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06/02/2015

Pensée du 06/02/2015 - A ma Bretagne

Pat PokerLe Breton ne l’ouvre jamais. C'est-à-dire qu’il parle mais ne sentence pas. Ce n’est pas un phraseur. Pas un hasard que Céline soit breton – de l’aristocratie bretonne, même. La Bretagne ne bavasse pas. De là qu’elle se tient en exil par rapport à Paris dont elle ne supporte pas les parleux. Un étranger en Bretagne ? Un parisien. D’où que vienne l’arsouille qui visite un village breton, il y sera parisien. Parisin ! marmonnaient les vieillards avec qui je discutais gamin quand je sillonnais ma campagne en vélo. C’était un vélo cross, pas un VTT avec palier de vitesses pour bob technique, un simple vélo cross : une chaîne et deux pédales. Mais je restais Parisin. Les vieux lâchaient vingt mots en une heure. Pourtant je pensais qu’ils avaient tout dit. Le maquis, la collaboration, breiz atao dan ar breiz papir kommandantur schnell les gars avaient raconté ce qui suffit à faire rêver un mioche. Sans fioritures, ils n’en rajoutaient pas. Nul besoin d’enfler la vérité. Pas de rostand chez les Bretons !

Je lisais Edouard Ollivro. Picou fils de son père. Les écrivains vernaculaires, pas mieux pour manger une terre par ses racines. En sentir le goût, la palper, la saisir – comme Malaparte qui, enfant, courrait sur la campagne de Prato avec une joie telle qu’il finissait par emplir sa bouche du terreau toscan pour apprendre la mémoire de ses ancêtres jusqu’à ce qu’ils pénètrent dans sa peau. Et je mangeais le pain de ma terre et ses morts et ses mots car la mort est pleine de mots et les mots sont pleins de vie et les morts parlent mieux que les vivants.

J’ai déjà raconté ca dans une chronique mais un jour que je me trouvais en compagnie de Picou, me tombent dessus deux mioches d’un village voisin. Dans une façon de guerre des boutons, les types commencent à me charrier, alors je réponds et c’est la baston. Ces deux cons veulent un parisin. Vite, j’en sèche un du pied derrière le genou : il n’y a plus personne, juste un cri de femme, un cri de surprise qui dit en fait ce sera coriace ; son camarade, au lieu de se jeter, tente de parlementer. Pas breton ca, parisin, il salive comme un jacteux : une claque, arrête :une claque ; faut dire que je leur rendais cinq kilos. Ils ne faisaient pas le poids. En deux minutes, l’affaire est entendue. Je file avec Picou et les abandonne avec leurs bleus.

A l'époque et encore maintenant, dans les villages autour de Carhaix qui est ma Bretagne tout entière et mon pays tout entier, les pauvres bougres naissent alcooliques. Ces types ne connaissent pas l'ébriété puisqu'ils sont nés dedans. C'est à dire qu'ils ne font jamais la différence et ne savent plus la situer. C'est exagéré : un alcoolique n'est pas toujours bourré mais il lui faut plus de verres pour connaître une infime sensation du choc provoqué par la rupture de la normalité via la folie douce et éthylique. Pour alors, j’y croisais des types à la soixantaine dégénérée : ils avaient 30 ans. Ils claudiquaient à cause de veines plantaires qui explosaient sous l'effet de l'alcool amniotique où leur embryon avait baigné. C'est une maladie de coing dont j'ai oublié le nom. Elle infusait en eux avec le temps. Ensuite, ne pas oublier que leurs parents, alcooliques évidement, car ça se transmet chez eux, leur avaient refilé de l'eau-de-vie au biberon parce que ces idiots croyaient littéralement à son appellation. Degré zéro de la culture. Aucune force d'abstraction mais une sorte de poésie du mal qui confine au comique. Quelle ironie. Ca concoctait des décérébrés.

Les chiards de 7-15 ans que je voyais étaient des demeurés au contact de qui je découvrais la bonne vieille frappe qui salit le mioche urbain. Ville contre campagne. C'était bon. Ils snifaient de la colle. Autres mœurs non moins chimiques mais plus industrielles. Ils s’affaiblissaient d’eux-mêmes en ajoutant à leurs tares de fausse couche des addictions malsaines. Ils ne m’effrayaient pas mais n’était leur aspect, je n’aurais pas bénéficié de cette horreur nécessaire pour répondre à leurs agressions.

