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19/09/2016

Agenda de Bangalore - Septembre 2016

Pat Poker

 

Le dimanche 4 Septembre 2016 :

      Arrivée a Bangalore. Sur le trajet qui sépare l'aéroport de l'hôtel, mon collègue observe qu'il n'y a aucune règle d'urbanisme précisément quand je pense qu'à la différence de Paris, aucune ville indienne ne se construit selon une autorité. Aucune patte, aucun nom, rien que l'anonyme et multiple ordre de l'intérêt particulier porté par le marché. Telle construction eut lieu parce qu'il y avait un marché. Elle ne se doit à personne. Elle est le résultat d'une civilisation cyclope qui ne voit le monde qu'à partir du point fixe de son néant qui est le marché.

Il en résulte une disharmonie qui place des taudis au pied de tours de verre ou d'habitations correctes.

 

Le  mardi 6 Septembre 2016 :

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      J’apprends en regardant mon Facebook que la blague de la nouvelle miss météo de CANAL Puce qu’elle a lancée à la chroniqueuse transgenre ne passe pas. Les réseaux sociaux se déchaînent comme on dit maintenant. TWITTER se crispe. Bref, cette société puritaine n’a aucun humour, elle ne sait plus rire. C’est le résultat du gauchisme qui est un hygiénisme mental qui se pique de morale. Cela donne la moraline. Chacun est coincé dans ses pets de petit flic qui tourne au kapo. Little brother is catching you. Les réseaux sociaux sont le panopticon imaginé par Jeremy Bentham où chaque internaute de gauche effectue son tour de garde afin de traquer les évadés de la bien-pensance. Que de gravité pour si peu…

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      Je suis à Bangalore pour le taff. J’expérimente, avec la joie de découvrir, la vie hors-sol menée par certaines professions genre consultant. Vie en hôtels impersonnels, aéroports, pas de sexe, aucun moment avec les amis. C’est le nomadisme qui parade en proclamant cette révolte des élites expliquée par Christopher Lasch. J’y ajoute du sport et des livres comme seule infidélité à leur vie merdique que je suis ravi de ne pas imiter plus souvent. Leur chair est aussi triste que leur âme.

Je dors et travaille à La Défense locale, soit dans un endroit totalement aseptisé comme si j’étais ailleurs. Je ne suis pas là où je suis. Telle est la devise de la mondialisation. Je ne suis pas à Bangalore. Avec l’au-delà, l’homme a toujours rêvé d’ailleurs et de s’y projeter. La mondialisation participe de la même ambition à ceci près que l’ailleurs y est le simulacre de lui-même parce qu’il n’offre que de se déplacer. La globalisation est un prête-nom à l’au-delà ; c’est un en-decà.

 

Le Mercredi 7 Septembre 2016 :

      Je remarque ce matin à l’hôtel la présence d’Américains qui doivent travailler pour l’entreprise PIONEER dont le bâtiment est situé en face de mon entreprise. Comme de juste, il y a dans le tas une obèse WASP qui ressemble à n’importe quelle obèse WASP qui serait jolie si elle était mince.

Il y a également deux femmes slaves dont l’une a les cheveux rouges. Elles tapent une brasse vers 11h. L’hôtel entoure la piscine en sorte qu’elle est visible depuis les chambres. Je regarde de mon salon les rares personnes qui s’installent à côté du bassin. Un de mes collègues (nous sommes trois) est malade et se réchauffe au soleil. Il se lève et entreprend de s’étirer façon yogi. Après une salutation au soleil tout occidentale, il se redresse et marchote autour de l’eau. Ces moments d’espionnage me rappellent les films SOMEWHERE et LOST IN TRANSLATION. Les humains se rencontrent derrière des vitres à travers quoi le silence seul est partagé. La parole ne s’entend pas, alors la voix s’éteint et avec elle disparaît sinon l’humanité, au moins la civilisation occidentale.

      J’ai achevé hier soir la lecture de NEXUS durant cent pages hallucinées. Je les ai lues d’une traite comme il survient parfois chez le lecteur qui a l’impression de se relire. Non seulement il ressent la phrase qui vient et celle qui suit comme si elles étaient siennes, mais il croit les avoir écrites. C’est ainsi que s’établit un dialogue avec l’écrivain.

