son théâtre, cf. La bataille d’Hernani.) La littérature fasciste du XXème siècle en témoigne, percluse qu’elle est d’indices en manière de clins d’œil :

                Roger Nimier pense qu’il «faut vivre sous le signe d’une désinvolture panique, ne rien prendre au sérieux, tout prendre au tragique ». La schizophrénie qu’il encourage en opposant la désinvolture baroque au tragique fasciste s’accomplit dans l’être romantique déchiré entre la distance physique qu’il place entre lui et le monde lorsqu’il se réfugie dans la nature, et sa conscience du réel. C’est à l’évidence la vision du monde du Nietzsche en voyage à Sorrente. Roger Nimier fait dire à François Sanders, son HUSSARD BLEU nietzschéen, romantique et suicidaire : « Quand les habitants de la planète seront un peu plus difficiles, je me ferai naturaliser humain. En attendant, je préfère rester fasciste, bien que ce soit baroque et fatigant. » Se manifeste ici l’instinct que le Fascisme est la fin du Baroque, lequel exige l’énergie des commencements, en sorte qu’être baroque est nécessairement fatigant pour le fasciste.

                Thierry Marignac construit in FASCISTE (qui est une actualisation des EPEES de Nimier) un héros sandersien dans l’idée que « Rémi Fontevrault est un fasciste qui embrasse davantage la cause pour l’aura romantique du réprouvé que pour les convictions politiques de rejet. » Il remarque qu’au terme de son parcours, « [il] arrive à l’extrême de l’extrême [et] se retrouve au bord du vide. » Or le vide est un thème essentiel de la peinture romantique. Le VOYAGEUR CONTEMPLANT UNE MER DE NUAGES de Caspar David Friedrich résume sans doute à lui seul le Romantisme (et illustre l’ECCE HOMO de Nietzsche à Naples) :

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                Faut-il évoquer l’essai de Yourcenar consacré à Mishima intitulé MISHIMA, OU LA VISION DU VIDE ?

Cet écrivain fasciste japonais est ainsi décrit sur le quatrième de couverture du SOLEIL ET L’ACIER : « LE SOLEIL ET L’ACIER  est la seule confidence que nous ait laissée Yukio Mishima sur sa formation : comment il a découvert, tardivement, la vie du corps, et par elle une vie nouvelle de l'esprit. Il établit une étrange opposition entre le pouvoir corrosif du langage et le pouvoir constructif du soleil et de l'acier. En même temps, c'est pour offrir à la mort, bien suprême et suprême tentation, un objet digne d'elle qu'il s'astreint à l'ascèse d'un entraînement physique. Cette démarche essentiellement romantique n'a rien à voir avec le principe grec d'une âme saine dans un corps sain, mais débouche sur le suicide rituel, qui fut en effet accompli par Mishima, en public, en novembre 1970. LE SOLEIL ET L’ACIER constitue un testament spirituel qui éclaire d'un jour insolite toute l'œuvre du grand écrivain japonais. » Mishima, comme Drieu, avec lequel il partageait la même fascination pour la mort et le sport (Mishima était un athlète d’exception), s’est suicidé.

                Que je pioche mes réflexions ici dans une phrase du HUSSARD BLEU, là dans le commentaire, lu sur un blog, d’un écrivain à propos de son livre FASCISTE, et ailleurs dans le quatrième de couverture du SOLEIL ET L’ACIER ne doit pas remettre en cause la force de ce que je propose ici : je n’ai pas tout lu, mais j’ai beaucoup lu, et je sens les mouvements au point que je me sens obligé de les formuler. Je ne connais pas Mishima par le texte* mais sais le situer. Or je me répète depuis ce week-end que Mishima est un élément-clé dans l’universel triptyque Baroque-Romantisme-Fascisme. Je suis comme enveloppé par cette pensée, malgré moi, et encore aujourd’hui, tandis que mon esprit est pris en sandwich entre cette pensée et mon turbin.

 

                Une dernière remarque : les écrivains romantico-fascistes se sont fréquemment suicidés après avoir voué leur existence à l’exaltation des sens, du corps, de la technique, de la mécanique, de la vitesse, du mouvement, de l’élan, de la force et de la vie. Le suicide du fasciste est donc en apparence contradictoire. Toujours la schizophrénie de Nimier. Mais d’une part, il y a dans l’entreprise de la vie fasciste un goût du risque qui conduit plus vite et plus sûrement à la mort que la vie bourgeoise**, et d’autre part, le suicide doit être compris comme le résultat d’une vie accélérée, qui a été brutalisée, et la mort doit lors être acceptée comme cette accélération qui a mal tourné et précipite l’Eros dans le Thanatos. Drieu fait dire au FEU FOLLET que « la vie n'allait pas assez vite en moi, je l'accélère. La courbe mollissait, je la redresse. Je suis un homme. Je suis maître de ma peau, je le prouve. [...] Un revolver, c'est solide, c'est en acier. C'est un objet. Se heurter enfin à l'objet. » Si dit, toute contradiction est levée.

 

* : je viens néanmoins d’acheter cinq de ses livres.

 

** : A Emil Ludwig qui l’interrogeait sur le sens de la vie fasciste, Benito Mussolini répondit : « Nous sommes contre la vie commode. »

 

Lundi 23 Janvier 2017 - Premier métro

                Il y avait ce matin des problèmes techniques sur la ligne 1 du métro. Grand classique de début de semaine. Il me fut impossible d’attraper le train tant l’échange flux entrant-flux sortant était important. Je devais prendre le prochain, mais en attendant, laisser passer le premier métro fut un moment d’ethnologie urbaine. Regarder le croisement entre les gens qui en descendaient et ceux qui voulaient y monter n’était étrangement pas angoissant. Il se dégageait une beauté formelle et graphique de ce ballet, comme si une chorégraphie répétée matin après matin, semaine après semaine, année après année, prenait en cet instant toute sa dimension. Le mouvement de cette foule inversement synchronisée, masse jetée vers le néant, compacte et folle, ce mouvement, donc, projetait l’image floue d’un film joué en accéléré.  J’ai pensé qu’une photographie aurait été parfaite pour saisir cette panique humaine. Un groupe d’humains libérés de l’entassement partageait sa peur avec un autre groupe d’humains qui devenaient prisonniers de ce même entassement. Le passage de témoin était assuré dans un bonheur instantané, celui de la libération, sur le point de devenir un malheur longuet, celui de la crispation. L’instinct sourdait du fond des âges qui n’ont pas suffi à l’effacer. La bande-son lançait des cris d’énervement qui le disputait à celui d’aller au boulot. Déjà que le travail m’emmerde, si en plus faut subir ca ! Les tourments du trajet ! Puis des alarmes avertissaient que les portes se ferment. C’est que la ligne est automatique, maintenant. Viol par la technique. Vite, faut s’écraser, c’est pour bientôt ! Allez, bouge ! Gros tas !

                Un collègue, ami, alors que nous partons déjeuner, me parle de la bétaillère, ou d’aller-simple vers Auschwitz, habituelle métaphore filée par le cadre qui ne s’étonnerait pas qu’un ARBEIT MACHT FREI soit demain planté à l’entrée de la multinationale qui l’emploie. J’ai souvent pensé cela par le passé. J’en ai écrit des couches dans l’ébauche de mon roman jamais achevé et surtout dans mon journal dont le titre est JOURNAL D’UN DERANGEUR DERANGé QUI NE DERANGE QUE LUI (avec en sous-titre : Pour le moment...). J’en suis revenu parce que le sujet est épuisé à l’écrit et à l’oral par la plainte des usagers comme dit la RATP. Il ne sert rien à de s’épancher là-dessus parce que ca ferait plagiat, redite, copiage, cliché qui, quand bien même vérité, finirait par ennuyer. Il y a de la lassitude dans mon abandon d’un sujet devenu pour moi quotidien. Le trajet est une sanction, il rend le travail plus pénible qu’il n’est déjà. Soit. Je n’ai pas envie d’en parler.

C’est pourquoi je propose à mon collègue de discuter d’une scène du film SEVEN. Ce chef-d’œuvre de David Fincher est peut-être en même temps le film que la TNT donne le plus souvent, et le seul que je revois toujours d’un œil différent. La dernière fois, je compris que le serial killer n’est pas le monstre que je croyais, c’est-à-dire qu’il appartient totalement à l’humanité, et plus précisément à l’humanité urbaine. Alors que les deux enquêteurs ont trouvé le journal du tueur, ils y lisent que ce dernier s’est senti devenir fou un jour que le métro était bondé. Il raconte qu’il s’emplit d’un dégoût physique pour le corps, pour son corps, et commence à se détester. Tous ces gens. Il s’assoit lors sur un banc du quai. Un quidam s’y trouve déjà et décide d’étaler ses problèmes. Le serial killer l’écoute, enfin : il l’entend, sa nausée augmente, il ne supporte plus le bruit qu’accompagne la voix du type, et c’est alors qu’il se met à rire, et à rire encore, pour finalement vomir sur le bavard. C’est par ce dégueulis qu’il se transforme en être violent. Je doute de la culture de l’excuse, et conchie autant le refrain moderne qui récite qu’ «il ne faut pas excuser, mais comprendre. » Mais en l’espèce, SEVEN conte l’histoire d’hommes si violentés qu’ils en deviennent violents. La raison tient à la ville : le film la montre grise, humide, comme si elle attirait la pluie et éjectait la lumière. Une allégorie de l’enfer. Et sa foule... : un pandémonium. L’architecture haute et agressive, de verre de pierre et d’acier, bouche l’horizon et prive l’Homme du ciel : c’est une manière de tuer Dieu. Encore une fois, c’est l’enfer. Je ne parle pas des sept péchés capitaux qui irriguent le film de toute leur mythologie, mais SEVEN est diabolique. Le policier que campe Brad Pitt existe aux marges de la folie. Il habite un appartement dans lequel chaque métro s’introduit avec fracas. L’urbanisme anti-humain s’infiltre par tous les interstices du scénario. La scène finale se joue dans un désert. Enfin le ciel ! Enfin l’horizon ! Et ce soleil qui vainc la pluie ! Voire... Au vrai, il n’en est rien. Si le sens de la fermeture est bien d’opposer la ville à la nature vierge, la chute n’en reste pas moins dramatique à cause de l’identité de la dernière victime. Le règne de Lucifer, le porteur de lumière (étymologiquement), est assis sur l’urbain qui, où qu’il aille, s’expose aux affres de sa nouvelle nature.

                J’ai pris pour habitude de noter mes cauchemars, or il se trouve que j’ai cauchemardé la nuit dernière. J’ai rêvé que je retournais habiter dans mon ancien appartement. C’était un trou insalubre qui donnait sur une zone en friche où il y eut finalement des travaux qui me décidèrent à le quitter. J’avais tout de même vécu six mois à proximité de coups de marteau le matin, de déchainement de bulldozer, sous une grue plantée à dix mètres de ma fenêtre, avec la poussière et les gueulantes des ouvriers. C’est avec effroi que j’y revenais en songe. La concierge m’y accueillait. Elle me reprochait mon retour parce que c’est un endroit invivable. Elle est bonasse, pas mauvaise, soucieuse de ma santé. Je m’enquiers du bruit dont elle m’assure qu’il continue. Sur la manière de terrasse qui jouxtait ma fenêtre, elle a construit un jardin en une sorte de résistance verte à la ville immonde. Elle m’explique que l’herbe ne repoussera pas de sitôt parce que l’eau de l’immeuble est toxique. Voilà comment la ville vous marque et vous poursuit jusque dans les songes. Quel cauchemar...

 

Samedi 21 Janvier 2017 - L’Internationale euphémique

                Un homme fonce dans la foule à Melbourne aux cris de allahou akbar. Quatre personnes sont tuées, sèchement abattues, dont un bébé. C’est un déséquilibré.

                Un homme est recherché à Paris parce qu’il poignarde les gens dans le métro. C’est un déséquilibré.

                Cela pour aujourd’hui. Il faut admettre que le temps médiatique occidental est un moment de censure par l’euphémisme. C’est comme ca. On pourrait appeler cette époque LA DICTATURE DE LA LITOTE. Il s’agit même d’une internationale puisqu’il n’y a aucune différence de traitement de l’information entre l’Australie et la France. Par-delà les océans, le mensonge.

Il va de soi qu’en langage froid, les deux hommes sont des arabes musulmans qui tuent au nom de leur religion qui est l’islam. Point.

En langage chaud maintenant, et qui est le mien, ce sont deux bougnoules détestables que je voue aux gémonies d’une justice arbitraire et sadique : torture suivie de mort sale aux cris de allahou pityi.

 

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                J’ai découvert cette semaine le blog ANTIPRESS de Slobodan Despot. J’ai lu hier soir un article qu’il a consacré aux médias suisses dans lequel il parle d’un certain Jean Ziegler. Ce dernier est un bourgeois marxiste suisse qui donne des leçons qu’il ne s’applique pas à lui-même. De grands principes où il drape sa conscience comme on place du lard dans un torchon. On connaît la chanson uniment interprétée sous les cieux de l’internationale euphémique. J’ai surtout relevé ce passage qui fait écho à mes tout récents écrits sur la capacité du capital à absorber les révolutionnaires : « Depuis les années 70, Jean Ziegler a inspiré, sinon formé, toute une génération de gauchistes universitaires helvétiques. Si le modèle idéologique est périssable, l’exemple comportemental est essentiel. L’impudence de Ziegler constitue une formidable désinhibition. Il aura marié la carpe et le lapin, la rébellion et le confort matériel, la respectabilité sociale et la subversion. Il est cette passerelle entre le capital et la révolution qui cimente le système médiatico-politique suisse du XXIe siècle. Il est un pionnier du nihilisme habillé de bons sentiments. » De L’Aristo dans le texte.

 

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                Alors que je sombrais dans le sommeil, hier soir, c’est bercé par la liturgie des rêves qui l’annoncent que j’ai repensé à ce que j’avais écrit au sujet des langues hiéroglyphiques, à savoir qu’elles sont pauvres de pensée. J’ai alors considéré les sigles qui irriguent la novlange euphémique, lesquels sigles sont autant de signes vers quoi régresse le langage. Plus précisément, le langage involue parce que les sigles-hiéroglyphes participent d’un mouvement involontaire de dépérissement de la pensée. Il est clair que le but des sigles est de ne pas nommer ce qui doit être tu. (C’est d’ailleurs le principe même de l’internationale euphémique.) De sorte que le sigle verrouille la pensée. Il n’est pourtant pas dit qu’en la verrouillant, la pensée disparaît. C’est pourtant bien ce que les sigles réalisent involontairement en transformant une langue à lettres faite pour l’abstraction en langage des signes fait pour le concret. Il n’aura échappé à personne que les sourds et les muets s’expriment avec des gestes qu’anime une sémiologie pauvre, et que s’ils sont capables d’abstraction, celle-ci reste enfermée dans un silence dont ils la tirent uniquement via l’alphabet littéral ou musical. La surdité et la mutité naturelles sont une façon de censure que l’internationale euphémique imite. Ou comment la mort copie la nature.

 

Vendredi 20 Janvier 2017 - Méditation

-Crois-tu ? demande monsieur.

-Oui, répond le fou.

-A quoi ? insiste monsieur.

-Je crois en l’idée que je ne crois à rien.

-Et c’est ce qui te rend fou, dit monsieur.

-Oui : aussitôt que je crois, je cesse de croire, et sitôt que je cesse de croire, je crois.

-Ha ! : en ne te donnant rien à croire, tu crois en tout.

-Et je pense alors que rien n’est pas rien, ou que tout est rien.

-Et c’est ce qui te rend fou, dit monsieur.

 

Jeudi 19 Janvier 2017 - Observations

                Autrefois, le Français était appris et parlé dans toutes les grandes maisons européennes. C’est désormais l’Anglais. Alors le Français, l’homme s’entend, se ravit de ce que sa langue soit pratiquée par les Africains. Rigolo. Décadence...