      Il y a encore 50 ans, la Bretagne envoyait ses gens à Paris. C’étaient les domestiques. Les livres d’Octave Mirbeau posent à merveille le cadre de leur condition. Tenus à l’écart des parisin par un mépris de classe, les Bretons de Paris étaient assignés au silence. Aucun problème pour ces mutiques qui très vite, parce qu’ils s’adaptent facilement à ce qui leur est demandé, à savoir de la fermer, s’imposent comme la meilleure race de gens de maison. Seulement, ca lasse d’être pris pour un débile. Alors le Breton ne la ramène pas, il ne geint pas, ne se plaint pas, n’ouvre pas d’officine faiblarde à la SOS MEPRIS mais réagit et comme de juste, il agit en créant une contre culture, mais une vraie contre culture, et cette culture, c’est Bécassine. Zyeutez-la : elle n’a pas de bouche. La BD dessine la condition du Breton dans l’imaginaire du parisin  qui est celui qui ne parle plus - qui est l’abruti exploité qui accepte sans broncher. Mais au-delà de la Bécassine domestique, il y a plus que le Breton de Paris, il y a toute la Bretagne, la Bretagne qui économise les mots et ne se donne pas à la parlotte. Le Breton n’affirme rien, il tranche. Il ne s’exprime pas, il dit. Il n’a pas d’opinion, il pense. Il ne réclame pas, il demande : dans les tranchées, traité comme de la merde à busard, à peine mieux qu’un tirailleur, de domestique à esclave ca se comprend, le Breton répète du pain et du vin, du bar a du gouin. Il écrase et souffre dans son coin avant le marmitage du chleu. De retour de la guerre, il cuve son malheur dans son coin, sans quémander son dû comme un chialeux. Ca c’est Breton. Dignité. Un grand-oncle paternel est mort noyé dans une flaque d’eau où il s’était effondré pété comme un fruit. Il avait 23 ans. Il avait vu Verdun. Fallait oublier et pas emmerder son monde avec ses souvenirs. Sa femme n’eut pas de pension, elle partit faire la bonne à Paris et ne revint jamais. Et tout ca sans gémir, non, sans jacasser, que non, mais en acquiesçant aux événements avec la justesse d’un aristo. Elle était davantage qu’une aristo, c’était une aristocrate.

Le Breton n’est pas intellectuel et ne connait pas le salon mais connait les pierres, car la Bretagne est un pays de pierres dressées sur le sol ou plantées près des arbres, et tout ca par les hommes ou la nature ou les deux à la fois, et comme une pierre de silex qui s’enflamme à la frottée, le Breton se manifeste dans des étincelles. Bref ; mais fort. Le Breton pense plus qu’il suppute. Elucubrer ? Perte de temps, parisin ! C’est que le pays est dur. Humide et pluvieux, souvent gris, si gris que le vert devient sombre, et la terre aride et les hommes secs. Que dire ? Rien, une bouche ne sert à rien. Parler pour quoi dire ?

Comme partout, mais là-bas c’est plus frappant qu’ailleurs, l’environnement déforme les voix qui, emmêlées à la langue, la transforment après avoir rendu les sons toujours plus rauques à travers les âges. De cette dialectique entre la langue et la voix apparaît un langage ; un langage brut comme s'il était chargé de lutter contre l'humidité ; toute joie, toute plainte, n’importe quelle essence est un râle ; c’est un langage créé à partir de pierres qui s'entrechoquent dans les dents ; le Breton baragaouine, du pain et du vin. Parler écorche. Alors phrasouiller pour quoi faire ?

C’est une langue celtique, pleine de R et de consonnes enroulées autour de peu de voyelles. Les consonnes sont les lettres en colère quand les voyelles chantent l’alphabet solaire. L’Italien est joyeux et voyellise tout son vocabulaire. Tous les peuples durs placent à la fin de leurs mots l’état de leur esprit. L’ach en Bretagne suggère l’à quoi bon solidement accepté. A bach’ dit le Breton pour arrêter la discussion. Pas d’Edmond qui tienne. La langue française emprunte cette humeur lorsqu’elle signifie par le suffixe ard l’énervement qu’elle accole au mot. Le Basque, que je ne connais qu’à travers mes lectures de linguistique, fait de même avec le phonème asse quand il entend stiller l’idée de saleté en son sujet.