      Piscine. J'y ai débuté ce matin LE GRAND HOSPICE OCCIDENTAL de Limonov dont le titre évoque assez ce que j’écrivais hier. En 1989, Limonov diagnostiquait déjà le manque d’énergie de l’homme de bureau, lequel vit en Occident, est blanc, et encouragé par un totalitarisme mou qui satisfait ses désirs paresseux. Il cible la peur panique du chômage qui s’est instillée dans les esprits parce que ce dernier suppose une existence de liberté qui nous effraie. Il a raison, je crois, et je sais que je vis aussi de cette peur idiote. En sorte que je suis un guignol qui joue au fasciste ; Limonov l’est vraiment, lui ; Miller aussi ; les deux sont de sacrés écrivains qui ne craignirent rien. Prise de risque physique et intellectuelle, lectures folles et corps en avant : ainsi vécurent Limonov et Miller. Le refus du travail en somme, ou du salariat. Je possède un ami franco-italien de leur trempe. Il est anarchique mais authentiquement fasciste. Intelligent, il vit de bric et de broc mais surtout de soi-même. Il personnifie l’idée du gitan des DEMONS DE JESUS selon quoi un travail, c’est pas un boulot. Il exerce différents métiers qui lui confèrent une existence fantasque. C’est un drille, et un drille furieux, qui quitta du jour au lendemain un open-space en disant qu’il avait écouté Brassens et qu’il ne pouvait rester là. Il ne reviendrait plus. Il est l’ami qui ressemble le plus à Limonov ou à l'un des personnages de LA CRUCIFIXION EN ROSE de Miller.

Sur ces pensées, empli d’un tendre mépris pour moi, je pars nager. Bangalore est une ville ventée si bien que la douche extérieure qui précède le bain est glaciale. Cela me fait du bien parce que je ressens physiquement un chouïa de cette force de l'ancien mâle blanc. Mon autre collègue est alangui. Il vote à gauche. Il m’a parlé hier de la responsabilité de la France dans le génocide rwandais. Je le regarde, et parce qu’il ne me reste que la provocation pour me déclarer, je dis : « Ha…l’homme blanc a dominé le monde parce qu’il n’avait pas peur du froid ! » Il rit jaune, et : « Ça vient d’où, ça ? » Je plonge sans lui répondre.

 

Les Samedi 10 et Dimanche 11 Septembre 2016

Un vaincu qui a conscience de ce qu'il est a déjà moins perdu.

      Le personnel de l’hôtel adore la chanson BESOIN DE RIEN ENVIE DE TOI de Peter et Sloane. Devant leurs applaudissements, je me remémore l’histoire de ce couple des années 80. Lorsqu’il sort cette chanson, le couple est amoureux. Il ne croit pas que son amour deviendra un tube. Le succès vient pourtant et renforce les sentiments de Sloane pour Peter qui se laisse griser par les groupies. Sans surprise, le couple se déchire, Sloane est cocue mais encore amoureuse de Peter qui entend profiter de sa gloire. Seulement, celle-ci ne dure pas parce que l’un sans l’autre, ni lui ni elle, ni eux ni leur chanson n’existent. C’est beau comme une bluette. La vache, mais que c’est niais. C’est pourtant vrai, et Sloane aime toujours Peter. Ils se réunissent encore le temps de festivals ANNEES 80 REVIVAL au cours de quoi les chanteurs de ces années-là remontent sur scène devant un public qui avait trente ans il y a trente ans. « C’est de la nostalgie » me dit mon collègue à qui je raconte cela. Sans doute, mais qu’elle est pathétique.

Les figures de cette époque qui en jettent le plus sont Mike Brant et Dalida. S’il fallait vraiment applaudir des artistes populaires, c’est eux que je choisirais. Deux amis à la ville et aux champs, deux beautés qui se trouvaient laides, deux êtres tragiques broyés par une sensibilité exacerbée par leur popularité. Dalida se suicide, Mike Brant aussi. Les deux cultivaient un sentiment bien connu des écorchés qui est la haine de soi, laquelle fait osciller entre une immense confiance en soi et un gigantesque dégoût pour sa personne. J’aime ces personnalités pour ce qu’elles ont d’homme. Avec eux, on est dans l’épreuve, la vie vécue. Ce n’est pas le frisson collégien de Peter et Sloane. Bon ce n’est pas Bach, mais il y a de la souffrance qui transpirait dans l’éclat de leurs prestations et de leurs chansons.