 

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                Au rassemblement de Quimper, Macron donne encore plus à rire qu’au meeting de la porte de Versailles à la fin duquel il s’égosillait comme un porcinet qu’on serait en train de châtrer. Il fait mine de s’adresser à Trump à qui il explique que les Etats-Unis doivent leur liberté à la France, laquelle les remercie quand même pour leurs GIs tués dans les tranchées de 1917. Ce n’est pas le fond qui est le plus idiot, celui-ci est creux, basique, typique de ce que n’importe quel inculte habillé en CELIO te sort à la machine à café, non, le plus bête est encore une fois la forme : l’homme et sa voix, l’être et son discours. A l’entendre, se crée instantanément un malaise. Macron est un con qui ne sait pas qu’il est un con. A Quimper, il me fait penser à un collégien qui énonce un théorème mathématique sous prosodie de mirliton. Hors-sujet, zéro, c’est nul ! Mais c’est nul !

 

Mardi 17 Janvier 2017 - Emétique du capitalisme

                Je viens d’achever HOUELLEBECQ ECONOMISTE de Bernard Maris. C’est un essai roboratif qui étrille l’économisme. Economisme fait mot savant, mais il dit que notre époque ne se regarde qu’au travers du prisme de l’économie. L’économie a remplacé la politique qui en est devenue la subordonnée.

Un mot rapide sur Bernard Maris : j’avais un a priori négatif sur l’homme parce qu’il signait dans CHARLIE HEBDO la chronique de Tonton. Je me plantais : c’est une intelligence fine et qui fait certainement défaut aujourd’hui. Je tiens donc d’autant plus ses assassins pour des fumiers. Et dans l’absolu, il y a comme un malaise à considérer qu’il a été tué par de tels abrutis. Un peu comme si la dernière des hyènes tuait un lion.

                Dans HOUELLEBECQ ECONOMISTE, Maris évoque L’ETHIQUE PROTESTANTE ET L’ESPRIT DU CAPITALISME de Max Weber qui y fait remarquer que l’idéal du capitaliste est de « finir le plus riche du cimetière ». Y-a-t-il pulsion de mort plus affirmée ? J’ai déjà entendu cette phrase. Alors que j’étais étudiant, je me renseignais sur les métiers possibles. Je découvrais la finance et je regardais du côté des Fusions&Acquisitions, la Fusacq pour les intimes, ou le M&A pour les champions. J’avais un ami de lycée dont le grand frère travaillait en fusacq. Je m’étais entretenu avec celui-ci qui m’avait déconseillé un métier qu’il allait bientôt quitter. Tous les types étaient de gros cons, m’avait-il indiqué, obnubilés par le fric, et scolaires comme pas deux. Sans le savoir, il me dessinait les kids définitifs que Houellebecq décrit dans LA POSSIBILITE D’UNE ILE. Il m’avait aussi parlé d’un de ses collègues, un type détestable qui se targuait de « tous les niquer » et qui voulait « finir le plus riche du cimetière. » Du Weber tout craché. Le pire est que je devais par la suite rencontrer cet âne lors d’un forum des métiers. C’était un garçon antipathique, cracra, frappé d’une calvitie anarchique qu’on trouve chez les gars du tertiaire qui sont fatigués dans l’œuf.  Je l’avais même recroisé dans le métro, et après l’avoir salué, il m’avait ignoré, comme si l’impolitesse se confondait avec le bizutage d’un impétrant qui n’avait rien à secouer de son taff de con.

Le colocataire à Londres d’un très bon ami bossait aussi en M&A. D’après mon pote, il était physiquement démoli par des horaires démentiels. Il était devenu vert-de-gris à force de mauvais sommeil et de malbouffe. Il était si abîmé qu’il demandait au taximan qui le conduisait au bureau de s’arrêter pour pouvoir dégueuler. C’est étonnant, n’est-ce pas ? Mais mon ami n’en démordait pas : le type vomissait sa vie de merde. Bref, avec toutes ces histoires, j’étais finalement convaincu de ne pas me lancer en M&A. Comment supporterais-je de tels affreux ?

                Je ne dis rien, ici. J’énumère des souvenirs, je liste des légendes urbaines, je ne conceptualise pas, mais précisément, il n’y a rien à conceptualiser dans la civilisation infrahumaine du capital. Ses attributs sont vides, et ses gens ressemblent aux mollards que cette dé-civilisation expulse par les fesses. Mais le capitalisme a du génie, comme celui de s’approprier les codes de ses ennemis. On dit qu’il absorbe la critique au lieu de la réfuter, et qu’après s’en être nourri, il la cultive à l’excès, avec amour, au point de la caricaturer jusqu’à la dénigrer. La critique n’est dès lors plus crédible : qui irait croire celle qui condamne ce dont elle fait partie ? A force, la critique s’essouffle, ou ne se reconnaît plus, ridiculisée par l’utilisation que le capital en fait, déguisée en pute ; et soit elle entreprend de se critiquer, ce qui revient à se nier donc à s’autodétruire à la mode communiste, soit elle abandonne la partie. Dans les deux cas, n’importe quelle critique du capitalisme est vaincue. Ses porte-paroles sont souvent portés par un système qui promeut les repentis. En cela, les partis politiques et les médias sont essentiels. La publicité reste tout de même l’outil le plus adéquat. Elle dispose de moyens financiers importants et est diffusée via un format médiatique court qui correspond à l’esprit d’instantanéité qu’elle a concouru à créer. Je pense à un spot actuel pour ALLURE dans lequel apparaît la fille de Vanessa Paradis. Munie de tous les attraits du capital, c’est-à-dire la jeunesse, la richesse et la beauté (et la bêtise), elle vagabonde de capitales en capitales, où elle vaque d’appartements en appartements, avant de diriger une révolution entre deux shootings photo. Guy Debord écrit que la société du spectacle est l’aboutissement d’une accumulation telle du capital qu’il devient image : et bien dans la pub ALLURE, le capital s’entasse tant dans la personne de Paradis qu’il fabrique de la révolution une image par laquelle l’esprit de révolte disparaît. Il n’est pas encouragé, il est gobé. Il n’est plus subversif, il est félicité, encouragé, et se transforme en son contraire, c’est-à-dire en aliénation. Le capitalisme devient alors, lui, synonyme de liberté ou de libération, et c’est ainsi que même les plus rétifs s’entichent de lui, cessent de se questionner, et rejoignent ses rangs. De bons petits cadres prêts à gerber. Plus riche du cimetière ou pas, c’est génial. Il y a un GENIE DU CAPITALISME qui attend son Chateaubriand.

 

                Discutant le soir avec mon amie à propos de l’EMETIQUE DU CAPITALISME, elle me fit remarquer que c’était bien vu pour la pub ALLURE. Je lui ai répondu qu’il s’agit une observation maintes fois formulée d’après laquelle le capitalisme sait travestir ses torts en atouts. Elle me dit que c’est vrai, en effet, et qu’en plus tout devient une marque sous l’action du capital ; il transforme tout en enseigne, du simple objet au concept, en passant par l’humain. De sorte que la révolution est devenue une marque à l’instar du révolutionnaire.

C’est BRAND NEW WORLD qu’il faudrait écrire pour donner suite au BRAVE NEW WORLD d’Aldous Huxley. Cette substitution d’un mot par un autre, par quoi seulement deux lettres sont remplacées, rappelle le golem. Dans wikipédia, il est écrit que « sur son front figure le mot emet (« vérité ») qui devient, lorsque sa première lettre est effacée, met (« mort »), faisant retourner l’homme artificiel à la poussière. »* Il y a de cela dans le passage de BRAVE à BRAND, une transformation de la vérité en mort dont le royaume appartient aussi à celui qui ment, c’est-à-dire le diable. Le capitalisme construit une civilisation du mensonge elle-même bâtie sur sa pulsion de mort. Celle-ci tue, et le meurtre est commis par consommation puisque, tel qu’expliqué, le capitalisme absorbe tout du même instinct qu’il encourage à gober. Le capitalisme consomme et fait consommer. Et comme tout y passe, nul ne sera étonné qu'il propose une vision si totalisante du monde qu'il en devient totalitaire.

 

* : toujours la fascinante linguistique. Ici, c’est le retrait d’une lettre, donc d’un signe, lequel, isolé, ne signifie rien, c’est le retrait, donc, qui conduit au concept. L’effacement permet l’abstraction. L’effacement est double, d’ailleurs : il est sémiologique, parce que c’est une lettre qui est effacée, et philosophique, parce que la lettre ôtée laisse la place au néant désigné qu’est la mort. Ce qui n’est plus énoncé i.e. le non-plus-signifié signifie le rien. Impressionnant.

J’en ai parlé ce matin à un collègue juif qui connaît bien évidemment le golem. Il partage mon enthousiasme intellectuel et me fait plusieurs remarques. Pour commencer, cette histoire de golem linguistique est le b.a.-ba des intellections de l’hébreu. Il m’explique ensuite que c’est une des raisons pour lesquelles les juifs tiennent l’hébreu pour une langue divine, parfaite d’abstraction, dont la construction en apparence immanente s’avère transcendantale. Il précise enfin que les linguistes hésitent quant à déterminer lequel, de l’alphabet hébraïque et de l’alphabet phénicien, fut le premier à être composé de lettres et non plus de signes. Les lettres n’ont aucun sens : c’est une fois accolées, donc mises en mots, qu’elles en ont un. Ce sont les lettres qui construisent ce qu’elles désignent, moyennant quoi les langues à lettres sont plus inventives que les langues hiéroglyphiques. Elles sont créées a priori et semblent divines parce qu’elles-mêmes créent. Les signes comme les hiéroglyphes désignent un mot qui les précède, de sorte qu’elles procèdent d’une réalité immanente et s’établissent a posteriori. Elles sont pauvres en possibilités d’abstraction. Elles peinent à énoncer ce qui est invisible attendu qu’elles ont besoin de voir pour exprimer.

 

Lundi 16 Janvier 2017 - Les millennials

                Je lis au moins dix fois par an, soit presque une fois par mois, un article sur la génération Y. La mienne, donc. Celle des actifs nés dans les années 80. C’est diffusé sur les réseaux sociaux qui relaient SLATE ou le HUFFINGTONPOST. Chacun de ces articles plaint la souffrance de la génération WHY, la génération POURQUOI - à propos de laquelle les sociologues signalent ici par la sémantique qu’elle se pose des questions. Une armée philosophale. Une race de bâtisseurs. Et qui remettrait en cause le travail en entreprise qui ne fait pas sens. Tu parles ! La farce...Quelle blague ! C’est un tas de cons prétentieux, paresseux, qui croient que tout leur est dû, et qui justifient leur farniente par une surdouance qui se remarquerait à leur sensibilité, ce côté artiste qu’il cultive à la sensiblerie. Je les connais parfaitement. La génération Y est un ramassis d’incultes nombrilistes, narcissiques, qui résument à eux seuls l’individualisme de la civilisation économique dont ils sont l’aboutissement.

                Les articles qui leur sont consacrés pointent justement qu’ils rêvent de devenir artiste, ou de créer des start-up et que dans l’attente, ils tuent le temps sur Facebook ou Twitter : ils rêvassent. Rien ne suit jamais, ou rarement. Les jean-foutre. Il ne faut pas les plaindre parce qu’ils n’obtiennent que ce qu’ils méritent. Aucune promotion au sein de l’entreprise ? Des salaires pas folichons ? Une vie sentimentale qui sent le fromage ? Du sexe glacial, recuit à l’érotisme de supermarché ? De la consommation de sape, de fripes, quand ce n’est pas d’humains ? Et tout ca voudrait méditer sur le sens de la vie ? Allons, un peu de sérieux. Les millennials sont des toccards. Pourris, gâtés, jeux vidéos dans le crâne, rarement sensibles à la musique, à la littérature, au cinéma ou à la peinture, ils les remplacent respectivement par le bruit, Musso-Lévy, la série et l’image. Alors on me dit qu’ils sont dans l’instantané. Cette formule idiote paraphrase le Tout, tout de suite qui les caractérise. Morgan Sportès, écrivain contemporain souvent mésestimé, a commis un livre sur le gang des barbares qui avait séquestré et brûlé vif un jeune juif en 2006, or ce livre s’intitule Tout, tout de suite. Que nous dit Sportès ? Et bien qu’en mâtinant les Y de violence, on obtient la barbarie. En fait de barbarie, elle existe à l’état doux en entreprise. Les Y sont des façons de drogués qu’enrage n'importe quelle entrave à leur satisfaction immédiate, de sorte que chez ces relativistes pour qui tout se vaut, une connexion WIFI trop lente, ou un collègue récalcitrant, ou un projet qui n’avance pas (mais de toute façon eux-mêmes ne foutent rien), entraîne une agression. Evidemment, elle n’est jamais physique (encore qu’il est arrivé une fois que j’observe deux millennials en venir aux mains, et on aurait dit des enfants qui se tiraient les cheveux en se brisant le poignet, avec des feulements de rat constipé) : ces couilles molles préfèrent l’intrigue, cette perfidie d’homme qui joue à la femme. Il en résulte une ambiance de méfiance où le défi devient défiance, comme si le comportement de valeur courrait à sa déchéance.

                Je travaille depuis avril 2008. Il m’a fallu six mois pour cerner les millennials.

Automne 2009. Je sors d’un entretien d’embauche dans un grand cabinet de conseil. La salle d’interrogation donnait sur une cour. J’avais observé les feuilles du dehors qui volaient. J’avais répondu aux questions avec le plus de conviction possible (le cabinet souhaiterait bientôt me recruter, mais m’enverrait une lettre énervée après que j’aurais observé un silence synonyme de mon refus de les rejoindre). Une fois libéré, je pianote dans le métro sur Facebook où j’écris « JCD : Jeune Con Dynamique ? ». Aucun like. C’est égal. Devant moi, un père d’une bonne trentaine d’années est assis et parle à deux jeunes fils comme s’ils étaient adultes. Il discute avec eux de Strindberg. Les trois hommes débattent des torts et des mérites d’un des plus grands littérateurs suédois. Quel magnifique spectacle. Les deux garçons parlent un français limpide, leur vocabulaire accompagne une grammaire irréprochable, en sorte que leur logos se déploie presque aussi vite que celui du père. Celui-ci les tance, les pousse dans leurs retranchements. Ils sont juifs, signe que leur peuple est culturel. Je suis impressionné par tant d’intelligence précoce. Il y a là une résurgence du monde d’hier, celui de Zweig, l’Europe classique et éduquée, instruite dans les arts et la pensée, et non confite dans les sigles et la comptabilité. Ha ! Le calcul, et faux encore !, est bien le fétiche de millennials scrogneugneux. Ils s’imaginent marrants, mais ils sont aussi chiants qu’un gâteux. Mettez-leur un bavoir et qu’on n’en parle plus.

 

Vendredi 13 Janvier 2017 - Le grand sommeil

                J’ai cru comprendre qu’il faut appeler désormais l’euthanasie le grand sommeil. Je me doute que l’agenda des psychopathes progressistes contient une ligne EUTHANASIE, avec une date en face, et le fait qu’il faut maintenant nuancer le propos par l’expression à demi-poétique (quel cynisme ! quelle morgue !) de grand sommeil indique que la date approche. Le grand sommeil ! Du Mao dans le texte. Au moins les néo-conservateurs sont-ils raccords avec leur histoire. Il y a beaucoup à dire mais en même temps cela se passe de commentaires. En fait de non-commentaires, les médias n’observent rien, justement, et ils se sont déjà appropriés la formule sans s’aviser de l’hénaurmité et de l’absurdité d’un délire qui banalise la mort comme d’autres ont banalisé le mal. Je remarque tout de même que la novlangue abandonne pour une fois son cortège de sigles pour se piquer ici de poésie. Mais le principe reste le même : il s’agit de prononcer ce qui ne doit pas être dit mais doit être énoncé. Le sens y perd évidemment mais c’est cohérent parce qu’il faut brouiller le message sans l’annuler. Le message est clair ? Non, mais le message est. La mort passera. En suppositoire, en pilule, en piqûre, la mort passera. ¡Ya hemos pasado! Encore un rêve prométhéen de l’Homme du progrès façon H.G. Wells qui veut se substituer à la nature et la dépasser soit en l’imitant, soit en la remplaçant – dans l’exercice de sa fonction la plus arbitraire qui est de tuer. Donner la mort devient aussi subtil que donner la vie. Philippe Muray avait raison : ce qui caractérise l’Occident est sa pulsion de mort.

                Ne pas nommer, mais dire. Atténuer la gravité, mais la faire accepter. Comme avec les enfants : il y a de l’infantilisme dans le grand sommeil. Je parie qu’ils opteront bientôt pour le grand méchant loup. Il n’aura échappé à personne que la bête est une allégorie de la mort.

