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14/10/2015

En pays derviche - Le 14/10/2015

Pat Poker

J’ai lu Nietzsche, et je suis venu à lui comme je suis arrivé à Wagner : en voulant lire et entendre et comprendre ce que les nazis n’avaient pas compris chez eux et croyaient avoir compris. Qu’en avaient-ils retiré ? Quel surhomme se figurait-il ?

J’espérais comprendre comment leur pulsion nihiliste avait pu soulever un peuple si raffiné que les Allemands, avant de convulser l’Europe entière. Or, pour connaître ces nihilistes, il faut savoir leur erreur constitutive, bientôt charnelle et organique.

Ils ont construit autour d’un contre-sens, donc ils se définissent par la négation, et c’est précisément en ceci que les nazis sont de purs nihilistes. Lebensraum, Surhomme - autant de concepts empruntés à Nietzsche puis détournés de leur abstraction. Je ne nie pas l’élan nazi qui se concrétise en jetant la Prusse technique dans l’Allemagne mécanique ; je ne lui dénie pas non plus une poésie, celle de la force, si puissante et séductrice, qu’on trouve chez les hommes d’action ; je lui concède volontiers une volonté et une assurance telles que ses constructions mentales prenaient la forme d’affirmations définitives, donc de réponses et d’assertions : avec les nazis, les questions meurent, cela rassure et convainc, et c’est encore, la mort des questions, une autre expression du nihilisme. Mais je trouve chez les nazis un aveuglement qui contenait leur perte quand même il éborgnait un continent.

Le groupe SS Soleil Noir fut la réalisation la plus aboutie de l’esprit nazi, lequel prétendait effectivement éclairer par la nuit : dans cet oxymore se mélangent l’ontologie farceuse du IIIème Reich, son caractère guerrier, sa poésie de la force, mais aussi son début et sa fin qui se confondent dans le règne du nihilisme total. Il existe des signes minimes à quoi nul ne prête attention bien qu’ils contiennent un moment d’Histoire entier, et le régiment spécial d’Himmler en était un. Frappé d’ésotérisme, Soleil Noir est le barbare moderne. Soleil Noir fut au Reich millénaire l’avant-garde éphémère de ce que les hussards noirs, eux aussi décorés d’une tête de mort sur l’épaule, disent encore du premier Empire de Napoléon, à savoir qu’il mourut aussitôt qu’il naquit.

 

Mais ce nihilisme n'était-il pas un mal nécessaire ? Une tabula rasa sur les décombres moraux et politiques de Weimar m’opposa-t-on une fois que j’expliquais cela.

Je crois qu’il existe deux types de nihilisme, un nihilisme absolu et un nihilisme relatif.

Le premier est trop brutal parce qu’il finit par appliquer à lui-même son entreprise de destruction. Le nihilisme absolu, c’est le nihilisme qui se nie. C’est une explosion. En art, c’est le futurisme. Il est impatient. Par opposition, le nihilisme relatif ne se mène pas au mépris des réalités auxquelles il s’adapte. Mouvant, il détruit à petit feu. C’est un incendie. En art, c’est le vorticisme. Il est patient.

Le nazisme participe de ces deux nihilismes, je crois. Et il aurait fallu qu’il s’affranchît du premier pour se maintenir. Ca ne lui était donc pas un mal nécessaire.

Dans la perspective qu’il perdurât, justement, je suis obligé de me pencher sans émotion sur l’organisation des camps d’extermination. Car la solution finale, devait-elle vraiment exister, ne pouvait pas être criminelle mais se confiner à l'exil. La logistique des convois aurait profité à la guerre armée et non à cette guerre civile menée dans les camps. Etrangement, le génocide s’emballe quand la Wehrmacht recule devant l’Armée Rouge : n’eût-il pas mieux valu mobiliser les trains et les hommes encadrant la Shoah pour l’effort de guerre ? Comment comprendre cet acharnement à liquider des civils autrement qu’au travers d’une pulsion de mort insufflée par un nihilisme absolu ? Alors il faut admettre que les camps sont aussi la pulsion finale, et que la solution finale fut également le rouage débile de la mécanique nazie, donc sa liquidation.