 

      Je n’ai pas eu la force l’autre jour d’expliquer à mon collègue en quoi la France n’a rien à voir dans le génocide rwandais qu’elle a au contraire tenté d’empêcher. Les responsables sont les Africains mais ceux qui ont défini la hiérarchie raciale entre les Tutsis et les Hutus sont les Allemands. Avant de céder le Rwanda à la France à l’issue du traité de Versailles, les Allemands avaient établi une séparation entre l’ethnie Tutsi et l’ethnie Hutu. Ils avaient décidé que les Tutsis étaient supérieurs aux Hutus parce que les premiers ont des traits moins négroïdes et des attaches plus fines, à partir de quoi il est censément possible de les distinguer. Le germe du génocide a été planté par les Allemands, et il n’est que de lire AU COEUR DES TENEBRES de Conrad qui explique comment les Allemands ont fait de leur pré carré africain le laboratoire de leur futur grand génocide européen.

      Le collègue me parle des meurtres d'honneur dont il considère l'annulation comme une avancée. Certes. Mais il en a autrefois coûté au peuple français d’oublier ses structures claniques. Beaucoup trouvaient que Richelieu leur ôtait une liberté, celle de se faire justice, et pensaient que son autorité était contraire à leur libre-arbitre. Les meurtres d'honneur sont donc très peu fréquents en France grâce à l'autoritarisme du père de l'état-nation. Les droits de l'homme et autres théorèmes gauchisants n'ont rien à voir là-dedans.

Je l’écoute. Je sais être d’une conversation agréable et me mettre les gens dans la poche. Ils finissent toujours par se confier. Il m’explique tout de go qu’il est resté six années avec une musulmane et qu’ils se sont quitté à cause de la religion. Comme il est athée, il s’est converti au mahométisme. Quoi de plus normal ? « J’ai récité leur petite phrase. » me dit-il. « Donc tu es musulman. » lui réponds-je. « Oui mais non, tu comprends. » Non, je ne comprends pas, mais je me tais. Les parents l’acceptaient mais ce sont les sœurs qui n'ont pas voulu de lui. Il boit du vin et mange du porc. Cela confirme une chose : qu'en civilisation méditerranéenne, la femme est la garante des traditions, et en prouve une autre : qu'aujourd'hui en France la jeune génération islamique immigrée est plus raciste que les précédentes. Les femmes islamiques joueront un rôle important dans le destin funeste qui tend les bras à la France, et la récente affaire des bonbonnes de gaz le confirme. La France entre dans la nuit.

      Nous nous promenons dans Mysore et visitons l’église Sainte-Philomène. À ses pieds se trouve un quartier musulman que nous empruntons. Je fais remarquer que nous sommes le 11 Septembre. Mon collègue se crispe, bien qu’il soit musulman. Il espère qu’Al-Qaïda ne traîne pas dans le coin. C'est quand même drôle cette farouche volonté de se mélanger avec qui on veut éviter après. « L'autre, tends-lui les mains. » nous susurre l’époque. Je ne l'évite pas, cet autre, en ce qui me concerne, et je n’ai pas peur des regards agressifs des muslims indiens, j’accepte de les côtoyer à côté d’une sainte église, mais je ne me mélangerai certainement pas avec eux.

 