 

Mercredi 11 Janvier 2017 - Cadre vs Escobar

                Prenons un cadre du tertiaire. Il est dynamique. Il a la trentaine fringante. Il porte la barbe sans cravate. Il n’aime pas la guerre ni la nation, ni son extension qui est le nationalisme. Il est, dit-il, pacifique et contre les frontières. Il s’explique avec la notion d’ « ouverture à l’autre » qui est un concept aussi vague que la théorie du care dont il est issu. Notre cadre n’ignore pas qu’au vrai, son sans-frontiérisme valide et permet la circulation de l’argent, laquelle, elle, valide et permet le capitalisme. (En civilisation capitaliste, le maître-mot est circulation). Mais il n’en conviendra pas parce qu’il risquerait d’y perdre sa bonne conscience. C’est qu’il lui faut un prêt-à-penser, c’est-à-dire une morale, par quoi il s’affirme et justifie son mode de vie. J’écris mode de vie et non vision du monde parce qu’il se fiche d’en posséder une : une weltanschauung suppose un travail préalable d’érudition et d’appropriation du savoir, or notre cadre ne s’y soumet pas. Autrement, il ne serait plus libre, alors va pour un mode de vie.

Jusqu’ici, aucun problème. Le hic surgit quand se manifeste sa manie de croire que ce qu’il pense est universel. Je lui pardonne à moitié parce que je sais qu’il a hérité sa prétention des Lumières qui l’éclairent malgré lui. Mais il n’en reste pas moins idiot et pénible lorsqu’il jure que le monde serait AU TOP s’il pensait comme lui. Son schéma est simple : qui est riche est heureux, et qui est pauvre est malheureux. Il enferme ainsi l’être dans l’avoir et réduit l’existence à l’économie. La politique ne remplit qu’un rôle supplétif consistant à couler dans le texte (lois, voire constitution) les directives économiques. C’est pourquoi notre cadre opte fréquemment pour les métiers de la banque ou de la publicité, lesquelles sont l’artillerie lourde de l’économie capitaliste. C’est Houellebecq qui dit que le libéralisme (qu’il confond avec le capitalisme) a trouvé un moyen commode d’instruire le bonheur dans le fait de gagner plus d’argent que son voisin. Notre cadre ne lui donne pas tort.

                J’étais l’autre jour à une soirée d’anniversaire. Un type fêtait ses 30 ans. Ses amis : tous banquiers. J’ai bien ri intérieurement lorsque l’un d’eux entreprit de convaincre mon amie que la seule ambition qui se respecte est celle de vivre à Londres ou à New-York, dans les grandes villes du tertiaire disons, avec un salaire minimum de 200K (lire deux-cents khas). Bonhomme brandissait un précis d’hyperclassisme. Absence de racines, nomadisme, vagabondage sexuel, aucune attache, nul honneur, et fierté crasse de ne point payer d’impôts au pays à qui il doit tout et à qui il ne rendra rien, en l’occurrence la France jusqu’à présent connue pour son éducation gratuite (connard ! ca y est, le mot est lâché).

Notre cadre n’est pas seulement pathétique, il devient ridicule lorsqu’il énumère ses grands hommes, ceux qu’il admire. J’en retiens deux : le loup de wall street (un de ces cons m’a un jour sorti « ha franchement lui je le respecte »), et Pablo Escobar. Les deux sont des sales types. Il n’y a pas que Hitler, cher cadre. Ce n’est pas parce qu’ils font de l’argent, comme on fait le Cambodge ou caca, qu’ils sont admirables. Notre cadre tourne rigolo lorsque je l’imagine face à Escobar. A priori, quand quelqu’un rencontre son idole, il la félicite, la complimente, bref, lui prouve avec plus ou moins de chaleur l’impact qu’elle a eu sur sa vie. Mais quel impact peut bien avoir Escobar sur celle de notre cadre ? C’est un pleutre, un faible, un nullard, tout ce qu’on veut, mais pas un voyou qui a au moins pour lui le courage physique. Comment donc notre cadre se tiendrait-il devant Escobar si par extraordinaire il le rencontrait ? Pour sûr qu’Escobar détecterait le bouffon qu’il effacerait d’une balle dans la tête. Quoique...même pas en fait : notre cadre serait si ému par la peur qu’il s’évaporerait par l’orifice tremblotant de ses deux petites fesses flasques.

 

Lundi 09 Janvier 2017  et Mardi 10 Janvier 2017 - MNESIS

Parisville – Ceinture HLM de classe 2 – An 2325

 

Rapport du Premier Office. Topocrate : Ted Inite.

 

               -Note de temps 1- Cercle 0-

                L’hypermnésie n’était plus un problème. Se rappeler avec précision les événements vieux de quinze ans comme s’ils s’étaient produits la veille empêche de grandir. A bien y regarder, le temps ne passe pas pour l’hypermnésique. Il a toujours quinze ans, et pendant que les agités qui lui servent de compagnie vivent avec cinq années d’avance, il se dit qu’il ne vit pas et qu’il ne sert à rien. Alors il déprime. Mais maintenant, les gens pouvaient  se débarrasser de leur trop-plein de mémoire.

                -Note de temps 2 - Cercle 01-

                La mémoire-en-sus pouvait être échangée, c’est-à-dire vendue ou achetée au sein des services du souvenir des hôpitaux. Ce vocabulaire découlait du brevet qui garantissait à la société MNESIS le monopole de la mémoire-en-sus. Le professeur Nicolas Collomb, le fondateur de MNESIS, promettait la mémoire pour tous. S’il s’était inspiré du marketing politique du XXIème siècle, son projet d’extraire la mémoire du cerveau humain n’en était pas moins sérieux. Plus précisément, il en captait l’espace. Il appelait cela l’espace vif. Il parvenait à encoder son contenu sur une planche informatique qu’il nommait planche de la conscience. Une fois ce contenu enregistré, il l’effaçait au cours d’une opération inconnue qui contredisait le bon sens mathématique : à mesure que le contenu disparaissait, la procédure mnesis créait du contenant vide. C’est l’espace vif libre que MNESIS avait entrepris de commercialiser. Les souvenirs du vendeur étaient cependant conservés au cas où il voudrait les racheter. Un jour, peut-être. Les affaires sont les affaires.

L’espace vif libre s’écoulait comme neige au dégel. L’infiltrer dans un cerveau autre ne demandait qu’à traduire des bits informatiques dans le tissu cellulaire déjà présent. Les cellules neuronales décodaient l’information envoyée sous forme de pulsion électrique et reconfiguraient les cellules disponibles. L’espace vif libre ainsi importé devenait de l’espace vif à remplir, lequel s’emplissaient des souvenirs recherchés par l’acquérant dès qu’il sollicitait sa mémoire. C’est toujours elle qui alimentait l’espace vif à remplir. L’humain gardait le contrôle mais n’intervenait qu’en fin de chaîne de substitution.

                -Note de temps 3 – Cercle 010-

                Ce fut instantanément un succès. Il était d’un côté proposé aux hypermnésiques d’améliorer leur sort sans rien débourser (au contraire, même, puisqu’ils étaient payés). Et de l’autre, la demande touchait les personnes en manque de capacités cérébrales qui désespéraient de se remémorer une situation qui leur tînt à cœur. Un parent qui avait perdu son enfant. Un fils orphelin de mère. Un amoureux éconduit. Bref, n’importe quel être humain désireux de revoir l’invisible devint client de MNESIS.

Le génie du professeur Collomb est certain. Il avait compris au terme d’expériences originales sur le temps que la mémoire humaine est potentiellement infinie. Il expliquait que cette infinité remet en cause l’oubli, il parlait de déni non-voulu, ou de déni subit, et que d’autre part elle entre en contradiction avec le support fini du cerveau. « Le cerveau reptilien, puis le cerveau limbique, et enfin le néo-cortex, c’est bien joli tout ca, même très beau, mais ca ne résout pas l’équation posée par l’abstraction : où la stocker quand l’espace dont le cerveau triunique dispose ne suffit plus ? » avait un jour confié Nicolas Collomb. « Ce n’est pas un problème de traducteur, ni de traduction, le cerveau traduit n’importe quoi, c’est uniquement un problème de place de traduction dont la limitation cause l’absence de matière à traduire, ici les souvenirs. En l’état de mes recherches, je ne peux que croire que le déchet mémoriel est aléatoire. Il semble que le cerveau ne connaisse pas le tri sélectif, cette ânerie typique XXIème siècle. » avait annoncé le professeur Collomb au magazine REPTILE. Quant à savoir comment il avait établi l’infinité de la mémoire, là-dessus, il restait coi. Quoi de plus normal ?, c’est là que résidait son tour de force. C’était un être nourri de philosophie et de mathématique. Sans doute Lobatchevski avait-il inspiré cet iconoclaste convaincu de la circularité du temps. « Le temps circulaire n’est pas un concept, ni une idée, mais une intuition m’a-t-on enseigné. Voire ! J’ai démontré que c’est plus que tout ca réuni : c’est une réalité. L’infini sur un cercle devient une répétition. MNESIS repose sur cette astuce. »

                -Note de temps 4 – Cercle 0101-

                Le hic débuta quand les oublis redevenus souvenirs troublèrent l’ordre social. Comme toujours, tout est un problème d’échelle et le cas MNESIS ne fait pas exception. Avec un individu, voire une dizaine, tout se passait sans mal. Mais quand une ville entière s’entiche de son passé, les psychopathes sortent du bois. Il faut dire que la psychanalyse avait bien préparé le terrain. « So XXIème siècle… » disait Collomb.

                Meurtres, corruptions, non-dits de famille - toute l’eau croupie et chargée de tout ce que l’Homme veut oublier charriait son désarroi. Il y avait du Prométhée chez Nicolas Collomb, et s’il n’avait pas amené le feu, sa découverte risquait de tout brûler. A croire que le déni non-voulu n’était pas fortuit, et qu’il se frottait à sa négation : le déni subit n’avait-il pas été voulu ? Plus que le professeur, c’est l’Homme qui posait question. L’énigme était totale. L’hypermnésie devait redevenir un problème.

 

***

 

Parisville – Ceinture HLM de classe 2 – An 2325

 

Rapport du Premier Office. Topocrate : Ted Inite.                                                                                

 

                -Retour sur - Note de temps 2 - Cercle 01-

Le passage de contenu à contenant vide, c’est-à-dire d’espace vif à espace vif libre, en s’énonçant comme tel, est réprimé par l’intelligence mathématique. C’est qu’il faut adjoindre à la mathématique la biologie qui la transcende. Le professeur Collomb fut un opérateur transcendantal. Les religions des siècles non circulaires furent les premières à développer l’idée d’une chair, donc d’un corps, non immanents. C’était une intuition. Nicolas Collomb a démontré qu’elle est réelle.

 

                -Note de temps 5 – Cercle 01010-

                Personne ne dispose de l’espace vif capable de contenir sa mémoire infinie, précisément parce que le cerveau ne l’est pas.

                La clé...c’est la clé qui sépare les individus : la traduction des parcelles d’abstraction de la mémoire ouvre des portes à proportion des capacités individuelles. Plus il y a d’espace vif chez un individu, plus la clé passe partout, ou, semblablement, plus il y a une organisation cellulaire apte à traduire ce que la mémoire réserve au cerveau. Cette organisation cellulaire est la clé. Elle force d’autant plus qu’elle s’étend. L’optimisation hypermnésique n’est en définitive qu’un problème d’étendue. Certaines personnes sont telles qu’à la naissance leur espace vif est plus vaste que chez d’autres. Ceux-là sont les vendeurs. Ceux-ci sont les acheteurs.

 

                -Note de temps 6 – Cercle 010101-

                Il est demandé à Ted Inite d’empêcher que le commerce mémoriel ne soit remplacé par le troc de l’intelligence. Dit simplement : l’échange de points de QI se substituerait à l’échange d’espace vif, or c’est à éviter. Problème déjà relevé par le professeur Collomb qui pointait les possibles dérives de sa découverte. L’emballement menaçait parce que Collomb savait que de nouveaux marchés ouvriraient, et pour peu que l’état s’en mêlât et les interdît, ils conduiraient aux contrebandes, aux pirateries, bref, aux mafias les plus dégueulasses que l’esprit humain eût engendrées parce qu’elles feraient commerce des âmes. Fatalement, Collomb aurait alors été plus proche du diable ou de Faust que de Prométhée. C’était sa hantise, l’ange fait la bête, mais c’est bien lui qui avait encouragé l’économie de l’espace vif, et ce faisant, il avait soit faustisé, soit diabolisé l’humanité. Tout homme vendait désormais son ombre ou achetait une aura. Bientôt on troquerait sa peau.

 

                -Note de temps 7 – Cercle 0101010-

                Wikipédia – An 2017 (cercle point) :

                « Dans le conte de Chamisso, la bourse de Fortunatus se présente comme une bourse ordinaire, remplie de pièces d'or ; quand on y puise, elle se remplit aussitôt. Elle est proposée à Peter Schlemihl par un homme en gris, le diable, en échange de son ombre. Après avoir accepté le marché, le héros réalise bientôt qu'il s'est mis à l'écart de la société humaine ; cette absence d'ombre devient le centre de ses problèmes, mais il refuse de céder son âme pour la récupérer ; il finit par prendre la bourse en horreur et s'en débarrasse. Sa vie s'achève dans la misère, mais sa faute est rachetée. »

               

                Des tracts furent distribués par Ted Inite et son collège de dix topocrates. Les plis contenaient l’histoire de Fortunatus. Le conte vient de la zone d’épi forestier circulaire, anciennement baptisée Allemagne, et reprend le thème de l’hubris parce que l’homme amputé de son ombre perd la mesure de soi. Ted Inite pariait qu’à force, l’ombre et l’oubli deviendraient synonymes et rappelleraient les hommes à la raison.       

                La topocratie n’applique pas de contrainte physique. Les enceintes sans quadrature, autrefois prisons, ont disparu depuis le mitan du XXIIème siècle. Nous préférons la coercition positive par l’entendement. Nous nous fions à l’intelligence des circulants de Parisville de sorte qu’il n’existe plus de cette propagande pensée par les topocraties linéaires du XXème et XXIème siècles. Elles tenaient les gens pour bêtes. Nous ne lavons pas les cerveaux mais exigeons qu’ils se nettoient. Nous leur indiquons une démarche au lieu que d’imposer une marche à suivre. Les travaux sur la cognition hérités du XXIIème siècle ont démontré que la contrainte provoque un déséquilibre neuronal tel qu’elle conduit à la folie, mère des séditions. La folie est le résultat d’une envie de fuite contrariée. Substituer le conseil à l’ordre promeut l’équilibre qui coupe l’envie de fuir et par là-même protège de la folie et l’Homme, et la société tout entière.

                La découverte de Nicolas Collomb avait ceci d’étonnant qu’avec elle affluait la folie alors que la mémoire-en-sus annulait la contrainte de l’oubli. Durant son cercle de questionnement, Collomb avait commenté le phénomène d’un laconique « retour du refoulé », soupir de la théorie psychanalytique linéaire.

La mort de l’oubli déséquilibrait l’être humain. « Nouvelle mort de Dieu ? » se demandait le topocrate Ted Inite. C’était pourtant, factuellement, une absence de contrainte. Sans doute la liberté de se rappeler était-elle trop explosive, et qu’à force de se retourner sur son passé, l’Homme était tué par ses fantômes. Remonter le temps inversait le mythe d’Orphée parce que mourrait celui qui regardait. L’introspection non circulaire qui est linéaire conduit donc au contraire de ce que promet le temps orphique : en apparence similaires, temps orphique et introspection non circulaire font penser à la nostalgie, seulement celle-ci se voit ici privée de l’oubli, or une fois sans illusion, la nostalgie confine à l’angoisse. Et cuite aux souvenirs au lieu qu’à l’espoir, l’angoisse portait à la folie. Ted Inite estime que ce que les hommes d’il y a 300 ans désignait avec leurs perspectives d’avenir, soit leurs espérances et leurs envies, est l’avers de l’espace vif à remplir parce qu’alors cette pièce bat la même monnaie d’aliénés. D’abord les angoissés, et maintenant les fous.

                Il fut entendu que le temps de l’introspection linéaire s’appellerait le temps dysorphique. Synonyme : cacoorphique ou cacorphique.