Les camps d’extermination sont le lieu du nihilisme absolu dans quoi le nazisme disparaît du même temps qu’il se réalise. Ce paradoxe n’en est pas un parce qu’il définit positivement le nazisme qui contenait sa part de nihilisme absolu. D'ailleurs, le mot absolu revêt ici son sens originel qui est celui que lui a donné la praxis politique d'un Richelieu via l'absolutisme. Pour schématiser à la façon d’un Spengler, il y a la construction d'une figure du bien chez Richelieu, le roi de droit divin, qu’anéantit la destruction d'une figure du mal chez la SS, le juif de droit malin.

C'est important de situer la perte des nazis dans ce qu'ils contenaient de trop brutal, c'est-à-dire d’absolu. Cela explique qu’ils ont perdu sans que personne les ait directement vaincus.

 

On ne saurait maintenant omettre la mystique nazie. L’état mystique oscille entre raison et folie. C’est l’abstraction incandescente qui rend fou d’intelligence. Le mystique, à force de trop voir, finit par ne plus voir ce qu’il voit. Il voit ce qu’il veut voir. Les schémas qu’il bâtit, parce qu’ils expliquent trop le monde, s’élargissent à proportion du sien. Alors son imagination prend le pas sur l’Histoire. C’est là que le mystique s’aveugle et que commence chez lui la transe. A la manière d’un moine derviche, il entre en folie cependant qu’il tourne sur lui-même, proprement dépassé par ses visions. Bientôt, il ne voit plus rien, précisément comme les nazis au stade de la pulsion finale. La solution finale est la danse du Reich derviche.

Maintenant, il faut expliquer la mystique nazie. Et sa mystique, c’est celle de la forêt. Les nazis se sont appuyés sur le ressort germain comprimé en son temps par les barbares. Que de rassemblements sous les svastikas à l’orée des forêts ! Nul hasard à ce que le film GLADIATOR s’ouvre sur la forêt qui délivre un personnage décapité : c’est le négociateur envoyé par les légions de Marc Aurèle, et c’est sans tête qu’il surgit des bois. C’est cette forêt noire qui l’a tué, elle, alliée des goths qu’un chef germain parvient difficilement à humaniser lorsqu’il brandit le crâne tranché à la face des civilisateurs. Ce crâne figure l’esprit germain de la forêt d’où il a grandi et surgi puis fondu sur Rome.

Jamais les Romains ne vainquirent les Germains en terrain forestier. La mystique avait raison de la raison. Marc Aurèle remporta la mise après avoir défriché les arbres à coup d’incendies. Mais ce faisant, il tuait davantage la mystique de ses ennemis. C’était une victoire de l’abstraction sur l’imagination. Les barbares n’étaient du reste pas de vulgaires guérilléros. Ils faisaient vivre une culture sédentaire qui ne demandait qu’à devenir une civilisation tel que l’explique Oswald Spengler dans son DECLIN DE L’OCCIDENT. (La culture imagine ce qu’elle précède, c'est-à-dire une civilisation qui s’appuie sur la raison : la civilisation est la mystique arraisonnée). Comme souvent autrefois, c’est dans la guerre et plus précisément dans l’art de la guerre que se validaient les caps franchis par une société dans la construction de sa grandeur. En l’espèce, c’est un instrument qui signe l’avènement de la germanité, une arme même, et il s’agit du bouclier rond, petit et maniable, a minima bien plus que ne l’était celui des Romains qui flanchaient devant la rapidité d’exécution des soldats forestiers.

Plus tard arriverait Charlemagne qui unirait dans l’abstraction du sang les Francs et les Germains avant d’implanter son idée dans la géographie d’Aix-la-Chapelle. Puis ce seraient les Vikings qui souffleraient sur les Angles et les Francs et les Germains leur mystique totale, déjà absolue, dopée par les aurores boréales du grand Nord après qu’ils en eurent hérité des premiers Germains. La forêt chez les Vikings, c’est elle qui les porte sur la mer, elle et ses drakkars de bois, ses arbres flottants ! L’élan mystique, cherché par les nazis, ce sont les vikings. Viendrait ensuite le temps des chevaliers teutoniques qui feraient bouger le continent européen comme leurs ancêtres faisaient trembler les forêts. Comme d’une teutonique des plaques, se dessinerait une Europe nouvelle ancrée à Königsberg, aujourd’hui Kaliningrad. Autant d’Europes derviches qui se tueraient elles-mêmes.

 

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L'Aristo dit que le "yoga derviche" est une bob trouvaille rigolote

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