Et mon Breton est un muet. Il est une pierre qui pense. Il est une pierre ventriloque. Qu’il parle et nul ne s’en avise : ses traits ne se déforment pas.A raison de cette langue qui s'arrête à la joie triste du Breton, toute émotion finit par s'exprimer comme une autre en sorte que le Breton peut tranquillement vous insulter en souriant : son intonation passe uniment du début à sa fin. Brutale, la phrase se crache pour dire idiot ou merci bien. Quelle qu’elle soit, elle n'est trahie par aucun agacement du visage qui reste figé dans son granit. Là-bas on s'aime comme on se déteste alors les sentiments se taisent pour ne pas avoir à disparaître. Un foyer, c’est deux présences. Mais le Breton est accueillant et ses bras ne sont fermés qu'à lui-même car c'est la mort qu'il étreint. Elle ne le prend pas. C'est une terre de suicide. Le Breton part quand il l'a décidé ce qui n'est possible qu'à la jeunesse. Un vieux Breton pleure toujours. Il s'effondre comme si la glace des ans fendait sa carapace en roche. Il pleure non parce qu'il est sur le point de mourir mais parce qu'il n'est pas encore mort. Tarder lui est interdit. Une larme est un et-que-ça-saute. Il n’y a qu’en Bretagne où la chiale n’existe pas. Ca pleure, or c’est tout différent. C'est-à-dire que nul ne gémit. S’agit d’encaisser.

Ma Bretagne. Terre de fiers cernée par la mer, la mor, dont l'homophonie rappelle que seuls les marins y sont vraiment tués. Glenmor, écouter Glenmor et entendre ce poète de la terre et de la mor et de la mort. Les bardes sont de grands poètes et le Breton est un grand barde. Moisi et sans feu est son sol, c’est pour ca que la parole lui manque alors il s’en remet aux vers et aux chants et aux instruments, lesquels sont des voix, le biniou parle, quelques notes mais pas de trilles, rien de parisin. Cornemuse !La Bretagne ne connaît pas l’élément chaleureux alors elle se réchauffe dans la foi et pratique un culte marial qui mélange au catholicisme le druidisme qui rend à la femme toute sa magie, celle du pouvoir de donner la vie. Ha ma Bretagne. Ha ma mère. Qu’il est doux de penser à vous deux enchâssées dans le caillou ; qu’il est bon de savoir qu’un bout de moi m’attend là où les gestes disent plus que les mots. Rien de parlotte ! Rien ! Je suis l’Aristo, et l’Aristo est Breton et il écrit comme il parle et parle comme il écrit. Ainsi est le Breton.

05/02/2015

Autre pensée du 05/02/2015 - Je suis L'Aristo

Pat PokerPourquoi L’Aristo ? Par haine de la démocratie. C’est un peu court, jeune homme ! objecterait l’idiot. Car Edmond Rostand est un idiot, absolument. Ses vers de mirliton sont l’idée que la démocratie se fabrique de l’aristocratie. Le Cyrano de Rostand est un démocrate burlesque parce qu’il met en rime la liberté confondue avec la folie. Que la république consacre Rostand suffirait à prouver la nullité de cette plume obèse qui dégouline de rimes frites. C’est le baroque chez un classique, c’est boursouflure sur un visage.

Léon Daudet, monarchiste, prince de classe de la IIIème république, et par l’esprit plus que par la particule, donc aristocrate plutôt que noble ou gras-bourgeois (synonyme), Léon Daudet, donc, exècre Edmond Rostand et informe dans SES SOUVENIRS LITTERAIRES qu’il salope Cyrano de Bergerac par une poésie enflée. Hyperboles exclamations et métaphores engrossent une aristocratie bouffonne qui ne se refuse rien. Cyrano est sali en même temps que sa verve est violée dans un fantasme petit-bourgeois. Edmond rosse tant la langue qu’il prête à travers elle les caractères archi-démocratiques à l’un des plus beaux aristocrates de notre Histoire. Autant ressusciter Céline chez Marc Lévy. Stupide !

J’observe  uniquement chez les glands cet engouement si particulier pour Edmond Rostand. Parfois sont-ils sauvés lorsqu’ils confessent avoir été aveuglés par un autre aristocrate : Gérard Depardieu, mais il n’empêche qu’un public permet de situer un écrivain. Aujourd’hui, Marc Lévy et Guillaume Musso se reconnaissent moins à leur style qu’à la tête de leurs lecteurs.

Ces deux bavasses sont Edmond et Rostand et en posent la réalisation démocratique la plus aboutie : avec eux, tous les sentiments sont mièvres et buboniques parce qu’ils poussent dans toutes les bouches via tous les mots. Et tout le monde en veut alors tout le monde en prend ! Au même prix ! Fissa, faut que ca se love ! Leurs lecteurs sont souvent des femmes entre deux vies qui perpétuent, par attitude et par physique, leur état d’esprit médian : ni belles ni moches, ni sexe ni drogue, ni tout ni rien, elles s’évanouissent dans un pet à mesure qu’elles lisent leur « auteur » favori. Elles sentent le chat à qui seul elles offrent leur compagnie. De même que Rostand gonfle Cyrano d’un ridicule qui le tue, de même elles aspirent le vide de Musso-Lévy qu’elles recrachent aussitôt dans la vie. Dans les deux cas, la créature est immonde parce que démocratique. Chez Rostand, Cyrano vote et défend des droits ; chez Musso-Lévy, les lecteurs rotent et oublient les choix. Or qui ne choisit pas n’est plus un homme, c’est une voix qui se noie dans l’urne. Le projet démocratique se réalise dans ces mises à mort successives de la littérature. Il faudrait écrire un XXème SIECLE A TRAVERS LES AGES qui le parcourrait depuis Rostand jusqu’aux deux cons précédents. Il rendrait hommage par le titre à Léon Daudet et à Philippe Muray.

