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22/10/2015

L'appel de la Défense - Le 22/10/2015

  Pat Poker 

Remarque liminaire :

L’aujourd’hui sollicite les bas instincts et appuie où ca fait mal en prétendant que ca fait du bien. Le c’est bon quand ca fait mal manifeste la mentale des gens du commun. Typiques, les citations d’Oscar Wilde. Types et typesses balancent du Wilde en une façon de caution morale pour justifier qu’ils ne consomment pas quand ils jouissent. Ils ne sont pas prisonniers, mais libres. En réalité, « le meilleur moyen de résister, c’est de céder. »

 

 

Le marché est une économie d’échange de marchandises. Il vit de leur circulation.

Dans INTERVENTIONS, Houellebecq écrit que l’architecture de la Défense est la réalisation de l’esprit du marché. Le culte de l’efficience se rend dans les tours de verre des boîtes du CAC.

Le quartier d’affaires parisien est une partie d’un tout du même temps qu’il est un effet causé par ce tout. Le marché, en ce qu’il englobe tout, de l’économie aux rapports humains qui se mènent désormais on line, est ce tout. C’est un tout total, et parce qu’il est actif, il est totalisant. Un tout totalisant s’arrête à un univers totalitaire, et c’est ce qu’est le marché, de sorte qu’il est difficile de le séparer de ses émanations ou de traiter celles-ci de superflues. Elles ne sont pas des événements aléatoires, c’est-à-dire que leur indépendance n’existe pas. Bien au contraire, elles dépendent du marché qui les a voulues, lequel se perpétue dans ses créations. Charge à elles de le répandre ou a minima de le maintenir en vie. C’est la fameuse interdépendance vantée par les communicants. Hiérophantes du marché, ils ne jurent que par les interconnexions et les interactions. C’est dans leurs abstractions sémantiques que s’énonce la logique marchande que la Défense écoule dans l’espace.

Entre les cadres dynamiques, l’information circule aussi vite que les courants d’air qui démolissent les coiffures s’aventurant sur l’Esplanade de bon matin. Cependant, l’espace extérieur se reproduit dans l’open-space, donc à l’intérieur, où est assuré le partage d’informations. Le marché modèle les constructions dans quoi il s’imprime. Ainsi pénètre-t-il partout comme d’une force diffuse qui indiquerait la direction. La marche à suivre dit-on, ou l’ordre. Il y a un modèle d’inspiration de marché qui est décliné dans les produits. Les gestes qu’implique leur manipulation deviennent, à mesure qu’ils sont partagés par le nombre, des mimes. S’ensuit un modèle de base qui tourne au modèle d’imitation. C’est le processus de standardisation. Les comportements se calquent sur les objets. La Défense est à ce titre l’architecture uniformisée, comme le bob est le cadre typique et le hipster le modeux basique. Ces désinences à fonction unique ne doivent pas étonner comme nul ne saurait être surpris qu’elles influencent les mentalités et accouchent d’un homme-à-pulsions robotisé par pantomime. C’est précisément parce que découlent de ces structures un bonhomme à l’esprit nouveau que Houellebecq écrit de la poésie en se promenant à la Défense ou au MONOPRIX : c’est ici et là qu’il capte l’état de l’homme du temps.

En architecture, il n’est jusqu’au design des appartements qui ne copie la Défense. Murs blancs et vierges, économie de meubles, tout concourt à insinuer par-tout l’esprit-marché. C’est un vaste copié-collé qui l’institue dans la chaîne de productions. IKEA, HABITAT, ZARA HOME, H&M HOME – autant de marques qui martèlent l’épurement pour être vu et entendu tout fort et à travers. En exportant au logis l’agencement d’open-space, la décoration d’intérieure aère les surfaces restreintes. En ville, lieu hypermarché, donc où le totalitarisme marchand prend forme, les lieux d’intimité sont petits. Seul un mobilier frugal permet une habitation vivable. Plus la population s’appauvrit à mesure que le marché grossit, plus il se ménage des terrains d’expressions : non qu’il offre un loft pour tous, mais en l’espèce, il se coule dans l’écrasement que connaissent les actifs. Cette apparente contradiction est l’essentiel tour de force de la civilisation libérale qui enseigne que si les urbains sont des êtres de restriction qui étouffent dehors, dans les transports ou dans la foule, il est alors normal qu’ils croupissent dedans, dans du petit. La cohérence réside dans ce que, comme à l’air libre, il est loisible d’épurer via une décoration froide et transparente façon la Défense. La City et Wall Street sont à la portée de toutes les bourses. Sans les moyens, le fin du fin s’invite à la maison. Les gestes y sont avares par absence d’espace, mais le mouvement est suggéré. Tout peut circuler, mais rien ne bouge : chacun à sa place, comme ce à quoi le marché assigne. La masse s’englue en s’enroulant sur elle-même, mais il lui est suggéré de s’envoler. L’épithète aérien traduit toutes les émotions, de l’art contemporain à la mercatique CARREFOUR. Mais au vrai, c’est confinement et restriction. La vie privée s’identifie à la vie active. L’une parle d’échelle sociale, l’autre de hiérarchie. Ici et là, un sas de sécurité empêche la majorité d’en réchapper.