      À Bangalore, la nuit est tendre : le ciel est rose, éclaboussé par la terre rouge d'où il tire son anarchie qui provient de l'agitation humaine. Démographie monstre. L'augmentation de la quantité s'accompagne automatiquement d'une détérioration de la qualité. C'est un principe que la nature m'a toujours confirmé. De sorte que plus il y a quantité de vies, moins il y a de qualité de vie. De même, le nombre diminue la valeur de ses parties. L'Inde est surpeuplée, sa population est trop nombreuse, il ne faut donc pas s'étonner qu'elle accorde moins de valeur à la vie. Les manifestations du moment à Bangalore tuent sans sourciller. Un homme de plus, une femme de moins, quelle importance ? L’Inde est du reste un pays historiquement violent. Gandhi y est apparu en tant que chantre de la non-violence précisément parce que l’Inde est un pays violent. Disons que Gandhi fut le nécessaire et providentiel contrepoids de la nature indienne. Cela n’a pas permis d’éviter que de son vivant les Hindous et les musulmans se massacrent allégrement. Lui-même fut assassiné par un extrémiste hindou. Du temps de Gandhi, Jinnah obtint la création du Pakistan et entérina sur la carte la détestation entre Hindous et musulmans. Le premier ministre actuel, l’Hindou Modi, la rappela récemment lorsqu’il encouragea dans son état le massacre de trois mille mahométans en trois jours. Le nom de famille clé en Inde est en réalité Nehru, lequel succéda au Mahatma. Sa fille Indira fut également premier ministre sous le nom de la famille Gandhi, mais par son mari, lequel n’avait aucun lien de parenté avec son fameux homonyme. Indira fut la seule à lutter contre la natalité indienne en stérilisant les hommes par la force. Des camions sillonnaient les rues des villes et pratiquaient sur eux des vasectomies. Du viol à l’état primitif. Brutal et dur. Ce seront les gardes du corps sikhs d’Indira qui la tueront en lui vidant dessus leur mitraillette. Cela au cours d’un conflit intercommunautaire entre les Sikhs et les Hindous. Le fils d’Indira, Rajiv Gandhi, deviendra premier ministre et sera abattu par des extrémistes tamouls dans le Tamil Nadu. Sa femme italienne, Sonia Gandhi, superbe créature de cinéma, joue encore aujourd’hui un rôle politique considérable dans un pays de castes où les étrangers, et d’autant plus une femme, appartiennent aux intouchables. Ces quelques éléments pour dérouler la chronique-surprise de la violence indienne.

      L'absence de qualité de vie se mesure à des choses aussi triviales que l'accoutrement sans fantaisie : la ville indienne est invivable, tournée qu'elle est vers son seul objectif de rentabilité économique. Elle est bâtie à flanc d'autoroute et il n'est pas rare que les habitations surgissent au milieu des échangeurs. Il faut sans doute être et rester au contact du mouvement, ce grand bond en avant indien. Du linge sèche à quelques mètres des pots catalytiques. Devant ce spectacle, je peine à imaginer l'existence de cette personne qui éclaire la pièce derrière cette fenêtre. Comment vit-elle dans ce bruit sans finir abrutie au point de vouloir se tuer ? C'est un enfer. Dans de tels endroits, il est donc impossible de prendre du plaisir à flâner bien habillé. Les voitures envahissent les zones où marcher, quand ce ne sont pas les humains qui bousculent. Il n'y a aucun art de vivre et tout concourt à l'empêcher de se développer, de la pollution sonore et visuelle au plus trivial des gaz d'échappement.

Bangalore grandit à raison de parcs technologiques à l’instar du Whitefield Technology Park où je travaille pendant ces deux semaines. Des résidences et des hôtels côtoient des entreprises sur des étendues presque aussi grandes que La Défense. Encore une preuve que rien n’est pensé à proportion de l’être humain mais à l’aune des abstractions capitalistes qui sont les rendements, les ressources humaines, l’optimisation. L’occidentalisation de l’Inde est une photocopie de l’Occident dont l’instrument principal, sinon l’arme, est précisément une photocopieuse. Ce démon civilisateur m’est aussi apparu en cette jeune femme indienne croisée lors d’une ballade dans le seul quartier piéton de la ville. Elle surgissait du trafic ; naïade jetée par les vagues, elle marchait sur l’eau. Le point de fuite qui avait initié sa parade de vamp était le point d’arrêt des rickshaws, motos et autres véhicules. Elle avançait, mécanique sûre de son fait. Mouvement et port de tête haut. Ha çà ! Elle a bien pris le pli de la femme occidentale. Ivre de ce mépris qu’elle confond avec la liberté. C’est tout en chair et moulée qu’elle passa devant nous, mon compagnon indien subjugué d’être ignoré par tant de beauté surfaite. Continue ma grande, tu achèves d’occidentaliser le pays par le comportement de la femme du nord, continue et tu connaîtras ce type qui te brisera, parce que ca se passe comme ca chez McDonald’s. C’était peu avant de s’asseoir dans un café de la jeunesse où s'emmêlaient l’excentricité asiatique et la musique américaine pour teen-agers. Autre démon civilisateur.