 

Vendredi 06 Janvier 2017 - Spiritisme

A Nicolas

Quelques mots sur le spiritisme

                Alors que je lisais hier soir le cahier de L’Herne consacré à Michel Houellebecq, je reçus un message de N. dans lequel il me demandait si je manifestais quelque intérêt pour le spiritisme. Sur le coup, je ne lui réponds pas, parce que je suis absorbé par ma lecture, mais je lui promets de lui en parler le lendemain.

                Je dois convenir que je n’ai vécu aucune expérience spirite bien que j’y aie été confronté durant mon enfance. Je lis des blogs consacrés aux esprits, consulte des forums, mais rien ne me retourne autant que mes souvenirs.

Je me souviens donc qu’à l’âge de 10 ans, lorsque je vivais à Casablanca, mes camarades étaient fous de paranormalité où s’entremêlaient la tradition spirite européenne, c’est-à-dire la romantique, celle du XIXème siècle et de sa pulsion de mort, celle qui convie les défunts à sa table ronde - et l’Orient occulte, ésotérique, tout droit venu de Babylone, passé maintenant au Coran et à la main de Fatma. D’après mes amis, celle-ci protégeait des esprits négatifs au même titre que le livre sacré des mahométans.

Les gamins appelaient les esprits au cours de séances qui se tenaient après les classes, en marge des boums, voire même dans les dortoirs de nos voyages scolaires. Après quoi ils racontaient la bougie qui vacille, les murs qui cognent et les verres qui bougent. C’était fascinant. Tout cela m’effrayait tant que je me contentais uniquement d’apprendre à leur contact les règles de leur jeu que je trouvais dangereux. Je connaissais par cœur leurs aventures, et savais sans jamais avoir pratiqué comment distinguer un esprit méchant d’un esprit gentil ; je pouvais expliquer à quel moment la main de Fatma devait servir, tandis que le Coran, lui, n’était brandi qu’en dernier recours afin de casser la dynamique d’un esprit toxique.

Mon meilleur ami de l’époque était un pragmatique. Il ne croyait pas à ces fumisteries même s’il ne doutait pas de la bonne foi des pratiquants. Alors un soir de fête, il se joignit à eux. J’attendais seul dans le jardin. Il revint et me dit d’un ton très sûr mais peu inquiet que « le verre a bougé ». Comme à son habitude, il justifia cela par la télépathie, ce qui est au moins aussi mystérieux que l’explication paranormale. Car qu’est-ce que la télépathie ? Est-on sûr que l’Homme en sera jamais doué ? Télépathie, prescience, immense conscience, tout cela concourt en l’idée d’Einstein selon quoi notre cerveau ne serait utilisé qu’à hauteur de 10%, de sorte que s’il l’était à 100%, il procurerait des capacités insoupçonnées. Des pouvoirs magiques ? Pourquoi pas. Mais nul n’en est aujourd’hui assuré. Bref, « le verre [avait] bougé ».

                Mes parents, pas trop portés sur le mysticisme, m’ont pourtant eux aussi raconté avoir fait se mouvoir les verres lorsqu’ils étaient étudiants. Un cousin de mon père dont j’ai pu vérifier les talents de médium (étrange, cela aussi) les avait initiés à la chose, et si cela les divertissait, mon père se rappelle que le verre s’était une fois déplacé sur les chiffres et les lettres placés en cercle le long de la bordure de la table pour indiquer qu’il serait reçu au concours de sciences-po avec la note en économie qu’il obtiendrait effectivement. Ma mère me parlait d’une maison hantée dans son village natal. Nul ne s’y risquait, tous affirmaient que les chaises y volaient. J’avais moqué son histoire et mon père m’avait conseillé le scepticisme, preuve qu’en la matière, lui, un pragmatique qui oscille entre sensibilité et positivisme, c’est-à-dire qu’il fonctionne à l’intuition, ne savait pas quoi penser. Contrairement à mon ami du Maroc, il n’affichait aucune certitude, et reste encore perplexe face à la paranormalité.

                Je sais bien que ces histoires en feront rire plus d’un. Elles ressemblent davantage au dernier dossier Warren qu’à un fait divers tiré du réel. Mais précisément, c’est irréel, et pour me plagier, cela devient surréel pour ceux qui le vivent lorsque cela se manifeste dans leur réalité. Pour de vrai, comme nous disions enfants. C’est le réalisme fantastique du MATIN DES MAGICIENS de Louis Pauwels et Jacques Bergier, livre merveilleux. On y apprend que le spiritisme appartient au folklore européen, bien avant le XIXème siècle romantique comme je l’ai mentionné plus haut.

Ce XIXème siècle que d’aucuns qualifient de stupide, fut à la fois mystique et scientifique. Il mélangea sciences, religion et croyances dans un syncrétisme qui est le scientisme. Ce dernier ébranla jusqu’aux plus grandes intelligences créatrices comme Victor Hugo qui, dévasté par la mort de sa fille, tenta de communiquer avec elle dans l’au-delà. Il y eut également Conan Doyle qui tua Sherlock Holmes afin de se consacrer à ses séances spirites. C’était une mode, mais pour Doyle c’était un jeu doublé d’une passion dont on retrouve la nature fantastique dans LE CHIEN DES BASKERVILLE. Quant à Holmes, ce fut sous la pression du public que Doyle dut le ressusciter alors qu’il s’était sacrifié pour vaincre Moriarty.

Issue d’une certaine façon du scientisme, la psychanalyse se pique de spiritisme avec Jung. Je connais mal cet écrivain (parce qu’il s’agit d’un écrivain ! : pour avoir lu ses interprétations de la psyché humaine, je peux témoigner de cela) je le connais mal, donc, mais je garde en tête une scène (qui eut vraiment lieu) du film A DANGEROUS METHOD de David Cronenberg qui raconte la relation entre Jung et Freud. Dans cette scène, les deux se trouvent dans un bureau. Jung présente sa théorie d’un Grand Tout où s’uniraient si bien l’animé et l’inanimé que les objets et les êtres vivants d’une même pièce vibreraient avec la même énergie. Il y a beaucoup du monisme de D.H. Lawrence là-dedans, c’est-à-dire l’idée que le monde n’est constitué que d’une seule substance. Un tel monde ne s’appréhenderait qu’à la condition qu’à la raison se substitue la sensation, et c’est là l’intérêt principal de l’œuvre de ce grand mystique de D.H. Lawrence. Bon, le film de Cronenberg maintenant : alors que Jung s’explique, il entend craquer un meuble, il s’écrie alors que c’est une preuve que le meuble vit de leur présence et qu’il communique avec eux. Conneries ! lui répond Freud, et le meuble de se faire entendre à nouveau. Et Jung de se réjouir : encore un signe ! Encore un signe que le meuble vit de sa psyché à lui, Jung, et que l’inanimé s’anime grâce à son esprit. Ainsi Jung attribuait-il aux objets qui s’activent un esprit instillé par une façon de télépathie, de sorte qu’il tempérait et le pragmatisme obtus, et la croyance aux fantômes. Je cesse ici d’écrire à N. Je sais bien qu’il restera sur sa faim. Il est un esprit trop curieux pour que je le rassasie, mais il se trouve que c’est un connaisseur de Jung dont il étudie l’œuvre depuis quelques années. Conclure avec Jung n’est pas une mauvaise chute, je crois.

 

Jeudi 05 Janvier 2017 - La chasse

                Depuis l’apparition du smartphone, le quotidien du cadre en entreprise se partage entre ses tâches informatiques et les réseaux sociaux. Plongé qu’il est dans le monde d’images qu’il contribue à créer, le réseau social propose des photographies et des vidéos. Quelques touits de Twitter disputent à des statuts Facebook les abstractions en ligne, mais le réseau social progresse comme il dégénère, c’est-à-dire qu’il se réduit de plus en plus à ce qui tend le mieux à le persévérer dans son être, à savoir l’image. En sorte que le réseau social le plus abouti (en tant que réduction à son principe essentiel) est Instagram. Rien que des animations.

Je me suis entiché d’Instagram en 2016. Je m’y connecte pour mater des vidéos et des photos qui défilent sur l’écran de mon téléphone. Je me distrais. Le taff est ennuyant. Je me suis abonné à des pages canines à cause de mon amour des chiens. Hier, j’ai été touché par deux jeunes braques de Weimar qui jouent avec les pieds de leur maîtresse. Quelle beauté chez ces bientôt mâles ! Comme il faut bien tirer quelque enseignement de ce que je visionne – autrement ce serait vraiment du temps perdu – j’ai lu à propos du braque de Weimar sur wikipédia. J’y apprends que c’est un chien de chasse de la famille des chiens d’arrêt. Je m’intéresse alors à la chasse au chien d’arrêt. Comme n’importe quel chien, le chien d’arrêt descend du loup chez qui l’instinct le poussant à fixer sa proie a été développé après moult croisements et diverses sélections. Un tel chien de chasse, une fois devant sa proie, s’arrête avant de fondre dessus. Dressé par l’homme, il bondit après son ordre, on dit alors qu’il coule, mais il existe certaines races qui n’ont pas besoin d’être exercées tant leur instinct de fixité a été renforcé. C’est le cas des épagneuls bretons qui regardent le gibier sans bouger, dès l’âge de deux mois. Chez d’autres, c’est au bout de deux ans que de telles facultés apparaissent. D’une race de chien d’arrêt à l’autre, il y a des différences amplifiées par l’individualité propre à un chien donné, c’est-à-dire par sa généalogie et sa filiation génétique, ainsi que par le dressage, donc par l’homme et par la relation qui s’ensuit entre le maître et son chien. Il en ressort plusieurs styles de chasse à l’arrêt qui ressortissent à la race, au chien que l’homme s’est choisi, et enfin à l’homme à qui le chien obéit, les deux étant liés par une amitié que dépasse leur discipline. J’ai noté ce passage dans wikipedia : « Chaque race possède des qualités qui lui sont propres comme leur allure à la quête, leur façon de prendre et travailler l’émanation et même de prendre l’arrêt. Ces différences font la fierté de chacun des amateurs de chacune des races. C’est même un sujet de discussion parfois enflammée entre des amateurs de races différentes. » J’imagine effectivement les conversations qui dominent les tablées de chasseurs. Cela doit donner lieu à de formidables envolées qui mêlent la chasse aux conditions humaine et animale qu’elle emmêle aussi, justement.  Elle les arrête devant le sens de la vie. Grâce à Instagram, je comprends maintenant l’intérêt et la raison d’un livre comme le Dictionnaire amoureux de la chasse de Dominique Venner.

                La chasse au chien d’arrêt utilise ses capacités de souffle et de flair. Celui-ci se place face au vent qui porte les odeurs. Une fois son odorat activé, le chien entreprend de localiser sa proie dans un cône dont la pointe est le lieu où se trouve l’animal à traquer. Le chien avance en zigzaguant : tant qu’il sent, il sait qu’il n’est pas sorti du cône. Ainsi en identifie-t-il les parois. Il délimite le périmètre. Certains chiens trottent davantage qu’ils ne galopent, mais tous alternent, de sorte que le maître plus ou moins endurant doit avoir habitué son chien à ses capacités, ou alors doit-il le tenir sévèrement ou carrément se mettre au diapason de l’énergie de son compagnon. Tout dépend de l’homme et de la bête, de leur relation, et du style recherché. Lorsque le chien a repéré le gibier, il stoppe. Il fonce dès que le chasseur lui ordonne, et alors le lapin détale, l’oiseau s’envole. Le chasseur voit enfin ce que le chien a débusqué. Armé de ses réflexes et de son fusil, il peut tirer. Ici la chasse devient un jeu. Toute sa dimension ludique ne se concentre qu’en cette chute permise par un long travail de piste au cours duquel l’homme et le chien se sont parlés et compris. Autrefois, cela offrait au foyer la nourriture nécessaire à sa survie : le chien en était plus que le meilleur ami : il en était l’allié. Sans lui, comment traquer ? comment fouiller les broussailles ? comment manger ? Il est évident que le rapprochement entre le loup et l’homme dont le descendant est le chien n’est pas la lubie d’une espèce qui décida d’apprivoiser l’autre. Aucun petit prince à l’origine. Il est une question de nécessité. Alléché par les odeurs de cuisine que l’homme pratiquait autour du feu, le loup se soumit en période de disette à qui le nourrissait*. La chasse au chien est un retour à l’envoyeur. L’homme fabriqua le chien en séparant la violence du loup de ses instincts utiles. Ainsi allait s’instaurer la communion de deux groupes d’êtres vivants qui célèbrent la vie et rappellent la mort dans leur activité sacrée : la chasse.

 

* : il se dit que les caresses hypnotisent les animaux et fascinèrent certainement le premier loup à s’accoler à un homme. L’idée est d’autant plus plaisante et poétique qu’elle assure à la main un rôle important dans la partition que l’homme a jouée pour devenir l’être d’espèce la mieux adaptée à la planète. La sexualité humaine mobilise autant de sens que la sexualité animale, mais chez elle, le toucher se substitue si bien à l’odorat que la main sollicite la vue. Cette substitution par la main (c’est dire son importance) est le seuil qui déclenche les abstractions par l’œil et le symbolisme qui s’ensuit, lequel, poussé à son point de développement définitif, aboutit au langage. Et le baiser devient le premier contact amoureux. La bouche est ce que l’amour convoite le plus. Freud l’expose dans des pages admirables dans son MALAISE DANS LA CIVILISATION.

 

Vendredi 30 Décembre 2016 - Roulez vieillesse !

                Je me rappelle parfois ces potes de promotion qui revenaient de leur stage d’été en banque d’affaire. Nous avions quoi, 23-25 ans à tout casser. Un summer. Nous étions impressionnables, nous qui n’avions pas réussi à en dégoter. Mes entretiens s’étaient mal passés : pas assez motivé, pas assez dynamique, pas assez corporate, pas assez « travail en équipe », pas assez tout court n’est-ce pas, et sans doute pas assez saxon. J’avais pourtant la conviction que j’étais trop, et que je finirais par emporter la mise. Je ne parle pas d’argent, je n’en ai jamais rien eu à secouer, j’entends ici la mise de la vie, devenir ce que je suis, agir et non être agi. Alors je mentionnais Nietzsche aux summerisés, ainsi que son cortège de forces agissantes, et j’expliquais que j’appartiendrais à ce champ de forces, et ils riaient en me traitant de fou. Mais justement, fou, et c’est pour ca qu’au moment du jugement dernier, le Grand Fétiche me désignera moi, et non vous, bande d’agi-tés. Se sentant dépassés ou simplement insultés, ils reprenaient la parole et me confiaient avoir déjà commencé à mettre de côté pour la retraite. Ils me chuchotaient ca, farauds dans leur jean-slip diesel de petit con à la mode. Le poète, ainsi qu’ils me sous-nommaient pour se moquer, haha et hihi et hoho, acquiesçait d’un air entendu. J’observais que pour de futurs financiers qui joueraient avec des millions, leur précaution, en plus d’être prématurée, a-t-on idée de prévoir sa vieillesse quand on a moins de 30 ans ?, était schizophrénique, et j’ajoutais que non, vraiment, je ne situais pas la prise de risque. Je pointais aussi leur arrogance : chacun est-il jamais certain de passer au travers de cinq-six décennies sans en connaître les aléas qui sont l’accident, la maladie, ou n’importe quelle autre contingence qui décide que tout âge peut être le dernier ? C’est cette question qui est une manière d’affirmation qui me conduit à dépenser tout le peu que je gagne, en plus de l’éducation de mon père qui m’a montré à détester les radins. Et c’est cette absence de question, qui est synonyme de certitude ou encore de mensonge, qui vide le cadre dynamique de sa substance philosophique ; c’est elle qui lui fait oublier le tragique de l’existence et le conforte dans le paradoxe qui veut que sa vie soit grave en apparence mais légère en essence.

                Tous les summerisés sont bankers à Londres aujourd’hui. La petite trentaine avec soit le bide accompli, soit la musculature du rat de la salle de sport à qui on aurait tant soufflé dans les fesses que son cœur en aurait été atrophié, réduit à un haricot sec, tout près de calancher. Je les recroisais lorsque j’allais en week-end à Londres avant d’avoir trente ans. J’atterrissais dans quelque soirée d’appartement, il y avait de l’électro, des fashion-victims déguisés en guerriers tatoués mais qu’un coup de fusil aurait suffi à effacer par la simple peur qu’il provoquerait, des mannequins occidentales et afros, et eux, mes summerisés, toujours en futal diesel, tous à développer leurs arguments de drague à base de salaire, de bonus, de noms de banque ronflants, et à me chambrer comme si j’étais un agi et eux des agissants...