Bref, les domaines professionnel et privé se rejoignent dans leur commune distorsion de la hutte. C’est par l’espace que le marché totalitarise, mais sa dimension (physique par le produit ou spatiale par le bâtiment) n’en est qu’une parmi d’autres. Dans L’EXTENSION DU DOMAINE DE LA LUTTE, Houellebecq révèle que la compétition en vue de récompenses professionnelles existe aussi en amont du succès amoureux, en sorte que le marché, pour s’assurer davantage de compétitivité, est bien ce mécanisme totalisant qui fonctionne par déviations concrètes et abstraites.

Qui tient le marché pour nocif ne saurait donc supporter la Défense. Il est vrai que n’importe quel être humain ne résiste bien longtemps à l’ambiance aliénante de cet amoncellement d’acier, de béton et de verre. Les gens y campent les héros houellebecquiens. Ils survivent sous serre et ce n’est pas pour rien que le personnage de L’EXTENSION a le sentiment d’être un aliment d’industrie : « des fois, j’ai l’impression d’être une cuisse de poulet sous cellophane dans un supermarché. » Le film plastique figure l’invisible coercition d’une époque en apparence évasive. Ainsi de l’Esplanade à la géographie nue où la présence est pourtant limitée par l’affolement des vitres. S’y réverbèrent à l’infini les lumières, les sons et les gens. C’est ainsi que se multiplie la foule qui informe la personne de son règne. C’est l’avènement du nombre, partant, de la quantité. C’est là qu’on s’abrutit.

Il s’en trouve pour minimiser l’intensité du mal, et la minimisation la plus fréquemment entendue explique que c’est comme ca. La Défense existerait ontologiquement. Sans raison. Elle s’appartiendrait à elle-même et vivrait de cet incréé qui la pose là, devant soi, comme une fiente sur le bout de son nez. Ceci dénie au quartier une lignée commune à la civilisation libérale et en excuse les agressions continues. Ainsi considérées, l’angoisse et l’oppression générées ne font pas partie d’un tout et peuvent être acceptées. Il serait vain de les critiquer, aussi faut-il les subir sans se regimber. L’analyse précédente serait exagérée, Wilde en soutien. « Tu extrapoles » que j’entends. « Rien à voir ». « Ca vient de toi ». « La solution est en toi ». « Tu te défausses, tu es un marxiste ». Les plus intelligents remarquent l’obsolescence de la superstructure*, par quoi mon propos serait nul et non avenu. La critique façon Pavlov. Ouaf ouaf l’esclave aboie et regarde les talk-show. Où l’on retombe dans les travers de la servitude volontaire... C’est bien dans celle-ci que cuit l’homme partiel qui segmente son activité travailleuse comme il cloisonne ses conditions mentales. Alors il ne peut nommer sa souffrance et s’en remet au divin marché qui le frotte de sa main invisible. Ainsi limé, il goûte au plaisir de ne plus douter. Bientôt, il ne pensera plus. Il réalisera l’homme sans qualités de Robert Musil, qui est incapable de penser ce qui le soumet. Or comprendre est important. C’est ce qui permet de s’arracher au grand tout. Et ce n’est même pas un bon début, c’est une fin en soi. S’exclure à mesure qu’on extrait, puis se retirer : n’est-ce pas là la dignité qui reste à l’ère de la bureaucratie de masse ?

 

*avec quoi je suis d’accord, parce qu’il faut désormais parler d’hypostructure pour signifier l’idée-marché qui sourd du-dedans de soi, comme une source qui jaillirait du bas et non du haut : la masse n’est pas chapeautée, mais envahie. Ce n’est plus l’état, mais le marché. La politique n’est plus, c’est l’économie qui décide. La mort de l’état, qui coïncide avec celle de la politique, est celle de la superstructure qui était devenue l’hyperstructure dans les pays du socialisme réel (URSS, Chine, Corée du Nord, pays Baasistes, Algérie post-FLN), lesquelles ont été (URSS, pays Baasistes, Algérie post-FLN) ou sont (Chine) ou seront (Corée du Nord) bouffées par l’hypostructure du marché. Plan quinquennal autrefois, restructuration libérale maintenant. On connaît la chanson.

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L'Aristo dit qu'il vaut mieux le citer lui que caqueter Wilde

 

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