      Dans un pays grand comme un continent, le vacarme est une identité commune à toutes les parcelles de son territoire. Pour avoir longtemps et souvent sillonné l'Inde depuis 2012, je puis attester ici de cette identité construite dans le bruit. Mais bien qu'il confine partout à un brouhaha totalitaire parce qu'il englobe la totalité de l'espace et du temps, ce bruit indien entretient chez moi la nostalgie de moments passés avec lui : ces nuits écoulées à lire dans la chaleur de Delhi ou de Jodhpur que troublait le long et sourd Klaxon d'un camion bariolé, comment saurais-je les oublier ? Ce son m'est revenu hier tandis que j'observais les détails d'un temple hindou de Mysore. Il m'a lors replongé dans d'intenses réflexions que j'avais échangées avec les mânes voici deux, trois, quatre ans. Jaisalmer, Jaipur, Amritsar, Calcutta, Bombay, Bénarès, Madras, Hyderabad : tous ces noms, et autant de livres lus et médités et commentés en esprit à l'épreuve de la mystique indienne, tous me sont revenus à l'écoute du loin et de son bruit. Quel est cet homme qui klaxonne ? Où va-t-il ? Pourquoi ? Que transporte-t-il ? Ha ! L'Inde et son fardeau ! « A travers la nuit sans fin », dit Miller, « la terre tourbillonne vers une création inconnue. »

 

Le Lundi 12 Septembre 2016

 

Les comptes-rendus écrits et photographiques ont provoqué chez mes aficionados quelques échanges que je retranscris ici.

 

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-Si Dalida et Brant avaient échoué dans leur suicide, ils seraient comme les autres. Si tu cherches bien, ils ont tous fait des tentatives de suicide.

-Oui, mais eux ont réussi. Et ils étaient beaux, et ils en jetaient.

-Ils sont morts donc ils resteront éternellement jeunes.

-Oui. La mort est fascinante pour ça.

-Oui parce que le suicide est l’interdit.

-En chrétienté. Si tu regardes les grandes civilisations pleines de jeunesse, elles eurent toute la passion du suicide qui confine chez certaines au sacrifice, lequel reste un suicide. Sparte, Rome, le Japon et ses samouraïs ou kamikazes, le fascisme et le corollaire chrétien du martyr. Notre civilisation est mesquine avec sa passion pour la survie. C’est la bêtise du jeunisme qui troque le sabre d’harakiri contre la lame du bistouri. Principe de précaution et toutes ces conneries de castrés. Le jeuniste s’entretient à coup de prothèses plastiques ou humaines, c'est-à-dire qu’un autre que lui, en l’espèce un chirurgien, fait ce qu’il devrait faire. Le jeune se démène tout seul, lui. Le jeunisme découle de l’individualisme. Le jeuniste entend se conserver soi, petit individu qui se croit plus grand que l’espèce. Le jeune espère la maintenir à travers lui qui se sait plus vain. C’est un relais, un témoin, un martyr ! Le jeune a le goût du plus grand que soi, de tout ce qui nous surpasse. Il se jette vers le ciel non pour le dépasser mais pour lui offrir une cathédrale de pierre. Il lui donne des temples et des cailloux, des bouts de cette terre qui l’a mis au monde. Érection ! C'est Pan ! C'est l'os de Dionysos ! C’est le don de soi. C’est ca qui donne des bâtisseurs. Le jeuniste adore le petit, ce qui est en-dessous. « Je fais mon trou » qu’il dit. C’est un être fécal qui s’en retourne au stade anal comme un chien part à niche. Ha ha ha hein ! Bref, l’individualisme, parce qu’il rejette la mort, rejette aussi la vie ; il n’en a que pour la survie. Il est athée, autocentré, et parque ses vieux dans cette chiotte métaphysique qu’est la maison de retraite. Excréments. Biberons. Sphincters morts. Une allégorie de l'individualisme. Là-bas, le troisième âge soupire « À bas la mort... » Mais c’est « Vive la mort ! » que crient les fascistes. Pas mieux. Des jeunes. Car ça veut dire « Vive la vie ! » à la puissance mille. Les fascistes sont des païens, or comment les païens pourraient-ils refuser la vie ?

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En dessous d’une photo des jardins du palais d’été du Sultan Tipu à Shrirangapatna, un ami demande :

-Il fait beau à Paris parfois ?

