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12/02/2015

Sacolin et madame Taubi

Pat PokerCe n’était pas tant ses chairs qui l’enlaidissaient que leur positionnement. La nature avait enflé son corps de membres qui, séparés, seraient appuyés par l’examen. C’est une fois mis bout à bout qu’ils souffraient d’un agencement débile. Aucune harmonie. Architecture disgracieuse. Ses parties circulaient autour d’un centre mouvant difficile à identifier. Il en résultait une démarche polluée par le hasard : tantôt ses humeurs la contrariaient et la jetaient dans une façon de course en sac qu’un vêtement large accentuait ; tantôt le climat, chaleurs ou froids ou vents, lui interdisait de contrôler une allure qui lui ôtait la grâce.

La grâce, elle ne l’avait jamais connue. Qu’était donc la grâce pour cette femme qui insultait l’élégance et la finesse ? Elle ne marchait pas, elle déambulait, tout au plus se mouvait-elle comme un tank se déplace. Elle avait tout des premiers chars lourds, empruntés,  étrangers à la souplesse et dont l’impression de puissance était soufflée au moindre coup d’obus. C’était une guimauve qu’il suffisait de presser pour hâter la disparition. C’est que la graisse est pareille à ses gaz : gros volume, poids lourd mais densité faible. Du vent qu’un régime alimentaire dégage de l’intérieur : c’est là le principe du pourrissement. Elle était comme ca madame Taubi. Et Sacolin Colon n’acceptait pas de la côtoyer au boulot. Il la discriminait avec d’autant plus d’entrain qu’il bravait les commandements de l’homme. Il pratiquait la haine et il en jouissait. Il citait souvent Barrès pour s’en expliquer, comme quoi la haine est la plus suave des sensations, de celle que le Rossignol chantait aux poilus depuis son salon de planqué. Mais Sacolin savait tout ca et il ajoutait à son amour de la haine la taquinerie ultime de vénérer un indéfendable. Madame Taubi, il avait fini par s’intéresser à elle, et moins par humanisme que par peur du gros. C’était son ethnologie à lui, sa petite phobi perso qu’il traitait comme un objet d’étude. Ce matin, elle l’avait salué de sa voix de mec gâtée par les hormones de bœuf. La mêlécasse avait sorti un burger d’un Tupperware qu’elle avait chauffé au micro-ondes. Ce serait son petit-déjeuner. Une viande grise et du cheddar orange fichus dans  du pain de mie industriel reconstruit à partir de céréales bouillies. Puis elle l’avait ingurgité sous les yeux de Sacolin qui lui avait demandé comment elle parvenait à goinfrer cette merde. Elle n’avait pas répondu : elle pensait que toute agression cache un mécanisme de séduction qui se grippe à la moindre altercation. Elle avait lu Cyrulnik, un gars sérieux, c’est lui qu’a inventé la résilience alors elle y croyait : Sacolin en pinçait pour elle. En vrai, elle l’effrayait mais selon elle, elle lui plaisait.

Le propre d’un physique ingrat est de conserver une psychologie d’enfant chez qui l’analyse critique fige les convictions déjà forgées. Toute intuition est une affirmation. Que Sacolin l’aimât, c’était pour madame Taubi une certitude. Quand elle entendait Sacolin l’appeler ca avec quelque collègue, elle s’assurait de cet amour. Cet aveuglement s’observe chez le faible qui se laisse-aller. La force ne l’intéresse pas. Il préfère se résigner et par renoncement, il reste bloqué au stade de la métaphysique molle par quoi il s’amourache du méchant qu’il aime autant qu’il s’en croit aimé. Du même instinct, il s’éloigne du gentil qu’il méprise autant qu’il croit que c’est mérité. C’est ainsi que le faible devient ce mauvais sur qui nul ne peut compter. Il place nombre de ses représentants chez toute sorte de collabos. Rancœur, timidité, jalousie, toutes langues de la dépression expliquent la méchanceté du faible qui bourgeonnait dans les bourrelets de madame Taubi. Sacolin la détestait d’autant plus qu’il percevait sa vraie nature. Il n’en éprouvait aucune pitié : il était bien trop fin psychologue pour ca, en sorte qu’il pourchassait chez elle tous les démons de l’humanité. Il répétait que tout est con dans le taubi ce qui justifiait qu’il en fabriquât un prétexte à dénigrer la vie. Parce qu’elle appartenait à la vie, parce qu’elle était en vie, même, la vie était de la merde, et son mode de vie, qu’il abhorrait, posait les règles de la vie qu’il choisissait d’abominer. Il agonissait dès le matin la modernité sur qui il reportait les turpitudes de la condition humaine : il lui fallut peu de temps pour en attribuer à madame Taubi les frusques qu’elle validait par tous les pneus de sa structure viciée. Son régime alimentaire, ses idées, ses je suis charlie tatoués aux quatre points cardinaux de son corps qui sont ma nuque, mes reins, ma gorge et mon pubis le dégoutaient tant qu’ils la voulaient pour lui aux fins de la tuer. C’était une profession d’appartenance qui illusionnait madame Taubi. Elle était amoureuse de son pire ennemi.

Ce couple infernal figure l’un de ces délices pour quoi la bobernité doit être analysée. Moi-même, je suis subjugué par mon Sacolin et ma dame Taubi. Les écrire et les créer sont extrêmement simples tant le quotidien regorge de ces bestioles. J’imagine facilement madame Taubi parce que son ectoplasme s’est inscrit dans ma tête durant mes pérégrinations urbaines. J’aime beaucoup Sacolin ; m’y plaît ce mélange d’intelligence et d’instinct chez qui la nature bride la culture afin de rappeler que la barbarie existera toujours. C’est que la barbarie est constitutive de l’homme et je la préfère encore brutale. Je l’accable lorsqu’elle se manifeste chez les trop-plein-de-soi dont le degré d’extase pousse la culture à s’exprimer dans la torture et le sadisme. C’est celle de Sade ou des exterminateurs industriels qui en 40 gazaient des humains en écoutant Wagner. Ho, je ne suis pas bien-pensant et ne donne pas de leçon de morale, mais les tortionnaires de camp sont des faibles qui tuent à distance. Les Taubi de ce monde, Sacolin les méprise à juste titre. Lui s’en remet au vitalisme premier. Toujours mieux qu’une faiblarde qui, au motif qu’elle a lu Cyrulnik, avance aveugle en croyant tout savoir. Devine-t-elle qu’elle est déjà jouée. Elle est l’Oedipe à cochonne, et Sacolin est un sphinx. Comprendre que la bête est un personnage de la pièce de Sophocle. Il faut. Barbare et civilisée à la fois, la figure du sphinx animalise les limites de la raison qui, si elle est dépassée, en revient au sentiment dopé à la conviction. Il est alors folie, précisément celle de madame Taubi. Ma grosse exhibe cette modernité sûre de son fait, arrogante et bien-pensante. Frottée à un misanthrope comme Sacolin, elle conduit à un choc. Ce n’est pas que je tape sur les gros, je m’en frappe et connais les affres du diabète, mais il me faut marquer les boursouflures mentales du bob dans la chair d’un personnage. L’inscription en est d’autant plus remarquable et je puis comme Sophocle (toute promotion gardée) crever des yeux et concocter des amours impossibles.

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