 

Jeudi 29 Décembre 2016 - Moi, dactylo

                Il y a d’étranges coïncidences, parfois. Alors que j’écrivais hier à propos de mes supports d’écriture, j’ai saisi ce matin un cahier que j’avais laissé sur mon bureau. Je le croyais vierge ; alors je décide de l’utiliser comme carnet de vocabulaire anglais ainsi que mon père procédait – il notait tous les nouveaux mots qu’il lisait ou entendait, et c’est ainsi qu’il apprit l’anglais et l’italien, puis qu’il me transmit ces langues en me confectionnant de tels cahiers et en m’en dupliquant certains des siens. Or intact, mon cahier retrouvé ne l’est pas : il contient deux textes que j’avais écrits en Mars 2016, deux textes inégaux mais oubliés, donc, sur un support papier, et qui se rappellent à moi après que j’eus évoqué la veille l’anarchie matérielle de mes écrits.

                Je les retranscris, datés :

 

Le 24 Mars 2016 – Jeudi – La Défense – Société Générale

                L’arme nucléaire rend la paix possible en annulant la guerre. Limonov parle de paix atomique. L’acte de guerre est désormais un simulacre de ce qui pourrait se passer. Pas étonnant que les terroristes se fassent exploser. Ils cherchent à reproduire ce qu’une vraie guerre, avec les vrais moyens du temps, permettrait de réaliser, à savoir la desctruction de tout, des autres et d’eux-mêmes. Les terroristes doivent mourir aussi, et ils s’en assurent, et ils doivent mourir parce qu’en guerre nucléaire, l’assaillant et l’assailli meurent tous deux. C’est l’acte nihiliste par excellence.

 

***

 

                Dans la société massique de la ferme aux mille animaux (à détailler), comment s’étonner que la vie ne soit pas davantage respectée que la mort ? Appliquée à l’humain, cette manière de stocker le vivant crée une société démo-massique.

                Les gens gris des villes le sont aussi par ce qu’ils mangent. Un oncle me disait qu’ « on creuse sa tombe avec ses dents », c’est-à-dire avec ce qu’on mange. Comme on fait son lit, on se couche. Bref, manger à la cantine-poulailler de la viande issue d’un animal broyé vif, avec ses poussins hachés vivants, établit entre le met et l’Homme un lien plus fort que le geste, disons-le tout net : le lien est mystique, et cette mystique qui s’inscrit dans la chair, si elle est de mort, comme l’est l’industrie agroalimentaire moderne, ancre la mort dans la personne qu’elle nourrit. Cette mort, c’est le cancer.

 

Le 25 Mars 2016 – Vendredi – La Défense – Société Générale

                Il s’agit de distinguer qui est le plus heureux du glandeur lecteur et du travailleur aisé. Pour cela, il faut se munir d’un critère qui serait ici le plaisir pris dans son activité. Il s’agit donc de savoir qui se plaît le plus dans la vie entre le glandeur lecteur et le travailleur aisé. Le premier est libre et semble sain. Le second est prisonnier et paraît gris (cf le deuxième texte du 24 Mars 2016). En sorte que la situation la plus enviable est celle du glandeur lecteur – entendu qu’être heureux est l’ambition universellement recherchée.

 

Mercredi 28 Décembre 2016 - Vade Mecum

                Chacun des membres du club des 27 pourrait dire qu’il est mort à 27 ans mais qu’il a connu tous les âges de la vie.

 

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                Dans LIRE AUX CABINETS, Henry Miller raconte qu’il n’a jamais autant lu que lorsqu’il empruntait les transports en commun. Chahuté par la foule au milieu de quoi les travailleurs l’engonçaient, tas tout travaillé, il lisait. Bruit, déséquilibres, bousculades : rien à faire, il lisait. J’ai développé en huit ans de vie active les mêmes capacités de lecture que Miller. Le bruit de la ville combiné au mouvement humain ne m’empêche plus de bouquiner. Je peux penser et réfléchir en milieu hostile au penseur. Les artères urbaines et lieux de ville sont bien ces chiottes dont parle Miller, mais je parviens à m’y concentrer malgré les sollicitations. L’open-space ne m’effraie plus. Sirènes, sonneries, portes qui se ferment dans le métro et les ascenseurs, rien n’y fait : je lis. Rien qu’en cela, je suis devenu un lecteur coriace. Mes idées ne m’échappent jamais, excepté en cas d’extrême fatigue. J’ai développé une agilité et une souplesse de pensée qui  n’incommodent pas la rigueur. Je crois bien que je suis devenu avec le temps, l’effort, l’abnégation, et le refus de céder aux agressions qui chez beaucoup démolissent la vie intérieure, je crois bien, donc, qu’avec tout cela, je suis devenu un lecteur d’élite. La discipline. Persévérer dans son être.

J’applique le même principe à l’écriture. C’est-à-dire que j’écris n’importe où : bureau, métro, train, avion, voiture, je note toutes mes pensées, et sur n’importe quoi : papier, cahier, post-it, Smartphone, ordinateur, peu me chaut, je prends tout ce qui matérialise mon esprit. Toute prothèse convient. Je crois bien que c’est ca un écrivain, du moins dans la démarche et l’intention. La mise en situation chez soi à son bureau sinon rien ? Ha ! Quelle farce ! Souvent une frousse d’écolier ! Déjà, c’est la situation qui se met dans l’écrivain. Et pour finir, s’il est vrai que le retrait sur l’Aventin fonctionne, son moment ne détient pas l’exclusivité de la création.

 

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                Mal de dos, mal du siècle ? Vrai. L’Homme est fait pour vivre debout à chasser et à explorer l’espace et le temps. Assis, il se ratatine au point d’exercer sur ses disques lombaires une pression deux fois supérieure à celle encaissée debout. L’Homme est un bipède, pas un fessu. Autrefois, il s’asseyait pour se reposer, de sorte que le siège ne représentait en temps que 10% de celui qu’il consacrait à sa journée. Un peu comme le chien qui se dresse exceptionnellement sur ses deux pattes de derrière. Maintenant, demandez à un cabot de passer 75% de sa vie ainsi juché. Allez, demandez-le-lui ! Ne croyez-vous pas qu’il en pâtirait ? Qu’on l’y forçât et sans doute créerait-on une nouvelle race canine plus armée pour résister à ce que l’existence exige d’elle. Mais quel chemin de croix avant le produit fini, enfin adapté à la nouvelle stase ! L’Homme connaît en ce moment les balbutiements d’une race neuve qu’il se crée. Il est lancé vers le bonhomme au gros cul, à reins lourds et disques pesants, lesquels lui permettront de rester assis sans qu’il soit à la fois son bourreau et sa propre victime. Pas envie de voir ca . Ces gens seraient laids. Ho, attendez, c’est déjà le cas...

 

Mercredi 23 Décembre 2016 - L’homme spéculaire

                Hier encore, je remarquais à l’exposition impressionniste qui se tient à la fondation Louis Vuitton que les visiteurs prennent davantage en photo les tableaux que le temps de les regarder.

Il existe aujourd’hui un besoin d’aide médiate pour apprécier ce qui est montré. Untel se sert désormais de l’écran de son appareil photographique ou de son smartphone, et un autre de celui de sa télévision, pour tout simplement voir. Ce qui est montré n’est ni regardé, ni vu, ni plus contemplé parce que l’immédiateté qu’on trouve chez le contemplatif en contact direct avec son objet a été expulsée du comportement anonyme.

Je n’écris ici rien de nouveau puisque je reprends à mon compte ce que Guy Debord dévoile dans LA SOCIETE DU SPECTACLE, à savoir que l’Homme moderne ne sait plus faire preuve d’interprétation immédiate. Un appareil médiatique est nécessaire. L’événement, pour user d’un exemple parlant, ne sait plus être pensé sans qu’il ne soit présenté via l’écran placé entre le spectateur et les journalistes. Un autre exemple qui, en plus d’être celui choisi par Guy Debord pour résumer sa pensée, a l’avantage d’illustrer la culture du narcissisme : dans la société du spectacle, nul ne se voit plus que dans un miroir qu’il place entre son reflet et lui, c’est-à-dire entre ce qu’il voit de lui et ce qu’il ne regarde pas chez lui. Debord utilise l’exemple du miroir pour faire comprendre que la société du spectacle n’est pas celle du cirque, ni du cinéma, ni de la publicité (ce qui constitue une compréhension lapidaire de son livre phare), mais celle de l’écran ou de la médiation qui s’interpose entre le sujet et l’objet. De sorte que la société moderne n’est pas spectaculaire mais spéculaire.

Je me demandais hier si ces gens, tous armés de leur PANASONIC dernier cri, avaient conscience ou non de personnifier le personnage spéculaire de Debord.

 

                Les livres MISERES DU DESIR d’Alain Soral et LE PREMIER SEXE de Zemmour expliquent que l’homme connaît des troubles du désir parce que son regard sollicité par des images de corps féminins parfaits est déçu par ce que la réalité lui offre.

                Disons tout de suite que l’homme est victime d’une imposture parce que les corps projetés sont dotés de courbes impossibles, donc retouchés.

                J’ai déjà écrit sur la surréalité que j’ai définie par une réalité qui se dépasse elle-même. J’ai expliqué que si la surréalité braque le réel, et que si elle est popularisée, c’est-à-dire étendue, c’est alors la réalité qui devient surréelle, en sorte que le surréalisme prend possession de l’image : c’est précisément ce qu’est notre société d’images : une société surréaliste. La société spéculaire est une société surréaliste. Tous ces hommes abrutis de fesses lisses et rebondies rappellent les personnages dingos de L’HERBE ROUGE et de L’ARRACHE-CŒUR de Boris Vian. Il leur faut, pour apprécier la beauté d’une femme, un écran qui leur propose ce qu’ils doivent voir. Si l’écran tombe, la réalité surréelle déchoit et revient au réel, puis se manifeste à l’homme dans son immédiateté nue, qu’il ne sait ni voir, ni regarder, ni plus contempler, ni donc désirer. C’est ainsi que la femme du quotidien comme dirait Soral est ignorée par l’homme spéculaire. Toujours il se sent trahi, parce que la réalité est inférieure à la surréalité. Gavé de désirs pour ce qui n’existe pas en dehors de l’écran, l’homme est mis au supplice lorsque rien ne s’interpose entre lui et la réalité crue. Il s’effondre lorsque la société du spectacle lui dévoile ses coulisses. Débandade. Alors il lui faut se rassurer, et c’est toujours en quête d’un écran, plus que de la femme parfaite elle-même, que l’homme concourt au développement de la pornographie. Là, sur YouPorn, il est enfin calé derrière son ordinateur et trouve la joie de l’érection. Le chef-d’œuvre de Joseph Gordon-Levitt DON JON est un film qui couvre tout le sujet.

Reste maintenant à savoir si des femmes inondées de photographies d’abdominaux deviendraient les égales des hommes, c’est-à-dire des femmes spéculaires.

 

Mardi 22 Décembre 2016 - O artistes !

                Les traders de wall street vivent à Greenwich Village, le quartier bohème de New-York. De sorte qu’ils fréquentent les habitants du coin et se prennent mutuellement pour des artistes. Ce qu’ils ne sont pas, vu qu’ils sont tous des financiers et que la gentrification de Greenwich par la finance en a expulsé les artistes. Commentaire superficiel : les gars de la finance sont stupides, ridicules, risibles, idiots, bref, absolument cons. Commentaire profond : comme beaucoup d’être humains, ils rêvent d’être ce qu’ils ne sont pas, et se réalisent dans un succédané obtenu par leurs fréquentations. « Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es » ? Encore une fois, ils ne traînent qu’entre traders, donc l’adage ne nous dit rien, ici. Sans doute espèrent-ils combler avec l’argent le déficit de personnalité contracté auprès de celle qu’ils ambitionnent de développer. C’est une stupidité supplémentaire parce que l’artiste est pauvre. On connaît le bourgeois-bohême qui est ce riche qui joue au pauvre, c’est-à-dire qui dépense son fric pour se déguiser en crève-la-faim. Pathétique. Tous ces jeans troués chez les bourgeoises... C’est ce que sont les traders de Greenwich Village. Des bobos. Au lieu que de faire acte de pauvreté et de tout quitter, ces dadais s’entêtent et se persuadent que c’est en gagnant toujours plus de pognon qu’ils finiront par ressembler à un artiste, voire carrément par en être un. C’est qu’ils n’ont pas compris qu’ils désirent acheter ce qui ne s’achète pas - au point que leur entreprise de construction d’un fake est une volupté de destruction d’eux-mêmes. LE BUCHER DES VANITES de Tom Wolfe est une approche aboutie de ce sujet. Sinon, il y a ma propre expérience de financier qui suffit à confirmer ce que j’écris.

                Les amours d’artistes. Parler aux gens de la finance est une plongée dans la bourgeoisie. Or après l’argent, l’idéal bourgeois est le sentiment, le seul que les artistes possèdent. C’est donc l’amour qui unit les artistes à mes collègues ; plus précisément, c’est leur façon de le vivre. Voire ! Que la finance croie ! Je fréquente quelques artistes, j’en ai connu et j’en connais encore, et je ne me contente pas de m’afficher avec eux, au contraire, je m’en sens plus proche que de mes collègues. Les premiers vivent chaque instant qui dépasse en émotion le précédent parce qu’ils le savent mort. C’est cela que je recherche quand je me frotte à eux : l’oubli. Les seconds survivent à la journée en espérant que la prochaine sera vivante. Ereinté par sa pauvreté et son existence inconfortable, l’artiste fait l’amour en oubliant tout, c’est son échappée, c’est la condition de sa survie et de son existence. Le financier fait l’amour en imitant l’artiste qu’il imagine, alors il baise bohème, tendrement et salement, c’est la conséquence de sa vie et de sa déshérence.

 

Jeudi 08 Décembre 2016 - Un mot

                Wikipédia : « La remigration désigne le retour dans leur pays de personnes ayant précédemment émigré ou de leurs descendants. »

                La remigration est-elle possible en France ? Souhaitable, elle l’est, mais possible, elle ne l’est pas. La raison est à la fois économique et civilisationnelle, et obéit à une logique d’imbrication qui lie si bien économie et esprit (donc civilisation) qu’il est difficile de les démêler.

Les postes de première nécessité (nettoyage, ébouage, plongeurs dans les restaurants etc) sont désormais assurés par les classes populaires issues de l’immigration. En apparence parasitaires, ces métiers sont essentiels à l’économie et sans eux, elle peinerait à se maintenir. En cas de remigration, qui assurerait le fonctionnement de ces rouages de base ?

C’est là que l’esprit intervient : personne ne remplacerait immédiatement les immigrés qui seraient partis parce que les classes non immigrées, c’est-à-dire les blancs, ne veulent plus de ces postes. Chez eux, le culte du diplôme a tant pénétré leur esprit qu’ils ne se destinent plus qu’aux métiers d’intellectuels ou de service, c’est-à-dire les métiers à matière grise ou prétendument à forte valeur ajoutée. Dans une société du droit à, des gouvernements frottés de gauchisme ont d’un côté persuadé que le diplôme est ce qu’il y a de plus noble (et qu’au nom de l’égalitarisme, tout le monde y a droit), et ont de l’autre enseigné le mépris des ouvriers, des artisans et des paysans. Le travail manuel a été balayé par une vague idée du travail intellectuel. En sorte que des activités tout d’un coup méprisées ont été abandonnées aux immigrés mollement défendus par la gauche, leur mère, pourtant, laquelle s’enrobe ici d’un racisme économique à peine hypocrite. En définitive, si la remigration ne s’accompagne pas d’une reconfiguration des mentalités blanches, l’économie et notre civilisation souffriraient trop pour se la permettre.

                Une dernière remarque : le culte du diplôme a étendu sa distribution à toujours plus d’élèves d’une classe moyenne qui augmente en individus. Or les Grandes Ecoles ont peu ou prou maintenu la taille de leur promotion. C’est pourquoi il a fallu créer de nouvelles écoles, qui d’ingénieurs, qui de commerce, pour associer les plus nuls à la fête. La quantité nuisant toujours à la qualité, les nouveaux diplômes ont déprécié les anciens. C’est une autre conséquence négative et affligeante d’une politique d’incompétents qui se succèdent depuis 40 ans.