-Oui, mais là c’est à Mysore, en Inde. Sinon, ne te figure pas qu’il se trouve de tels ciels à Paris. L’horizon n’y existe plus. C’est devenu un endroit comptable où l’homme-insecte regarde bas, écrasé par l’immeuble. Son regard s’arrête où il commence : sur ses pieds plats de fiotte qui font ploc-ploc dessous les deux.

-Oui, c’était à peu près ça la dernière fois que j’y suis allé.

 

Le Mercredi 14 Septembre 2016

L’empire sous cellophane.

      Le pays sursaute sur fond de dispute entre le Karnataka et le Tamil Nadu pour un égal accès à l’eau ; grèves, bagarres, morts ; les voitures des Tamouls sont incendiées et les Tamouls tabassés. (La visite de l'arrière-pays dimanche dernier était un risque mesuré moyennant quoi je me suis offert un frisson bourgeois). Je suis désormais planqué dans le Whitefield Technology Park qui est l’épiphanie de ce « cauchemar climatisé » dont parle Miller à propos de la civilisation américaine. Je me suis malgré tout rendu ce matin dans le centre commercial qui jouxte l’hôtel. C’est l’un de ces malls dont sont friands les Indiens. Ils pullulent dans toutes les villes du pays. Ils donnent la même impression de vertige qu’en Europe lorsque les clients pénètrent dans leur enceinte comme s’ils se penchaient sur un précipice. C’est le néant fait monde. Vide vide vide sur cortex infini, et d’autant plus qu’à Bangalore, en ce moment, chacun reste chez soi. Le mall était désert et il en ressortait une ambiance de fin de civilisation à la manière d’un épisode de Walking Dead. Je me suis souvenu du film GOOD KILL avec Ethan Hawke dont j’ai parlé dans L’Aristo. Plus précisément, je me suis souvenu des paroles d’un des personnages lorsqu'ils passent une soirée à Las Vegas, cette ville supermarché. Tous sont des pilotes de drone après avoir été des pilotes d’avion de chasse, autrement dit ils sont passés de guerrier à gamer-bureaucrate et sont châtrés comme l’Occident s’est amputé de son âme. C’est lorsqu’ils sont réunis dans un casino que l’un d’eux répète : « End of civilization  End of civilization  End of civilization ». Il est évident que le casino est un prétexte grâce auquel il souligne la vacuité de son nouveau travail ; comme n’importe quel bureaucrate, il se sait inutile et profondément vain. C’est là l’esprit même du mall, et sans doute l’homme occidental est-il aujourd’hui un homme-mall, un mall-homme dirons-nous par euphonie, avant de devenir demain un robot. Dans une sorte d’état de transition, il compose le chaînon manquant qu’un nouveau Darwin trouverait, lui, parce que ce maillon est là, étalé dans des magasins pharaoniques aussi vides qu’ils sont pleins un jour de soldes.

Au rez-de-chaussée se trouve un McDonald’s. Sur le seuil du fast-food est assis McDonald en plastique. Il salue les entrants d’une main droite figée dans un geste d’accueil souriant. Un croisement d’Hitler et de Mao habillé en clown. Son costume amuse les enfants mais abuse les adultes. Il est l’allié des premiers, du reste, par quoi il proclame l’infantilisme dont il est le grotesque totem. Ce bouffon kitsch est le dernier américain. Il sort de la cuisse de l’oncle Sam et pue l’huile de frite. Voici l’empereur d’un empire sous cellophane. Voici le pépin de suc qu’il reste à l’Occident matérialiste. Qu’à Dieu ne plaise ! Que les Indiens ne se rendent-ils compte qu’ils vendent leur chair au nihil actif ?

      À l’hôtel comme au travail, Internet, monde hors-sol, subit la réalité des tragédies humaines de sorte que le Wifi fonctionne péniblement.

      La ville était bouclée vendredi dernier. L’armée arrivait et molesterait bientôt les personnes qui se promèneraient par plus de trois dans les rues. Nous étions enfermés dans le Park transformé pour l’occasion en cette Green Zone où les Yankees missionnés à Bagdad se terraient durant la guerre en Irak. Ou en zoo, selon qu’on envisage. Dehors, la foule hurlait. Un petit mec de la SG a voulu sortir. Ce pistolet commence par s’emporter contre un garde avec tout ce mépris du raciste refoulé de gauche. Il lui dit : « It is democracy here, human rights ! Droits de l'homme ! ». Sur quoi je lui demande si mourir est un droit de l'homme. À côté, des Américains pleuraient de rater l'avion. Je suis parti bosser sans demander mon reste puis suis rentré lire. End of civilization.