Mais il est un peu court, c’est vrai, de se justifier en négatif. Je pourrais m’expliquer en me plaçant sous le symbole de Léon Daudet qu’il suffit de lire pour constater qu’il est positivement aristocrate. Quelle puissance réside dans ses mots ! A côté, je ne suis rien, juste une chiure, par quoi je ne suis qu’un aristo et concède à l’apocope de me voler le crate. Un sanscrate, c’est cela même !, un infirme mais conscient qu’il doit économiser les mots pour ne pas finir Edmond.

Au-delà de ca, l’aristocrate est la figure qui allie le mieux les forces physique et métaphysique. Il est corps et esprit à la fois. Il est l’anti esprit médian, lequel annonce toutes les démocraties toutes les médiocrités.

Dans l’Histoire, c’est la noblesse qui remplace l’aristocratie une fois que Louis XIV la parque à Versailles dans des appartements exigus où elle étouffe. Elle y crève. La Fronde avait été son dernier sursaut. L’aristocratie y devient de service et s’abandonne aux travaux d’office. Elle endosse la robe et passe à la noblesse associée. Celle-ci prépare ensuite le terrain aux bourgeois qui montent en société comme ils conquirent le bourg. Alors viendront 1789 et la lutte des classes et l’avènement de la petite-bourgeoisie à qui bob appartient aujourd’hui. Bob est mon petit-bourgeois que je combats en aristo. Force, esprit et honneur contre faiblesse, matériel et rostand. Je suis l’Aristo.

Pensée du 05/02/2015 - Mère for a dream

-Pat Poker

      J’ai toujours été écœuré à l’idée de bronzer en ville. M’installer dans un parc lui-même sis au milieu des boulevards et m’y mettre torse nu voire en maillot de bain sont une épreuve. Quand j’arrive à Monceau ou aux Tuileries et que je m’imagine acagnardé près des corps entassés, je réprime cet instinct citoyen : il me rappelle que l’injonction démocratique impose de se frotter à l’autre, tout le temps et partout. Il n’est guère que dans la drague et le sentiment que les attouchements sont proscrits. Là il y a la distance. Sur les affiches, c’est fesse nue et gland à l’air, tous muscles bandés contre des seins ronds. En vrai, c’est rien. C’est manière et faux-semblant. Qu’il est compliqué de briser la glace entre deux amants en puissance ! Ils ont tout du mort en sursis qui se sait mort sans se l’avouer comme eux se savent aimés sans se le confesser. Le puritanisme vit de ces contradictions qui promettent tout et ne permettent rien. Cela participe d’une frustration générale que rompent les voisinages civils où types et typesses s’étalent sous le ciel orange.

L’humeur démocratique a tant pénétré les esprits que les habitudes de la vie moderne énoncent un renoncement. Le renoncement à soi, d’abord, qui porte à se diluer dans le nombre, littéralement à faire corps en s’exhibant – puis une suite de renoncements qui descendent du premier. Renoncement à penser, car comment est-il possible de méditer dans le brouhaha des camaraderies forcées ? le bruit au parc appartient à la rumeur de la ville qui infuse les rues et les transports et les appartements ; renoncement à l’intimité, aussi ; bref, acceptation de la promiscuité comme abandon de sa singularité et de son humanité. La personne devient un individu par quoi la personnalité n’existe plus. C’est qu’elle est unique, globale, aplanie. Elle est au pire une individualité coulée dans la mêmeté, au mieux une individuation que Jung concédait à celui qui réfrène la disparition de sa conscience dans l’inconscience collective.

Les gens qui bronzent sur le MacAdam m’inspirent la sensation physique de ce que j’écris ici, c'est-à-dire que l’insanité de leur position, qui valide une métaphysique molle, celle du renoncement définitif, me submerge tant que la nausée secoue mes organes, lesquels me retournent de l’intérieur jusqu’à imprimer sur et dedans mes chairs un frémissement d’horreur. C’est terrifiant. C’est un spectacle terrifiant.

