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10/04/2015

Smylife - Le bonheur au quotidien ! - Le 10/04/2015

Pat Poker

Hier soir, Parvis de la Défense sous la Grande Arche. A l’entrée du métro un flandrin distribue des flyers. Lui est terne et contrit tel un curé que sa campagne aurait constipé. Il contraste avec les couleurs de ses papiers. De bonne humeur, j’accepte ce que me tend sa main. Sur ses papelards est inscrit : « SMYLIFE ! Le bonheur au quotidien ! Un exercice simple et efficace pour améliorer votre Bien-Etre ». Bien-Etre majuscule ! La sémiotique insiste sur la valeur de bob le bienheureux et l’interpelle. Elle lui rappelle ce qu’il doit devenir s’il ne l’est pas encore. Quelle ironie ! ici, à la Défense, précisément l’endroit le plus triste qui soit avec les gens les plus déprimés du coin.

Le tract est une publicité qui vante les mérites d’une appli smartphone garantissant le bonheur. Ma foi. Le principe est rigolo : à droite de l’écran, l’utilisateur remplit la colonne points positifs en décrivant les expériences sympas de sa journée passée à se morfondre dans son open-space ; à gauche bob doit noter les points négatifs de sa journée achevée dans le métro qui précède le plat tout fait sous allumine. Il y a quelques exemples. Ils sont éloquents. « Ce matin, la réunion avec la direction s’est bien passée. Super feed back ! Yeah !!! » Ou mieux : « Ce soir, le métro était bondé. J’ai laissé ma place à une dame âgée. Quelle joie de voir ses yeux et son sourire pleins de reconnaissance. » Côté points négatifs : « J’ai eu une discussion très tendue avec Jean-Bernard ». Ou : « Le lapin de ma fille est malade. » La mièvrerie le dispute à la boberie. C’est niais et roulé dans le franglais, en un mot : débile.

 

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Ces exemples procèdent de l’esprit bobique qui pourrit dans son bonheur impératif. Larvé de bons sentiments, il déplore la maladie d’un lapin et s’esbaudit de la galanterie la plus élémentaire, preuve qu’elle est étrangère au bob monde qui se force à l’exercer uniquement pour la roter dans ses pleurs. Que d’artifices pour imiter la vie !  Cependant, tristesse interdite ! comme si l’homme triste était taré. Derrière ces phrases croupit la volonté d’aller bien pour être toujours mieux. Au top ! crie bob. Le bobisme intégral se réalise dans cette dictature du smile dont la face plate actualise la trogne de big brother. Je ne supporte plus cette référence éculée par la critique de la modernité mais force m’est de la rappeler ici. Du reste, je propage vingt ans après la voix de Pascal Bruckner qui dénonçait déjà la tyrannie du sourire.

Les créateurs de cette appli (je me suis renseigné) sont un communicant et un ex-banquier. Ce n’est ni anodin ni étonnant ; c’est la confirmation de ce qu’est l’état d’esprit des cadres d’entreprise qui pilotent des projets et des équipes à renfort d’humour bonhomme. GOOGLE est la manifestation la plus frappante du comportement des organisateurs dont l’époque insigne est notre bobernité. L’ère des planificateurs marque le triomphe du smile arc-en-ciel autour de quoi les salariés taffent et teuffent en slip, qui alangui sur une boule plastique qui avachi sur un siège gonflable. Je pense aussi aux lip-dubs durant quoi les salariés célèbrent à l’unisson et en chanson l’hypocrite industrie de la joie qui place sous le tapis des scandales les suicides suivant les dépressions. Oubliées également dans la farandole les humiliations administrées par des managers devenant des GO le temps d’un tube amateur. C’est dans ces farces vocales que l’infantilisation du salariat s’est en premier lieu affirmée. C’était de mode il y a cinq-sept ans lorsque les trentenaires d’aujourd’hui débarquaient dans le monde du travail qu’ils rêvaient de disneylandiser à proportion de leur éducation. Depuis, ils ne chantent plus comme les héros de leurs dessins d’enfance mais déclament dans un franglais qui assassine la langue leurs directives ludiques. Leur visage rose bonbob, pareil à des fesses fripées, est uniment répandu par le smile. Il se diffuse à vitesse de pet. Que ne se souviennent-ils d’Alice et du chat du Cheshire ? Ce dernier enseigne pourtant que le contentement permanent est ce mensonge qui efface son porteur. Le chat meurt de sourire ! Il disparaît ! Superbe conteur philosophique ce Lewis Carroll, certainement trop fort pour ces cons.

      Toujours est-il qu’on leur doit l’appli smylife qui fait pont entre l’open-space et la vie. L’idée révolutionnaire conseille de se concentrer sur les plus belles expériences du quotidien au moment de s’endormir. Bonheur à l’arrivée, promis ! Après 6000 ans de philosophie, voilà-t’y pas qu’un petit génie de la mercatique, certainement issu d’une école de commerce à la bob, promet le bonheur moyennant appli « en deux à trois semaines », « efficacité prouvée ». C’est comme le shampoing.

Jour après jour, bons points après mauvais, les semaines se faufilent. Il est alors possible de grapher son humeur afin de visualiser son plaisir en courbe. Génial. Un algorithme croise les plus et les moins. En sortie, il affiche les niveaux de Bien-Etre et de zen afin de coller à la mode yoga qui cartonne dernièrement chez le bob yogi.

 

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Cet engouement bobheureux pour l’Orient remplace le sacré laissé vacant par la spiritualité absente de l’Occident matérialiste. Le bob monde est orphelin et ses bobins enfants cherchent des jouets chez les bonzes. Nul n’a tué au nom des chakras (vraiment ?), donc c’est gentil en sorte que la macédoine de buddha-yogi correspond à l’ersatz religieux dont bob a besoin. Un peu de psychanalyse pour métisser le tout et c’est géant !. Puis ca le fait, c’est l’ouverture à l’autre. La quête du Bien-Etre est une spiritualisation accidentale de l’avoir qui supplante l’être depuis que Dieu est mort. Elle est encouragée sinon motivée par l’alternationale dont les membres se tiennent par la main dans la ronde autour de l’alter bob, parangon de la geste amoureuse.

Au lieu de se mettre à lire à l’ancienne, bob veut du neuf. C’est pourquoi il croit aux âneries que lui refourguent d’autres bobs. Du zen à smylife¸il n’y a qu’un bob. Cet échange entre songe-creux maintient l’illusion que le mal doit se soigner par le mal. Si le mieux est l’ennemi du bien, le bob monde établit que le pire est l’ami du mal qui n’est du reste plus discerné. C’est que bob s’aveugle à l’ignorance. Se mettrait-il à lire qu’il s’éborgnerait aussitôt car la lecture pousse à l’introspection avant de rendre prisonnier du doute. C'est-à-dire qu’elle ne met pas bien, souvent même elle met malheureux, or de ceci, bob a peur. C’est tout ce qu’il fuit et il n’en reste pas moins vide en sorte qu’il se gave d’imbécilités. Il est désormais convaincu que tout passe par le jeu donc que c’est en s’amusant qu’il surmontera son mal d’être. Il est possible que ca fonctionne sur les plus bobs chez qui le conditionnement est trop fort, mais je suis certain que le refus de s’élever entraîne à s’abaisser. C’est une règle rarement contredite.

C’est là que smile-face s’inverse ; ca cherche son ombre qui n’existe plus : c’est vide, et ca meurt d’avoir déjà crevé.

 

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 L'Aristo est taquin et salue bien haut le bob monde.

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