 

Le Jeudi 15 Septembre 2016

      Niveau lecture, ces jours passés à Bangalore resteront ceux d’Henry Miller. J’y aurai achevé sa CRUCIFIXION EN ROSE avec NEXUS qui est le meilleur livre de la trilogie, même si le second, à savoir PLEXUS, recèle quelques moments de bravoure. Des dialogues, des méditations métaphysiques, des commentaires à propos des plus grands écrivains, il y a chez Miller absolument tout ce que je cherche en littérature.

Ses livres peuvent heurter le lecteur français, non pour sa passion pour la fesse (bien au contraire, le Français est rabelaisien), mais à cause de son mépris pour les unités de Boileau (le Français est le relais du classicisme, il est grec en esprit) : Miller ne respecte rien, ni le temps ni le lieu ni l’action, et sa prose explose en tous sens du même temps que la narration se développe. Les deux explorent tout, absolument tout, et me font penser à un orchestre de cymbales dont surgirait une harmonie. C'est le sacre du printemps. C’est le miracle des livres de Miller. S’ils se ressemblent dans leur construction, ils n’en composent pas moins une œuvre unique qui assure que Miller est un écrivain.

      SEXUS PLEXUS NEXUS, puis UN DIABLE AU PARADIS, et JOURS TRANQUILLES A CLICHY, et TROPIQUE DU CANCER puis TROPIQUE DU CAPRICORNE, tempêtes de la pensée ! Je retrouve en plus total le Cendrars de MORAVAGINE, et cette passion pour l’art d’où Miller extirpe sa connaissance de l’homme. Elie Faure est celui qu’il admire le plus. C’est grâce à lui qu’il se permet d’impressionnantes analyses de l’Inde sans y avoir été, et uniquement à partir des réalisations architecturales décrites dans L’HISTOIRE DE L’ART. Il émane de Miller l’étrangeté du prophète géographique qui ne prévoit pas l’événement mais dit l’ailleurs sans l’avoir visité.

      J’ai un ami dont l’anniversaire est ce jour et je le salue tandis qu’il lit ces lignes, j’ai un ami, donc, qui dévorait Miller lorsqu’il avait 30 ans. Anaïs Nin - qui vécut une longue passion avec Miller, justement - Miller, Dostoïevski - il me parle souvent d'eux. « Mais tu ne lâches pas le livre ! Tu n’arrêtes pas ! L’IDIOT, les KARAMAZOV, le journal de Nin, les TROPIQUES de Miller, mais lis-les ! A une autre époque encore je lisais Lawrence d’Arabie. Ha ! Alors là, c’est LES SEPT PILIERS DE LA SAGESSE, livre essentiel, je le lisais partout et tout le temps, je faisais une passion pour les piliers, et je le donnais à tous ceux que je croisais, et je le rachetais et le redonnais, et ainsi de suite. Ha... ! ». C’est bien simple, cet ami a beaucoup lu, et du tout bon. Tous ses conseils furent excellents. Il ne m’a jamais trompé. Il faudra que je lise LES SEPT PILIERS ne serait-ce que pour sa conception. Je suis allé fouiner, et sachez qu’il existe un exemplaire unique des SEPT PILIERS entre les mains d’on-ne-sait-qui, ou qui se serait volatilisé, parce qu’alors que Lawrence se rendait chez son éditeur, il égara le manuscrit à la gare. Perdu envolé disparu. Il en conçut une immense amertume et dut tout réécrire de mémoire en deux semaines. Il évaluait à 95% l’authenticité de la copie à qui il reprochait le manque de style faute de temps pour le retravailler. Pour avoir déjà laissé m'échapper de simples notes, je peux imaginer la frustration de Lawrence au vu de l’énervement dans quoi mes étourderies me font rentrer. C’est à se ronger le sang.