 

Mardi 29 Novembre 2016 - BM

« La raison, la science – disait Renan (l’inventeur du « vivre-ensemble » qui eut des éclairs pré-fascistes) dans un de ses Dialogues philosophiques – sont des produits de l’humanité ; mais vouloir la raison directement pour le peuple et par le peuple est chimérique. Il n’est pas nécessaire, pour la pleine existence de la raison, que le monde entier la perçoive. En tout cas, une telle initiation, si elle devait se faire, ne se ferait pas par la basse démocratie, laquelle semble devoir amener au contraire l’extinction de toute culture difficile et de toute haute discipline… Le principe que la société n’existe que pour le bien-être et la liberté des individus qui la composent ne paraît pas conforme aux plans de la nature, plans où l’espèce seule est prise en considération et où l’individu semble sacrifié. Il est fort à craindre que le dernier mot de la démocratie ainsi entendue (je me hâte de dire qu’on peut l’entendre autrement) ne soit un état social où une masse dégénérée n’aurait d’autre souci que de goûter les plaisirs ignobles de l’homme vulgaire. »

 

Ainsi parle Renan. Le fascisme repousse, dans la démocratie, l’absurde mensonge conventionnel de l’égalité politique, l’esprit d’irresponsabilité collective et le mythe du bonheur et du progrès indéfini. Mais, si la démocratie peut être entendue différemment, c’est-à-dire si démocratie signifie ne pas refouler le peuple en marge de l’Etat, le fascisme a pu être défini « démocratie organisée, centralisée, autoritaire ». Benito Mussolini

 

Vendredi 11 Novembre 2016 - Du genre et du sexe - Un mot sur Modi

Du genre et du sexe

                Un collègue me parlait d’échecs, ce midi. Inévitablement, nous évoquons LE JOUEUR D’ECHECS de Stefan Zweig. Je lui réponds que j’ai beaucoup lu Zweig après qu’il m’a demandé ce que j’en pensais. J’aime beaucoup ses biographies, comme Sarkozy (si si, il l’a dit), mais moins ses romans. Zweig est un écrivain bourgeois, trop pour moi, c’est un écrivain de femmes lui dis-je. Celui que j’aime, c’est Malaparte, lui, c’est un grand écrivain. De même que Céline. Tous deux parlent de la mort comme personne au XXème siècle. Or c’est ce que je cherche en littérature. En tant qu’homme, je ne serai jamais rattaché à la vie qu’envers moi, à la différence d’une femme qui verra dans son enfant une prolongation concrète de sa chair. Pour moi, la vie reste une abstraction, ou une sensation inaboutie qui tourne en boucle sur elle-même. D’une certaine façon, les crimes d’Onan sont une affaire virile. Alors je me tourne vers la mort, sans logique aucune, ni savoir pourquoi, même si je me doute qu’il y a de l’Eros et Thanatos là-dedans, et que ca change de l’onanisme. Je crois vraiment qu’il existe des écrivains d’hommes, et que les plus fins sont ceux qui parlent le mieux de la mort. Et de même, je dis qu’il existe des écrivains de femmes, lesquelles se tournent vers la vie du même instinct que les écrivains qu’elles préfèrent. C’est très concret chez elles, c’est biologique. Elles n’aiment généralement pas Malaparte ni Céline, mais elles adorent Zweig, bien qu’il se soit suicidé pour fuir un monde réduit à sa pulsion morbide, ou son pendant hongrois, Sándor Márai, ou Romain Gary, voilà encore un écrivain de femmes !

                Je reconnais le sexe d’un écrivain à sa plume, même si j’ai peu lu de femmes écrivains. Il en est une dont l’écriture frappe par ce qu’elle contient de féminité. C’est Irène Némirovsky. Sa phrase est comme par instinct féminine. Ses livres sont justes et souvent beaux, et puis comme tout grand écrivain, elle écrit toujours le même livre en modulant autour de grands thèmes. Je n’ai jamais lu Marguerite Yourcenar. Je devrais, ne serait-ce que pour voir ce que donne le plus masculin des femmes écrivains. Je suis certain qu’il serait très intéressant de chercher ce que son style contient de saphisme. Cela paraît idiot mais cette lesbienne fut suffisamment torturée pour n’aimer qu’un seul être dans sa vie qui était un inverti, c’était André Fraigneau, écrivain et éditeur qui collabora en 40 et participa au voyage de Weimar. C’est pour cela que je sens que son écriture vaut le détour. Je commencerai évidemment par les MEMOIRES D’HADRIEN. Les gens prétendent que Yourcenar est l’inventeur du journal apocryphe dont les MEMOIRES D’HADRIEN sont l’aboutissement. L’écrivain se met dans la peau d’un personnage historique à partir duquel il porte un regard extérieur sur la vie. C’est un procédé artistique original qui fut néanmoins créé par Fraigneau. Il écrivit trois journaux apocryphes qui précédèrent celui de Yourcenar. Elle lui a volé l’idée, donc. Mais peu importe quand une lesbienne pille l’intelligence d’un collabo. Puis on mettra cela sur le compte de la vengeance d’une femme éconduite qui n’écrivit qu’un seul poème, plein de rage, de rancœur, et d’amour transformé en haine, et qu’elle destinait à André Fraigneau, le malotru, qui paierait. Ce fut lui qui la publia.

 

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Un mot sur Modi

                Pendant que l’Occident célèbre Trump ou manifeste contre lui, le premier ministre indien Modi poursuit son petit bonhomme de chemin nationaliste. Il vient de retirer de la circulation les billets de banque de 500 et 1000 roupies, amputant l’économie parallèle de 24 milliards de papier-monnaie. Dans un pays où les oligarques construisent à domicile des chambres fortes de la taille d’une banque, Modi donne un corps et une réalité aux fantasmes que l’extrême-droite européenne développe quand elle pense à Vladimir Poutine. En s’attaquant si violemment à la corruption, Modi n’empêche pas seulement la fraude fiscale de l’hyperclasse indienne, mais brise les reins aux forces de l’argent, et décapite des milliardaires subitement ruinés qui risquent de connaître le même sort que les gens qu’ils exploitaient. Au pays des castes, ca va secouer. Si j’étais relativiste, je ne parlerais pas de révolution, mais de mesure fasciste ultra-brutale, de celles qui cognent et remettent les heures à l’endroit. Les mêmes qui critiquaient Modi pour avoir laissé massacrer deux mille musulmans en quelques semaines du temps qu’il gouvernait le Gujarat, applaudiront sans doute cette initiative qu’ils jugeront uniquement de gauche. Il n’y a pourtant rien de plus opposé au capitalisme que le fascisme qui transpire de la décision de Modi, en sorte que les gauchistes bien de chez nous, lesquels ne sont plus à une contradiction près, vont acclamer un fasciste. Dieu que j’adore cette incredible India !

 

Jeudi 10 Novembre 2016 - Vote Schtrump

                Je lis de nombreuses analyses de l’élection de Schtrump, et parmi celles-ci, beaucoup décortiquent le désarroi des journalistes et tentent de comprendre ce qu’ils ne comprennent pas, et d’expliquer ce qu’ils ne s’expliquent pas. Ce qu’ils n’auraient pas saisi est la colère des déclassés. Ceux-ci sont les pauvres de l’Occident qui ont cru qu’ils atteindraient la classe moyenne avant de voir le sol se dérober au cours de la décennie écoulée. Il n’y a rien de pire qu’un jouet tendu puis arraché. L’instinct est enfantin et commande la colère qui s’ensuit. Le petit blanc, comme on dit maintenant quand on parle du plouc de province désargenté, ou comme autrefois on disait le petit nègre, le petit blanc, donc, réclame son hochet et dans l’attente de le récupérer, il s’empare du gourdin qui traîne pour taper sur les responsables, qu’il met dans l’establishment, et sur ceux qui lui demandent de se taire, à savoir les journalistes. Le gourdin, aux USA, c’est Schtrump. Je n’apprécie pas les raccourcis intellectuels, mais je crois que le petit blanc a raison de maudire les médias parce qu’ils le méprisent et lui demandent effectivement de la boucler : que signifie sinon leur volonté d’annuler son vote ou le fait qu’ils le conspuent au motif qu’il s’agit d’un mauvais vote ? En démocratie, c’est une sommation d’écraser.

                Il m’a suffi d’une seule sortie sur le terrain (pour parler journalope) afin de me rendre compte de la défiance des gens vis-à-vis des journalistes.

Mars 2013. C’est La Manif pour Tous. Je veux constater l’énervement populaire créé par la loi Taubira. Je veux voir les fascistes dénoncés par les femen et les médias. Je veux croiser des enfants issus du flanc de la bête à Bertolt, vivre l’heure sombre des années noires, regarder des pères sortir de leur loden et des mères frapper des flics avec leur parapluie. Histoire de pouvoir l’ouvrir et de vérifier la version des manifestants au sujet des gaz lacrymo utilisés par les CRS.

Aux abords de la place de l’Etoile, je tombe sur des familles réunies autour d’un barrage. En face, des CRS. Ils bloquent le passage pour casser les reins de LMPT. Il s’agit de dessouder le groupe en jugulant l’afflux des personnes en différents points qui entourent le gros du rassemblement. Vieille technique de gestion des flux apprise durant la guerre d’Algérie. Bref, les humeurs s’échauffent et effectivement, des pères enfoncent les barrières, poussent la maréchaussée qui réplique à coup de matraques. Propre. Les fils âgés de 12 ans pleurent et les mamans crient « Fascistes ! ». Nous sommes envoyés au pied de l’Arc de triomphe puis bloqués là. Nous restons dans le froid pendant deux heures, les gaz sont lancés lorsque de jeunes bourgeois veulent sortir de la zone de confinement. Je vois passer Christine Boutin qui s’en va défier un mur de CRS impressionnant. Il barre l’accès à l’avenue des Champs-Elysées. Quelques minutes plus tard, Boutin s’effondre, frappée par un long pschit poivré. Râles, turbulences, la foule s’excite et est enfin évacuée.

Entretemps, peu avant d’être parqué sur l’Etoile, et tandis que les CRS nettoyaient les énervés en Barbour, j’avais vu trois types s’en prendre à une journaliste radio qui souhaitait les interviewer. Elle mesurait 1m55 à tout casser, presque aussi haute que son QI. Elle n’eut pas le temps de poser ses questions que déjà les hommes la bousculaient verbalement. Ils la tançaient franchement. « Vous nous emmerdez, vous, les journalopes, vous roulez pour qui hein ? Journaleuse à la fin ! Pour le gouvernement, pour le capital, pour l’idéologie, vous êtes une plaie. Franc-maçonne va ! » Je me souviens qu’un des deux lui lançait des arguments complotistes et des avertissements pour l’avenir. « Vous paierez ! ». Ils étaient bonhommes, pas bien méchants, contents, même, de trouver un punching-ball à chambrer. Comme toute femme de gauche, la journaleuse ne rigolait pas : elle les aurait couchés avec l’humour, mais la gauchiste ne sait pas rire. Alors elle se taisait. Elle écoutait sans prendre de notes, à deux doigts de chialer, elle rougissait et fulminait devant ces cons qui ne comprennent rien et ne la laissaient pas en placer une. Elle réussit à leur échapper et s’en alla dans le coin de la rue pour pleurnicher. Je l’observais. Coincée dans son manteau trop grand, là, comme une ado qui aurait brutalement vieilli à cause de la perte de son hymen. Elle saignait. Elle couinait et bougeait la tête en regardant ces abrutis. Elle était chiffonnée comme un kleenex en tissu que les grands-pères conservent dans le velours des salopettes. C’était de la morve. On aurait dit un grumeau. Un bout de chair dont les joues montraient des veines éclatées par l’abus de vin, de clopes, et de bêtise. Telle est l’engeance médiatique : confrontée au mur du réel, elle refuse d’interpréter les claques qu’elle se mange. Comment être surpris qu’aucun de ses membres ne saisisse le vote Schtrump, ni que la colère des gens n’atteigne la trogne d’aucun d’eux ?

 

Mercredi 09 Novembre 2016 - De Schtrump à Ramon

                Trump election. “Retour aux années 30” “Hitler à nouveau élu”. Finalement, Hegel avait raison : l’Histoire se répète toujours deux fois. Marx ajouta que la première fois, c’est une tragédie, et la seconde, c’est une farce. Sans doute que Schtrump farceur confirmera les deux philosophes du matérialisme dialectique. J’ai tout récemment écrit que si retour aux années 30 il y a, ce sera aux années 1830, et il est possible que la société de rentiers qui en émergera sera composée d’Hanouna en tout genre. Alors ce sera vraiment une farce eu égard aux personnages de Balzac et de Maupassant.

                Je suivais à moitié, hier soir, le coup de farces&attrapes de Schtrump. La télé était allumée et je lisais au sujet du voyage à Weimar d’Octobre 1941 durant quoi des écrivains européens répondirent favorablement à l’invitation du IIIème Reich. De bonnes années 30, bien tragiques. Au moins me mettais-je au parfum de ce qui nous attend si j’en crois les prophètes médiatiques qui prédisent le passé. L’article mentionnait Ramon Fernandez qui fut un critique littéraire de tout premier plan. Ses essais sur BALZAC, PROUST et MOLIERE sont toujours publiés et restent des références en matière d’exégèse de ces trois monuments de la littérature française. Ramon collabora. Comme tout collabo, il était communiste. Il n’en était pas moins si cultivé qu’il suscitait rancœur et jalousie près de ses compagnons de voyage à Weimar : Jouhandeau le haïssait non seulement pour s’attirer les grâces du bel officier SS qui les encadrait mais surtout pour son érudition ahurissante. Il n’est pas attesté que Ramon était de la jaquette, contrairement à Jouhandeau. Ceci, c’est ce que dit l’époque quand elle tente d’interpréter la collaboration d’un grand esprit autrement que par le prisme des idées. Par paresse, elle ne veut pas comprendre, et frappe Ramon Fernandez d’homosexualité qui expliquerait son attirance pour l’envahisseur aryen modèle Arno Breker. Tout d’un coup, l’homosexualité qu’elle ne cesse de défendre en tant que minorité devient l’opprobre définitif qui tourne en dérision un écrivain qu’il n’est plus la peine de lire. Procédé commode qui fait économie de la rigueur intellectuelle tout en troquant l’intelligence contre la morale. Qui pense bien, pense vrai, et qui pense vrai, pense juste. Par transitivité, qui pense bien est intelligent, en sorte que celui qui pense intelligemment mal est bête. C’est absurde, mais les électeurs de Schtrump en savent aujourd’hui quelque chose.

Le hic, c’est que les idiots sont confirmés dans leur intuition parce que le fils de Ramon Fernandez i.e. Dominique Fernandez, académicien français, est un homosexuel revendiqué : il a fait graver sur le pommeau de sa canne de coupolard le mot GANYMEDE qui désigne l’inverti passif. Soudain, l’homosexualité devient une maladie génétique héréditaire, un peu comme le pensaient les nazis, justement. Dominique Fernandez s’est joint à la fête qui entoure son paternel et a écrit un livre intitulé sobrement RAMON dans quoi il pose la collaboration de son père. Il s’étonne qu’une intelligence si fine se soit commise dans le socialisme fasciste. Il n’imagine pas mieux que les nuques dénudées et les bottes cloutées ont fasciné une personne qui devait pourtant savoir écarter par moments ses instincts devant un raisonnement abouti. Dominique Fernandez s’en désolidarise franchement mais cela ne l’a pas empêché de pardonner (très d’époque, ca aussi) ni d’appeler son propre fils Ramon. Quelle farce encore une fois. Ramon Fernandez fils est actuellement connu comme haut-fonctionnaire et a été directeur général du Trésor. S’il ne reproduit pas l’homosexualité du père, il en imite l’érudition, ainsi que celle de Ramon Fernandez père, lorsqu’il converse avec un collègue par missives écrites en latin. Il se peut que l’intelligence et la culture se transmettent plus automatiquement que l’orientation sexuelle.

