28/07/2015
Au peintre - Le 28/07/2015
Il y a deux types de personnes : ceux à qui le monde appartient et ceux qui lui appartiennent.
Il y avait ce garçon, peintre, qui joue dans la seconde catégorie. Il échappe à tous les archétypes. Je peux normalement situer n’importe qui au bout de quelques regards. Untel est faible et subit, untel saisit tous les instants et se fabrique un destin, et ce quid en invente même aux autres. Extrapolés, ces nuages humains ramènent la statistique au grand homme. Ha ! psychè humaine, langage du corps, gestes et yeux, j’ai tout étudié tout pratiqué, j’ai mangé au turbin, au cours de faux moments de glande, des cours de BTS commercial afin d’apprendre à reconnaître les manières. Ca me sert dans la création et plus encore dans la praxis de celle-ci, à savoir la séduction : c’est un art dans lequel il me faut cinq minutes pour savoir si je plais et si j’aurai la femme qui se trouve en face de moi. Je peux aussi rattraper une situation mal embarquée et de l’espoir je passe à l’espérance sans sourciller. Tous ces coachs en séduction sont les magiciens des mœurs. La drague est un tour, ni plus ni moins qu’une tournure de soi pour amener l’autre où l’on veut. La gestuelle est une manipulation. En sorte que tout va pour l’écrivain qui se voit haruspice. Il lit les humeurs pour en faire ce qu’il veut. Mais avec ce peintre, je n’y parvenais pas. Il y avait en lui de ce grand fauve qu’on trouve chez Moravagine. Un enfermé à l’asile. Arrive un jour où il s’en échappe. Mettez donc ces gens sous les barreaux ! C’est marre, impossible, le froid ronge le fer, et le sel sort de la terre !
Mon peintre posait l’énigme. Il fuyait tous ceux qui tentaient de l’appréhender. Il m’était impossible de l’enfermer dans ma littérature, alors il me faut la grande, la vraie de vraie, celle produite par les écrivains. Cendrars était un bourlingueur, il a d’ailleurs écrit BOURLINGUER dans quoi il rend hommage à Malaparte, bref, Cendrars parcourrait le monde et je crois que c’est au cours de ses pérégrinations qu’il rencontra suffisamment de types pour construire une arche d’humains d’où il sut extraire une Arkhè pour comprendre l’humanité. Une humanité telle que Moravagine ou que celle de mon peintre.
J’ai montré ses tableaux à un cousin peintre mais aussi psychanalyste à l’érudition continentale, et bien ce cousin, en plus de lui reconnaître du talent, remarque un Oedipe raté que mon peintre projette dans ses toiles, ce qui expliquerait son art et sa folie qui m’inquiète, moi, type basique à la structure sans vices.
Je blessais le temps avec mon peintre. Je le regardais parler. Il vibrait de toutes les émotions mais ce n’était pas là le plus surprenant, ce qui frappait était ces sursauts qu’il plaçait sans intention dans ses variations d’humeur. Une phrase lui suffisait pour brandir un camaïeu de caractères. C’était inconscient, donc pur et gratuit, dénué d’objectifs : aucune esbroufe, rien que lui lui lui et ce grand oui à la vie des héros de D.H.Lawrence. Un sursaut suppose rapidité et intensité, c’est vivant, et c’est ainsi qu’il menait la conversation, avec tout ce que la vie contient d’énergie. Une force émanait de ce garçon que je plaçais face à moi pour oublier la géographie dont il annulait les lieux, aspirés dans sa vigueur.
Le plus étrange restait ses yeux qu’il fixait sur son interlocuteur qu’il ne voyait pas. Seuls les lions regardent ainsi, seuls les lions réussissent à vous ignorer dans la fixité. De fait, il agissait tel un lion, aussi bien dans la manière de nouer ses cheveux sur son crâne que dans ses accès de rage insensée et sauvage. Alors il jetait sur lui un horizon qu’il devait troubler du pinceau. C’est là qu’il partait, je vais peindre, avant que de revenir dans dix jours. Il serait primesautier, aurait oublié sa colère et retomberait dans sa pause sociale. En artiste véritable, il se dépouillerait de lui-même à nouveau. Sans le savoir, il irait partout où il n’est pas.
Par ce qu’il avait conservé d’instinct, il était resté un enfant. Il ne connaissait de la peinture que ce qu’elle avait déposé en lui. Elle était resté figée au seuil de l’impression en sorte que je ne m’étonnais pas, lorsqu’un jour qu’il me montrait LA DAME EN VERT et que je m’écriai Picasso !¸ qu’il ne connaisse pas Picasso. « J’ai passé toute ma vie à apprendre à dessiner comme un enfant » disait l’espagnol, or c’est précisément comme tel que s’exprime mon peintre. LA DAME EN VERT est un visage aux yeux perdus et différents. « Vie mystérieuse de l’œil » dit Moravagine, « vie mystérieuse de l'œil. Agrandissement. Milliards d'éphémères, d'infusoires, de bacilles, d'algues, de levures, regards, ferments du cerveau. Silence. Tout devenait monstrueux dans cette solitude aquatique, dans cette profondeur sylvestre, la chaloupe, nos ustensiles, nos gestes, nos mets, ce fleuve sans courant que nous remontions et qui allait s'élargissant, ces arbres barbus, ces taillis élastiques, ces fourrés secrets, ces frondaisons séculaires, les lianes, toutes ces herbes sans nom, cette sève débordante, ce soleil prisonnier comme une nymphe et qui tissait, tissait son cocon, cette buée de chaleur que nous remorquions, ces nuages en formation, ces vapeurs molles, cette route ondoyante, cet océan de feuilles, de coton, d'étoupe, de lichens, de mousses, ce grouillement d'étoiles, ce ciel de velours, cette lune qui coulait comme un sirop, nos avirons feutrés, les remous, le silence. Nous étions entourés de fougères arborescentes, de fleurs velues, de parfums charnus, d'humus glauque. Écoulement. Devenir. Compénétration. Tumescence. Boursouflure d'un bourgeon, éclosion d'une feuille, écorce poisseuse, fruit baveux, racine qui suce, graine qui distille. Germination. Champignonnage. Phosphorescence. Pourriture. Vie. Vie, vie, vie, vie, vie, vie, vie, vie. Mystérieuse présence pour laquelle éclatent à heure fixe les spectacles les plus grandioses de la nature. Misère de l'impuissance humaine, comment ne pas en être épouvanté, c'était tous les jours la même chose ! »
Pendant ce temps, David Guetta compare sa musique à celle de Bach. Rien que ca ! Les mixs brandebourgeois sans doute...
L'Aristo dit que c'est impressionnant
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