      J’associe à chacun de mes voyages un écrivain et ses livres. Cela me permet de me souvenir des deux à la fois. Je fonctionne par association d’idées et de lieux afin de les inscrire dans un tout. J’en extrais de puissantes réflexions qui me permettent de tenir dans un monde EXCEL. Je travaille en banque où je bricole des comptes-rendus pour des managers guignols qui sont à la tête de clowns, mais dans un bureau, attention. Il y a beaucoup de rigolos chez ces idiots de cadres qui soignent leurs chefs pour quelques euros de plus. Tous à croire en l’importance de leurs tâches et à mépriser l’homme qui lit. Alors j’échappe à leur emprise gluante par le livre. Leur fréquentation, le fait de leur parler, écouter leurs âneries d’intrigants à deux balles (même dans leur domaine ils sont nuls) m’entôlent la peau. Ha ! Vilaines limaces ! Et leurs faces de ravis, contents d’eux-mêmes, tu as fait quoi ? Ha ben j’ai gloutonné le cul de mon boss et j’y ai pondu un beau résumé de chiffres, l’était content, je vais cartonner, on ira au soleil cet été. Salope sur salope, toutes entremêlées, pourritures modernes. Roulures ! Tous vendus au chiffre. Ils numérisent le monde et le vident de sa substance, la lettre, c'est tout ce qui vient du Beau, et ils l'annulent dans le triomphe du laid.

      Il y a le film de Chabrol JOURS TRANQUILLES A CLICHY qui montre la vie de Miller à Paris. Le titre est emprunté à l’un de ses livres mais ne met pas ce livre en film, enfin, pas uniquement. Les écrits de Miller sont autobiographiques, par quoi très vivants, en sorte que Chabrol a pioché dans chacun de ceux qui se déroulent à Paris pour réaliser les JOURS TRANQUILLES. La sensation d’habiter un monde parallèle surprend lorsqu’on regarde la fable de Chabrol, mais c’est précisément ce que Miller donne à lire. C’est là la vie de l’écrivain. Et Chabrol sut la filmer.

 

Le Lundi 19 Septembre 2016

      De retour ce jour à Paris, je constate que le culte des victimes bat son plein en cette journée d’hommage aux morts et blessés à cause du terrorisme. Limonov écrit dans LE GRAND HOSPICE OCCIDENTAL un chapitre entier au sujet du remplacement des héros par les victimes. Il remarque que la place la plus enviable dans les sociétés du totalitarisme soft est celle du rescapé, si possible mutilé, qui parle de paix et d’amour en pleurant. Le faible devient le fort en une manière de christianisme simplet.

      C’était bien ce que je constatais ce matin, dans ma télévision. Devant un parterre de politiques contrits, tous à la mine déconfite, cabotins ridicules, devant ces faces de pet, donc, défilaient les victimes d’attentats ayant eu lieu en divers points du globe. Cette grand-messe républicaine se substitue, elle, à la religion que la république a tuée via d’autres attentats par le passé - la religion qui a déjà rendu dans l’intimité des familles l’hommage convenant aux tués. La liturgie catholique parade peut-être diront les athées, mais c’est en son sein, et dans ses églises, au lieu que de s’afficher entre tenants de l’Etre Suprême. Ha ! Ces gargouilles sont bien aujourd’hui l’infâme dont Voltaire réclamait la mort. Qu’est-il besoin de cette grande prêtresse de Hollande sinon pour célébrer la faiblesse d’un peuple français qui ne veut plus tuer que lui, en lieu et place des terroristes qui l’infectent sans être inquiétés ? Eux doivent rire à la vue des chialeux qui commémorent ce matin.

      Comme le démon, cette république vit de l’imitation de ce qu’elle veut détruire, en le ridiculisant, en le parodiant, en le spectacularisant. C’est là la façon de procéder de l’Antéchrist que de se mettre à la place de pour éliminer par la caricature. Paix et amour avec force pleurs : autant de fumisteries chréti-nes pour détourner le message du Christ. L’inversion n’est pas directe, et c’est précisément en ceci que réside la subtilité. La contrefaçon de peuple construite par les fiottes parlementaires que j’ai regardées il y a quelques heures est un produit d’imitation également, donc une autre manifestation du prince de ce monde. Ce matin, c’est lui qui était célébré. Au cours d’une seconde messe parodique, ce sont ses réalisations qui étaient rappelées. Les victimes sont les martyrs dont il a besoin pour entretenir son souvenir. Suis-je le seul à le voir ? Il est pénible d’être étranger en son propre pays, mais il l’est davantage encore de le devenir et de savoir qu’on le devient.

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