 

Mardi 08 Novembre 2016 - CAPTAIN FANTASTIC

                CAPTAIN FANTASTIC est le père d’une famille de six enfants. Tous vivent à l’écart de la civilisation et forment une société qui habite l’une des forêts américaines située au nord-ouest des Etats-Unis. Leurs journées suivent le rythme de l’entraînement du corps et de l’esprit que ponctue quelque rite païen comme celui sur quoi s’ouvre le film : le fils aîné devient un homme après avoir tué un daim à mains blanches. Le père forme ses enfants à la philosophie, à la littérature, aux langues, à la musique classique, aux sciences molles et dures, et à la culture physique. La matinée est sportive et se partage entre course à pieds, escalade, yoga et exercices de musculation. L’endurance cardiaque et musculaire des enfants est impressionnante comme le fait observer un médecin à propos d’une des filles. L’après-midi et la soirée sont consacrées à l’étude. Le film exalte les vertus de la puissance intellectuelle et physique, et montre que l’effort, compris comme tension permanente de l’existence en vue de remporter la lutte pour la vie, est le legs principal d’un père d’élite.

                Les discours échangés au sein de la famille trahissent des idéaux d’extrême-gauche qui confondent fascisme et capitalisme dans une même force d’oppression, laquelle s’exercerait à l’encontre du peuple et de sa liberté. Quiconque a tant soit peu lu l’histoire des idées sait que c’est faux, ou a minima qu’il s’agit d’une ellipse. C’est un des deux points faibles du film. L’autre réside en la figure du père qui ne se rend pas compte qu’il est une exception de la nature. C’est une force à lui seul dont la perfection physique le dispute à son intelligence ahurissante. Il n’est jusqu’à la médecine qui ne lui soit étrangère. C’est bien simple, CAPTAIN FANTASTIC semble connaître absolument tout, et c’est sans doute ce qui explique le titre du film qui ressemble à celui d’un blockbuster de super-héros. Le cénacle familial que ce su-père (aurait dit Lacan) a créé est, comme l’écrit sa femme, l’une des premières expériences de ce type jamais réussies dans l’histoire de l’humanité. C’est dire le génie de CAPTAIN FANTASTIC qui entre ici en contradiction avec ses principes universalistes. Il est en effet difficilement imaginable qu’enseigner la physique quantique en même temps que les techniques de survie soit à la portée de tous les chefs de clan. De même, le choix de vie de CAPTAIN FANTASTIC est impossible à étendre à l’ensemble de la société : il est bien trop exigeant et amène davantage à l’aristocratie qu’à la démocratie, donc au petit nombre, c’est-à-dire à la famille, au nom et au sang. Il entend faire de ses enfants des philosophes-rois. S’il est évident qu’il est influencé par Platon et qu’il pousse à penser à la république, il ne mentionne jamais le disciple de Socrate autrement que par l’expression de philosophe-roi, comme si le message importait plus que son messager par ce qu’il comporte de monarchie. En réalité, CAPTAIN FANTASTIC n’est pas un gauchiste. C’est un aristocrate de gauche, donc un qui préfère l’égalité à la liberté. Durant l’Antiquité, il eût été spartiate, mais en 2016, c’est un fasciste. Sa radicalité, sa beauté, son intelligence, et son ardeur à préserver sa famille de la médiocrité par l’instruction, toutes choses qu’il transmet à ses enfants, frappent de cette évidence qu’il est un fasciste. Quel démocrate humilierait ses neveux, abrutis de marques et de jeux vidéos, en étalant devant eux leur bêtise qu’il confronterait à la brillance de ses propres enfants ? CAPTAIN FANTASTIC déteste ce qui n’est pas directement de lui ni comme lui. Il ne préserve pas le faible : il attaque ce qui menace le fort. S’il lui est reproché d’être trop dur, tous reconnaissent le succès de son éducation. C’est cela le fascisme, c’est cruel, brutal et ca fait pleurer, mais ca marche.

                Le public de la salle de cinéma a applaudi la fin du film. C’est très français que d’acclamer n’importe quelle tirade anti-système, et c’est agaçant, mais dans le cas de CAPTAIN FANTASTIC, ce fut amusant parce que tous les applaudissements encensaient ce qu’ils prétendent habituellement détester, c’est-à-dire l’aristocratie de fascisme. CAPTAIN FANTASTIC a beau agonir la société de consommation et vivre dans la nature, il n’en reste pas moins aussi éloigné du ZADiste que je le suis du singe. Son ordre de tenue et d’élégance durant les repas, quand même la famille mange par terre, suffit à le prouver (c’est d’ailleurs très aristo comme comportement, très dandy aventurier perdu dans les extrêmes de droite, ha ! la discipline, cette boussole de l’honnête homme !). Mais je ne doute pas que ces vivats ne fussent sincères. Je suis convaincu que les gens admirent CAPTAIN FANTASTIC et son cortège d’exigences. En sorte qu’ils prouvent, ces vivats, que le fascisme spartiate est le comportement humain le plus exaltant qui soit. Il est celui qui parle le plus à l’homme. Il est l’instinct enchanteur, primitif et définitif. Il suscite tous les hourras de ce monde, qu’ils soient inconscients ou conscients, de gauche ou de droite. Il subjugue, à l’image de CAPTAIN FANTASTIC.

 

Jeudi 03 Novembre 2016

                Dans un épisode de la série MARCO POLO, le grand Khan constate, amer, qu’il y a des hommes pour qui l’héritage n’est rien d’autre que la fortune. Que dirait-il aujourd’hui de mon époque qui a définitivement synonymisé héritage et argent ? C’est qu’il existe un autre héritage que le pécule des parents, et cet héritage, ce sont des traditions et une terre à protéger, bref, un destin commun qui appartient aux parents et à la communauté de tous.

                J’explique souvent que le retour aux années 30 est probable et qu’il ne s’agira pas des années 1930 mais des années 1830 parce que j’observe l’avènement d’une société de rentiers. La société de la rente survient dès que le travail est davantage taxé que le capital, or c’est précisément le cas en Europe aujourd’hui. Que la magouille aide ou pas, copinage à l’appui, la richouille transmet à sa descendance autant sinon moins que ce qui ampute le salaire du pékin moyen. On se croirait dans un roman de Maupassant. (Dans ce contexte, le fascisme peut effectivement reprendre du poil de la bête parce qu’il déteste les rentiers.)

La rente-qui-se-transmet réduit l’héritage à l’argent. Il suffirait de taxer la rente, ou d’annuler les héritages financiers, et de diminuer en proportion l’impôt sur le travail pour que celui-ci redevienne le seul vecteur de transmission. Ce n’est pas du gauchisme, c’est du fascisme. Les parents consacreraient les fruits de leur labeur pour construire une famille, subvenir à ses besoins, lui offrir un cadre de vie décent tout en veillant à léguer les règles de la civilisation qui redeviendrait le seul héritage digne de ce nom, au lieu que de refiler leur salaire à un Etat qui s’est par ailleurs mis en tête de détruire cette même civilisation (c’est-à-dire que les impôts financent la destruction de ceux qui les payent, mais c’est un autre sujet). La descendance profiterait de son vivant de l’argent des parents qui leur auraient permis, entre autres exemples, de poursuivre de belles études. De plus, le capital circulerait parce que dépense et consommation seraient encouragées. L’économie capitaliste n’est pas si abjecte qu’il n’y paraît à condition qu’elle ne crée pas des nœuds de capitaux (c’est pour cela qu’il fut décidé de ne plus léguer les biens uniquement et en totalité au fils aîné, mais de les distribuer taxés et équitablement entre les enfants). Mais tout cela n’est pas, et ceci rend la vie difficile à une classe moyenne découragée et de plus en plus stérile qui reste pourtant le socle vif d’Europe : sa population est la plus forte, et elle affiche en démocratie le poids électoral le plus lourd, en sorte qu’elle devrait être la classe privilégiée et non la plus démolie. Seules les classes riches de la rente pour qui roulent les sociaux démocrates, seules les familles de richous, donc, lèguent à leur progéniture leur fortune et une solide formation intellectuelle qu’offrent les meilleures écoles du privé, chères et préservées de populations toxiques. Ces rentiers ne devraient pas disposer du monopole de la transmission totale qui doit être partagée.

 

Mercredi 02 Novembre 2016 - A Milan et Stresa

                A l’image de l’Italie, Milan n’est pas épargnée par les migrants d’Afrique noire. Il en arrive trois mille par jour dans le sud du pays. J’en ai croisé sur la piazza Duomo. Ils vendent des bouts de ficelles sans doute arrachées à leurs chaussettes. Tout sourires, ils approchent des touristes en montrant leurs dents jaunes montées en éventail, comme si des doigts de pied leur sortaient de la gorge. Ils prétendent offrir des lacets gratuitement. Deux jeunes se font avoir, un type et son amie. Ils sont blond-pisse, sales, avec des écarteurs plantés dans les oreilles. Ils se réjouissent de parler à leurs frères, leurs bro’ comme ils pensent, auprès de qui ils éprouvent leur gauchisme. Radins comme un socialiste, ils refusent cependant de payer les objets que les migrants viennent de leur placer dans les paumes. « But you told us it was free… » lance le garçon d’un air inquiet, davantage déçu de s’être trompé sur le genre humain que de s’être fait avoir. L’idéologue pleure toujours sur le réel qui s’affirme, et en pareille situation, il fuit. C’est ce que fait le garçon, suivi de près par son amoureuse. Il est aussi hideux qu’elle, avec son cheveu pauvre et son teint gris souris. Ils ressemblent à deux migrants qui seraient blancs. Il y a de très belles pages dans le livre Mamma Marcia de Malaparte à propos de l'avènement de la race marxiste qu'il voit s'élever dans le quartier latin. Le couple est le produit de cette race que l'écrivain toscan remarque à Paris dès la fin de la seconde guerre mondiale. Il me plaît de me remémorer ses mots tandis que je visite ma chère Italie.

                La France et l’Italie sont deux sœurs plus que deux frères. Il n’existe pas de caractère franco-italien, ni d’esprit, ni de fraternité, ni de tempérament, mais une humeur toute latine qui donne plus d’importance aux sentiments qu’à la raison. C’est une sororité. Les guerres italiennes de Charles VIII et de Louis XII ont rapproché deux territoires par la diplomatie qui est le féminin des armes. Il y eut des combats, il y eut Cesare Borgia, il y eut des hommes et des frères qui s’entendent autour des conquêtes et qui s’imaginent que la géographie commande l’Histoire, mais au vrai, ces campagnes mirent la géographie à la botte de l’Histoire, celle que les sœurs s’échangent entre femmes de cours, fabriquant autant de secrets qu’il y a d’événements. L’énergie française devient femme en Italie qui s’y connaît en virilité féminine. Rome ! La louve ! De là les alliances futures entre les deux pays. Il n’y a pas de calcul ni d’hésitation lorsqu’il s’agit de France pour l’Italie et d’Italie pour la France. Et quelle déchirure que l’attaque alpine de Mussolini ! Les chasseurs alpins français et italiens pleuraient plus les morts ennemis que les leurs !

Sans cela, la dernière phrase de Cavour serait restée lettre morte : « Maintenant que nous avons fait l’unité italienne, il nous reste à faire des Italiens. » La Renaissance avait déjà créé des sœurs d’Europe, deux sœurs liées par les Alpes comme deux siamoises, en sorte que l’humeur italienne existait déjà et qu’il ne restait plus qu’à attendre qu’elle se dotât d’une âme grâce à l’unité géographique qu’avaient rêvée, avant Cavour, Louis XII et Cesare Borgia.

Il existe une différence entre la France et l’Italie : point de centralisation par-delà les Alpes. L’Italien est partout chez lui en Italie si bien qu’il ne se languit pas de quitter sa province pour la grande ville. La littérature italienne ne connaît aucun Rastignac. Par quoi l’Italien est plus apaisé que le Français. Il est moins angoissé si bien qu’écrire que l’Italien de souche est un Français de bonne humeur n’est pas faux.

                A Stresa, perle du Piémont au bord du lac Majeur, sont en train de mourir des villas abandonnées. Elles ont été acquises par de grasses fortunes qui attendent qu’elles s’écroulent faute de pouvoir les démolir. Elles ont la patience du riche, et attendent, tapies dans le fric, que le terrain redevienne vierge avant d’y construire des immeubles ou des hôtels. Le paysage de Stresa souffrira du principe de rentabilité. Un peu de beauté fuira ce monde. Dans le centre, les cloches de Stresa sonnent les vêpres. Au-delà des montagnes retentit un écho français. Deux sœurs se parlent. Des migrants passent à Vintimille dans l’indifférence des comptables dirigeants. Les cloches dansent.  

 

Mercredi 26 Octobre 2016 - Une conversation

                L’échange a commencé par mail avec cette citation de Houellebecq :

« Quand on aime la vie, on ne lit pas. On ne va guère au cinéma non plus d'ailleurs. Quoi qu'on en dise, l'accès à l'univers artistique est plus ou moins réservé à ceux qui en ont un peu marre. »

 

Lui :

Mouais, faut quand même bien trouver de quoi occuper les 24h d’une journée. Tu fais quoi si tu ne lis pas, ne vas pas au ciné ? D’ailleurs ca veut dire quoi « aimer la vie » en termes d’activité ?

 

Moi :

Connaissant l’œuvre de Houellebecq, je garantis qu’il entend par là les sorties, les mondanités, la drague, les femmes, les amis, les soirées, les voyages aussi, et ne pense pas une seconde au retrait à la campagne. Il adopte une lecture urbaine de la vie moderne, ce qui n’est pas forcément idiot dans la mesure où 80% de l’humanité est urbaine et le reste tend à s’urbaniser. Dans PLATEFORME, le personnage principal part à Bangkok et reste dans la ville qu’il observe depuis la baie vitrée de son hôtel. Il ne voyage pas : il se déplace de ville en ville qui agit comme un aimant fascinant.

Houellebecq considère aussi que l’économie prend le pas sur les humanités, or l’économie, en civilisation libérale et capitaliste, se développe là où se concentrent travail et capitaux, donc en ville. En sorte qu’aimer la vie, pour lui, suppose automatiquement d’aimer la vie en ville. Il s’agit lors d’aimer le bruit, l’agitation, la foule, les gens, les conversations, et d’évoluer en superficie attendu que la quantité (le nombre) annule la qualité et la profondeur. Le cinéma et la lecture sont autant de moyens d’y remédier pour celui qui en a marre ou recherche la qualité.

 

Lui :

Je dirais alors « aimer la vie en ville la nuit », c’est d’ailleurs ce qui vient à l’esprit quand on lit sa citation.

La lecture, le cinéma sont des activités qui permettent de comprendre et de s’intégrer à la société, aux discussions, de rencontrer des gens etc. Je ne crois pas qu’il pense pouvoir profiter de la vie seul dans la définition que tu donnes, il faut donc bien etre éduqué/cultivé pour aimer la vie.

Dans mon esprit c’est carrément l’inverse, les gens qui aiment la vie vont au cinéma, lisent pour ensuite pouvoir se confronter à la ville.

Pour moi sa citation s’applique à son cas personnel peut-être.

 

Moi :

Oui, elle s’applique à son cas personnel.

 

Ce qui est épatant avec Houellebecq, sinon, c’est qu’il incarne l’anti-héros du temps (il ressemble à l’informaticien pas très beau à qui personne ne souhaite ressembler, par opposition au beau gosse standard d’imitation) et fascine pourtant les gens qu’il enferme dans tous ses personnages où il met beaucoup de lui-même. Mais si cela fonctionne si bien, c’est sûrement parce qu’en réalité beaucoup de gens lui ressemblent ; beaucoup de types et typesses sont comme lui, de pauvres gars moyens, d’apparence terne et triste, à fuir, médiocres, tous chafouins, chacun rappelant le quidam du métro qui blafarde la face au néon, aucun folichon, des zéros. Bon, Houellebecq est brillant à l’écrit, mais dans cette société d’image, il est un perdant, et sans doute que beaucoup le sont.