La fournaise d’une mégalopole en été la transforme en usine où des gens s’amoncellent sous la lumière comme des déchets animés qui happeraient un bout de soleil. Un dernier souffle ! Un dernier, juste un ! Un peu de vitamines ! C’est l’industrie des dépotoirs. Chaque fois que je vais au parc, je sais que je suis rendu. Voici venu le temps des gouffres humains dont les fossoyeurs se fossoient eux-mêmes. La démocratie fait de chaque victime son bourreau – à tout le moins favorise-t-elle l’atavisme de la résignation. Il est vrai que le renoncement est un suicide inconscient alors pourquoi m’étonner ?

      Hier soir, je regarde le film REQUIEM FOR A DREAM. Je l’ai vu pour la première fois à 18 ans. A 31 ans, l’œil est tout autre. Je l’ai moins compris comme le film de la drogue mais davantage comme une ethnologie (exceptionnelle de justesse) de la ville. La mère, c’est la mère qui aimante le regard. Droguée à la malbouffe et à la télé avant le speed (pour maigrir afin de rentrer dans la télé, c’est physique aussi chez elle !) elle est si urbaine et viciée par tous les trous qu’elle vit d’un reliquat d’instinct de force qui la pousse à prendre le soleil. Vitamines ! Au seuil de son immeuble, elle se fiche dans une chaise de plage et frit sur le trottoir. C’est tout à la fois l’addiction au bien-être et au paraître qui se manifestent dans ce rituel. Il y a aussi la pathétique vacance par procuration que la pauvreté s’invente. Toujours est-il que la mère, ignorante de ce que sa recherche du Bien est précisément ce qui la met mal, un nouveau remède n’étant qu’un autre poison, soit une étape supplémentaire vers la mort, crame sur le bitume. Enfer ! Comme ses amies qui maintiennent à la perpendiculaire de leur gorge un carton réfléchissant, elle se consume à côté des gaz d’échappement. Suant, elle ouvre tous les pores de sa peau par où la pollution la transperce et cancérise avant d’être déféquée. La mère illustre le renoncement généralisé et l’accoutumance à cette résignation. C’est l’occident bobique dans toute sa hideur. La mère est accidentale jusqu’au moindre de ses cheveux qu’elle vitrifie sur son crâne fripé avec une teinture en solde. Elle personnifie le malaise que je palpe dans les zones de verdure urbaine comme les consacre l’acronyme ZVU. Tout cela ressemble à une sémantique chimique qui organiserait le pourrissement des populations avec le consentement permis par le renoncement. Les ZVU abritent les mères for a dream.

Je crois que la drogue ne prolifère qu’en ville. Elle existe aussi à la campagne à condition de voir en celle-ci la décharge de la ville. La mêlasse démographique procure un sentiment d’angoisse, par oppression, à quoi l’artifice et seulement l’artifice permet d’échapper. Les sons, les moteurs, les bousculades, les odeurs et les présences mutiques – tout ca vous brise un homme et plus encore un individu.

Il est plusieurs drogues autres que les adjuvants que sont les hallucinogènes et les amphétamines (les deux grandes familles d’addictifs). Il y a le sexe, le sport et la lecture. Je survis avec beaucoup des deux dernières. Mais depuis que je connais la mort de la vie, en ce que la morte m’a donné la vie, et j’espère qu’il n’est point besoin que j’écrive l’identité de ma très chère morte, depuis que je connais cette mort, je vis avec une boule en fil au creux du plexus solaire. Je l’imagine noire, précisément comme la médecine orientale figure le nœud d’énergie négative stockée chez la victime d’un choc émotionnel violent. Je suis persuadé que ce dernier fut le révélateur de ce que la ville tissait en moi depuis six années d’agression quotidienne et continue. Je relirai donc mon recueil de poèmes consacré à la ville ; écrit de 2010 à 2011, il est intitulé LE GRAND RIEN par opposition au grand tout. La poésie dit plus vite ce qui doit être dit. Si j’étais musicien, je me jetterais dans ma musique qui met en relation plus brutale avec ses évocations. Un lieu où m’évader avec force, voilà ce que j’espère en ces derniers instants. Bref, la vérité est que je pense à la drogue parce que la souffrance physique est insupportable. Suffoquer. Noyade. C’est abject de subir ca sans pouvoir agir. La drogue, donc, d’autant que je connais déjà car j’ai toujours été curieux. Personne. Lecture. Sport. Insuffisant. Le temps et la patience sont l’art du sage qui enseigne la force ; le junkie est un faible mais un faible qui montre à méditer. Requiem for a dream, effectivement.