 

Mardi 25 Octobre 2016

                Je méditais hier soir en rentrant chez moi sur le chemin parcouru depuis mon adolescence. Je marchais dans ma rue et m’amusais à imaginer que j’évoluais dans un film qui sauterait, au terme d’un flash-forward, du moi à quinze ans au moi d’aujourd’hui. Il en ressortirait chez un spectateur (qui pourrait être moi) une impression de banalité, et non pas d’une banalité triste, mais de celles qui sont triviales, c’est-à-dire normales. Il serait montré la vie douce du jeune homme qui regagne son logis dans la lignée de ce qui lui était promis une décennie auparavant. Une musique lente accompagnerait l’image du trentenaire qui s’accomplit dans la société de service. Un travail, des amis, une soirée dans le salon après le supermarché. L’important serait d’exprimer par l’image que le bonheur appartient à ces choses simples et non qu’il advient seulement en cas de destin d’exception. D’apparence tristoune, la scène serait celle de la joie de vivre qui emplirait l’écran. La légèreté remplacerait les lourds rêves d’une jeunesse d’écorché. Rien ne serait plus à vif, tout serait vivant. Le manque d’intensité rassurerait les personnes à qui la jeunesse manque et qui savent ne pas échapper à la vieillesse, tandis que les énervés, et concernant les plus lettrés d’entre eux je pense aux nietzschéens, mépriseraient ce travailleur.

                Sur le point de m’endormir, je conviai plus tard un souvenir adolescent. J’avais seize ans. C’était un vendredi soir. J’avais regardé un film et me trouvais plus tard dans la salle de bains. Je m’étais arrêté net devant la glace, comme pétrifié par un reflet qui me regardait plus que je ne le fixais. Ce n’était pas du narcissisme. Je me rappelle avoir apprécié mon visage ce soir-là, mais je ne comprenais pas pourquoi je l’observais ainsi. Je me remémorais donc cette scène hier soir, et je me vis soudain, hic et nunc, sur le pont d’un bateau ; sur la mer flotte le miroir dans lequel est piégé mon visage d’autrefois et je m’éloigne de lui. Allégorie du temps compliquée de nostalgie. Si l’adage dit que nul ne voit le temps passer, je crois qu’au vrai le temps ne voit passer personne. Sur les vagues, le reflet ne me dévisageait plus. C’est lui qui m’a oublié, pas moi. Ce principe peut s’appliquer à l’Histoire. Indifférente, elle passe sur les Hommes et construit des époques sans prêter attention aux existences. Il y a bien des lignées et quelques dynasties, des empires et des royautés, mais l’avènement récent de la masse démontre que le temps finit par ignorer ces abstractions humaines. L’Histoire est concrète autant que mécanique. Il lui arrive de se braquer sur un physique qu’elle rejette aussitôt au rebut de son passé.

 

Vendredi 21 Octobre 2016

                Mon frère m’a envoyé ce matin un article sur le syndrome indien qui frappe certains touristes occidentaux. Le choc culturel serait à l’origine de coups de folie que l’angoisse provoquée par le bruit et la foule catalyserait. C’est fort possible, et j’ai souvent décrit l’Inde dans mes récits de voyage pour que cette possibilité soit retenue crédible par mes lecteurs. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais à la lecture de l’article, je me suis souvenu de cette histoire que m’avait raconté un jeune homme sikh. Sans doute s’agit-il d’une variante du syndrome indien. Il me parlait d’une suédoise avec une pauvreté de vocabulaire telle que son récit collait parfaitement au déleurre de la fille. Peu de mots suffisaient à situer le caractère simplet de la vagabonde de gauche frottée d’excitation au contact du tiers-monde dont elle entend profiter sans s’aviser qu’elle confond générosité et distribution, pitié et mépris, respect et humiliation. Le sikh m’expliquait qu’elle lui avait fait découvrir à lui, habitant de Delhi, un parc de la ville où les jeunes gens se cachent pour s’aimer. L’Occidentale cherche ses mœurs à l’étranger, ce qui n’est qu’une autre facette de son voyage bouffi d’esprit colon. Un parc de cul, voilà ce qu’elle visitait en Inde et où elle guidait les locaux. Bref, elle l’y avait emmené après l’avoir fait boire avec elle. Lui, et c’est bien là que se situe l’homme universel des Lumières, espérait bien la secouer : il n’est aucune autre promesse qu’un homme accepte de croire si rapidement. Seulement, elle s’était ravisée, et après lui avoir fait miroiter un plaisir d’Occident, elle lui avait signifié un refus qu’un Oriental peine normalement à encaisser. Affaire de civilisation différente. Le sikh n’avait pas insisté mais il m’avait précisé que d’autres que lui exigent si bien ce qui avait été garanti puis refusé que la diversité devient très vite un fait divers. C’est viol à l’arrivée, et cela se passe fréquemment en Inde. De prime abord, l’inconscience de ces jeunes femmes surprend. Mais en fait, comment s’en étonner ? Comment ne pas rire de la bêtise humaniste de l’humanitaire qui remplace les conquérants d’antan dans l’entreprise occidentale de colonisation qui n’a jamais cessé ?

                L’article suffit à me convaincre lorsqu’il mentionne L’HOMME QUI VOULUT ETRE ROI de Kipling auquel j’ai maintes fois pensé lorsque je parcourais le pays. Le héros du livre évolue en Afghanistan et il est envoûté pareillement au voyageur indien. Le film qui s’en inspire, avec Sean Connery, est le grand film de l’esprit de  l’homme blanc parti en quête de terres vierges où il construit moins un pays qu’une projection de lui-même. C’est ce qu’on appelle un bâtisseur. Il y a néanmoins trop de l’explorateur en Sean Connery. Il est trop avide, trop jeté. Le temps des Conquistadors est mort. La folie a déserté un monde en proie à la raison raisonnante de sorte que Connery ne survit pas à son aventure. Kipling anticipe Moravagine en qui Cendrars place les échecs de l’homme blanc du XXème siècle.

                Je cite maintenant mon père à qui j’ai demandé son avis à propos de l’article : « Pour l’Inde, c’est bien sûr un vieux phénomène plutôt des années 70 qu’un phénomène actuel ; je ne crois pas qu’il reste beaucoup de ces pommés. En réunion de service il est arrivé que le Consul général évoque un cas ou l’autre mais rien d’endémique ou de systématique. Pour les pauvres illuminés qui ont cru à l’Inde comme un rêve, j’imagine qu’ils n’ont pas été déçus ; la violence à laquelle ils ont été confrontés est à la mesure contraire de leurs illusions ; il y a par contre 250 entrepreneurs individuels français en Inde (décoration, bijoux, maisons d’hôtes, textiles, design…). Ceux-là ont beaucoup de mérite et font l’objet de harcèlement de la part de la police, des mafias locales, des services des impôts, des escrocs…Ils sont rançonnés par tous ces parasites et on en parle peu. D’une certaine manière ils représentent la version plus moderne des bobos des années 70. Le résultat est néanmoins à peu près le même. Ils rentrent en France parfois totalement dépouillés et certainement aussi déstabilisés pour des années que pouvaient l’être ces hippies qui vivaient dans un monde virtuel. L’Inde met peu de temps à ramener sur terre ces deux catégories d’aventuriers…et pourtant beaucoup persistent à rester en Inde…c’est le cas de Michèle Janezic. Difficile de dire s’ils ne peuvent plus matériellement revenir en France ou s’ils ne le veulent pas parce qu’ils aiment profondément vivre et souffrir en Inde. Peut-être un mélange de masochisme, de fascination, de facilité, de fuite dans tout ça ? »

               

                Sinon, l’article ne pense pas assez à la mystique indienne que la biologie doit exciter : nous venons d’Inde, pour beaucoup d’entre nous, et il est possible qu’une mémoire d’instinct, bouillie dans nos cellules, explose au contact d’un environnement où celles-ci se sont développées, pas elles directement, mais indirectement, via leur gènes légués par leurs ancêtres. Plusieurs couches se sont accumulées au point d’inscrire un passé dans les chairs, et avec ce passé, un pays, c’est-à-dire des racines. De là le mal du pays qui est bien plus un mal d’être physique qu’un tourment de l’âme. L’exil ne jette pas tout de suite dans la dépression mais d’abord dans un manque physiologique pas loin de rappeler les douleurs du drogué sevré. De là aussi la sensation de posséder une terre à quoi on appartient lorsqu’on revient dans sa province.

Un ami me dit que Jung nomme ce phénomène l’inconscient collectif, dont la signification aujourd’hui s’éloigne alors de son sens premier parce que l’expression s’emploie désormais pour caractériser une réaction de la société face à une situation. Elle est devenue le mantra de la sociologie qui y trouve ses artifices de pensée pour expliquer, rendre compte et faire le bilan de ses abstractions.

 

Lundi 10 Octobre 2016

                Il ne m’est pas pénible d’avouer que je m’intéresse de près à l’actualité. Ceci me conduit à écouter ou à lire les comptes-de-faits. Je prends la température qui se rapproche toujours un peu plus de celle qui caractériserait la stupidité.

                Ce jour, c’est Kim Kardashiée qui admet avoir inventé sa récente agression à Paris.

                Ce jour encore, les médias du protectorat-US-en-France couvrent la trilogie des débats Trump-Clinton dont le deuxième a été précédé par la révélation de propos misogynes tenus par Trump il y a dix ans, lequel, pour se venger, accuse le mari d’Hillary d’avoir violé une fille de douze ans. C’est là l’aboutissement de la démocratie d’entertainment qui avance ses blagues avec un sérieux tel qu’elle confine à la farce. Trump-farceur s’est farci Hillary...

                Mais le plus ridicule me fut sans doute atteint hier soir lors de l’émission de Karine Le Marchand grâce à quoi celle-ci « se glisse dans l’intimité des politiques ». La présentatrice de L’AMOUR EST DANS LE PRE traite nos élus comme s’il s’agissait d’agriculteurs idiots, presque débiles, tous enculeurs de truie, laquelle figure donc l’électeur. Tantôt chez l’un, tantôt chez elle, elle parle avec l’invité dans un canapé où elle s’étale à la manière d’une pute qui drague un homme d’affaires. Il en sort un spectacle obscène qui le dispute au ridicule quand cette tire-chiale récolte les pleurs des trois hommes interrogés : Sarkozy, Montebourg et Le Maire sanglotent dès que la vestale diffuse sur son iPad leurs enfants dont les témoignages peineront même à toucher la fameuse ménagère de cinquante ans. « Ho pardon, je ne voulais pas… » susurre alors cette lope, hypocrite femme trop ravie de traire son pathos. Ha ! Ca dégouline de démocrassie ! Ha c’est bon, ca va cartonner l’audimat ! On me dit qu’il s’agit d’une comédie, que ces ticards sont des psychopathes qui ne savent tellement pas comment réagissent les gens qu’ils font de piètres comédiens. Leurs réactions sont mal choisies et surviennent au mauvais moment. Absence de dignité. C’est fort possible mais j’y vois aussi la faiblesse démocrate qui n’a pas accouché de la théorie du genre par hasard : celle-ci permet l’inversion des sexes afin de remettre l’époque à l’endroit du temps démocratique où les hommes et les femmes tournent tous femmelettes. Tous châtrés, émasculés, écouillés, étêtés. Sans force, rien que la chiale qui pisse de leur trogne bouffie de principes. Je les hais à un point qu’il est difficile d’imaginer. Que n’est-il possible de changer cette réalité à coup de tatanes dans la gueule !

 

Mardi 04 Octobre 2016 - Notes pour soi-même

                Depardieu traitait récemment (il y a deux semaines, je crois) la France de Disneyland peuplé d’imbéciles, à quoi il ajoute que le pays est fasciste sur la question des migrants (je reprends sa grammaire). Cependant, il reproche aux socialistes de le voler via le fisc. En somme, il dit tout et n’importe quoi, part en tous sens, à la manière de son corps anarchique et rabelaisien, mais au moins démolit-il les socialistes.

 

***

 

                Ce matin comme tous les matins, je regarde l’escalator qui expulse les cadres dynamiques des entrailles de la station Grande Arche de La Défense pour les jeter sur son parvis. Le ciel est bleu, clair comme une pensée rêvée. Je n’imite que rarement les personnes qui refusent de l’utiliser ; privilégiant les escaliers parallèles, elles ahanent pendant trente secondes dans l’illusion d’un sport que je pratique suffisamment pour m’épargner une suée avant de travailler. Alors ce matin j’occupe l’escalator. Je suis bloqué par la masse sur la file de gauche, celle des actifs qui filent vers la mort (certains ont une trottinette). Je deviens passif. J’hésite à sortir mon livre du moment qui est LE CAUCHEMAR CLIMATISE de Henry Miller. C’est de circonstance, mais je me ravise. A quoi bon ? Je n’espère rien. Grappiller quelques pages de plus, sortir mon téléphone et lire un article ou un message, y répondre, méditer sur la réponse envoyée, la vie quoi comme dit bob, mais non, au lieu de cela, j’écoute les sons et imagine ce qu’un aveugle ressentirait s’il se trouvait à ma place, et je pense à un mouvement insecte à cause des pas réguliers, et ces pas s’ajoutent à eux-mêmes autour d’une fréquence unique de sorte qu’il n’en ressort qu’un grand pas à peine troublé par la plainte de l’escalator. C’est l’oie frénétique, toute en pieds. Un mécanisme.

                J’ai rêvé l’avant-dernière nuit que je perdais mes deux mains à la suite d’un accident. Je n’étais d’abord pas inquiet de ma nouvelle condition. J’étais étonnement relativiste et ne réalisais pas immédiatement ce que le sort m’avait ôté, bien au contraire je le comprenais progressivement, peu à peu je me figurais le handicap dans quoi je venais d’être jeté, il me serait impossible d’écrire, de lire, de toucher, de travailler, de lire sur mon iPhone les blogs politiques et littéraires que j’affectionne tant, et finalement, je désespérais. Mais n’étais-je pas devenu ce pied que j’entends ce matin ? N’étais-je pas l’accomplissement définitif du tac-tac ? Ca y est, j’étais la fonction : je ne ferais que du bruit. C’est sans doute là le sens de ce songe étrange, aucunement cauchemardesque, simple écho d’un quotidien qui tourne en boucle.

 

Mardi 20 Septembre 2016 - Un mot sur les signes

               J’ai rarement écrit sur la présence des signes dans une vie humaine. Il n’empêche que je les observe et les relève fréquemment. J’en parle souvent avec une amie qui y prête attention. Elle est passionnée d’astrologie qui peut être considérée comme une carte des caractères humains dont la cartographie est l’étude du ciel.

                Aujourd’hui même, j’ai été surpris. Je suis en train de lire TROPIQUE DU CANCER de Henry Miller. J’en ai débuté la lecture à Bangalore et j’en ai parlé au collègue qui s’y trouvait avec moi. Dans l’avion de retour, je lui ai expliqué à la fin d’un chapitre lumineux pourquoi il s’agit d’un grand livre et d’un grand écrivain. Ce collègue a grandi à Dijon et a été instruit au lycée Carnot. Or Miller laisse dans TROPIQUE DU CANCER des pages mémorables, lues ce jour, au sujet de son expérience de professeur d’anglais dans ce même lycée. Il vécut à Dijon. Or mon collègue est l’unique personne de Dijon que je connaisse. Je ne lui parlais jamais vraiment jusqu’à ce déplacement professionnel dont on peut dire qu’il nous a rapprochés. Il a fallu que je lise TROPIQUE DU CANCER au moment exact que je faisais connaissance avec lui. Ho ce n’est pas grand-chose, mais j’y vois la preuve que certaines personnes doivent se parler et qu’il existe un moment précis pour qu’elles se parlent. Mektoub disent les arabes. Ce moment est composé d’instants d’épiphanie qui le précèdent et le nourrissent d’éléments concourant à son épanouissement.

                Je n’ai rien d’un élu de sorte que ces signes n’annoncent aucun destin d’exception : nulle autorité supérieure ne s’adresse à moi. Disons que je note ce que certains appellent des coïncidences. Je choisis de les voir d’une autre façon que selon quoi il faut les regarder. N’était leur fréquence, je n’aurais jamais choisi de remarquer les événements de la sorte et aurais campé à la frontière de mes curiosités. L’ésotérisme ou encore la mystique m’intriguent mais troublent ma raison. J’hésite. Je n’apprécie tout de même pas cet esprit cartésien brandi par une gamme de Français rationalistes à l’excès. L’âme de France ne s’y réduit pas. Elle s’en enrichit mais elle s’entiche depuis toujours de lubies et d’alchimies. L’Histoire de France est percluse de signes : qu’est Jeanne d’Arc sinon l’épopée de visions précédées de signes ? Et quid de Napoléon qui change l’orientation de ses troupes après qu’un lapin a passé sous son cheval ? Les signes sont là et regardent aussi qui ne les voit pas.